Morille et truffe : première escale

Comparée à notre échelle habituelle de valeurs, l’histoire des champignons risque de nous faire passer pour de très jeunes enfants de chœur.

Ils sont présents sur notre planète depuis… 450 millions d’années ! Et ils se sont emparés d’à peu près tous les milieux terrestres mais aussi les rivières et les océans, y compris les eaux saumâtres (douces et salées à la fois).

Il faut dire que nos relations avec les champignons n’ont pas été des plus pacifiques. Ils ont une réputation pas toujours très favorable ; entre les mortels, les simplement toxiques, les hallucinogènes ou les mérules qui dévorent nos charpentes, ils ne font rien pour qu’on les chérisse. Convenons aussi qu’ils accompagnent et accélèrent très généralement la décomposition du vivant sur lequel ils prennent pied.

Mais la vue d’une morille, d’une truffe ou d’un cèpe continue quoi qu’il en soit d’émouvoir le premier gastronome venu.

Et les scientifiques continuent de discuter pour déterminer si les champignons constituent ou pas un règne au même titre que les animaux ou les végétaux.

Je ne prétends pas me transformer en “mycologue”, je me contenterais d’évoquer quelques énergumènes avec lesquels j’ai eu l’occasion de passer quelques moments, dans les bois et les prés, puis dans une poêle, un fait-tout ou un saladier. Je vais tenter de vous embarquer pour une croisière avec escales au royaume encore mystérieux des champignons comestibles.

Aujourd’hui, je vous emmène saluer deux têtes couronnées.

Poularde aux morilles et au vin jaune

La morille est rare mais très recherchée. Elle pousse parcimonieusement au printemps, dans des forêts de frênes ou d’épicéas. Elle semble apprécier des terrains plutôt calcaires,  récemment brûlés ou en lisière de bois, notamment dans les massifs préalpins autour de Grenoble ainsi que dans certains terroirs américains.

Comme on retire au jeune coq quelques-uns de ses avantages  pour faire de lui un chapon tendre et douillet, on pratique de même avec les poulettes pour les transformer en poulardes. Entre la Saône et le Doubs s’étend le royaume de la volaille blanche aux pattes bleues, qui court dans les prairies  (15 m2 par poulet) à la recherche de vers de terre, d’herbe et de graines, avant un séjour d’une dizaine de jours dans une “épinette” pour parfaire la qualité de sa chair et de sa graisse. Après abattage, le précieux volatile est installé dans un linceul blanc et serré qui va encore contribuer à gainer ses rondeurs.

Le vin jaune provient des ceps de Savagnin cultivés sur les collines du Jura voisin. La vendange se fait sur des grappes bien mûres, voire déjà touchées par la pourriture noble. Le moût est vinifié puis pressuré avant que les peaux ne colorent le jus. Il est placé en fûts de chêne usagés de 228 litres, non complètement remplis pour permettre une “prise de voile”, l’apparition d’une colonie de levures qui vont absorber l’acidité du vin et lui donner sa belle couleur mordorée. Contrairement à d’autres nectars, on ne complète pas la “part des anges” déjà évaporée par l’ajout de jus, d’eau de vie ou de vin. Au bout de six ans, l’élevage du vin jaune est achevé et le précieux nectar est embouteillé en “clavelins”, petites bouteilles de 62 cl dans lesquelles il pourra patienter encore quelques décennies avant d’être consommé.

Georges Blanc

A Vonnas, à une vingtaine de kilomètres de Bourg en Bresse, Georges Blanc est l’héritier d’une dynastie d’hôteliers restaurateurs depuis 1872, dont la “mère Blanc”, sa grand’mère, qui régna sur les fourneaux jusqu’en 1949 et fut distinguée en 1933 “meilleure cuisinière du monde” par le redoutable critique Curnonsky (à propos de Curnonsky : https://recettesahistoires.com/2022/06/15/les-soeurs-tatin-le-storytelling-et-les-fake-news/).

Ici, on pratique depuis des lustres la volaille, mais aussi la crème, les morilles, les truffes, les écrevisses et les fameuses crêpes vonnassiennes, petites et épaisses, à base de farine et de pommes de terre…

Pour une tablée de 6 à 8 personnes il vous faut 2 poulardes de Bresse (1,8 à 2 kg), vidées, abattis réservés, flambées, découpées en morceaux , 2 oignons, 20 champignons de Paris , 4 gousses d’ail écrasées non pelées, 200 g de beurre, 40 cl de vin jaune, 2 l de crème liquide, sel et poivre, 1 trait de jus de citron.

Pour la sauce, il vous faudra 100 g de morilles fraîches, 30 g de beurre, 1 échalote.

Pelez et coupez les oignons en quatre. Retirez le bout terreux des champignons, essuyez- les et coupez-les en quartiers. Ecrasez les gousses d’ail avec la lame d’un couteau.

Mettez le beurre à chauffer dans une sauteuse sur feu vif. Déposez les morceaux de poularde, salez et poivrez. Ajoutez les oignons, les champignons et l’ail et faites dorer le tout 5 min de chaque côté : les morceaux doivent tous être bien enrobés de beurre et dorés. Versez le vin jaune et laissez réduire en grattant pour détacher les sucs caramélisés. Ajoutez la crème fraîche et laissez mijoter 25 à 30 mn environ.

Retirez les morceaux de poularde et réservez-les au chaud.

Passez la sauce dans une passoire fine, ajoutez un trait de jus de citron, rectifiez l’assaisonnement et portez à ébullition.

Préparez les morilles : étuvez-les dans le beurre avec l’échalote hachée et ajoutez-les à la sauce juste avant de servir.

Soupe d’artichaut à la truffe

Cet hiver, le moindre petit bout de Tuber melanosporum avoisine les 1500 euros le kilogramme. La faute à la chaleur de cet été en Périgord et dans les zones traditionnelles d’élevage et de récolte semble-t-il. La récolte est faible et de mauvaise qualité. Les vers et autres hôtes indésirables ont souvent pris pension dans des champignons aux formes souvent irrégulières.

Les mauvaises langues ont vite fait de jeter l’opprobre sur des producteurs qui ne renouvelleraient pas leurs méthodes et leurs principes, au contraire de leurs collègues espagnols et chinois. Ils semble bien pourtant qu’à 10 cm sous terre, à proximité des racines des arbres truffiers, les spores n’apprécient guère les chaleurs excessives de l’été ainsi que l’absence de pluie au moment fatidique de l’automne.  Elles font semble-t-il les frais du réchauffement climatique, comme tant d’animaux et de végétaux.

Comparativement à ce monarque fragile, l’artichaut importé d’Afrique du Nord via l’Andalousie fait figure de rustre campagnard. Aujourd’hui, nous nous contenterons du bon gros “camus” qu’on cultive en Bretagne notamment. Le “vert de Laon” est encore plus rustique et mieux adapté au froid. Les “violets” de Provence ou de Venise sont presque trop sophistiqués pour la circonstance. C’est le contraste qui va donner son sel à cette “soupe”. Les artichauts provençaux violets aiment qu’on les apprête en “barigoule”. La barigoule désigne en fait un… champignon, le lactaire délicieux, dont on farcissait accessoirement le cœur de ces petits légumes violets, avec des lardons…

Guy Savoy est né à Nevers en 1955. Son père est jardinier, sa  maman tient une petite buvette qui devient un restaurant avec un semblant de notoriété dans son quartier à Bourgoin-Jallieu. A 17 ans Guy entre en apprentissage chez Troisgros, où il rencontre notamment Bernard Loiseau. Depuis 1973, il arpente quelques-unes des plus belles cuisines du moment. Lasserre, puis le Lion d’or sur les hauteurs de Genève, puis l’Oasis à la Napoule. En 1977, il succède à Bernard Loiseau à la Barrière de Clichy, puis ouvre son premier restaurant dans le XVIe arrondissement, déménage en 1987 près des Champs Elysées dans un bâtiment rénové par Jean-Michel Wilmotte, avant de s’installer quai Conti dans l’hôtel de la Monnaie.

Pour cette soupe prestigieuse qui est devenue une référence il vous faut, pour 10 personnes :

8 artichauts, 1 citron, 2 échalotes, 20 g de beurre, 1 l de bouillon de légumes, 2 l de bouillon de volaille, une dizaine de lamelles de truffe, 100 g de truffe noire hachée, 2,5 cl de jus de truffe, 4 cl d’huile de truffe, 30 cl de crème à 35% de matière grasse, 150 g de vieux parmesan, sel, poivre du moulin.

L’huile de truffe est une huile neutre –pépin de raisin ou tournesol- dans laquelle vous aurez fait macérer quelques chutes de truffe. Attention, on trouve dans le commerce des huiles dites “saveur truffe” fabriquées avec des composants de synthèse qui ont certes le goût de truffe et sont beaucoup moins chères mais qui relèvent de la chimie plus que de la mycologie.

“Tournez” 8 artichauts : parez le haut des feuilles, puis celles qui entourent le cœur, enlevez le foin, coupez-les en quartiers puis réservez-les dans l’eau citronnée.

Soupe d’artichauts

Dans une casserole, faites suer les échalotes émincées au beurre sans coloration. Ajoutez les quartiers de cinq artichauts égouttés, le bouillon de légumes, portez à ébullition puis laissez cuire 30 min à petits frémissements. Mixez, filtrez à l’aide d’une passoire fine, puis terminez avec la truffe hachée, l’huile et le jus de truffe. Assaisonnez et réservez au frais.

Brunoise d’artichauts

Taillez deux autres artichauts en petits cubes, réservez dans de l’eau citronnée. Portez le bouillon de volaille à ébullition, ajoutez les cubes égouttés et laisser cuire à petits frémissements pendant 10 min. Mélangez avec 1 cl d’huile de truffe et 20 g de truffe hachée. Assaisonnez.

Espuma de parmesan

Portez 30 cl de crème à ébullition, ajoutez le parmesan et laissez-le fondre hors du feu. Passez au chinois et laissez refroidir. Versez dans un siphon et ajoutez 2 cartouches de gaz pour réaliser un “espuma”, mousse au siphon telle que le préparait Ferran Adrià dans son antre de El Bulli, à Roses en Catalogne, à proximité du célébrissime village de Salavador Dali, Cadaquès.

Ferran Adrià

Chips d’artichaut

Coupez en 4 quartiers le huitième artichaut que vous avez tourné, puis en fines tranches à la mandoline, avant de les frire à 170°C. Egouttez et salez.

Disposez la brunoise d’artichaut au fond d’une assiette creuse. Ajoutez l’espuma de parmesan et coulez la soupe chaude autour de cette préparation. Terminez avec des lamelles de truffe, les chips d’artichaut, un trait d’huile de truffe et des pousses de roquette.

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