Les paysages du riz

N’en déplaise aux localistes et autres locavores de tout poil, je trouve intéressant de m’arrêter le temps d’une chronique sur le riz, qu’on a commencé à cultiver quelque part dans la province du Hunnan (Chine), il y a 10 000 ans, avant qu’il n’apparaisse peu après sur les rives du Gange, de l’autre côté de l’Himalaya. Ca ne pousse pas dans la Beauce, ni sur les collines de l’Artois, mais je suis amoureux des paysages que Oryza sativa (nom savant du plant de riz) engendre, et des précieux grains qu’il permet de récolter.

Fernand Paul Achille Braudel, né le 24 août 1902 à Luméville-en-Ornois (Meuse) et mort le 27 novembre 1985 à Cluses (Haute-Savoie)

L’historien Fernand Braudel s’est beaucoup intéressé à la “civilisation du riz” de l’Asie, en miroir de notre “civilisation du blé” d’Europe (celle qui va de l’Atlantique à l’Oural) et d’Amérique du nord, ainsi que de la “civilisation du maïs” plutôt située en Amérique du Sud. Le blé et le riz se disputent aujourd’hui la suprématie dans l’alimentation humaine, le blé semblant disposer d’un avantage particulièrement appréciable en ces temps de dérèglement climatique : il est beaucoup moins gourmand en eau, même s’il se rattrape avec les tonnes d’engrais et de traitements chimiques qu’on lui balance pour assurer de belles récoltes.

Braudel explique que pour sa part, le riz ne nécessite pas de jachère. La terre ne doit donc pas se reposer, et la culture du riz nécessite moins de force. Un hectare de riz permet de nourrir 6 à 8 personnes, avec essentiellement des moyens humains. Mais cette culture suppose un important réseau de drainage et d’irrigation qui modèle le paysage. L’historien explique ainsi une plus grande permanence de la civilisation asiatique et une plus forte propension à l’immuabilité, ce qui peut être vu comme une force, mais aussi sa faiblesse.

Il existe évidemment une grande variété de riz cultivés, sans compter les riz sauvages qu’on trouve par exemple au Canada.

On distinguera pour faire simple le riz rond et le riz long. Le riz long ne colle pas : basmati, thaï, surinam, il est donc privilégié pour les salades, ou en accompagnement. Plus le grain est rond, plus il a tendance à coller, ce qui est avantageux pour tous ceux qui utilisent des baguettes pour se nourrir…

Le riz cultivé est présent en Europe depuis le XIIIe siècle, en Italie, en Espagne, et en Camargue.

Un sushi au maquereau

Oui, je sais, le sushi n’a rien d’occidental. C’est vraiment un plat emblématique de la “civilisation du riz”. Mais c’est vraiment très bon, et sa seule évocation nous conduit en Asie. Et plutôt que le saumon surexploité dans toutes les mers du monde, généralement élevé dans des conditions pas forcément ragoutantes, je vous propose aujourd’hui le maquereau, particulièrement économique et à la robe tellement seyante…

Commençons par le riz. Les Japonais utilisent bien évidemment un riz rond (“Japonica Oryza sativa”). Il est lavé plusieurs fois avant cuisson pour éliminer un peu d’amidon. Il est cuit dans un cuiseur à riz, espèce de cocotte minute, mais une casserole à fond épais fera tout à fait l’affaire. On démarre à froid, on couvre et on amène lentement à ébullition sans ôter le couvercle. Les Japonais ajoutent un morceau de kombu, une algue séchée qu’on trouve aisément en France. On laisse bouillir 5 minutes et on continue ensuite 10 minutes, à feu très doux, puis on laisse reposer 10 minutes hors du feu, avec le couvercle.

On transfère le riz dans un récipient, en bois de cyprès si vous avez, dans un saladier c’est très bien, avec une spatule en bois et on y ajoute 30 cl d’eau soigneusement dissoute avec 4 cuillères à soupe de vinaigre de riz, 2 cuillères à soupe de sucre, 1/2 cuillère à café de sel pour 300 g de riz sec. On remue délicatement le tout, pour ne pas écraser les grains, mais pour faire retomber aussi rapidement que possible la température. Vous pouvez à présent former une petite quenelle de riz dans la paume de la main et vous mettez les petites rations au frais.

Passons au maquereau

Vous allez utiliser un couteau fin, souple et allongé, qui permettra de lever les filets. Vous incisez derrière l’ouïe entre l’arrière de la tête et la petite nageoire latérale, en faisant attention de ne pas traverser le ventre et les viscères. On retourne le poisson et on fait de même de l’autre côté.

En saisissant la tête du poisson vous cassez l’arête centrale en la tordant vers le bas. Et vous tirez délicatement la tête vers l’avant pour dégager les viscères de la cavité ventrale et retirer le tout.

Vous pouvez maintenant ouvrir le ventre avec la pointe du couteau en passant par l’orifice anal et rincer l’intérieur de la cavité sous un filet d’eau froide. Vous grattez légèrement l’arête centrale pour retirer le sang.

Glissez la lame contre l’arête centrale, en direction de la queue pour lever un premier filet, en plaquant la lame contre l’arête et en l’inclinant vers le bas pour ne pas laisser de chair.

Découpez le filet jusqu’à la queue pour finir de le lever.

Même opération de l’autre côté.

On peut à présent parer et désarêter les filets avec une pince, en passant l’index le long de cette ligne, de la tête vers la queue, pour sentir la présence d’arête et les faire se relever.

Si vous n’avez pas de pince spécifique, vous pouvez inciser la chair de chaque côté de la ligne et en retirer une fine bande contenant les arêtes.

On va disposer les filets sur un plat côté peau et les assaisonner uniformément au sel fin, avec une pointe de sucre, pendant 30 minutes, avant de les éponger et de les recouvrir de vinaigre de riz et d’algue kombu pendant une vingtaine de minutes.

Retirez délicatement la peau transparente située sur les flancs. C’est un peu délicat, il faut la soulever avec un ongle et la décoller de la partie pigmentée de la peau sans enlever les pigments. On peut à présent filmer ces filets, qu’on coupera en tranches et qu’on présentera sur les quenelles de riz, peau à l’extérieur, après avoir mis un tout petit peu de raifort si vous préférez les épices locales ou de wasabi si vous aimez vraiment le piquant, ou les deux, et peut-être aussi un peu de gingembre…

Une salade au riz noir

Le riz venere apporte une saveur de noisette, voire de pain sorti du four qui se marie particulièrement bien avec les fruits de mer ou les crustacés. Les empereurs lui trouvaient des vertus aphrodisiaques, nos contemporains sont un peu dubitatifs dans ce domaine… En tout cas, les Italiens ont bien compris l’intérêt qu’il représentait et le cultivent abondamment dans la plaine du Pô

Il nécessite une cuisson un peu plus longue (25 minutes) que ses congénères blancs, puisque c’est un riz complet : son enveloppe noire colore l’ensemble du grain à la cuisson. Comme dans de nombreuses recettes, et comme pour les sushis, il est recommandé de le rincer après cuisson et de le refroidir rapidement.

Pour l’agrémenter avec des noix de Saint-Jacques, on peut lui adjoindre toutes sortes de végétaux : graines de sésame, dés d’avocats, morceaux de concombre ou de céleri branche, tomates cerises, cacahuètes… à vous de faire preuve d’imagination (et de goût…)

Quant à la Saint-Jacques, il est de bon ton de ne consommer que le blanc (muscle qui permet au coquillage de se déplacer) et de négliger le corail (appareil reproducteur). On peut pourtant utiliser le corail dans toutes sortes de sauces, sauf peut-être dans ce cadre précis de salade de riz noir. La noix, saisie très rapidement à la flamme ou à la poêle pour caraméliser légèrement sa surface, en conservant sa chair nacrée se suffit à elle-même.

Arborio, carnaroli, le territoire du risotto

Les Italiens, surtout ceux du nord de la péninsule, ont autant de risottos que les Français n’ont de fromages. En plus, ils terminent souvent la préparation de leur “rizzottttto” en le saupoudrant de parmesan et/ou de gorgonzola, voire une cuillère de mascarpone.

Mais le principe intangible du risotto ce sont des grains de riz rond qu’on commence par “nacrer” avec un peu de matière grasse et des oignons finement coupés, et qu’on fait ensuite lentement gonfler en ajoutant un peu de vin blanc sec puis un bouillon choisi en fonction des autres éléments qu’on lui ajoutera. Les Italiens sont formels : on reste devant sa casserole durant toute la durée de la cuisson, on remue inlassablement le mélange avec une cuiller en bois et on ajoute du liquide en petites quantités, jusqu’à obtenir la consistance souhaitée : des grains fondants, mais pas trop pâteux, baignant dans un jus qui a pris de la consistance avec l’amidon que le riz a exprimé, mélangé au bouillon, aux produits laitiers et au vin.

Gâteau de riz, la régression assumée

Il existe une infinité de variations autour du riz sucré, notamment en Asie. Que celui qui ne s’est jamais pamé devant une feuille de bananier cachant un peu de riz au lait de coco mélangé avec des dés de mangue me jette la première baie de goji !

Je vous proposerais plus simplement pour le dessert un petit gâteau de riz au lait et à la vanille, sucré mais pas trop, qu’on égouttera et qu’on terminera de cuire dans un moule en céramique dûment caramélisé après avoir ajouté deux œufs battus. Attention, cela peut être brûlant, il est donc recommandé de laisser le petit jouet refroidir loin des regards un bon quart d’heure avant de le déguster. On peut tenter de le démouler, si vous avez trouvé le bon rapport entre le liquide et le solide, et si vous avez soigneusement huilé le récipient avant de l’enduire de caramel. Mais avec une petite cuiller dans le beau moule à gâteau individuel, c’est aussi bon.

Tout est affaire de levure

Chère lectrice, cher lecteur,

Evidemment, tu identifies instantanément le point commun entre une belle tartine, quelques pickles de carotte, une assiette de choucroute et une coupe de champagne ? Tous contiennent des levures grouillantes de petites bêtes qui contribuent et pas qu’un peu à notre bonne santé, en même temps qu’elles nous incitent à nous lécher les babines !

La levure naturelle est aujourd’hui indispensable à une bonne alimentation de notre vieille planète. Elle nous permet aussi de réduire nos besoins en graisse et en sel.

J’avais précédemment effectué une petite promenade autour des vinaigres (https://recettesahistoires.com/2022/07/20/touche-pas-a-ma-mere/) et comme un culbuto je rebondis aujourd’hui sur les levures et les travaux de Louis Pasteur sur la fermentation à l’université de Lille, 30 ans avant qu’il découvre le vaccin contre la rage.

Louis Pasteur

Pasteur n’a pas découvert la levure, puisqu’en Egypte, il y a 4000 ans, le pain était déjà un composant essentiel de la nourriture.

Mais comme souvent dans sa longue carrière, il a cherché des explications logiques et scientifiques à des phénomènes connus mais non expliqués, et il a permis de fabriquer de la levure en sécurité, rapidement et en grande quantité. Cela a permis notamment aux fabricants de bière de s’organiser face à leurs concurrents allemands. Grâce à la pasteurisation, les brasseurs peuvent stabiliser leurs productions, la stocker, l’expédier.

A la même époque, à Marquette lez Lille, Louis Lesaffre et Louis Bonduelle décident de créer une usine d’alcool de grain et de gin, en regardant eux aussi vers leurs concurrents allemands et néerlandais.

Les affaires prospèrent, et au début du XXe siècle, les familles Lesaffre et Bonduelle scindent leurs activités. Aux Bonduelle les légumes, aux Lesaffre les levures ! Je ne rentrerai pas dans les détails et les circonstances de ces deux parcours, toujours est-il que Bonduelle et Lesaffre sont aujourd’hui des géants de l’industrie agro-alimentaire mondiale.

Je concocte mon levain

Il faut un peu de patience, et les mains très propres pour faire son levain.

Il vous faut de la farine, surtout pas raffinée, de seigle de préférence, si possible complète (T130), ou semi-complète (T110), bio c’est mieux ! Il vous faut aussi de l’eau, minérale ou filtrée, un bocal en verre (bocal de conserve de 75cl) et une cuillère en bois ou en plastique, impeccablement bien lavés, et même ébouillantés.

Vous déposez 50g de farine et 80g d’eau dans le bocal, fermé pour éviter les insectes.

Le lendemain vous renouvelez l’opération (même farine, mêmes proportions). On laisse à nouveau reposer 24 h à température ambiante.

Jour 3, normalement le levain a commencé à gonfler, et l’odeur doit être légèrement aigrelette. Vous rafraîchissez à nouveau le mélange en ajoutant les mêmes quantités de farine et d’eau.

Jour 4, si vous avez été sage, de petites bulles ont fait leur apparition.  Il est possible que le levain monte puis retombe. Rien d’inquiétant.

Vous recommencez les mêmes opérations, en prenant soin d’enlever un peu de matière, en conservant précieusement ce que vous enlevez. Lorsque la matière double de volume au bout de 24h votre levain est prêt.

Crumpet

Avec les surplus de pâte que vous avez enlevés chaque jour vous pouvez réaliser des crumpets.

Dans une poêle bien graissée vous déposez un peu de pâte dans laquelle vous avez ajouté un peu de sucre, de sel, de bicarbonate. Vous pouvez utiliser des cercles de cuisson pour maîtriser la forme. On ne fait cuire les crumpets que d’un seul côté, on les enlève et on les les laisse reposer sur un papier absorbant  quand le dessus est sec.

Le Tempura

Ce plat dit japonais est en fait d’origine … portugaise !

Les peixinhos da horta, introduits par des missionnaires jésuites portugais au XVIIe siècle, existent toujours dans la cuisine portugaise.

Il s’agit d’une pâte à frire maintenue froide sur un lit de glace, à base de farine, d’œuf et d’eau gazeuse bien froide, dans laquelle on trempe des morceaux de poisson ou de fruits de mer, mais surtout des légumes coupés en tranches. Le contraste de température permet une cuisson rapide, la carapace très vite formée rend le beignet croquant sous la dent en surface, empêchant l’huile de trop pénétrer à l’intérieur, et permet de conserver la saveur et la couleur des légumes

Les Peixinhos da horta

A l’apéritif, ces haricots verts frits prennent la forme de petits “poissons”.

Il vous faut : 400 g de haricots verts, 125 g de farine, 2 œufs, de la levure chimique, 1 cuillère à soupe d’huile d’olive, 10 cl d’eau, 1 pincée de sel

Faire cuire les haricots verts dans de l’eau bouillante pendant 5 minutes environ. Ils doivent être légèrement cuits. Égoutter et laisser refroidir.

Mettre la farine dans un bol et faire un puits. Y verser l’huile d’olive, une pincée de sel et de l’eau. Mélanger légèrement, en allant du milieu vers les extrémités.

Ajouter les œufs et mélanger énergiquement, jusqu’à obtenir un pâte souple et homogène.

Tremper les haricots dans la pâte et les plonger dans de l’huile très chaude, pendant quelques minutes.

Champagne, des bulles et des levures

Dom Pérignon

En aout et septembre ont lieu les vendanges en Champagne. Les raisins sont ensuite triés et mis en cuve pour une première fermentation. Ensuite commence une première opération spécifique au champagne : l’assemblage. Chaque maison a ses habitudes dans le choix des cépages, des coteaux, des millésimes, voire des terroirs.

On met ensuite ces cuvées en bouteilles, en général au printemps qui suit les vendanges, et on va effectuer la seconde fermentation chère à Dom Pérignon, en ajoutant un peu de liqueur (du sucre mélangé à du vin vieux) dans chaque bouteille qu’on va ensuite refermer hermétiquement. Grâce à la liqueur, le sucre va se transformer en alcool ET en gaz carbonique. Les bouteilles sont à présent stockées horizontalement, à 10°C pendant plusieurs mois.

On va ensuite effectuer le remuage. Les bouteilles sont inclinées, goulot vers le bas et on les tourne chaque jour d’un quart de tour.

Et de nouveau on laisse le temps faire son effet : c’est une partie de l’élevage du champagne.

On va ensuite se débarrasser des dépôts et autres levures en débouchant la bouteille et en plaçant le goulot dans un mélange d’air et d’azote glacé. C’est le dégorgeage. Le vigneron doit alors remplacer la petite quantité de liquide qui s’est échappée par un peu de sucre : la liqueur d’expédition. C’est ainsi qu’on pourra obtenir un breuvage plus ou moins sucré, de “extra-brut” à “demi-sec”. On peut aussi ne pas ajouter cette liqueur d’expédition et ce sera du champagne non dosé ou nature.

In memoriam Bruno Bonduelle

Bruno Bonduelle prend les rênes de l’entreprise familiale en 1985, jusqu’en 1994. Il se consacre alors à l’action publique, auprès notamment de Pierre Mauroy et de Martine Aubry : président de l’Association pour la promotion internationale de la métropole (APIM) et de Nord France Expert (NFX), président du Comité Grand Lille de 1993 à 2005, président de la CCI Lille Métropole en 2004. Il est décédé ce vendredi 16 septembre et tout le monde politique et économique s’accorde pour louer ses qualités d’homme et d’entrepreneur