Noir c’est noir ?

Je ne voudrais pas me mettre à dos les très nombreux fans de Johnny, mais je pense que les paroles de la chanson « Noir c’est noir » empruntée en 1966 au groupe espagnol « Los Bravos » ne reflètent pas nécessairement la réalité.

Noir c’est noir
Il n’y a plus d’espoir
Oui gris c’est gris
Et c’est fini, oh, oh, oh, oh
Ça me rend fou j’ai cru à ton amour.

D’ailleurs, à la fin des 3’12 de ce « hit » éternel les choses semblent susceptibles de s’arranger

Noir c’est noir

Il me reste l’espoir

Je préfère pour ma part les propos du peintre Pierre Soulages, mort à 102 ans en octobre 2022. Cet immense artiste avait compris après la deuxième guerre mondiale la nécessité  de « réinventer la peinture » avec de nouveaux outils et de nouveaux matériaux.

 » J’ai d’abord employé le noir pour sa capacité à illuminer les couleurs sombres. C’était, au fond, une manière de créer de la lumière par le contraste. À partir de 1979, j’ai recouvert totalement ma toile avec la même couleur noire. Ce n’était plus le noir qui comptait alors, c’était le reflet par les différents états de surface du noir : quand il était strié, cela dynamisait la surface, lorsqu’il était lisse, c’était une surface calme qui réfléchissait la lumière différemment. Il y avait toute une série de possibilités. Mais à ce moment-là, je ne travaillais plus réellement avec le noir, je travaillais avec la lumière ; pas n’importe quelle lumière : celle réfléchie par les états de surface de la couleur noire. Réfléchie, transformée et, j’ai envie de dire, transmutée. »

Une des peintures monumentales au noir de bitume exposées au musée Soulages (Rodez)

Le noir fait vibrer la lumière et les couleurs, en peinture comme en cuisine !

Voici une petite revue très subjective et non exhaustive de recettes qui portent le noir en cuisine. Et ce n’est pas triste !

Tiens, du boudin !

On tient peut-être là un des plus anciens trésors de notre paradis charcutier. Aphtonite, un cuistot de la Grèce antique aurait créé cette recette en faisant cailler du sang dans des boyaux, accommodé selon les goûts avec des épices, des lardons, du riz, des morceaux de gras, des pommes ou des raisins secs… Depuis, on la retrouve un peu partout dans les tavernes, y compris en Amérique latine, dans la sphère russophone, en Espagne, dans le « breakfast » anglais…

Le boudin blanc date, lui, du Moyen Age et contient du lait, de la fécule, de la mie de pain et de la viande blanche (poulet ou volaille essentiellement) ainsi que différents arômes (truffes, porto, marrons…)

Une tuile au charbon ou à l’encre

Vous voulez étonner vos convives en légèreté et à moindre prix ? Rien de tel qu’une tuile, sucrée ou salée qui donnera du volume à une assiette et attirera le convive qui cassera la tuile, pour découvrir ce qu’elle cache…

L’ordre du jour étant au noir, concentrons-nous sur les tuiles plutôt salées, au charbon ou à l’encre.

Pour fabriquer du charbon actif, on carbonise du bois ou une matière organique végétale en la faisant chauffer à sec dans un récipient jusqu’à éliminer toute humidité. Remplissez une grande casserole de morceaux de bois dur et posez un couvercle léger dessus. Mettez-la sur le feu pendant 3 à 6 heures.

Les éléments calcinés, en se volatilisant, créent des alvéoles dans le carbone.

Le chêne, le bouleau, le peuplier, le hêtre, le pin, le saule ou encore le tilleul fournissent un bois propice au charbon actif. Il peut aussi être issu de bambou, d’écorce de noix de coco, de noyaux d’olives, de coques de cacahuète ….

Il vaut mieux éviter en revanche les charbons utilisés dans l’industrie obtenus à partir de résidus pétroliers… .

Le charbon végétal a des quantités d’applications, notamment pour purifier l’air, l’eau ou le corps. Il est depuis longtemps entré dans la composition des filtres de masques à gaz. Les Egyptiens utilisent depuis toujours le charbon végétal comme désodorisant, pour soigner les problèmes intestinaux mais aussi pour purifier l’eau.

L’encre de seiche, aussi appelée sépia, est un liquide riche en mélanine présent dans la poche de la seiche que cette dernière éjecte pour se protéger et s’extraire de situations délicates.

Lançons-nous dans la fabrication de quelques tuiles qui agrémenteront par exemple un poisson blanc avec une garniture colorée (poivrons, tomates…) ou pour valoriser une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…

Il vous faut :

160 g d’eau

60 g d’huile

20 g de farine type 55

Du charbon végétal ou de l’encre de seiche

Réunissez l’eau froide, l’huile et la farine et mixez. Ajoutez le colorant et mixer à nouveau. Chauffez une petite poêle anti-adhésive légèrement graissée. Versez comme pour une crêpe, une petite quantité d’appareil dans la poêle chaude. Laissez bouillir jusqu’à évaporation de l’eau. Continuez la cuisson jusqu’à atteindre la rigidité de la tuile. La tuile se détache facilement une fois cuite. Débarrassez sur un papier absorbant.

Avec cette tuile anthracite, vous donnerez du « peps » à une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…

Des pommes de terre à l’ail noir

L’ail noir est un ail bruni à basse température (60 à 80 °C) dans une enceinte humide (70 à 90 %) durant 2 à 3 semaines, prenant une texture similaire à celle d’un pruneau d’Agen, utilisé en cuisine asiatique, notamment en Corée.

Pour impressionner votre entourage, précisez que ce brunissement non enzymatique est une conséquence de la réaction de Maillard qui survient pendant la cuisson des aliments. Elle est en partie responsable du brunissement et du déploiement des arômes.  À 90°C, la réaction de Maillard se produit lentement. Pour augmenter sa vitesse, il faut que la surface de l’aliment dépasse le point d’ébullition de l’eau (100°C). L’ail cru a une odeur tenace et peut être mal digéré. L’ail noir a un goût qui rappelle le vinaigre balsamique, la réglisse et de douces saveurs sucrées et acidulées. Mais, à partir de 180°C, la réaction de Maillard laisse la place à la « pyrolyse ». On entre alors dans le chapitre des « ratages » et des plats carbonisés…

Originaire de Nancy, Frédéric Anton, un des Meilleurs Ouvriers de France (MOF) est aux pianos du luxissime Pré Catelan dans le Bois de Boulogne à Paris, depuis 1997. En 2007, il y décroche la prestigieuse troisième étoile.  En 2018, en compagnie de Thierry Marx, il rafle à Alain Ducasse la gestion des restaurants de la Tour Eiffel.

Sur Alain Ducasse et les batailles au sommet de la grande gastronomie française, voir https://recettesahistoires.com/2022/07/11/colbert-eiffel-et-de-gros-poissons/

Voici sa version simplissime et particulièrement goûteuse de ses pommes de terre à l’ail noir

1,2 kg de pommes de terre charlotte

quelques brins de thym citron

150 g de beurre demi-sel

1 tête d’ail noir

un peu de fleur de sel

du poivre concassé

Pelez et lavez les pommes de terre. Cuisez-les à la vapeur avec quelques brins de thym citron pendant 35 minutes. Égouttez-les et mettez-les entre deux torchons. Aplatissez-les délicatement avec la paume de la main pour qu’elles éclatent légèrement.

Préparez un beurre noisette, faites-y colorer les pommes de terre de chaque côté, puis ajoutez l’ail noir en chemise et le reste du thym. Arrosez avec le beurre de la cuisson. Dressez les pommes de terre et parsemez de fleur de sel et de poivre concassé. Servez aussitôt.

Radis noir, le top du détox

D’octobre à janvier, vous trouvez sur les étals des cylindres pas forcément très engageants mais pourtant pleins de ressources. Le radis noir, alias le radis d’Espagne, alias le raifort parisien favorise la digestion, draine le foie, augmente la sécrétion de bile et facilite l’élimination des toxines accumulée par exemple durant la trêve des confiseurs…

Il n’est pas forcément nécessaire de faire très compliqué pour se faire plaisir : une tranche de radis noir translucide sur une tartine beurrée : un peu de piquant, du gras, le croquant de la chair (on laisse la peau noire pour l’esthétique), la douceur de la mie. Sacré programme avec si peu de choses !

Il est possible de décupler ces sensations, par exemple  avec quelques copeaux de betterave rouge crue, des pousses d’épinards, quelques clémentines dont on aura prélevé un peu de zeste (la saison a lieu de novembre à février) et des noix de Saint-Jacques (saison d’octobre à avril) riches en protéines, pauvres en graisse, particulièrement abondantes depuis que la profession en a réglementé la récolte. Vous pouvez les utiliser crues finement tranchées en carpaccio, ou entières passées au beurre (45 secondes maxi de chaque côté).

Les couleurs de la forêt noire

Le costume traditionnel des habitants de la Forêt-Noire se compose de noir, de rouge et de blanc, couleurs que l’on retrouve dans le gâteau imaginé en 1915 à Bad Godesberg par un jeune pâtissier, Josef Keller, qui propose un biscuit à la noisette imbibé de kirsch, tartiné de confiture à la cerise noire. Incorporé dans un bataillon d’infanterie, il doit mettre de côté sa recette, jusqu’en 1919 où il ouvre une pâtisserie sur les bords du lac de Constance.

Josef Keller

La formule est semble t-il améliorée en 1930 par Erwin Hildenbrand, pâtissier à Tübingen, qui remplace le biscuit aux noisettes par une gênoise au chocolat et le surmonte de crème au beurre fourrée de cerises et de crème chantilly puis de copeaux de chocolat.

1930 est une date importante dans l’histoire de la cuisine et de la pâtisserie puisqu’à cette époque apparaissent les premiers réfrigérateurs domestiques. Il devient donc possible de fabriquer et de conserver quelques jours ces constructions fragiles. Cela correspond à l’essor des gâteaux à la crème. Et la Schwarzwälder Kirschtorte connaît un essor fulgurant.

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