Dans la série des légumes oubliés, il y a ceux qu’on a vraiment oubliés, et ceux que nos parents ou nos grands-parents ont été trop contents de ranger au fin fond de leur mémoire. Car je vous parle d’un temps que seules les personnes âgées de 88 ans et plus peuvent connaître…
Transportons-nous d’abord au temps des Poilus. Durant la Première guerre mondiale, les civils allemands et autrichiens font face à une quasi-famine et doivent leur survie à l’utilisation des topinambours et autres rutabagas qu’ils cuisinent à toutes les sauces, matin, midi et soir. Leurs enfants en font des cauchemars, et voyant arriver les mobilisations du IIIe Reich, intiment à leurs supérieurs de réquisitionner les pommes de terre de tous les pays qu’ils conquièrent. Par contrecoup, nos aïeuls se sont retrouvés à consommer ces racines que les soldats allemands abhorraient…
Aujourd’hui, nouveau pied de nez de l’Histoire : les légumes détestés par tous ceux qui ont vécu l’Occupation reviennent au devant de la scène !
Samuel de Champlain
Le topinambour est aussi appelé artichaut de Jérusalem, ou truffe du Canada, ou soleil vivace. On doit ces appellations à l’explorateur Samuel de Champlain, qui découvre ce légume en 1603, dans la Nouvelle France (le Canada). Les autochtones l’utilisent pour leur alimentation et comme fourrage pour leurs animaux.
Il est facile à cultiver, même dans des sols pauvres, il est peu sensible aux maladies. Et les navigateurs en diffusent l’utilisation un peu partout en Europe.
Le topinambour est certes très facile à cultiver : les jardiniers savent la difficulté à s’en débarrasser. Le moindre morceau oublié dans une parcelle et hop c’est reparti !
La plante (helianthus tuberosus) produit une tige feuillue qui peut atteindre 3 m de hauteur et une fleur jaune qui rappelle son cousinage avec le tournesol (helianthus annuus). Les 66 espèces d’helianthus ont l’immense privilège d’être méllifères. Elles attirent les abeilles et contribuent ainsi à la bonne santé de l’écosystème environnant.
Le topinambour a aussi l’avantage d’être très peu calorique grâce à la présence d’inuline dans sa structure, ce qui le rend très intéressant pour les diabétiques et celles et ceux qui souhaitent maigrir (méfiez-vous des publicités avantageuses sur le sujet, ce sont en règle générale des arnaques…)
Mais l’inuline a les défauts de ses qualités : elle n’est pas assimilée par l’intestin grêle, ce qui peut occasionner quelques flatulences si vous en consommez exagérément !
Petite astuce suggérée par les diététiciens : ajoutez une petite cuillère à café de bicarbonate de sodium dans l’eau de cuisson ou quelques pommes de terre.
Poulet, poire, topinambour
Philippe Etchebest
Est-ce utile de présenter Philippe Etchebest ? Certes un guide aussi célèbre que jalousé lui a octroyé une mignonne étoile rouge à Bordeaux en 2001. Certes il fréquente assidûment les studios de télévision. Mais surtout il porte au col de sa veste de travail le liseré tricolore qui fait de lui depuis 2000 un des “meilleurs ouvriers de France” à l’issue d’un redoutable concours professionnel.
Il vous faut 5 filets de poulet, 1 blanc d’œuf, 1 cuillère à soupe de crème, 600 g de topinambours, 50 cl de lait, 5 poires (Conférence par exemple), un peu de fève de Tonka, du grué de cacao, 2 étoiles de badiane, 50 g de sucre, huile, sel et poivre.
Faites chauffer de l’eau dans une casserole avec le sucre et la badiane, pelez 3 poires et taillez-les en fines lamelles à la mandoline. Laissez infuser les lamelles pendant quelques minutes (feu éteint).
Préparez une farce fine : coupez un filet de poulet, hachez finement, salez, poivrez, ajoutez la crème et un blanc d’œuf puis mélangez de nouveau.
Faites revenir à la poêle, dans un peu d’huile, les deux filets restants des 2 cotés. Badigeonnez la face extérieure avec la farce fine de volaille puis recouvrez avec les lamelles de poires façon écailles. Serrez-les en ballottine dans un film alimentaire.
Cuisez-les 15 mn à la vapeur ou en immersion dans une casserole d’eau à peine frémissante.
Pelez et coupez 500 g de topinambours. Faites-les cuire dans le lait avec une pincée de sel. Lorsque les morceaux sont cuits, mixez et assaisonnez-les.
Coupez les poires et topinambours restants en petits dés. Faites-les sauter à la poêle à feu vif avec un peu d’huile.
Retirez le film de la ballottine, caramélisez les filets au chalumeau.
Répartissez la brunoise dans le fond des assiettes et posez un filet dessus.
Versez le velouté autour et saupoudrez de grué de cacao et de fève de Tonka râpée.
Fruit d’une rencontre improbable entre un chou frisé et un navet, le rutabaga est ce qu’on appelle un “hybride” dénommé “corne de bélier” en Suède parce qu’il était utilisé pour nourrir les ovins.
Très semblable au navet, le rutabaga se distingue par sa grosseur et sa chair jaune foncée. Très rustique comme son collègue topinambour, c’est un légume d’hiver qu’on sème en avril et qu’on peut consommer dans les mois d’hiver, d’octobre à décembre, il est riche en fibres et en vitamine C.
Vous pouvez le déguster rôti au miel, cuit auparavant à l’eau bouillante ou à la vapeur pendant une dizaine de minutes découpé en cubes. Vous faites fondre ensuite une noix de beurre à la poêle, vous faites revenir le rutabaga avant de déglacer au vinaigre et de le laisser confire avec un peu de miel, et d’ajouter un peu de crème fraîche pour le service.
Il vous faut 4 topinambours, 1 panais, 1 ou 2 rutabagas, 2 gousses d’ail, 1 cuillère à soupe de tahin [purée de graines de sésame torréfiées et broyées, indispensable dans toute cuisine moyen-orientale, 2 à 3 cuillères à soupe d’huile d’olive, sel de mer, un peu de mélasse de grenade (sirop épais et concentré de jus de grenade frais), 1 cuillère à soupe de graines de sésame blond.
Préchauffez le four à 210°. Pelez et dégermez les gousses d’ail. Pelez et coupez en petits morceaux les légumes. Déposez-les sur une feuille de papier aluminium avec les gousses d’ail. Arrosez d’une cuillerée à soupe d’huile d’olive. Fermez le papier pour former une papillote.
Enfournez pour 30 minutes. Éteignez le four. Mixez les légumes avec la purée de sésame et un peu de sel. Ajoutez progressivement de l’huile d’olive : le houmous doit être bien crémeux. Au moment de servir, arrosez l’houmous d’un filet de mélasse de grenade et saupoudrez de graines de sésame.
A gauche la partie aérienne du cerfeuil tubéreux, à droite le cerfeuil des jardins
Que les choses soient bien claires : entre Anthriscus cerefolium (le cerfeuil des jardins et des potages) et Chaerophyllum bulbosum (le cerfeuil tubéreux, ou bulbeux si vous préférez) il n’y a rien, ni atome crochu, ni aventure sans lendemain. Ils ne peuvent pourtant nier un lien de parenté : ils appartiennent à la famille des apiacées, bien connue dans le landerneau des plantes à inflorescence en ombelles, jadis connue sous le nom d’ombellifères. C’est une grande et belle lignée de près de 3000 cousins !
Mais notre invité du jour est capricieux : il exige d’être stratifié à froid. Autrement dit, pour se réveiller, ses graines doivent subir les frimas deux années de suite ! Pas simple pour les jardiniers, ce qui explique que ce cerfeuil tubéreux demeure rare et cher, même si depuis des années les semenciers essaient de chercher une solution pour éviter cette double stratification…
Si vous en trouvez, ou mieux si vous parvenez à en produire dans votre potager, vous en avez sans doute apprécié les qualités gustatives : sucré, rappelant la pomme de terre et la châtaigne, une fois qu’on a laissé le bulbe reposer à la cave pendant deux mois ! En revanche, la consommation de ses feuilles peut donner à vos proches l’impression que vous vous êtes abandonné sur une dive bouteille… Les Caucasiens prétendent que la lacto-fermentation élimine les alcaloïdes indésirables qu’elles contiennent et rend la partie aérienne comestible.
Cappuccino au cerfeuil tubéreux et aux châtaignes
Le cappuccino, cet emblème de la cuisine italienne, fait la fierté des barista qui s’échinent à servir une tasse mousseuse de café au lait saupoudré de poudre de cacao.
Ici, il manque … le café mais la surprise est garantie en entrée de repas.
Pour 6 personnes il vous faudra 1 oignon, 600 g de cerfeuil tubéreux, 30 g de beurre, 800 g de châtaignes fraîches incisées et cuites à l’eau pendant 30 mn puis soigneusement décoquillées et nettoyées, 1 l de bouillon de volaille, 30 cl de crème fraîche, 1 cuillère à café de cacao non sucré, sel et poivre du moulin.
Épluchez et émincez finement l’oignon. Épluchez les bulbes de cerfeuils et coupez-les en petits morceaux.
Faites chauffer le beurre dans une poêle, ajoutez les dés de cerfeuil, l’oignon émincé et les châtaignes égouttées et faites colorer le tout pendant 5 minutes.
Couvrez de bouillon de volaille et portez à ébullition. Laissez frémir à couvert pendant 20 minutes. Ajoutez la crème et passez la préparation au mixeur plongeant. Rectifiez l’assaisonnement si besoin.
Montez 15 cl de crème liquide entière en chantilly jusqu’à ce qu’elle soit bien aérienne.
Répartissez le velouté dans 4 petites tasses. Pochez la chantilly bien froide sur le velouté puis saupoudrez de cacao. Servez sans attendre
Joue de porc, vin blanc, cerfeuil tubéreux
Pour 6 personnes il vous faudra : 1 kilo de joue de porc, 1 kilo de cerfeuil tubéreux, 500 g de carottes, 1/2 bouteille de vin blanc sec, 4 grosses échalotes, 1 cuillère à soupe de fond de volaille, 1 cuillère à soupe d’huile d’olive, un peu de sarriette, du sel, du poivre.
Épluchez et émincez finement les échalotes. Épluchez les carottes et coupez-les en biais en petits tronçons.
Dans un faitout, faites chauffer l’huile et faites revenir les joues sur tous les côtés. Ajoutez l’oignon, la sarriette, laissez dorer encore un peu puis ajoutez le vin, le fond de volaille et les carottes.
Après quelques bouillons, écumez la sauce et laissez mijoter à feu doux au moins deux heures à couvert. Ajoutez le cerfeuil tubéreux lavé et épluché et laissez cuire 10 minutes de plus.
Cerfeuil tubéreux confit
A gauche la badiane, à droite la cannelle
Il vous faut 100 g d’eau, 200 g vin blanc moelleux, 1 jus de citron, 150 g de sucre, 1 bâton de cannelle, 4 étoiles de badiane (anis étoilé), 400 g de cerfeuil tubéreux épluché
Lavez soigneusement les bulbes, plongez-les dans l’eau bouillante environ 8 à 10 minutes, puis égouttez-les et pelez-les à partir du collet.
Portez à ébullition tous les ingrédient sans les bulbes pendant 5 bonnes minutes. Ajoutez ensuite les cerfeuils tubéreux, couvrez et enfournez pour 1 heure à 100°C. Egouttez les cerfeuils et laisser refroidir.
Arlettes
Servez ces cerfeuils confits avec des arlettes de sarrasin telles que les confectionne le pâtissier Yann Couvreur dans ses boutiques parisiennes.
Yann Couvreur
Il vous faut 400 g de farine de blé (T45), 130 g de farine de sarrasin, 15 g de fleur de sel (ou du gros sel marin moulu), 10 g de levure de boulanger, 500 g de beurre, 30 cl d’eau, 350 g de sucre semoule, 100 g de muscovado (sucre de canne complet non raffiné en provenance des Philippines ou de l’île Maurice).
Réunissez les deux farines tamisées et la fleur de sel. Mélangez la levure réhydratée dans un peu d’eau, le beurre froid coupé en petits morceaux et l’eau.
Pétrissez l’ensemble jusqu’à ce que le beurre soit bien incorporé à la pâte.
Passez la pâte au rouleau et donnez-lui une forme rectangulaire, filmez et mettez au congélateur pendant 30 mn avant de réserver au réfrigérateur pendant 1 h.
Pendant ce temps mixez le sucre et le muscovado.
Sortez la pâte et donnez-lui 2 tours simples : étalez-la sur un plan légèrement fariné puis repliez-la 3 fois sur elle-même, en la laissant 1 h au réfrigérateur entre chaque tour.
Donnez 2 autres tours simples en incorporant cette fois le mélange de sucre (réservez-en un peu pour la finition).
Sur le plan de travail étalez la pâte sur 1 cm d’épaisseur. Parsemez dessus le mélange de sucres restant, puis roulez en serrant bien.
Filmez serré le boudin de pâte et réservez-le 30 mn au congélateur pour que la pâte durcisse.
Détaillez le rouleau de pâte en rondelles de 3 mm d’épaisseur. Posez sur un papier sulfurisé les rondelles, recouvrez d’un autre papier sulfurisé et d’une plaque de pâtisserie surmontée d’un poids suffisant pour que la pâte soit bien aplatie.
Mettez à four chaud (190°) pendant 5 à 10 mn. Réservez sur une grille à la sortie du four.
Dans une coupe, ajoutez un peu de crème battue en chantilly au-dessus de quelques morceaux de cerfeuil confit et plantez une arlette sur la coupe.
Chevreuil façon Pic
Chevreuil mariné à la lie de saké, châtaigne et déclinaison de cerfeuil tubéreux, cédrat panaché et épine-vinette
On n’a pas forcément envie de jouer tous les jours au cuistot multi-étoilé mais cette recette de Anne-Sophie Pic décrit bien la complexité et la technicité de ce qui est servi dans les maisons de la galaxie sur laquelle elle règne à Valence mais aussi à Paris, à Orly, Lausanne, Londres, Singapour, Megève.
Pour 6 personnes il vous faut : 1 dos de chevreuil de 800 g, 1kg de carcasse et parures de chevreuil, de l’huile d’olive vierge, du beurre doux AOP.
Cédrat panaché : 150g eau, 50 g de sucre, les zestes d’1 cédrat panaché, 5g de jus de cédrat.
De gauche à droite, le cédrat, le cédrat panaché, et la main de Bouddha
Le cédrat, fruit du cédratier, est un agrume proche du citron dont on consomme essentiellement l’écorce. Le cédrat panaché est une variété colorée du fruit jaune qu’on connaît en Corse. La main de Bouddha est de la même famille.
Purée de cerfeuil tubéreux : 300 g de cerfeuils tubéreux épluchés, 90 g de crème, 5 g de jus de citron, 4 g de sel
Châtaignes : 20 g de châtaignes épluchées, 4 g de saké, 1 g de citron, sel
Marinade saké : 140 g de filet de chevreuil levé et paré, 30 g de lie de saké, 15 g de saké
Le saké kasu, appelé aussi “lie de saké”, est la partie solide qu’il reste après le pressage du saké. C’est un ingrédient aux multiples usages : pour les marinades, les soupes, les gâteaux, la fabrication du pain, pour saumurer des légumes… mais aussi en cosmétique.
Copeaux de cerfeuil tubéreux : 20 g de petits cerfeuils tubéreux, 5 g de jus de citron, 20 g d’huile d’olive, sel
Finition : 10 g d’épine-vinette, 20 g d’oxalis lune, 20 g d’oseille lune (ou mini-feuilles d’oseille verte)
Consommé de chevreuil : taillez les parures de chevreuil (3 cm x 3cm). Colorez les morceaux de viande et les os dans un fait-tout. Grattez fréquemment les sucs au fond. Ajoutez du beurre doux en cubes et faites mousser celui-ci. Finissez la coloration au four à 190°C pendant 20 min environ. Égouttez dans une grande passoire avec un linge étamine pour ne pas perdre les sucs.
Dans le fait-tout, mouillez les morceaux avec le bouillon. Faites cuire à frémissement pendant 5 h tout en prenant soin d’écumer et de dégraisser fréquemment. Passez au chinois étamine et faites réduire doucement jusqu’à la bonne texture. Refroidissez puis dégraissez. Réservez au frais.
Levez les zestes de cédrat, retirez les zistes (la partie blanche amère sous la peau). Portez tous les ingrédients à ébullition.
Laissez reposer une heure à température ambiante avant de mettre à refroidir. Émincez finement et conservez dans le sirop.
Purée de cerfeuil tubéreux : mettez sous vide tous les ingrédients, cuisez à 85°C pendant 60 min. Mixez, puis passez au chinois étamine, rectifiez l’assaisonnement.
Châtaignes en copeaux et râpées : mettez tous les ingrédients sous vide et cuisez à 85°C pendant 35 minutes. Refroidissez au congélateur. Retirez la peau des châtaignes, réalisez des copeaux à la mandoline à truffe et colorez puis desséchez sur la plancha.
Râpez l’autre partie des châtaignes à la microplane dans une plaque et conservez au frais bien à plat.
Marinade saké : mettez sous vide le dos de chevreuil avec les ingrédients de la marinade, puis laissez mariner 4 heures. Égouttez, rincez à l’eau claire et conservez dans l’huile de pépins de raisin.
Copeaux de cerfeuil tubéreux : épluchez les cerfeuils tubéreux , taillez à la mandoline à truffe, puis mettez sous vide avec la vinaigrette pendant trois heures.
Assaisonnez la purée de cerfeuil avec le zeste de cédrat, le saké et quelques gouttes de jus de citron.
Réalisez une boule de purée sur la chapelure de châtaignes et roulez avant de disposer dans l’assiette.
Epine-vinette
Placez entre les boules un copeau de cerfeuil chauffé sur une plaque chaude. Placez quelques épines-vinettes rôties au beurre (préalablement blanchies et refroidies). L’épine-vinette est un arbuste qu’on trouvait sur les chemins jusqu’au XIXe siècle. Accusée de propager la “rouille noire du blé”, elle a été quasiment éradiquée à l’état naturel.
Ajoutez deux zestes de cédrat par assiette ainsi que les pousses d’oxalis.
Pour cette nouvelle escale à bord de la galaxie des champignons, arrêtons-nous sur deux individus faciles à identifier et délicieux à déguster, poêlés, ou en omelette au retour d’une longue balade en forêt. Mais ils ont aussi d’autres cordes à leur arc…
Trompette des morts
Les Craterellus cornucopioides préfèreraient qu’on les affuble d’autres surnoms, “cornes d’abondance” par exemple, ou chanterelles. Rien n’y fait.
Elles font pourtant tout pour qu’on les cajole ces mignonnes trompettes : de l’été jusqu’à la fin de l’automne, elles vivent en colonies dans les bois de feuillus (hêtres, charmes, chênes, noisetiers, châtaigniers). Si vous en trouvez une il y a fort à parier qu’avec un minimum de concentration vous devriez pouvoir remplir rapidement votre panier. Et si vous trouvez le filon, laissez une pierre blanche, en tout cas dans votre mémoire : chaque année la trompette repousse au même endroit. Elle a un proche parent avec lequel on peut éventuellement la confondre, la chanterelle cendrée, moins noire, striée, avec des couleurs tournant du bistre au brun grisâtre. Mais celle-ci est également comestible, elle dégage même une fine senteur de mirabelle ! Et on ne peut pas les confondre toutes deux avec des ennemis toxiques ou mortels…
Chanterelle cendrée
Si vous souhaitez attendre avant de les apprêter, nettoyez-les soigneusement (évitez le bain dans l’évier, un petit coup de pinceau devrait suffire), enfilez-les le long d’un fil à repriser muni d’une fine aiguille et faites-les sécher à l’air libre, chaud et sec de préférence. Il faudra ensuite les réhydrater dans l’eau pendant une quinzaine de minutes.
Soufflé aux trompettes-de-la-mort et beaufort
Le soufflé est une épreuve qui rebute beaucoup de cuisiniers parce que sa fabrication et son minutage sont exigeants. Depuis le début du XVIIIe siècle et la “crème soufflée de blancs d’œufs, diversifiée et pointée d’écorces de citron” du “Nouveau cuisinier royal et bourgeois”, l’ouvrage de François Massialot, l’arrivée du soufflé bombé, tremblant et fumant constitue un temps fort du service, hier comme aujourd’hui, dans les palais comme en ville.
François Massialot
Tous les penseurs de la gastronomie française se sont relayés pour énoncer les règles d’or du soufflé, d’André Viard à Gaston Lenôtre en passant par Beauvillers, Grimod de la Reynière, Maurice Carême, Escoffier, j’en passe…
Il vous faut : 70 g de beurre + 20 g pour le moule, 60 g de farine + 20 g pour le moule, 25 cl de lait, 5 œufs, 140 g de beaufort râpé, 25 g de trompettes-de-la-mort séchées, 2 cuillères à soupe d’huile d’olive, 1 gousse d’ail pressée, poivre.
Réhydratez les champignons dans un récipient d’eau froide, beurrez généreusement le ou les moules à soufflé à l’aide d’un pinceau, en partant du bas vers le haut. Privilégiez les moules individuels, le risque de voir les soufflés retomber est moindre. Farinez-les, puis retournez-les au-dessus de l’évier en tapotant pour éliminer l’excédent de farine. Réservez au frais.
Faites revenir l’ail dans l’huile d’olive chaude, ajoutez les champignons égouttés, assaisonnez en sel et en poivre et faites cuire 5mn. Réservez.
Séparez les blancs des jaunes d’œufs. Incorporez au fouet les jaunes un à un dans la béchamel. Versez ensuite les trompettes et mélangez. Goûtez, assaisonnez en sel et en poivre. Montez les blancs en neige ferme. Mélangez au fouet un peu des blancs en neige à la préparation pour la détendre, puis incorporez le reste des blancs délicatement à la spatule.
Versez dans les moules en les remplissant aux ¾. Enfournez 35-40mn dans le four à 180°. N’ouvrez surtout pas le four avant la fin de la cuisson, les soufflés retomberaient. Servez de suite.
Jacques Manière
Je ne résiste pas au plaisir d’évoquer Jacques Manière, disparu en 1991. Génial autodidacte, précurseur de la “nouvelle cuisine”, longtemps chef du Dodin Bouffant (Paris V) il avait publié un magnifique Grand Livre de la cuisine à la vapeur, paru en 1985 et rendu accessible le soufflé en utilisant le four à vapeur.
Voici son simplissime “Flan d’ail“
Pour 8 personnes il vous faut : 1 gousse d’ail, 4 œufs, 4 blancs d’œufs, 8 cuillères à soupe de crème fraîche, sel, poivre.
Epluchez l’ail et coupez-le en fins morceaux.
Placez l’ail dans le bol du mixer. Ajoutez les œufs et les blancs. Salez. Poivrez. Mixez. Ajoutez la crème fraîche. Mixez à nouveau.
Beurrez les ramequins. Remplissez-les avec le contenu du mixer. Faites cuire à la vapeur 10 minutes couvercle fermé et 5 minutes couvercle ouvert. Démoulez sur le plat de service.
Ce flanc soufflé accompagnera avec bonheur une pièce d’agneau ou de porc.
Et aujourd’hui comme hier, adoptez cette maxime : comme l’omelette, un soufflé peut être attendu, mais il ne doit jamais attendre !
Pied de mouton
De son nom savant Hydnum repandum, ou Hydne sinué, le pied de mouton vit moins en troupeau que la trompette des morts, mais il n’est pas rare de trouver l’un quand on cherche l’autre, à la même époque. Il vaut mieux privilégier les sujets pas trop âgés, avant qu’ils ne grossissent et ne durcissent, donc idéalement fin août-début septembre. Les aiguillons qu’il possède sur son “hyménium”, sous son chapeau, lui sont bien spécifiques. Ils peuvent durcir avec l’âge. Il est recommandé de frotter le chapeau avec un torchon pour ôter ces aiguillons dont le contact avec le palais peut être désagréable. Vous enlèverez ainsi un peu d’amertume.
On peut le congeler ou le sécher. En revanche il a une forte propension à accumuler des substances indésirables, notamment le césium 137. Il est donc recommandé de ne pas en abuser et de s’abstenir d’en consommer en cas d’accident nucléaire quelque part sur le continent…
Polenta aux pieds de mouton
La polenta est une spécialité italienne et provençale à base de semoule de maïs qu’on fait bouillir dans de l’eau. On peut ensuite l’accommoder de multiples façons : moelleuse en pavés réchauffés au four, croustillante après avoir été sautée, frite ou gratinée ; ou encore crémeuse en ajoutant du lait et/ou de la crème en fin de cuisson.
Pour 4 personnes il vous faut : ½ litre de lait, 100 g de semoule de maïs, 2 cuillères à café de beurre mou pour les moules, 2 œufs, 4 cuillères à café de persil, 2 cuillères à café de parmesan râpé, 300 g de pieds de mouton, ciboulette, 100 ml de bouillon de légumes, 1 pincée de curcuma, poivre.
Portez à ébullition le lait avec 1 cuillère à café de sel. Versez la semoule en remuant. Laissez cuire pendant 5 minutes afin d’obtenir une consistance épaisse.
Beurrez quatre ramequins individuels (8 cm de diamètre).
Séparez les jaunes des blancs d’œufs. Battez les jaunes au fouet puis mélangez avec la semoule refroidie, la moitié du persil et le parmesan. Battez les blancs en neige et incorporez à la semoule. Remplissez les ramequins et enfournez à 180°C dans un plat rempli d’eau pendant 30 mn.
Coupez en lamelles les pieds de mouton bien nettoyés au pinceau.
Faites revenir dans le beurre les champignons, la ciboulette. Ajoutez le bouillon de légumes, le reste de persil et la pointe de curcuma, salez et poivrez. Démoulez les ramequins, nappez les flans de polenta avec la sauce aux champignons.
Certains prétendent qu’on peut estimer avoir réussi dans la vie quand on exhibe au poignet une breloque brillante, sonnante et trébuchante. Ils ont tort !
Ou alors ils n’ont pas traîné dans les bois à la recherche de Boletus edulis (nom savant du cèpe dit de Bordeaux) ou de Cantharellus cibarius (en français girolle ou chanterelle commune).
Et même si on ne trouve pas de quoi se concocter une poêlée ou une omelette, le plaisir et la fierté sont supérieurs à la satisfaction de savoir quelle heure il est !
La promenade s’impose en septembre et octobre pour les cèpes et les bolets dans les bois de feuillus en plaine et en montagne, et de juillet à septembre dans les bois de conifères et de feuillus pour les girolles et les chanterelles.
Mais attention, la nature et les champignons détestent les margoulins quels qu’ils soient. La cueillette des champignons est autorisée en forêt domaniale (appartenant à l’État) si elle reste dans le cadre d’une consommation familiale et si les prélèvements sont raisonnables (5 litres par personne et par jour, sauf exception locale). Et la règle voudrait qu’on se munisse d’une autorisation préalable du propriétaire, qu’il soit privé ou public. Car tout ce qui pousse appartient à quelqu’un sur notre vieille terre de France…
Et puis, ça va sans dire mais ça va mieux en le disant, la cueillette et la consommation excessive des fruits de la terre n’est bonne ni pour la diversité ni pour votre estomac ! Le code pénal et le code forestier ont tout prévu en ce domaine et peuvent donner lieu à des amendes et peines d’emprisonnement très dissuasives…
Le bon sens recommande d’appliquer trois principes :
Récoltez les champignons en bon état ;
Evitez de cueillir des champignons que vous ne connaissez pas ;
Ne mangez pas de champignons au cours de plusieurs repas consécutifs.
Les spécialistes de l’ONF (Office National des Forêts) vous donnent également quelques conseils :
Informez vos proches de votre destination
Ne vous fiez pas aux applications téléphoniques. Elles occasionnent chaque année des empoisonnements…
Ne ramassez pas dans les endroits potentiellement pollués : bords des routes, composts, champs amendés. Les champignons sont des éponges composées de 80% d’eau, qui accumulent les composés toxiques
Equipez-vous d’un panier en osier, le champignon et l’environnement n’apprécient pas le sac plastique…
Triez votre récolte à la lumière du jour
Si vous avez un doute, demandez conseil à un spécialiste, ou à votre pharmacien
Ne revendez pas votre récolte, c’est interdit !
Œuf mollet, girolle, réglisse
Il vous faut (pour quatre personnes) : 4 œufs bio de rigueur, 250 g de girolles, 100 g de mascarpone, 15 cl de lait, 15 cl de bouillon de volaille, 1 échalote, 1/2 tasse de café bien serré, une pincée de poudre de réglisse (ou 4 gouttes d’extrait de réglisse), quelques feuilles d’épinards, quelques noisettes grossièrement concassées, 25 g de beurre, sel et poivre.
Hervé This
J’avais évoqué précédemment le cas du physico-chimiste Hervé This
Les cuistots auront beau jeu de lui reprocher de ne pas être cuisinier, tout le monde sait grâce à lui qu’un œuf mollet c’est un œuf bien nettoyé, plongé dans une quantité d’eau suffisante à 64°C, ni plus ni moins pendant une bonne quarantaine de minutes (et non pas trois comme le recommandait le minuteur de ma grand mère). Pas d’obligation de vous équiper d’un coûteux bain marie ou d’un thermoplongeur connecté ou pas, un thermomètre équipé d’une sonde suffira amplement.
La réglisse est une plante vivace originaire du sud de l’Europe, dont on torréfiait les racines avec lesquelles on fabriquait un “élixir de longue vie” qu’on trouvait sur les tables de chevet des hôpitaux. La réglisse continue à avoir des utilisations médicales pour le traitement des ulcères, des gastrites, des rhumes, des bronchites, des maux de gorge. On la trouve toujours comme boisson rafraîchissante (l’antésite), dans le pastis ou dans des confiseries. Méfiez-vous si vous parvenez à planter des graines de réglisse : si le climat lui convient, elle devient très vite envahissante…
Faites fondre le beurre dans une poêle. Ajoutez les girolles préalablement nettoyées et coupées et l’échalote ciselée. Faites sauter 5 minutes. Ajoutez les feuilles d’épinards en fin de cuisson, assaisonnez puis couvrez une minute.
Versez le café dans le mélange bouillon et lait. Faites chauffer sans bouillir. Ajoutez le mascarpone, la réglisse et mixez.
Répartissez girolles, épinards et noisettes dans les assiettes. Déposez un œuf écalé au centre et versez la crème émulsionnée café réglisse.
Cèpes en feuille de châtaigner, sabayon au goût grillé
Régis Marcon
A la frontière entre le Vivarais et le Velay, au cœur de l’Auvergne s’étend à Saint-Bonnet-le-Froid le domaine de la famille Marcon. Une terre magnifique mais austère, difficile à cultiver, au-dessus des “côtes du Rhône”. Les Marcon, famille de paysans, ont dû abandonner la terre et reprendre le café du village dans les années 50. Régis reprend l’hôtel familial en 1979 et y reçoit depuis tous les honneurs dont peut rêver un cuisinier. Avec son fils Jacques il truste les récompenses en mettant à l’honneur les richesses de son terroir : lentille verte, châtaigne, bœuf du Mézenc, agneau du Velay… et les champignons ramassés dans les bois alentour et cuisinés à toutes les sauces, de l’entrée au dessert, y compris le “thé forestier”.
Il vous faudra 4 beaux cèpes frais, 200 g de cèpes séchés, 8 feuilles de châtaigner, 4 tranches fines de lard demi-sel, 250 g de beurre, 3 œufs entiers + 1 jaune d’œuf, sel, vinaigre de Xérès.
Lavez et coupez les champignons en deux. Faites une incision dans le pied et insérez une bande de lard.
Enfermez les cèpes dans une feuille de châtaignier, maintenez-les avec une pique en bois. Réservez dans une cocotte avec un peu d’eau.
Le sabayon a sans doute été importé d’Italie par Catherine de Médicis à la cour de France. Il consiste à incorporer un liquide à des jaunes d’œufs, au fouet, à feu vif.
Dans une sauteuse à fond épais mettez à chauffer le beurre, ajoutez les cèpes secs, faites frire tout doucement. Le beurre va brunir légèrement et prendre le goût du cèpe grillé. Réservez au chaud et filtrez. Fouettez au chaud les jaunes d’œufs avec un tout petit peu d’eau et ajoutez le beurre fondu infusé aux cèpes avec quelques gouttes de vinaigre, sel et poivre.
Si vous disposez d’un siphon de cuisine, il vous faut un appareil muni d’une bague rouge, supportant d’accueillir des liquides jusqu’à 75°C. Vous fouettez alors dans un bol le jaune d’œuf, les 3 œufs, sel et vinaigre, ajoutez tout doucement le beurre fondu tiède en mélangeant avec un fouet. Versez le contenu dans la bouteille du siphon que vous aurez tiédie auparavant. Attention à ne pas dépasser le niveau de contenance maximale de l’appareil.
Fermez le bouchon, agitez de bas en haut, le mélange est à environ 60/65°C, ajoutez 2 recharges de gaz, tenez au bain marie pas trop chaud (65°C) jusqu’à l’utilisation.
Cuisez les cèpes enveloppés des feuilles de châtaigner en cocotte au four à 200°C pendant 10 minutes. Dressez les cèpes sur assiette avec le jus qu’ils ont rendu. Servez le sabayon à part.
Régis Marcon préconise de servir ce plat avec un Viognier, cépage du prestigieux vignoble de Condrieu, à 60 km de Saint-Bonnet-le-Froid
Comparée à notre échelle habituelle de valeurs, l’histoire des champignons risque de nous faire passer pour de très jeunes enfants de chœur.
Ils sont présents sur notre planète depuis… 450 millions d’années ! Et ils se sont emparés d’à peu près tous les milieux terrestres mais aussi les rivières et les océans, y compris les eaux saumâtres (douces et salées à la fois).
Il faut dire que nos relations avec les champignons n’ont pas été des plus pacifiques. Ils ont une réputation pas toujours très favorable ; entre les mortels, les simplement toxiques, les hallucinogènes ou les mérules qui dévorent nos charpentes, ils ne font rien pour qu’on les chérisse. Convenons aussi qu’ils accompagnent et accélèrent très généralement la décomposition du vivant sur lequel ils prennent pied.
Mais la vue d’une morille, d’une truffe ou d’un cèpe continue quoi qu’il en soit d’émouvoir le premier gastronome venu.
Et les scientifiques continuent de discuter pour déterminer si les champignons constituent ou pas un règne au même titre que les animaux ou les végétaux.
Je ne prétends pas me transformer en “mycologue”, je me contenterais d’évoquer quelques énergumènes avec lesquels j’ai eu l’occasion de passer quelques moments, dans les bois et les prés, puis dans une poêle, un fait-tout ou un saladier. Je vais tenter de vous embarquer pour une croisière avec escales au royaume encore mystérieux des champignons comestibles.
Aujourd’hui, je vous emmène saluer deux têtes couronnées.
Poularde aux morilles et au vin jaune
La morille est rare mais très recherchée. Elle pousse parcimonieusement au printemps, dans des forêts de frênes ou d’épicéas. Elle semble apprécier des terrains plutôt calcaires, récemment brûlés ou en lisière de bois, notamment dans les massifs préalpins autour de Grenoble ainsi que dans certains terroirs américains.
Comme on retire au jeune coq quelques-uns de ses avantages pour faire de lui un chapon tendre et douillet, on pratique de même avec les poulettes pour les transformer en poulardes. Entre la Saône et le Doubs s’étend le royaume de la volaille blanche aux pattes bleues, qui court dans les prairies (15 m2 par poulet) à la recherche de vers de terre, d’herbe et de graines, avant un séjour d’une dizaine de jours dans une “épinette” pour parfaire la qualité de sa chair et de sa graisse. Après abattage, le précieux volatile est installé dans un linceul blanc et serré qui va encore contribuer à gainer ses rondeurs.
Le vin jaune provient des ceps de Savagnin cultivés sur les collines du Jura voisin. La vendange se fait sur des grappes bien mûres, voire déjà touchées par la pourriture noble. Le moût est vinifié puis pressuré avant que les peaux ne colorent le jus. Il est placé en fûts de chêne usagés de 228 litres, non complètement remplis pour permettre une “prise de voile”, l’apparition d’une colonie de levures qui vont absorber l’acidité du vin et lui donner sa belle couleur mordorée. Contrairement à d’autres nectars, on ne complète pas la “part des anges” déjà évaporée par l’ajout de jus, d’eau de vie ou de vin. Au bout de six ans, l’élevage du vin jaune est achevé et le précieux nectar est embouteillé en “clavelins”, petites bouteilles de 62 cl dans lesquelles il pourra patienter encore quelques décennies avant d’être consommé.
Georges Blanc
A Vonnas, à une vingtaine de kilomètres de Bourg en Bresse, Georges Blanc est l’héritier d’une dynastie d’hôteliers restaurateurs depuis 1872, dont la “mère Blanc”, sa grand’mère, qui régna sur les fourneaux jusqu’en 1949 et fut distinguée en 1933 “meilleure cuisinière du monde” par le redoutable critique Curnonsky (à propos de Curnonsky : https://recettesahistoires.com/2022/06/15/les-soeurs-tatin-le-storytelling-et-les-fake-news/).
Ici, on pratique depuis des lustres la volaille, mais aussi la crème, les morilles, les truffes, les écrevisses et les fameuses crêpes vonnassiennes, petites et épaisses, à base de farine et de pommes de terre…
Pour une tablée de 6 à 8 personnes il vous faut 2 poulardes de Bresse (1,8 à 2 kg), vidées, abattis réservés, flambées, découpées en morceaux , 2 oignons, 20 champignons de Paris , 4 gousses d’ail écrasées non pelées, 200 g de beurre, 40 cl de vin jaune, 2 l de crème liquide, sel et poivre, 1 trait de jus de citron.
Pour la sauce, il vous faudra 100 g de morilles fraîches, 30 g de beurre, 1 échalote.
Pelez et coupez les oignons en quatre. Retirez le bout terreux des champignons, essuyez- les et coupez-les en quartiers. Ecrasez les gousses d’ail avec la lame d’un couteau.
Mettez le beurre à chauffer dans une sauteuse sur feu vif. Déposez les morceaux de poularde, salez et poivrez. Ajoutez les oignons, les champignons et l’ail et faites dorer le tout 5 min de chaque côté : les morceaux doivent tous être bien enrobés de beurre et dorés. Versez le vin jaune et laissez réduire en grattant pour détacher les sucs caramélisés. Ajoutez la crème fraîche et laissez mijoter 25 à 30 mn environ.
Retirez les morceaux de poularde et réservez-les au chaud.
Passez la sauce dans une passoire fine, ajoutez un trait de jus de citron, rectifiez l’assaisonnement et portez à ébullition.
Préparez les morilles : étuvez-les dans le beurre avec l’échalote hachée et ajoutez-les à la sauce juste avant de servir.
Soupe d’artichaut à la truffe
Cet hiver, le moindre petit bout de Tuber melanosporum avoisine les 1500 euros le kilogramme. La faute à la chaleur de cet été en Périgord et dans les zones traditionnelles d’élevage et de récolte semble-t-il. La récolte est faible et de mauvaise qualité. Les vers et autres hôtes indésirables ont souvent pris pension dans des champignons aux formes souvent irrégulières.
Les mauvaises langues ont vite fait de jeter l’opprobre sur des producteurs qui ne renouvelleraient pas leurs méthodes et leurs principes, au contraire de leurs collègues espagnols et chinois. Ils semble bien pourtant qu’à 10 cm sous terre, à proximité des racines des arbres truffiers, les spores n’apprécient guère les chaleurs excessives de l’été ainsi que l’absence de pluie au moment fatidique de l’automne. Elles font semble-t-il les frais du réchauffement climatique, comme tant d’animaux et de végétaux.
Camus
Violet de Provence
Comparativement à ce monarque fragile, l’artichaut importé d’Afrique du Nord via l’Andalousie fait figure de rustre campagnard. Aujourd’hui, nous nous contenterons du bon gros “camus” qu’on cultive en Bretagne notamment. Le “vert de Laon” est encore plus rustique et mieux adapté au froid. Les “violets” de Provence ou de Venise sont presque trop sophistiqués pour la circonstance. C’est le contraste qui va donner son sel à cette “soupe”. Les artichauts provençaux violets aiment qu’on les apprête en “barigoule”. La barigoule désigne en fait un… champignon, le lactaire délicieux, dont on farcissait accessoirement le cœur de ces petits légumes violets, avec des lardons…
Guy Savoy est né à Nevers en 1955. Son père est jardinier, sa maman tient une petite buvette qui devient un restaurant avec un semblant de notoriété dans son quartier à Bourgoin-Jallieu. A 17 ans Guy entre en apprentissage chez Troisgros, où il rencontre notamment Bernard Loiseau. Depuis 1973, il arpente quelques-unes des plus belles cuisines du moment. Lasserre, puis le Lion d’or sur les hauteurs de Genève, puis l’Oasis à la Napoule. En 1977, il succède à Bernard Loiseau à la Barrière de Clichy, puis ouvre son premier restaurant dans le XVIe arrondissement, déménage en 1987 près des Champs Elysées dans un bâtiment rénové par Jean-Michel Wilmotte, avant de s’installer quai Conti dans l’hôtel de la Monnaie.
Pour cette soupe prestigieuse qui est devenue une référence il vous faut, pour 10 personnes :
8 artichauts, 1 citron, 2 échalotes, 20 g de beurre, 1 l de bouillon de légumes, 2 l de bouillon de volaille, une dizaine de lamelles de truffe, 100 g de truffe noire hachée, 2,5 cl de jus de truffe, 4 cl d’huile de truffe, 30 cl de crème à 35% de matière grasse, 150 g de vieux parmesan, sel, poivre du moulin.
L’huile de truffe est une huile neutre –pépin de raisin ou tournesol- dans laquelle vous aurez fait macérer quelques chutes de truffe. Attention, on trouve dans le commerce des huiles dites “saveur truffe” fabriquées avec des composants de synthèse qui ont certes le goût de truffe et sont beaucoup moins chères mais qui relèvent de la chimie plus que de la mycologie.
“Tournez” 8 artichauts : parez le haut des feuilles, puis celles qui entourent le cœur, enlevez le foin, coupez-les en quartiers puis réservez-les dans l’eau citronnée.
Soupe d’artichauts
Dans une casserole, faites suer les échalotes émincées au beurre sans coloration. Ajoutez les quartiers de cinq artichauts égouttés, le bouillon de légumes, portez à ébullition puis laissez cuire 30 min à petits frémissements. Mixez, filtrez à l’aide d’une passoire fine, puis terminez avec la truffe hachée, l’huile et le jus de truffe. Assaisonnez et réservez au frais.
Brunoise d’artichauts
Taillez deux autres artichauts en petits cubes, réservez dans de l’eau citronnée. Portez le bouillon de volaille à ébullition, ajoutez les cubes égouttés et laisser cuire à petits frémissements pendant 10 min. Mélangez avec 1 cl d’huile de truffe et 20 g de truffe hachée. Assaisonnez.
Espuma de parmesan
Portez 30 cl de crème à ébullition, ajoutez le parmesan et laissez-le fondre hors du feu. Passez au chinois et laissez refroidir. Versez dans un siphon et ajoutez 2 cartouches de gaz pour réaliser un “espuma”, mousse au siphon telle que le préparait Ferran Adrià dans son antre de El Bulli, à Roses en Catalogne, à proximité du célébrissime village de Salavador Dali, Cadaquès.
Ferran Adrià
Chips d’artichaut
Coupez en 4 quartiers le huitième artichaut que vous avez tourné, puis en fines tranches à la mandoline, avant de les frire à 170°C. Egouttez et salez.
Disposez la brunoise d’artichaut au fond d’une assiette creuse. Ajoutez l’espuma de parmesan et coulez la soupe chaude autour de cette préparation. Terminez avec des lamelles de truffe, les chips d’artichaut, un trait d’huile de truffe et des pousses de roquette.
Voici un verbe qui est à lui seul un programme pour tout maître-queux qui se respecte : ASSAISONNER
Le Larousse explique qu’il s’agit d’accommoder un mets de façon à en relever le goût à l’aide de condiments. Le délicieux Robert précise que dans son acception littéraire, il s’agit d’ajouter de l’agrément, du piquant à un plat, un discours, un acte, …
Le premier condiment est à l’évidence le sel qu’on utilise sur à peu près toute la planète depuis la Préhistoire. Très vite, Homo sapiens complète la palette avec des herbes, des épices pour relever un mets ou l’adoucir. (Photo mise en avant : cristaux de gros sel et de poivre sous le microscope électronique)
Et depuis toujours on s’évertue à concentrer, sécher, fumer des feuilles, des fleurs, des tiges, des écorces, des bulbes, des matières animales pour en extraire la substantifique moelle comme le suggère François Rabelais (1534).
François Rabelais
La quasi-totalité de ce que nous consommons suppose un ou plusieurs assaisonnements en cours de préparation.
Et une pointe de sel sur un radis, une fine tranche de viande ou de poisson transfigurent la proposition initiale.
Revenons sur une pratique déjà évoquée mais qui mérite davantage. Quand on plonge un aliment dans de la saumure (50 g de chlorure de sodium par litre d’eau, l’eau de mer étant à environ 35 g/l) ou du vinaigre (ou les deux), on élimine la plupart des bactéries qui pourraient surnager. Et l’acidité permet une meilleure assimilation du fer et des protéines dans l’organisme. On peut ainsi conserver des aliments périssables durant des mois, ce que les marins ont compris depuis bien longtemps.
Mais surtout pour ce qui nous intéresse, on modifie le goût et la texture de ce qu’on a immergé. C’est ainsi qu’on opère avec des cornichons, mais aussi des oignons grelots, du céleri-branche, des poivrons, des carottes, des navets et du chou-fleur coupés au format adéquat.
On peut facilement fabriquer ses propres pickles au moment de la récolte et les consommer durant le reste de l’année.
Les fruits ou légumes sont placés dans un pot stérilisé avec de la saumure, un mélange de 75% de vinaigre et d’eau, du sucre (une cuillère à café par litre) On peut “épicer” ces “pickles” avec des clous de girofle, du poivre, du gingembre, de la farine de moutarde, du curcuma. Les cuisiniers ne se privent pas d’ajouter une touche personnelle avec d’autres substances autorisées, même si dans ce domaine comme dans d’autres “point trop n’en faut” selon la formule consacrée. On laisse mûrir ces bocaux jusqu’à obtenir le goût souhaité.
Portez à ébullition le liquide de conservation avant de le verser sur les aliments. Le procédé se limite à imprégner les aliments de vinaigre acide et n’implique normalement pas de fermentation.
Lactofermentation
Kimchi
On peut aussi conserver des fruits et des légumes en leur imposant une fermentation anaérobie dans de la saumure (20 g de sel par litre) en les coiffant d’une pierre pour qu’ils soient maintenus à l’abri de l’air. C’est la technique utilisée pour fabriquer la choucroute et le kimchi (chou fermenté) coréen. Cette technique n’implique pas que les aliments soient stériles avant d’être immergés. Elle nécessite cependant un minimum de précautions pour conserver une acidité raisonnable en fonction de la température du bain et de la concentration en sel.
La lactofermentation produit des vitamines B9 ou folates, indispensables notamment pour combler les carences des végétariens…
Câpres
Câprier en fleur
Sur tout le pourtour méditerranéen, on récolte les fruits (les câprons) du câprier commun (capparis spinosa) ou câprier ovale (capparis ovata), avant l’éclosion de leur magnifique fleur. On plonge ensuite dans du vinaigre saumuré ces fruits qu’on retrouve dans les pizzas, les mayonnaises, la tapenade (tapena signifiant câpre en provençal), la sauce et le steack tartare.
Bruno Verjus
Bruno Verjus
Voici un cuisinier parfaitement atypique, même si son nom est à lui tout seul l’évocation d’un condiment toujours utilisé au sud de la Loire, supplanté par le vinaigre depuis le XVIIIème siècle. Le verjus est le jus acide extrait de raisins verts qui peut remplacer le jus de citron ou le vinaigre dans les vinaigrettes, les moutardes, et peut avantageusement “déglacer” les sucs de cuisson d’une viande ou d’un poisson pour préparer une sauce.
Mais il a toujours privilégié les chemins de traverse et s’est retrouvé en 2015 derrière les fourneaux de sa “Table”, entre la Bastille et la Gare de Lyon, après avoir été étudiant en médecine, puis photographe, puis journaliste gastronomique à France Culture puis chef d’entreprise, et après avoir été “trader” pendant 18 ans en Chine !
La preuve qu’il est et restera inclassable et un peu rebelle : en 2022, lors de la cérémonie de remise de ses deux étoiles par un guide spécialisé originaire de Clermont Ferrand, il n’a pas revêtu le tablier aux couleurs des sponsors de l’opération. Il n’aime ni les sandwiches ni les hommes-sandwiches le bonhomme !
Ce qui le passionne, c’est le plus beau légume, la plus belle pièce de volaille et la méthode la plus pertinente pour les apprêter dans le respect de celles et ceux qui les ont amenés à maturité.
Nourrir l’âme peut, parfois, avoir des effets bien plus puissants, bien plus profonds que simplement celui de nous sustenter…Produits de nos artisans reçus ce jour, en idée de menu dégustation, aux couleurs du jour
Mer veille – bonbon de ruban de seiche fleuri de truffe melanosporum, huile d’oignon grillé,
Orgasme en bouchées douces – ventre de bar à cru, taramatable,
Moelleux – oursin en langue carmine, bouillon légumier,
Dans l’amer – salade de Trévise d’Udine, sabayon de truffe melanosporum et agrume,
Donburi – lentilles blondes de Champeix cuites en risotto, seiche à cru, émulsion marine,
Brume matinale – pot-au-feu de foie gras de canard tiédi dans un consommé de crabes verts, poutargue,
Moussetage – poire de terre, émulsion de moule et safran,
Mi-cru-mi-cuit – homard de casier d’Yeu, céleri-rave, rémoulade d’ortie et câpres,
Sous le soleil exactement – carabineros grillé au sel, rémoulade de gingembre et curcuma, jus des têtes,
A la ligne – sole aux coquillages, mucilage de pomme de terre, verjus,
Sous la roche – rouget grillé, foie gras snacké, royale de rouget, truffe melanosporum,
On se prend le chou, cervelle de veau infusée, de curcuma, remoulade de câpres, parmentière,
Laque de Chine – pigeon laqué au mole, betteraves, anchois,
Le Mans – volaille contisée de truffe melanosporum, rôtie au tilleul, vitrail de carottes,
Sous la mer – paume de ris de veau de lait rôtie, trévise, moelle,
Régalis – brebis en cire d’abeille,
Tartelette au chocolat Pérou, infusion de câpres de Linosa et caviar osciètre,
(hommage à Jacques Genin et Claudio Corallo)
Crème glacée à la praline rose,
(hommage à la mère Brazier et à Bernard Pacaud)
Madeleine souvenir d’un printemps dans le Mane, huile d’olive de kardamili
Précision, cela va sans dire, mais autant le dire, ça va mieux en le disant, le 26 janvier le menu dégustation était à 400 euros/personne. Forcément. L’exigence et la qualité ont un prix. Mais l’explication se trouve dans les assiettes…
C’est à la fois précieux et cultivé, passionnant et délicieusement impertinent.
Dans un récent numéro de la très belle revue gastronomique “Yam”, Bruno Verjus divulgue une recette de bar de l’île d’Yeu maturé avec les écailles pendant 6 jours à 2°C, sans les ouïes remplacées par du laurier. Le poisson n’est pas cuit. Escalopé en fines tranches, il est recouvert de beurre noisette, servi avec une pâte d’herbes sauvages (ortie, pimprenelle, persil plat, mélisse) et un “jus de mucilage” de céleri et de coques : céleri-rave rôti pendant 40 minutes, passé à la centrifugeuse pour récupérer le seul jus, mixé avec des coques blanchies à l’eau bouillante. Pour terminer la sauce est enrichie de 40g de caviar osciètre et une cuillère à soupe de verjus, tiens donc.
Ortie
Et même si le chef s’en défendra, le homard quasiment cru servi à Table à la température du palais est devenu une référence.
Il vous faut un homard de casier d’environ 2 kg. Cuisez-le une minute à la vapeur (100°C). Décortiquez-le et taillez-le en portions.
Toastez les carapaces et faites-les infuser dans ½ litre de beurre clarifié à 40°C (Bruno utilise du beurre de Rouge flamande, riche en crème. Il est lentement fondu puis écumé). Il va s’imprégner des riches senteurs des carcasses. Juste avant de servir, pochez les portions dans cette même infusion grasse et odorante à souhait.
Déposez chaque portion sur une tranche épaisse de tomate ancienne, avec un cœur d’artichaut et/ou une section de céleri rave cuit au gros sel gris.
Assaisonnez d’une rémoulade de câpres et d’orties (mayonnaise avec un jaune d’œuf , de la moutarde, du vinaigre, sel et poivre et les légumes finement coupés) et d’une infusion de vinaigre de pomme légèrement pimentée. Tout est dans le condiment, vous dis-je !
Ce n’est pas forcément dans les habitudes de la maison mais cette chronique résonnera d’accents “chtis”…
La chicorée, alias le chicon, alias l’endive est une spécialité, que dis-je une fierté des “Hauts de France”. Les producteurs d’endives y sont concentrés à 95 % et la chicorée torréfiée de nos grands-mères provient exclusivement d’Orchies, sur la route entre Seclin et Valenciennes…
Depuis longtemps, on apprécie les vertus digestives, dépuratives et laxatives de la chicorée, qu’on cultive déjà sous Pline l’Ancien. Au XVIIe siècle, les Hollandais commencent à torréfier sa racine pour développer ses arômes et limiter son amertume. Dès le XIXe siècle la chicorée remplace le café lorsque celui-ci vient à manquer.
Les autorités repèrent en général ce type de trésor et créent un impôt pour en tirer des revenus. On raconte que dès cette époque un paysan belge avait caché dans sa cave ses racines de chicorée pour échapper aux taxes et découvrit trois semaines plus tard que les plantes avaient poursuivi leur croissance dans l’obscurité et donné de jolis bourgeons blancs nacrés. L’endive était née !
En Belgique et dans le Nord de la France on a dès ce moment développé les techniques de “forçage” pour produire des “witloof” (feuilles blanches) qui remplacent avantageusement les salades de l’été.
En mai, on sème des graines en plein champ. Les racines se développent. Entre septembre et novembre on les récolte, puis on commence le “forçage” : les racines sont replantées étroitement serrées, à l’obscurité, dans des “couches”, petits silos allongés recouverts de paille et de fumier et d’un toit en tôle pour approcher les 20°C favorables à la croissance optimale des endives. Vingt et un jours jours plus tard on récolte de magnifiques endives blanches, dites de “pleine terre”. On peut raccourcir la culture à quinze jours pour obtenir des “jeunes pousses”, plus croquantes et plus douces.
Cette méthode traditionnelle a ensuite été supplantée par le forçage en hydroponie. Il n’y a plus de terre. Les racines sont placées dans des bacs où circule une solution nutritive à 20°C, installés dans des bâtiments isothermes, à l’abri de la lumière.
Après leur récolte, on congèle les racines et toutes les trois semaines on peut mettre des bacs en culture. Cette solution permet d’étaler la récolte pendant toute l’année et réclame beaucoup moins d’efforts et d’exposition en plein air pour les “endiviers”.
Mais l’endive de pleine terre est revenue en force. Elle est reconnue depuis 2014 par un “label rouge” qui consacre ses qualités gustative et diététique et son respect de saisonnalité. Et la récente crise de l’énergie fragilise beaucoup la très gourmande hydroponie.
La sélection des plants a permis d’obtenir des variétés très douces, à l’amertume soigneusement limitée, et l’endive est devenue un des légumes les plus consommés en France. Peu calorique, elle est riche en eau, en fibres et en vitamines et peut se consommer en salade, en soupe, braisée ou en gratin.
Crue, on peut l’associer avec des fruits secs, des agrumes, des viandes séchées ou fumées ou du poisson fumé, du fromage, du poulet suivant l’envie du moment, et le contenu du réfrigérateur…
Crème d’endives, noix de St Jacques, champignons
Pour 4 personnes, il vous faut 1,5 kg d’endives, 12 noix de Saint-Jacques, 300 g de champignons (de Paris, pleurotes, shitakés,…) 40 g de beurre demi-sel, 1 cuillère à soupe de sucre, 20 cl de crème, ½ citron, quelques brins d’origan thym, poivre, sel.
Retirez les premières feuilles des endives et coupez le talon et le cœur, plus amer.
Coupez les endives en rondelles et faites fondre dans une sauteuse avec 20 g de beurre. Saupoudrez de sucre, salez, poivrez et cuisez pendant 25 à 30 minutes à couvert en mélangeant régulièrement jusqu’à ce qu’elles soient fondantes.
Passez les endives au blender, avec le jus de citron et la crème liquide. Réservez au chaud.
Rincez, essuyez et émincez les champignons. Rincez l’origan.
Pleurotes
Dans une poêle, faites fondre le beurre restant et faites suer les champignons à feu doux pendant 4 à 6 minutes. Augmentez le feu pour faire évaporer l’eau de végétation des champignons puis faites-les colorer à feu vif pendant quelques secondes. Réservez au chaud.
Séchez soigneusement les Saint-Jacques sans leur corail. Certains prétendent que cette virgule orange transporte des restes de digestion. Erreur : c’est l’appareil génital de ce mollusque hermaphrodite. La partie orange est l’organe femelle, ce qui est plus blanc l’organe mâle. Le corail est donc digeste, même si son goût très iodé rebute certain(e)s. Passé au mixer avec un jus de citron, c’est délicieux. Mais ici ce n’est pas utile.
Dans une autre poêle, chauffer l’huile de colza et cuisez à feu vif les noix 25 secondes de chaque côté pour qu’elles soient saisies à l’extérieur et « nacrées » à l’intérieur.
Origan
Servez la crème d’endives dans des bols. Déposer des noix de Saint Jacques et des champignons puis parsemer d’origan ciselé.
Velouté d’endives au pain d’épices et bacon croustillant
Il vous faut
6 endives, 1 l d’eau, 50 cl de lait, 1 oignon, 10 g de beurre, 4 tranches de pain d’épices, 4 tranches de bacon (50 g), 1 cuillère à café de gros sel, 1 cuillère à soupe d’ huile d’olive.
Otez les premières feuilles des endives. Ciselez-les grossièrement avec l’oignon.
Dans une cocotte, mettez le beurre à fondre et faites suer l’oignon.
Ajoutez les endives puis versez les liquides (eau et lait). Salez au gros sel.
Laissez cuire à feu moyen environ 15 min.
Pendant ce temps, coupez le pain d’épices en petits cubes et le bacon en fines lanières. Faites-les dorer dans un fond d’huile d’olive. Réservez.
Quand les endives sont cuites, mixez finement au mixeur plongeant.
Servez bien chaud parsemé du mélange bacon-pain d’épices.
Endives braisées aux zestes d’agrumes
Il vous faut
8 endives, 1 orange (zeste et jus), 1 citron jaune (zeste), 25 g de beurre, 1 cuillère à soupe de sucre roux, 1 cuillère à soupe de miel liquide, sel et poivre
Otez les premières feuilles des endives. Eliminez le talon (s’il est un peu bruni). Coupez les endives en deux dans le sens de la longueur.
Lavez les agrumes et zestez-les. Pressez l’orange et mettez le jus de côté.
Faites fondre le beurre dans une sauteuse. Déposez les demi-endives, saupoudrez-les de sucre roux, ajoutez le miel et faites caraméliser légèrement à feu vif. Ajoutez le jus de l’orange puis une partie des zestes d’agrumes. Salez et poivrez.
Laissez cuire à couvert à feu doux pendant 20 à 25 min en surveillant la cuisson. Servez les endives braisées parsemées – juste au moment du service – des zestes d’agrumes restants, avec une volaille, des Saint-Jacques…
Endives au jambon
Pour mener à bien ce grand classique qui réjouit jeunes et moins jeunes, il vous faut
8 endives, 8 tranches de jambon blanc, 30 g de beurre, 2 cuillères à soupe de farine, ½ litre de lait, sel, poivre, noix de muscade, 100 g de gruyère râpé.
Lavez les endives, retirez les premières feuilles, coupez le talon et le cœur.
Mettez-les à cuire à l’eau bouillante salée environ 20 min. Egouttez-les soigneusement.
Dans une casserole, mettez à fondre le beurre. Hors du feu, ajoutez la farine au beurre et remuez jusqu’à obtenir un mélange lisse.
Toujours hors du feu, versez le lait et mélangez bien, de préférence au fouet.
Faites cuire à feu doux en remuant régulièrement jusqu’à épaississement (5 à 6 min). Salez, poivrez, ajoutez quelques grains de noix de muscade râpée.
Emballez les endives cuites dans les tranches de jambon puis rangez-les dans un plat à gratin. Nappez de béchamel puis parsemez de gruyère râpé. Faites gratiner au four environ 10 min.
Barbe de capucin
Cet ancêtre est cultivé depuis deux siècles dans les “catiches”, cavités de roche calcaire de la banlieue lilloise. Il n’en reste que deux producteurs. Plus amère que la “witloof”, elle peut “booster” une assiette de petits pois après un rapide passage au beurre par exemple. Avec des rates du Touquet tièdes, des lardons chauds et un œuf mollet, accompagnée d’huile d’olive et d’un jus de citron, c’est aussi raffiné que délicieux.
La chicorée en grains
Jean-Baptiste-Alphonse Leroux
En 1858, Jean-Baptiste Alphonse Leroux achète la manufacture Herbo fils & Cie à Orchies. L’usine produit alors du chocolat, du tapioca, de la moutarde … et de la chicorée torréfiée. Elle compte six ouvriers. Au début du XXe siècle, la maison se spécialise dans la seule production de chicorée en grains et développe son chiffre d’affaires en utilisant toutes les ficelles du marketing naissant.
Elle invente notamment les vignettes qu’on peut découper sur les paquets, fait appel à de talentueux peintres affichistes pour créer des affiches 4×3 et s’investit dès 1950 dans le sponsoring sportif.
Les racines de chicorée sont arrachées à l’automne, séchées puis torréfiées. La chicorée permet de réduire la teneur en caféine et apporte sa saveur de caramel.
En cuisine, la chicorée liquide offre des montagnes d’idées, en pâtisserie mais pas que…
Crêpes au cidre et à la chicorée
Quarante jours après Noël, soit le 2 février, la fête des chandelles, ou Chandeleur recommande en France, en Belgique et en Suisse de confectionner des crêpes. La fête, païenne et latine à l’origine, a été recyclée par les Chrétiens qui célèbrent pour l’occasion la présentation de Jésus au Temple.
Présentation de Jésus au temple, Andrea Mantegna, 1465.
Il vous faudra
3 cuillères à soupe de sucre, 250 gr de farine, 3 œufs, 3 cuillères à soupe d’huile, 1 pincée de sel, 3 cuillères à soupe de chicorée liquide, de l’eau, 40 cl de cidre.
Dans un saladier, mélangez la farine, le sucre et le sel.
Versez progressivement le cidre, les œufs, la chicorée liquide et l’huile. Si la pâte est trop épaisse, ajoutez un peu d’eau. Mélangez le tout pour obtenir une pâte lisse et homogène puis laisser reposer 30 minutes.
Mélangez de nouveau la préparation.
Faites cuire les crêpes à la poêle (c’est quand même plus amusant de les faire sauter que de faire confiance à la fée électricité) ou sur une crêpière.
Crème d’endives à la chicorée
Il vous faut
4 endives, 1 oignon, 3 petites pommes de terre grenaille, 1 cuillère à soupe de chicorée liquide, 10 cl de crème liquide, 12 noix de Saint-Jacques, 2 cuillères à soupe d’amandes effilées torréfiées. Sel, poivre, un peu de beurre pour la cuisson.
Coupez les endives en morceaux en retirant le cœur pour éviter l’amertume.
Epluchez l’oignon et émincez-le. Faites fondre un peu de beurre dans une poêle et mettez à revenir l’oignon et les endives.
Laissez cuire 5 minutes en mélangeant de temps en temps.
Épluchez les pommes de terre. Coupez-les en dés et ajoutez-les dans la poêle. Versez 25 cl d’eau. Salez, poivrez et couvrez. Laissez cuire 30 minutes.
Mixez la soupe et ajoutez la crème liquide et la chicorée liquide.
Au moment du service, faites dorer les noix de Saint-Jacques dans une poêle avec du beurre (25 secondes de chaque côté).
Salez, poivrez.
Servez la soupe bien chaude, déposez trois noix de Saint-Jacques par personne et répartissez les amandes.
Il ne vous a sûrement pas échappé que le pain est au centre de bien des attentions économiques et politiques en ce début d’année 2023.
Comme l’année précédente, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a des répercussions infernales sur la vie des Ukrainiens militaires ou civils. Mais en France et en Europe occidentale comme sur le reste de la planète, les hausses des prix de l’énergie bouleversent également notre vie quotidienne. Les conséquences sont amplifiées pour les métiers en “bout de chaîne” et les biens de consommation immédiate.
Car dans la quasi-totalité des fournils, l’électricité et le gaz ont depuis belle lurette remplacé le bois, même si nous apprécierions ce retour en arrière. Ne vous laissez pas impressionner par les stères de bois impeccablement rangées à l’arrière de certaines échoppes : c’est sans doute très décoratif, mais très majoritairement un “attrape-nigaud”…
Certes parmi les 35000 boulangers de France, beaucoup aimeraient revenir au bon vieux four à bois, mais ce serait pour eux un bouleversement dans le métier, dans leur savoir-faire, dans la logistique qui en découlerait. D’autant que les bûcherons ne sont pas des perdreaux de l’année, et le prix du bois de chauffage suit la pente ascendante des autres sources d’énergie.
Le pain est depuis la Bible et même avant un symbole de l’énergie vitale nécessaire à la vie humaine au même titre que l’eau. C’est la noblesse du métier de boulanger, cet artisan qui prépare notre base de nourriture quand nous sommes encore dans les limbes.
Conjugués au dérèglement climatique qui influe sur les récoltes, le prix des matières premières dont il a besoin et celui de l’énergie avec laquelle il alimente son four s’envolent sans que l’on ne soit en mesure de prédire un retour à bonne fortune. Les autorités tentent d’influencer les fournisseurs, d’étaler le paiement des charges mais personne n’est convaincu que cela suffira.
Et l’artisan répugne à répercuter ces surcoûts sur le seul pain quotidien : on ne touche pas impunément un tel symbole !
Espérons que cette crise aidera le consommateur à chercher les artisans amoureux de leur métier qui maîtrisent l’ensemble de la chaîne de fabrication au détriment des succursales industrielles, adeptes des émulsifiants, gélifiants et autres conservateurs.
Baguette “tradition”
Privilégions les pains “tradition” dont le cahier des charges interdit la congélation et les additifs. Depuis novembre 2022, la “baguette tradition” est inscrite par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité. Elle doit être composée de seulement quatre ingrédients : farine, eau, sel, levure et-ou levain. Elle doit être fabriquée sur place, son temps de fermentation entre 4° et 6°C doit être compris entre 15 et 20 heures. L’usage de la baguette tradition suppose un achat journalier, garantie pour le boulanger d’autres achats de pâtisserie ou de confiserie…
De nombreux artisans viennent ou reviennent au levain naturel qui induit une fermentation lactique, en opposition à la levure de boulangerie qui produit une fermentation alcoolique. Pour en savoir plus, reportez-vous à une chronique précédente : https://recettesahistoires.com/2022/09/21/tout-est-affaire-de-levure/
La baguette dite “classique” contient en plus des ingrédients de base 150 produits autorisés par la législation européenne. Ce pain peut contenir jusqu’à 14 additifs (E300, 301, 302, 304, 322, 471, 270, 325, 326, 327, 260 à 263), ainsi que des émulsifiants, des enzymes et des adjuvants. Grâce à ces produits chimiques, la fermentation est beaucoup plus rapide, entre 3 heures et 4 heures, à 20/29°C.
Forcément, le pain “tradition” est sensiblement plus cher que le pain classique, mais il emporte aujourd’hui les faveurs des consommateurs français : 41% déclarent préférer la baguette tradition à la baguette classique.
Quant à l’appellation “pain de campagne” elle date des années 1950, par ajout d’un peu de farine de seigle (10%), en opposition à la mie très blanche, très industrielle et sans goût en vogue après guerre, à l’imitation des usages de nos alliés et amis américains. Cette appellation désigne en fait un pain très citadin, que les boulangers ont beau jeu de souligner en saupoudrant les miches d’un peu de farine juste avant d’enfourner.
Gargantua par Gustave Doré
Le “pain complet” se fabrique avec de la farine riche des fibres de son enveloppe. Gargantua explique ainsi que le “pain ballé” est composé du grain mais aussi de la “balle”, l’enveloppe du grain. Il est plus riche en fibres que le pain courant (7,3 g pour 100 g contre 3,25 pour le pain courant). Il est donc plus nutritif, mais il doit impérativement être bio, sinon il contient plus de pesticides que le “pain blanc”…
Pain de mie
N’oublions pas le pain de mie, favori des plus jeunes qui apprécient moins la croûte pour leurs burgers et autres produits de “fast-food”. Il comporte, outre les ingrédients de base du pain du lait, du beurre, un peu de sucre, au même titre que la brioche, dans des proportions différentes. Il peut être utile de leur fournir la liste des ingrédients d’un pain de mie industriel :
farine de froment
eau
levain de froment
sucre
levure
huile de colza
sel de cuisine
émulsifiants (E471 : mono- et diglycérides d’acides gras alimentaires)
autre émulsifiant : stéaryl de sodium lactylé (E481i)
agent d’enrobage, gélifiant, antioxydant et support pour colorant
acide propionique, conservateur contre les moisissures (E280)
farine de soja OGM importée majoritairement d’Amérique du nord ou du sud
Pain perdu
Revenons à des propos plus appétissants en évoquant le “pain perdu”. Au Québec, on appelle “pain doré” cette astuce qui consiste à tremper le pain rassis dans un mélange de lait et d’œuf, résolution quasi-religieuse pour ne pas jeter de pain. On ajoute ensuite un peu de sucre pour que la tartine caramélisée prenne des reflets dorés. Les tranches sont ensuite cuites au beurre. En Périgord, cette tranche est appelée “dodine”, en Picardie un “galopin”, en Charente “soupe rousse”, en Bretagne “boued laezh” (nourriture de lait), dans le Nord “pain crotté” auquel on ajoute un peu de genièvre, en Anjou du triple sec, en Normandie du pommeau et de la confiture de pommes. On retrouve des traditions similaires en Espagne et au Portugal, en Suisse, en Angleterre, en Allemagne, aux Pays Bas et en Belgique. En Inde et au Mexique c’est du “pain français”…
Tombe de Guillaume Tirel et de ses deux épouses. La paroisse d’origine avait été supprimée en 1794. La nouvelle église a été reconstruite et consacrée à nouveau en 1962. Guillaume Tirel a retrouvé sa sépulture, moins colorée. L’image est extraite des collections du baron Jérôme Pichon et de Georges Vicaire
Dès le XIVe siècle, Guillaume Tirel alias Taillevent, “maistre des garnisons de cuisine du Roi” avait proposé sa recette de “tostée dorée”. Taillevent, auteur d’un célèbre livre de cuisine du Moyen Age, le “Viandier” a quand même eu les honneurs de François Villon dans son Testament : “Si allé veoir en Taillevent Au chapitre de fricassure. ». Sa sépulture repose dans la crypte de l’église Saint-Léger de Saint-Germain-en-Laye.
André Vrinat
Et en 1946, André Vrinat ouvre un restaurant auquel il donne le nom de Taillevent, rue Saint-Georges (IXe arrondissement) puis rue Lamennais (VIIIe arrondissement) près des Champs Elysées, où l’on continue aujourd’hui à mettre à l’honneur le service en salle, la découpe et le flambage…
Croque-monsieur, ou croquemonsieur
Lointain cousin du pain perdu le “croque monsieur” est un sandwich chaud à base de pain, de jambon blanc et de fromage, cuit à l’origine dans la cheminée à l’aide d’un fer à sandwiches.
Michel Lunarca
L’invention du croque monsieur semble remonter à la fin du XIXe siècle, ou en 1910 dans un café parisien du boulevard des Capucines. Le patron du café, Michel Lunarca, aurait lancé en boutade que son sandwich était à base de chair humaine…
Marcel Proust
En 1919, Marcel Proust y fait mention dans “A l’ombre des jeunes filles en fleur” : « Or, en sortant du concert, comme, en reprenant le chemin qui va vers l’hôtel, nous nous étions arrêtés un instant sur la digue, ma grand-mère et moi, pour échanger quelques mots avec madame de Villeparisis qui nous annonçait qu’elle avait commandé pour nous à l’hôtel des croque-monsieur et des œufs à la crème. »
Louis Leprince-Ringuet
Autre anecdote piquante rapportée en 1966 par le physicien nouvel académicien Louis Leprince-Ringuet pour sa première séance du dictionnaire. Y est discuté le mot “croque-monsieur” (l’académie admet aujourd’hui le “croquemonsieur”). La définition retenue est : « Mets composé de deux tranches de pain de mie entre lesquelles on a placé du jambon recouvert de fromage et que l’on passe au four. » De retour chez lui, madame Leprince-Ringuet née Jeanne Motte lui fait remarquer que cette assemblée d’Immortels prouve ainsi qu’elle est uniquement masculine, puisque, comme toutes les femmes le savent, un croque-monsieur ne se cuit pas au four, mais au moyen du fameux fer à croque-monsieur.
Fer à croque-monsieur
À la session suivante, Louis Leprince-Ringuet montre cet ustensile à ses collègues. Malgré cette démonstration amusante, la définition n’a pas varié dans les récents ajouts des Immortels… Précisons néanmoins que depuis 1966, les gaufriers électriques se transforment facilement en moules à croque-monsieur, et que dix femmes ont siégé au sein de cette assemblée : Marguerite Yourcenar, Jacqueline de Romilly, Hélène Carrère d’Encausse, Florence Delay, Assia Djebar, Simone Veil, Danielle Sallenave, Barbara Cassin et Chantal Thomas.
Branle-bas dans les nichoirs : « quoi, caqueter jusque 64 printemps, quand les poules auront des dents ? ». Les promesses de doubles rations de graines n’auront pas suffi, cette semaine on passe notre tour. Mais vous ne perdez pas au change, les plumitifs ont promis de nous en faire voir de toutes les couleurs pas plus tard que dès le 26 janvier…
Et je me permets de vous indiquer qu’en attendant, le lundi 23 janvier à 19h, nous dînerons et discuterons autour du chocolat aux Temps d’Em, accueillante échoppe de la grand place de Montreuil devant la statue du général Haig. Réservations indispensables ici
Pour vous plonger dans l’ensemble des chroniques c’est ici
Voilà un compère de cuisine pour le moins discret ! Au point que certains l’affublent du sobriquet de “bonne à tout faire des fourneaux” …
Ache des marais
Le céleri est utilisé depuis toujours, d’abord sous sa forme sauvage la “ache des marais” qu’on peut trouver au bord des rivières (attention, la ache sauvage est aujourd’hui protégée, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais).
On le cultive depuis la Renaissance. Et pour les néophytes, le céleri branche et le céleri rave sont deux cousins très proches, qui n’ont développé leurs caractéristiques que par le travail de sélection des botanistes.
Chacun sait qu’on devrait consommer beaucoup plus de légumes et le céleri, très peu calorique, n’est pas le moins pourvu de qualités en tous genres. Ses antioxydants font merveille dans la prévention des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Et il contient de la “lutéoline” qui stimule les cerveaux vieillissants !
Le céleri est indispensable dans bon nombre de plat “bistrottiers” et notamment l’inévitable “pot au feu” de l’hiver. Mais attardons-nous un instant sur le savoureux céleri rémoulade devenu très “tendance” au même titre que l’œuf dur mayonnaise ou le poireau vinaigrette.
La sauce rémoulade était au départ une vinaigrette enrichie d’anchois, de câpres et d’herbes. On y ajoute ensuite un peu de velouté, puis de la moutarde. Arrive en 1806 André Viard qui remplace le velouté par un jaune d’œuf et enlève les anchois et les câpres. La mayonnaise est née ! Pour les puristes, la différence entre la mayonnaise et la rémoulade, c’est la moutarde, présente dans la mayonnaise, pas dans la rémoulade.
André Viard mérite qu’on s’attarde sur lui. Chef cuisinier depuis la période révolutionnaire, il édite en 1806 “Le cuisinier impérial” qui deviendra en 1817 “Le cuisinier royal“. 950 recettes répertoriées et codifiées. Ce manuel de référence connaîtra … 32 éditions jusqu’en 1875.
Viard accompagne Louis-Philippe de Ségur, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg. Il revient ensuite à Paris au service du richissime Francis Egerton, comte de Bridgewater, après un passage par Vienne et Londres avec le prestigieux juriste Cambacéres. Il décline l’invitation de George IV, futur roi d’Angleterre, à devenir son “officier de bouche”.
La tombe d’André Viard et ses trésors enfouis, au cimetière du père Lachaise
C’est un homme discret, au point qu’il est bien difficile de dégotter son portrait. Mais les caprices de ses différents patrons ont un peu déteint sur lui. Bien avant son décès, il fait construire sa tombe au Père Lachaise. Il exige que son cercueil soit assez grand pour qu’on accompagne sa dépouille de 1000 livres de sel et autant de son. Il interdit à ses 25 meilleurs amis de se recueillir devant sa tombe mais les invite à se rassembler chez un restaurateur autour d’un repas qu’il a commandé pour la somme de 1000 francs de l’époque, soit 94,80 € par personne, addition très confortable en 1834.
Le céleri est plein de ressources. Rave ou branche, il peut se décliner de multiples façons. Les branches coupées en fins tronçons donnent de la couleur et du goût à une salade, un morceau de poisson ou de viande. Avec les graines de céleri broyées, on peut faire du sel de céleri indispensable à la préparation du Bloody Mary (https://recettesahistoires.com/2022/10/05/le-brunch-une-mode-une-solution/).
Et les chefs les plus créatifs ne sont pas en reste pour en trouver de nouvelles déclinaisons.
Alain Passard
Alain Passard propose parfois dans son “Arpège” une pomme de céleri cuite en croûte de sel pendant trois heures, servie en entrée froide ou tiède avec une mayonnaise bien moutardée.
Yannick Alléno
Yannick Alléno est familier de ce légume avec son “Brochet brioché, extrait de céleri“, le “Canard, tarte feuilletée pommes-cannelle au foie gras, céleri en croûte de foin“, la “Noix de saint Jacques à cru, transparence de soja, céleri et citron caviar“, l'”Avocat resté sur l’arbre 18 mois en mille-feuille de céleri, extraction coco aux éclats de chia“
Eric Frechon
Il en va de même pour Eric Frechon et son “Pâté en croûte de gibiers à plumes et rémoulade de céleri au raifort“, le “Céleri-Rave Monarch rôti à la broche, oignon paille, truffe noire et lard fumé, rémoulade de céleri aux noix et râpé de truffe noire” ou encore la “Soupe de topinambour, écume de café, crumble céleri cacao“.
Épluchez et lavez les carottes ainsi que le céleri et détaillez-les en brunoise. Cuisez la brunoise « à l’anglaise » dans 50cl d’eau bouillante salée, encore croquante. Hachez le persil et la coriandre. Réservez au frais.
Coupez le foie gras en cubes d’environ 1 cm de côté (environ 15 g). Disposez 8 feuilles de raviole, placez un cube de foie de canard frais au centre de la feuille. Salez et poivrez et fermez les ravioles avec les 8 autres feuilles en les badigeonnant de jaune d’œuf à l’aide d’un pinceau. Pochez les ravioles 5 min dans de l’eau bouillante salée.
Disposez les ravioles dans une assiette creuse ainsi que la brunoise de carotte et de céleri, nappez de consommé de bœuf bouillant et agrémentez de persil et de coriandre hachés.
Je ne voudrais pas me mettre à dos les très nombreux fans de Johnny, mais je pense que les paroles de la chanson “Noir c’est noir” empruntée en 1966 au groupe espagnol “Los Bravos” ne reflètent pas nécessairement la réalité.
Noir c’est noir Il n’y a plus d’espoir Oui gris c’est gris Et c’est fini, oh, oh, oh, oh Ça me rend fou j’ai cru à ton amour.
D’ailleurs, à la fin des 3’12 de ce “hit” éternel les choses semblent susceptibles de s’arranger
Noir c’est noir
Il me reste l’espoir
Je préfère pour ma part les propos du peintre Pierre Soulages, mort à 102 ans en octobre 2022. Cet immense artiste avait compris après la deuxième guerre mondiale la nécessité de “réinventer la peinture” avec de nouveaux outils et de nouveaux matériaux.
” J’ai d’abord employé le noir pour sa capacité à illuminer les couleurs sombres. C’était, au fond, une manière de créer de la lumière par le contraste. À partir de 1979, j’ai recouvert totalement ma toile avec la même couleur noire. Ce n’était plus le noir qui comptait alors, c’était le reflet par les différents états de surface du noir : quand il était strié, cela dynamisait la surface, lorsqu’il était lisse, c’était une surface calme qui réfléchissait la lumière différemment. Il y avait toute une série de possibilités. Mais à ce moment-là, je ne travaillais plus réellement avec le noir, je travaillais avec la lumière ; pas n’importe quelle lumière : celle réfléchie par les états de surface de la couleur noire. Réfléchie, transformée et, j’ai envie de dire, transmutée. »
Une des peintures monumentales au noir de bitume exposées au musée Soulages (Rodez)
Le noir fait vibrer la lumière et les couleurs, en peinture comme en cuisine !
Voici une petite revue très subjective et non exhaustive de recettes qui portent le noir en cuisine. Et ce n’est pas triste !
Tiens, du boudin !
On tient peut-être là un des plus anciens trésors de notre paradis charcutier. Aphtonite, un cuistot de la Grèce antique aurait créé cette recette en faisant cailler du sang dans des boyaux, accommodé selon les goûts avec des épices, des lardons, du riz, des morceaux de gras, des pommes ou des raisins secs… Depuis, on la retrouve un peu partout dans les tavernes, y compris en Amérique latine, dans la sphère russophone, en Espagne, dans le “breakfast” anglais…
Le boudin blanc date, lui, du Moyen Age et contient du lait, de la fécule, de la mie de pain et de la viande blanche (poulet ou volaille essentiellement) ainsi que différents arômes (truffes, porto, marrons…)
Une tuile au charbon ou à l’encre
Vous voulez étonner vos convives en légèreté et à moindre prix ? Rien de tel qu’une tuile, sucrée ou salée qui donnera du volume à une assiette et attirera le convive qui cassera la tuile, pour découvrir ce qu’elle cache…
L’ordre du jour étant au noir, concentrons-nous sur les tuiles plutôt salées, au charbon ou à l’encre.
Pour fabriquer du charbon actif, on carbonise du bois ou une matière organique végétale en la faisant chauffer à sec dans un récipient jusqu’à éliminer toute humidité. Remplissez une grande casserole de morceaux de bois dur et posez un couvercle léger dessus. Mettez-la sur le feu pendant 3 à 6 heures.
Les éléments calcinés, en se volatilisant, créent des alvéoles dans le carbone.
Le chêne, le bouleau, le peuplier, le hêtre, le pin, le saule ou encore le tilleul fournissent un bois propice au charbon actif. Il peut aussi être issu de bambou, d’écorce de noix de coco, de noyaux d’olives, de coques de cacahuète ….
Il vaut mieux éviter en revanche les charbons utilisés dans l’industrie obtenus à partir de résidus pétroliers… .
Le charbon végétal a des quantités d’applications, notamment pour purifier l’air, l’eau ou le corps. Il est depuis longtemps entré dans la composition des filtres de masques à gaz. Les Egyptiens utilisent depuis toujours le charbon végétal comme désodorisant, pour soigner les problèmes intestinaux mais aussi pour purifier l’eau.
L’encre de seiche, aussi appelée sépia, est un liquide riche en mélanine présent dans la poche de la seiche que cette dernière éjecte pour se protéger et s’extraire de situations délicates.
Lançons-nous dans la fabrication de quelques tuiles qui agrémenteront par exemple un poisson blanc avec une garniture colorée (poivrons, tomates…) ou pour valoriser une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…
Il vous faut :
160 g d’eau
60 g d’huile
20 g de farine type 55
Du charbon végétal ou de l’encre de seiche
Réunissez l’eau froide, l’huile et la farine et mixez. Ajoutez le colorant et mixer à nouveau. Chauffez une petite poêle anti-adhésive légèrement graissée. Versez comme pour une crêpe, une petite quantité d’appareil dans la poêle chaude. Laissez bouillir jusqu’à évaporation de l’eau. Continuez la cuisson jusqu’à atteindre la rigidité de la tuile. La tuile se détache facilement une fois cuite. Débarrassez sur un papier absorbant.
Avec cette tuile anthracite, vous donnerez du “peps” à une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…
Des pommes de terre à l’ail noir
L’ail noir est un ail bruni à basse température (60 à 80 °C) dans une enceinte humide (70 à 90 %) durant 2 à 3 semaines, prenant une texture similaire à celle d’un pruneau d’Agen, utilisé en cuisine asiatique, notamment en Corée.
Pour impressionner votre entourage, précisez que ce brunissement non enzymatique est une conséquence de la réaction de Maillard qui survient pendant la cuisson des aliments. Elle est en partie responsable du brunissement et du déploiement des arômes. À 90°C, la réaction de Maillard se produit lentement. Pour augmenter sa vitesse, il faut que la surface de l’aliment dépasse le point d’ébullition de l’eau (100°C). L’ail cru a une odeur tenace et peut être mal digéré. L’ail noir a un goût qui rappelle le vinaigre balsamique, la réglisse et de douces saveurs sucrées et acidulées. Mais, à partir de 180°C, la réaction de Maillard laisse la place à la “pyrolyse”. On entre alors dans le chapitre des “ratages” et des plats carbonisés…
Originaire de Nancy, Frédéric Anton, un des Meilleurs Ouvriers de France (MOF) est aux pianos du luxissime Pré Catelan dans le Bois de Boulogne à Paris, depuis 1997. En 2007, il y décroche la prestigieuse troisième étoile. En 2018, en compagnie de Thierry Marx, il rafle à Alain Ducasse la gestion des restaurants de la Tour Eiffel.
Voici sa version simplissime et particulièrement goûteuse de ses pommes de terre à l’ail noir
1,2 kg de pommes de terre charlotte
quelques brins de thym citron
150 g de beurre demi-sel
1 tête d’ail noir
un peu de fleur de sel
du poivre concassé
Pelez et lavez les pommes de terre. Cuisez-les à la vapeur avec quelques brins de thym citron pendant 35 minutes. Égouttez-les et mettez-les entre deux torchons. Aplatissez-les délicatement avec la paume de la main pour qu’elles éclatent légèrement.
Préparez un beurre noisette, faites-y colorer les pommes de terre de chaque côté, puis ajoutez l’ail noir en chemise et le reste du thym. Arrosez avec le beurre de la cuisson. Dressez les pommes de terre et parsemez de fleur de sel et de poivre concassé. Servez aussitôt.
Radis noir, le top du détox
D’octobre à janvier, vous trouvez sur les étals des cylindres pas forcément très engageants mais pourtant pleins de ressources. Le radis noir, alias le radis d’Espagne, alias le raifort parisien favorise la digestion, draine le foie, augmente la sécrétion de bile et facilite l’élimination des toxines accumulée par exemple durant la trêve des confiseurs…
Il n’est pas forcément nécessaire de faire très compliqué pour se faire plaisir : une tranche de radis noir translucide sur une tartine beurrée : un peu de piquant, du gras, le croquant de la chair (on laisse la peau noire pour l’esthétique), la douceur de la mie. Sacré programme avec si peu de choses !
Il est possible de décupler ces sensations, par exemple avec quelques copeaux de betterave rouge crue, des pousses d’épinards, quelques clémentines dont on aura prélevé un peu de zeste (la saison a lieu de novembre à février) et des noix de Saint-Jacques (saison d’octobre à avril) riches en protéines, pauvres en graisse, particulièrement abondantes depuis que la profession en a réglementé la récolte. Vous pouvez les utiliser crues finement tranchées en carpaccio, ou entières passées au beurre (45 secondes maxi de chaque côté).
Les couleurs de la forêt noire
Le costume traditionnel des habitants de la Forêt-Noire se compose de noir, de rouge et de blanc, couleurs que l’on retrouve dans le gâteau imaginé en 1915 à Bad Godesberg par un jeune pâtissier, Josef Keller, qui propose un biscuit à la noisette imbibé de kirsch, tartiné de confiture à la cerise noire. Incorporé dans un bataillon d’infanterie, il doit mettre de côté sa recette, jusqu’en 1919 où il ouvre une pâtisserie sur les bords du lac de Constance.
Josef Keller
La formule est semble t-il améliorée en 1930 par Erwin Hildenbrand, pâtissier à Tübingen, qui remplace le biscuit aux noisettes par une gênoise au chocolat et le surmonte de crème au beurre fourrée de cerises et de crème chantilly puis de copeaux de chocolat.
1930 est une date importante dans l’histoire de la cuisine et de la pâtisserie puisqu’à cette époque apparaissent les premiers réfrigérateurs domestiques. Il devient donc possible de fabriquer et de conserver quelques jours ces constructions fragiles. Cela correspond à l’essor des gâteaux à la crème. Et la Schwarzwälder Kirschtorte connaît un essor fulgurant.
Les cuisiniers sont des démocrates, je vous assure ! Enfin, beaucoup d’entre eux… La preuve : ils aiment le partage et l’alternance.
Explication : dans l’histoire de la gastronomie, les successions de goûts contradictoires dans une seule bouchée sont souvent des sources de nouveauté et de curiosité. On n’est pas très loin d’un cours de sciences politiques !
Le feuilletage
La première alternance, c’est à n’en pas douter la pâte feuilletée.
Claude Gellée dit Le Lorrain (Champagne 1600, Rome1682)
Pour les besoins de cette chronique, même s’il existe des précédents en France, en Espagne et chez nos voisins arabes, on attribuera, quitte à s’attirer les foudres de quelques exégètes, au peintre Claude Gellée dit Le Lorrain l’invention de ce divin feuilletage, au mitan du XVIIe siècle.
Parce que le peintre était bien boulanger. A Chamagne, dans les Vosges, il n’était pas le plus brillant dans l’apprentissage de l’écriture. Ses parents décident de le mettre en apprentissage auprès du pâtissier du village.
C’est là qu’il aurait eu l’idée de rouler de la pâte à pain dans du beurre pour son père malade. Il avait créé le croissant ! Orphelin à douze ans, il suit à quatorze ans une troupe de pâtissiers vers Rome où il trouve du travail comme cuisinier auprès du peintre Agostino Tassi.
Le Lorrain Matin dans le port, Musée de l’Hermitage Saint-Petersbourg
Le peintre découvre les talents de son cuisinier et l’initie à l’art pictural et à la gravure, dans lesquels il excelle très vite. Il accomplira une bonne partie de sa carrière en Italie. A plusieurs reprises le peintre-boulanger s’est demandé s’il ne valait pas mieux retourner au fournil plutôt que de vivre difficilement de son art.
Pour fabriquer une pâte feuilletée, il vous faut de la farine, du sel, de l’eau et une matière grasse. Vous commencez par pétrir longuement le mélange farine-sel-eau. Après une phase de repos, vous laminez la pâte obtenue au rouleau en plusieurs étapes pour éviter que la pâte ne se déchire et obtenir une “abaisse”. C’est ce qu’on appelle la “détrempe”, sur laquelle vous étalez une épaisseur équivalente de beurre ou de matière grasse.
Intervient alors le “tourage” : vous repliez la pâte en trois parties égales puis les repliez sur elles-mêmes. Vous avez donc obtenu six couches alternées de pâte et de beurre superposées lors de ce premier tourage. Vous mettez cette nouvelle “abaisse” au froid.
Après cette première phase, vous sortez l’abaisse du réfrigérateur, vous la laissez revenir à température et vous faites un nouveau “tourage”. Vous allez renouveler l’opération six fois de suite. Les forts en maths pourront calculer qu’on obtient au bout du compte 729 couches empilées de beurre et 730 feuilles de pâte !
Vous comprenez alors pourquoi on demande le plus souvent à des professionnels de fabriquer le feuilletage ! Ils ont le savoir-faire et le matériel ad-hoc. En revanche ils ont eux aussi besoin de temps pour réaliser ces six “tourages”. Préférez quoi qu’il en soit les feuilletages au beurre, plutôt qu’aux graisses exotiques.
A la cuisson, la chaleur du four va provoquer l’évaporation de l’eau et le gonflement des feuillets et vous obtenez à la fois le moelleux et la légèreté de cette pâte miraculeuse.
Si on ajoute de la levure et des œufs à l’abaisse, avant d’étaler la couche de beurre, la pâte gonfle bien sûr beaucoup plus. C’est la technique utilisée pour fabriquer les croissants et autres viennoiseries notamment. Le mot “viennoiserie” vient du “kipferl”, petit pain en forme de croissant importé d’Europe centrale à Paris par un officier autrichien. Celui-ci ouvrit une “boulangerie viennoise” en 1837 au 92, rue de Richelieu (2e arrondissement). La boulangerie a malheureusement disparu récemment. C’est ce qui marque véritablement l’avènement de ces gourmandises du petit-déjeuner.
Il s’agit d’ajouter de la farine au beurre de tourage. Cette technique est un peu plus rapide. La pâte gonfle plus à la cuisson et donne un feuilletage encore plus croustillant et fondant à la fois. En revanche on ne le trouve pas tout prêt dans le commerce.
Mini-bouchées aux escargots
Il existe évidemment des myriades de recettes à base de feuilletage tout autour de notre Hexagone. J’en choisis d’abord une pleine de senteurs et d’histoires de la campagne, en Bourgogne.
Vous êtes équipé d’un bâton de noisetier souple et résistant prélevé dans une haie avec votre canif. Eventuellement vous avez gravé sur celui-ci quelques signes cabalistiques censés porter chance. Vous devez commencer par battre les bords d’un petit chemin départemental, muni d’un panier, un soir d’été après une pluie. Vous êtes à la recherche des débonnaires escargots originaires de cette région gourmande.
La rumeur prétend que le premier gastéropode se fait toujours attendre. Une fois celui-ci prélevé, vous êtes sur un “filon”, restez-y, qu’il pleuve ou qu’il vente. Il vous en faudra deux douzaines.
De retour au foyer, vous allez installer cette petite troupe gluante dans un enclos sans terre ni herbe, plutôt à l’abri de la lumière, dans lequel vous aurez installé force thym fraîchement coupé. Vous oubliez ce parquage pendant quelques jours. Vous allez ensuite nourrir le troupeau avec un peu de farine pendant une bonne nuit. Vous êtes alors prêt à passer les bêtes au court-bouillon (avec oignons, clous de girofle, carottes, céleri etc…). Puis à les décoquiller élégamment avant de les conserver au frais.
Vous avez préparé 150 g de feuilletage, inversé ou traditionnel c’est vous qui voyez, mais sans œuf et sans levure. Avec un emporte-pièce cannelé de 5 cm vous découpez 48 disques que vous abaissez à 3 mm.
Avec un autre emporte-pièce cannelé de 3 cm, vous évidez le centre de 24 disques de façon à former des anneaux. Vous dorez les disques de pâte au jaune d’œuf battu, vous disposez les anneaux sur chacun d’eux et vous les dorez également sans faire de coulure.
Vous enfournez ces petites bouchées à 180°C jusqu’à ce qu’elles soient saisies mais pas trop colorées. Vous laissez refroidir et retirez délicatement les couvercles qui ont dû se former au centre avec la pointe d’un couteau.
Vous installez un escargot bien égoutté dans chaque bouchée et vous allez confectionner un “beurre d’escargot” avec 200 g de beurre mou, un bouquet de persil plat mélangé avec 4 gousses d’ail, 2 échalotes, le tout finement haché, du sel et du poivre. Si vous êtes équipé, vous mettez ce beurre manié en poche et en garnissez chaque bouchée. Si vous n’avez pas de poche, vous en prévoyez pour une prochaine fois et utilisez une petite cuillère… Vous enfournerez de nouveau ces bouchées garnies à 150°C pendant une dizaine de minutes, juste avant de servir au moment de l’apéritif.
Le Crespou provençal
De Bourgogne, descendons par la route nationale 7 vers la vallée du Rhône et la ville d’Avignon, pour y découvrir le “crespou” qu’on préparait pour rassasier les moissonneurs.
Il vous faudra
14 œufs
3 poivrons vert, jaune et rouge
1 poignée d’herbes vertes
30 g de pignons
2 oignons frais
1 cuillère à soupe de tapenade noire
50 cl de sauce tomate que vous aurez fabriquée en chauffant doucement des tomates entières pendant suffisamment de temps pour qu’elles éliminent une bonne part de leur eau de végétation et concentrent les goûts.
De l’huile d’olive, du sel et du poivre
Lavez les poivrons et enfournez-les sous le gril jusqu’à ce que la peau se fendille. Placez-les dans un saladier et fermez hermétiquement. Laissez reposer 10 minutes, puis pelez les poivrons et épépinez-les. Détaillez-les en grosses lanières et réservez-les par couleur.
Lavez, essorez et ciselez finement les herbes. Faites dorer les pignons avec les oignons ciselés dans un peu d’huile d’olive.
Dans une petite poêle, versez 1 cuillère à soupe d’huile d’olive et placez le poivron rouge. Laissez chauffer 1 minute. Cassez 2 œufs dans un bol, salez et poivrez, puis versez-les sur les poivrons. Cassez un peu l’omelette avec une spatule pour assurer une cuisson homogène et laissez cuire. Retournez-la et laissez-la cuire encore un peu. Elle doit être souple mais pas baveuse. Déposez l’omelette dans un petit saladier concave.
Fouettez 2 œufs avec la tapenade. Faites cuire dans la poêle huilée de la même façon et déposez sur la première omelette. Recommencez successivement avec le poivron vert, les herbes, les pignons, le poivron jaune et la tomate. Posez une assiette sur les omelettes et ajoutez un poids au-dessus. Laissez prendre ainsi une nuit au frais.
Le lendemain, égouttez le jus rendu et démoulez. Servez frais mais pas froid avec le reste de sauce tomate.
Le pastis gascon
Dans le Gers et en Ariège, on prépare un gâteau feuilleté aux pommes et aux pruneaux recouvert d’un voile de pâte croustillant et caramélisé. Les cuisinières étalaient une pâte extra-fine (1/10e de millimètres) étirée sur un drap étendu sur une grande table. Le pastis s’appelait donc aussi l'”estirat”. On étalait dans un moule à tarte une couche de cette pâte bien graissée à la graisse d’oie, suivie d’une fine couche de pommes en fines lamelles mélangées avec une compote de pruneaux à l’armagnac. On terminait par une rosace de cet “estirat” à nouveau bien graissée avant d’enfourner.
De nos jours on utilise de préférence des feuilles de pâte à filo venue de la pâtisserie orientale, qu’on retrouve par exemple dans les succulents baklavas. On a perdu la belle image des cuisinières affairées autour de cette grande table, mais le plaisir est comparable.
Le gâteau aux Thé Brun
Du Gers, nous remontons enfin vers Nantes et les inaltérables biscuits Brun. Désolé de verser dans la pub à peine déguisée, mais de mémoire de grand’mère, il n’existe pas d’équivalent pour réussir cette ultime démonstration d’empilement en alternance, particulièrement bienvenue au moment des fêtes ou des anniversaires.
Vous préparez quelques grandes tasses de café plutôt serré que vous versez dans un plat. Il n’est pas interdit d’ajouter un petit chouia de rhum. Vous trempez quelques secondes les biscuits dans ce breuvage et réalisez un premier tapis rectangulaire de 6 à 8 biscuits ou plus.
Vous allez étalez une couche de ganache froide au chocolat réalisée avec du chocolat noir de qualité, un peu de lait et du beurre.
Vous allez recommencer l’opération jusqu’à obtenir un parallélépipède d’une bonne dizaine de centimètres de hauteur ou un peu plus si affinités.
Vous terminez par une généreuse couche de ganache bien brillante et laissez reposer au froid pendant au moins 24 heures. Vous pourrez ensuite décorer cette œuvre à votre convenance : fruits secs, fruits confits, épluchures de chocolat, bougies…
Le “pauvre” Parmentier n’a pas fini de se retourner dans sa sépulture du Père Lachaise !
Mon cher Antoine que de crimes de lèse-gourmandise commet-on en ton nom ! Toi qui voulais contribuer au recul de la famine et de la misère, imaginais-tu que de Namur à Barbès en passant par Hong Kong et Chicago, siège social de la plus grande chaîne de restauration rapide au monde dont le nom débute par “Mc” et se termine par “d’s”, on créerait des générations d’obèses et de gamins ventripotents, gavés à la délicieuse frite dont tu vantais les mérites !
La “patate” a conquis le monde, en tête devant les spaghettis, le couscous, les pizzas et les sushis. Mais comme c’est l’usage dans ces lignes, privilégions la vertu face au vice et mettons en évidence la gourmandise et l’excellence plutôt que les ballonnements et autres troubles gastriques !
Les jardiniers et surtout les chercheurs en biologie n’ont cessé depuis Parmentier et peut-être même avant de déployer des trésors d’inventivité pour “inventer” de nouvelles variétés de pommes de terre. Elles se comptent par milliers et je me contenterai de n’en citer que quelques unes, faciles à trouver dans les jardins et les rayons.
La frite et la bintje
A tout seigneur, tout honneur : commençons par la valeureuse Bintje (diminutif de Benedikt en néerlandais) qui continue de prospérer en Belgique et dans les plaines de Flandres et d’Artois. Elle fait toujours le bonheur des clients des “baraques à frites” des faubourgs qui privilégient bien entendu les tubercules fraîchement épluchés, lavés et taillés aux “ersatz” surgelés.
La bintje a été créée aux Pays-Bas au début du XXe siècle. Elle fut longtemps la plus cultivée en Europe et demeure la reine en France. En Belgique, elle a longtemps dominé le marché avant de chuter fortement. C’est une variété dite “farineuse”, qualité recherchée pour la belle couleur dorée qu’elle prendra dans la graisse chaude. Et son calibre permet de confectionner des bâtonnets qu’on peut saisir à la main. Il se raconte du côté de Namur et de Dinant, que les pêcheurs passaient à la friture le “menu fretin” qu’ils trouvaient au fond de leurs filets. Quand la Meuse gelait, ils découpaient les pommes de terre en formes de petits poissons et les passaient également à la friture. Ces légendes alimentent depuis fort longtemps les polémiques historiques entre la Meuse et le Pont-Neuf (https://recettesahistoires.com/2022/07/02/ernest-le-pont-neuf-et-les-frites/) au centre desquelles je me contenterai d’être “ni pour ni contre, bien au contraire”.
Gustativement, les meilleures frites sont incontestablement celles passées à la graisse animale : porc en Bretagne, bœuf en Belgique. Moins intéressantes pour le goût, mais moins chères et moins riches en mauvais cholestérol et en acides gras saturés, les huiles végétales l’emportent pourtant. L’huile d’arachide résiste particulièrement bien aux températures élevées. L’huile végétale peut être réutilisée une quinzaine de fois, l’huile animale une dizaine de fois seulement. Dans tous les cas, un premier bain à 130°C suivi d’un deuxième à 180°C au moment de servir s’impose.
L’Agria “soufflée”
Agria est une variété récente, issue d’un croisement entre Quarta et Semio en Allemagne, en 1985. Le tubercule est farineux, sa chair de couleur jaune convient bien en friture. C’est donc une concurrente de la Bintje.
Pelez les pommes de terre, lavez-les puis essuyez-les. Détaillez-les en lamelles de 3 mm d’épaisseur avec une mandoline. Taillez ensuite des formes régulières avec un emporte pièce. Essuyez-les soigneusement.
Chauffez un premier bain de friture à 130 °C. Plongez-y les pommes de terre en mélangeant constamment l’huile avec une louche. Lorsque les lamelles remontent à la surface, sortez-les à l’écumoire et laissez refroidir 30 secondes.
Vous avez préparé un deuxième bain à 180 °C. Plongez-y immédiatement les pommes de terre en mélangeant toujours. Lorsque les pommes sont soufflées et dorées, retirez-les et déposez-les sur une feuille de papier absorbant.
Salez, poivrez et dégustez. Les pommes soufflées sont un peu plus complexes que les frites à réaliser mais sont très esthétiques aux côtés de légumes colorés et d’une pièce de viande ou de poisson blanc par exemple.
Le truffiat du Berry
A Bourges et dans tout le centre de l’Hexagone, on appelle les pommes de terre des “treuffes”. Le truffiat est une tourte à base de pommes de terre, pourquoi pas des Belles de Fontenay originaires du Loiret, variété dite “à chair ferme”, de la crème fraîche, des fines herbes et de l’oignon… du Berry.
Etalez un premier rond de pâte feuilletée dans un moule à tarte. Piquez-le à la fourchette.
Mandoline
Pelez les pommes de terre (1 kg) et taillez-les en rondelles fines à la mandoline. Coupez 2 oignons jaunes en rondelles et ciselez un bouquet de persil plat. Disposez une couche de pommes de terre, puis des oignons, des herbes puis recouvrez de crème fraîche épaisse, salez, poivrez. Répétez l’opération jusqu’à ce que le niveau de pommes de terre dépasse le haut du moule.
Etalez la seconde pâte feuilletée sur les couches de pommes de terre. Scellez les bords en repliant la pâte du dessous sur la pâte du dessus puis finalisez en faisant des stries avec une fourchette sur le pourtour de la tarte.
Mélangez dans un bol un jaune d’œuf et un fond d’eau puis badigeonnez la tourte du mélange sans oublier les bords.
Faites un petit trou puis insérez une cheminée pour que la vapeur de cuisson puisse s’échapper. Enfournez pendant 50mn à 180°C. Surveillez la cuisson des pommes de terre en plantant un couteau. Certains font mariner les pommes de terre avec de l’ail et du sel, d’autres ajoutent la crème fraîche après cuisson en découpant le couvercle. Mais une bonne salade (à l’huile de noix par exemple) suffira pour accompagner cette substantielle tourte.
L’aligot de l’Aubrac
L’aligot est une purée de pommes de terre (des Blanche farineuses à souhait qui se conservent bien pour l’hiver par exemple) enrichie en tome fraîche (un caillé de lait de vache pressé une fois à ne pas confondre avec les tommes d’Auvergne ou d’ailleurs) et d’ail.
L’aligot nécessite une bonne poigne pour mélanger sur le feu cette purée un peu collante qui doit devenir légèrement élastique au moment de servir. C’est roboratif à souhait, on l’accompagne d’une salade légère et traditionnellement d’une saucisse fraîche. L’aligot donne lieu à toutes sortes de réjouissances légèrement alcoolisées, en plein air durant l’été, près de l’âtre, l’hiver venu…
Le gratin du Dauphiné
Ne soyez pas abusé par les usurpateurs qui ajoutent force œufs et fromage dans ce gratin traditionnel composé de pommes de terre (des Charlotte bien fermes par exemple) et de lait.
Jules Charles Henri de Clermont-Tonnerre
Nuance de taille : au XVIIIe siècle, quand apparaît ce gratin au menu d’un dîner offert aux officiers municipaux de la ville de Gap dans le Dauphiné, par le duc Jules Charles Henri de Clermont-Tonnerre, lieutenant général du Dauphiné, on ne connaissait pas le lait écrémé. Il ne vous est donc pas interdit d’ajouter de la crème fraîche bien épaisse. En revanche, ne lavez pas les pommes de terre qui doivent conserver leur amidon qui permettra la liaison avec le lait crémé. Cuisez lentement ce gratin au four pour favoriser l’absorption de la crème par les pommes de terre.
On vous fait une confidence, mais ne le répétez pas : dans les hauteurs du Vercors, on utilise de vieux restes de fromage en surface pour faire gratiner le tout. Et puisqu’on se dit tout, il semble qu’à Gap, le gratin avait été servi avec des ortolans…
Les pommes du Dauphin
Le dauphin c’est l’héritier présomptif de la couronne de France, mais en l’occurrence on désigne souvent ainsi Louis-Antoine d’Artois, prétendant à la Couronne de France et reconnu comme roi par les légitimistes sous le nom de Louis XIX né à Versailles en 1775, mort à Goritz (ville autrichienne à l’époque, aujourd’hui italienne) en 1844.
Les pommes dauphine sont constituées d’une purée de pommes de terre (une Désirée plutôt farineuse par exemple) assaisonnée de noix de muscade. Et d’un tiers de son volume de pâte à choux. Prélevez des noix de préparation, farinez-les avant de les frire dans l’huile.
Les pommes duchesse, quant à elles sont une purée mélangée avec des œufs qu’on forme à l’aide d’une poche munie d’une douille cannelée, puis qu’on passe au four pendant quelques minutes.
Les pommes noisette sont des pommes de terre écrasées à la fourchette et formées avec une cuillère à pomme parisienne.
La purée de Joël
Joël Robuchon
Joël Robuchon, l’empereur des fourneaux aux 36 étoiles avait sans doute pris beaucoup de soin mais surtout un incommensurable plaisir à revisiter la purée de notre enfance. C’était la signature de Joël, et comme c’est le cas des artistes, l’homme n’est plus là, mais ses créations demeurent.
Joël privilégiait la ratte pour confectionner “sa” purée. C’était sans doute de sa part un pied de nez à la logique. Mais il nous avait habitué à de telles acrobaties. La ratte est une variété qui a tout contre elle : faible résistance aux maladies, faible rendement, conservation très moyenne, et surtout chair délicieuse certes, mais ferme, ce qui n’est pas la qualité recherchée pour obtenir une purée fondante.
Les rattes (1 kg) sont cuites à couvert dans une eau froide salée au départ pendant une trentaine de minutes.
Pendant ce temps, coupez le beurre en petits dés (250 g de beurre non salé). Réservez au froid.
Pelez les pommes de terre chaudes et passez-les au moulin à légumes à grille très fine.
Chauffez 25 cl de lait sans le laisser bouillir.
Desséchez la purée obtenue à feu doux avec une spatule en bois. Ajoutez le beurre et remuez pour obtenir une purée très lisse. Salez. Ajoutez doucement dans le mélange le lait chaud en remuant avec un fouet jusqu’à ce que la purée coule du fouet.
Il y a heureusement belle lurette que notre instinct de cigale a réussi à contourner l’hiver. Grâce au savoir-faire et aux ressources des confiseurs qui, depuis le XVe siècle, enrobent savamment les fruits de l’été. Par osmoses successives, ils remplacent l’eau par du sucre pour assurer leur conservation.
Michel de Nostredame, dit Nostradamus,
Saint-Rémy de Provence 1503, Salon de Provence 1566
En 1555, Michel de Nostradamus publie à Salon de Provence le “Traité des fardements et confitures“, quelques années après avoir publié son premier “almanach” et les prédictions qui le rendront célèbres dans le public et auprès des puissants. Nostradamus enseigne comment « confire petits limons et oranges tout entiers, coings en quartiers avec le sucre pour faire du cotignac, du pignolat, du sucre candi, des sirops, des poires confites et de la tarte de massapan ».
Nostradamus n’est pas l’inventeur du fruit confit mais il vit au cœur du triangle Salon de Provence, Saint-Rémy de Provence et Apt. C’est le point névralgique de la production nationale des fruits que nous retrouvons sur nos tables.
Apt est incontestablement la capitale mondiale du fruit confit et c’est dans cette région que sont installés les meilleurs artisans confiseurs.
Il faut au bas mot trois mois pour obtenir de beaux fruits luisants. Ils vont baigner dans huit bains de sirop de sucre de plus en plus concentré et autant de séchages à l’air libre. Les fruits sont ensuite séchés à four très doux (50°C). Puis le confiseur les “oublie” dans un fruitier pendant au moins deux mois. Enfin, il les “glace” au sucre une dernière fois avant que nous puissions les déguster.
Méfions-nous, il existe sur le marché de prétendus fruits confits fabriqués à base de … navets, artificiellement colorés et parfumés pour ressembler à des écorces confites. Pour l’occasion, ils sont baptisés “raves”. Ce n’est pas nocif, mais c’est pour le moins trompeur !
C’est un peu dommage pour les navets qui méritent un meilleur sort. Il existe d’ailleurs des recettes délicieuses à base de navets confits, pour accompagner par exemple du canard.
Les treize desserts
Puisque nous sommes en Provence, restons-y, avec la tradition des treize desserts de Noël. Ce chiffre fait référence à la Cène, dernier repas des 12 apôtres avec le Christ avant sa crucifixion.
Les treize desserts sont servis à la fin du repas la veille de Noël, puis restent sur la table pendant trois jours. Les invités doivent goûter à tous les desserts par politesse envers leur hôte.
En voici une liste indicative mais non exhaustive :
Quatre fruits secs qui représentent les 4 ordres religieux ; noix ou noisettes (les Augustins) ; figues sèches (les Franciscains) ; raisins secs (les Dominicains) ; amandes (les Carmélites)
La pompe à l’huile d’olive ou fougasse d’Arles, galette parfumée à l’eau de fleur d’oranger et au zeste de citron ou d’orange.
Le nougat blanc
Les dattes
Le nougat noir, avec du miel fondu cuit et des amandes
Le nougat rouge, à la rose et aux pistaches
Les calissons d’Aix, en forme de navette, fourrés avec un mélange de melon confit et d’amande nappé de glaçage royal (blanc d’œuf et sucre glace), posé sur un fond de pain azyme.
Des oranges ou des clémentines
De la pastèque
Des fruits confits entiers (cédrat, poire, ananas…) ou des pâtes de fruits….
Le panettone italien
De la Provence, filons vers la “Botte” et la région milanaise.
Ludovico il Moro Sforza dit le More,
1452 à Vigevano (Italie), 1508 à Loches (France)
On raconte que dans les années 1480 le cuisinier de Ludovico il Moro Sforza, duc de Milan, chargé de préparer le dîner de Noël, avait oublié son dessert au four. Stupeur dans la cuisine jusqu’à ce que Toni, jeune commis, propose une solution : « Avec ce qui restait dans le garde-manger – un peu de farine, du beurre, des œufs, de l’écorce de cédrat et quelques raisins – j’ai cuisiné ce matin ce dessert. Si vous n’avez rien d’autre, vous pouvez le mettre sur la table ». Le cuisinier y consentit et, tremblant, se cacha derrière un rideau pour espionner la réaction des invités. Tous furent enthousiastes et au duc qui voulait savoir le nom de cette délicatesse, le cuisinier révéla le secret : « c’est le pain de Toni (l’è ‘l pan del Toni) ». Depuis, il est appelé « pane di Toni », le « panettone »
Au XXe siècle, la recette évolue avec Angelo Motta qui fait lever la pâte trois fois pendant vingt heures avant de la cuire, ce qui lui donne sa légèreté en même temps qu’il en industrialise la fabrication. Après la deuxième guerre mondiale, le panettone est devenu “le” dessert de Noël italien.
Angelo Motta,
1890, à Gessate, Italie, 1957 à Milan, Italie
Les boulangers italiens partent d’un morceau de pâte de levain naturel prélevé sur une préparation antérieure et qui sert de greffe microbienne, auquel on ajoute de la farine de blé dur et de l’eau. Cette pâte subit un premier pétrissage, ce qui arrête la fermentation. Le pâton est mis à lever à température ambiante, avant deux autres phases de pétrissage et de “levage”. C’est à ce moment qu’on ajoute 20 % en poids de raisins sultanines, d’écorce d’orange ou de cédrat confit et au moins 10 % en poids de beurre.
Le “pasticcere” (le pâtissier) procède alors au façonnage : la spezzatura, la pâte finale levée est divisée en portions, la pirlatura, les pâtons sont façonnés en boules, la pose des pirottini, la pâte est mise dans des moules de cuisson en papier. Durant la levée, on procède à la scarpatura, la surface supérieure de la pâte est incisée d’une croix.
La cuisson dure environ 40 min à 170 °C pour un gâteau d’un kilogramme. A la sortie du four, le gâteau est renversé, la date est imprimée ou estampillée de manière indélébile sur le pirottino qui reste attaché au produit fini.
Le panettone est servi en tranches verticales, accompagné de vins doux comme l’asti spumante ou le moscato, ou encore de vins corsés du genre Recioto della Valpolicella ou Gattinara, ou encore de boissons chaudes. On peut compléter avec de la crème de mascarpone et de l’Amaretto, une liqueur sucrée.
Les Nevaditos espagnols
Dans un saladier, vous mélangez 100 g de saindoux avec 60 ml de vin blanc, une pincée de sel et une cuillère à soupe de sucre. Vous incorporez progressivement 225 g de farine à la cuillère de bois jusqu’à obtenir une boule de pâte bien lisse. Vous la filmez et vous la laissez reposer au froid pendant 2 heures.
Vous étalez la pâte sur du papier sulfurisé à 1 cm d’épaisseur et vous formez des disques de 6 cm à l’aide d’un emporte-pièce. Vous enfournez pour 30 mn jusqu’à ce que les bords soient légèrement dorés. Vous enrobez les nevaditos de sucre glace et les laissez refroidir complètement.
Les Stollen et Beerawecka alsaciens
En Allemagne et en Alsace où les traditions de Noël demeurent très vivaces, le Stollen (ou Christstollen) est composé de fruits secs macérés dans le rhum, d’écorces d’agrumes confites et de pâte d’amande.
Faites macérer 150 g de raisins secs, 120 g d’écorce d’orange et autant d’écorce de citron confit en cube dans un bol d’eau mélangée à quelques cuillères à soupe de rhum et une gousse de vanille fendue dans la longueur.
Dans un verre, mélangez 150 g de lait tiède avec 10 g de levure.
Dans un saladier, mélangez 250 g de farine, 40 g de sucre, 80 g de beurre, 1 jaune d’œuf, 120 g de noix et autant d’amandes et une pincée de sel. Ajoutez ensuite le lait et la levure et mélangez jusqu’à obtention d’une pâte lisse. Laissez reposer une nuit.
Mélangez 200 g de poudre d’amandes avec 200 g de sucre glace, 4 cl d’eau et 2 gouttes de liqueur d’amandes amères. Réservez la pâte d’amande obtenue dans une poche à douille.
Le lendemain, étalez la pâte sur un papier sulfurisé pour obtenir un rectangle. Déposez au centre la pâte d’amande et refermez soigneusement le Stollen tout autour de la pâte d’amande.
Enfournez le gâteau pendant 40 minutes à 180°C. Laissez refroidir et saupoudrez abondamment de sucre glace.
Le Beerawecka est le gâteau traditionnel de la pâque juive, que les chrétiens ont emprunté pour les fêtes de Noël. La litanie des ingrédients est un peu longue :
– 400 g de poires séchées
– 100 g de quetsches ou prunes
– 150 g de figues séchées
– 150 g d’abricots secs
– 150 g de pommes séchées
– 150 g de raisins de Corinthe
– 100 g d’amandes
– 100 g de noisettes
– 100 g de noix
– 100 g d’écorces confites de citron, d’orange et de cédrat
– 20 g de cannelle
– 10 g d’anis moulu
– 5 g de clous de girofle moulu
– 500 g de farine
– 1 cuillère à café de bicarbonate
– 50 cl d’eau de vie de quetsche
Coupez tous les fruits en petits morceaux, arrosez-les d’eau de vie, remuez et laissez macérer une nuit.
Concassez les noix, amandes et noisettes. Egouttez les fruits et ajoutez la farine mélangée avec le bicarbonate et les épices, remuez et ajoutez l’alcool de macération jusqu’à ce que l’ensemble soit bien amalgamé.
Façonnez des petits pains allongés sur un papier sulfurisé. Enfournez à 140°C et laissez cuire 45 minutes.
Le Beerawecka peut se conserver au frais une dizaine de jours. Il peut être servi au petit déjeuner mais peut fort bien accompagner le foie gras.
Le pudding du Detroit
Remontons à présent vers le “Channel” et les rivages de l’Angleterre. A Calais et à Boulogne sur Mer, on a vécu très longtemps au rythme des “day tripper” venus pour la journée de Folkestone, Douvres et Ramsgate par ferry, avant de repartir les bras et les épaules chargés de chocolats, de fromages, d’alcools divers et variés, voire de grenouilles…
Le “Brexit” et le “Lien fixe transmanche” ont certes bouleversé ces habitudes, mais à Calais et à Boulogne on continue de préparer Noël avec le “Christmas pudding” tel qu’on la vu faire par les parents et les grands parents, qui eux-mêmes le tenaient d’amis ou de collègues anglais.
Le Christmas pudding est cuit à la vapeur avec énormément de raisins secs épépinés et de fruits confits, des noix, de la graisse de rognon de veau, du sucre brun (de la “cassonade” ou “vergeoise” brune) de la mélasse et un peu de farine. Le mélange est humidifié avec du jus d’agrumes et de la bière brune.
Le gâteau est ensuite enveloppé dans un tissu et suspendu quelques heures dans une cocotte au-dessus de l’eau bouillante.
Au moment de servir, le pudding est réchauffé à la vapeur et flambé au rhum. La tradition voudrait qu’on mange du pudding certes un peu rassis jusqu’à la Trinité.
Le sens pratique des Boulonnais(es) et des Calaisien(ne)s a substantiellement fait “évoluer” la tradition britannique : le graisse de rognon de veau est souvent remplacée par de la margarine, l’enveloppe en tissu par un saladier en pyrex, la cocotte en fonte par une cocotte minute qui permet de réduire le temps de cuisson ou autres cuiseurs-vapeurs à la mode, mais les yeux émerveillés des petits et grands au moment de flamber le gâteau, toutes lumières éteintes, sont toujours là, même si à Calais comme à Boulogne on tient rarement jusqu’à la Trinité …
Charles Naudin est né en 1815 à Autun (Saône et Loire). Il suit des études en biologie à Montpellier et rejoint le Muséum d’Histoire naturelle en 1846, puis le lycée Chaptal.
Dès 1860 il décrit à la manière des botanistes une vingtaine de courges et autres potirons qui ne sont pas forcément tous issus de la même famille !
Une maladie neurologique le rend sourd. Cela ne l’empêche pas de rejoindre l’Académie des Sciences en 1863 où il publie différents travaux sur l’influence de l’hybridation dans l’évolution en botanique. En 1869, il s’installe à Collioure, il y crée un jardin privé expérimental, le jardin Palmar où il installe diverses essences et agrumes dont une incroyable bambouseraie et de majestueux et rarissimes palmiers aujourd’hui centenaires. La propriété classée a notamment accueilli Henri Matisse et André Derain, dans les années “fauvistes (1905-1906). Si cela vous intéresse, le domaine est à vendre, à 200 m de la plage…
Henri Matisse – Collioure
Quant à Naudin, il s’installe en 1878 au jardin botanique de la villa Thuret à Antibes (https://www6.sophia.inrae.fr/jardin_thuret/), magnifique domaine d’expérimentation botanique (appartenant toujours à l’Etat) où il perd la vue !
Nonobstant, il dirige des travaux sur l’hybridation et l’acclimatation des plantes en vue de l’obtention de nouvelles espèces et l’hérédité en botanique. Cela l’amène à s’intéresser aux capacités qu’ont ou pas les végétaux à se reproduire par acclimatation, par hybridation.
Pour les horticulteurs Naudin est le “père” de la génétique botanique, notamment celle des potirons, courges, butternuts et autres citrouilles cultivés pour leurs propriétés gustatives. Pour les curieux, il s’est aussi beaucoup intéressé aux influences cosmiques en botanique (les jardiniers qui respectent les cycles lunaires sont légion).
Les “cucurbitacées” sont originaires des régions tropicales et subtropicales. Le potiron a suivi le même chemin que de nombreux végétaux : découvert en Amérique du Sud, il a été introduit en Europe et en Chine par les Portugais.
De nombreuses espèces sont cultivées pour leurs fruits comestibles (courges, courgettes, concombres, cornichons, doubeurres ou butternuts, melons, pastèques, chayottes, etc.) et parfois pour leurs graines (courge à huile, pistache africaine). En ce qui concerne l’Europe tempérée, nous utilisons principalement les potirons, les potimarrons, les courges, les citrouilles, les courgettes, les pâtissons, les courges musquées, les butternuts.
Ces derniers ont le vent en poupe, avec les potimarrons : leur chair n’est pas filandreuse, elle est parfumée, leur peau est fine.
Petite exception, les coloquintes, très décoratives, mais qu’il vaut mieux éviter de consommer : elles ne sont pas très digestes. Certaines d’entre elles peuvent occasionner des gastro-entérites hémorragiques sévères chez les chiens et les chats.
“Monsieur Constant” c’est ainsi que l’appellent tous ceux qui ont travaillé à ses côtés, comme Eric Frechon, Emmanuel Renaut, Jean-François Rouquette, Yves Camdeborde, Christian Etchebest, Thierry Faucher, Thierry Breton…
Après avoir passé sept ans à la tête du Crillon, Christian Constant ouvre le Violon d’Ingres et le Café Constant, rue Saint-Dominique, Les Cocottes à l’Arc de triomphe, à la Tour Eiffel, puis à Saint Julien en Genevois, Le Bibent place du Capitole à Toulouse et le Bistrot Constant à Montech, sa ville natale, le long du Canal du Midi. Depuis octobre 2022, il a commencé à se séparer de certains de ces établissements, préparant sagement sa retraite à 72 ans.
Epluchez 1 kg de potimarron, coupez la chair en dés. Ciselez un oignon que vous faites revenir au beurre jusqu’à ce qu’il devienne translucide. Ajoutez la chair de potimarron, 75 cl de fond de volaille, 50 cl de crème liquide entière. Laissez cuire à feu doux pendant une trentaine de minutes.
Dans une casserole, “glacez” 100 g de marrons avec un peu de jus de viande et de beurre. Taillez des petits dés avec deux tranches de pain de mie, faites-les dorer à l’huile et égouttez-les sur du papier absorbant.
Tranchez en copeaux 60 g de comté à l’économe.
Dans chaque assiette, versez du velouté de potimarron, des marrons émiettés, des copeaux de comté, des croûtons dorés et quelques brisures de truffe.
Courge-argousier-sarrasin
Mauro Colagreco est beaucoup plus jeune, né en 1976 à La Plata (Argentine). Il est chef et propriétaire du Mirazur à Menton (https://www.mirazur.fr/), élu “meilleur restaurant du monde” en 2019 par le World’s 50 Best Restaurants. Comme Christian Constant, Mauro est un habitué des studios de télévision et des émissions de télé-réalité culinaire. Il vient d’être désigné “ambassadeur de bonne volonté” de l’Unesco, l’institution de l’ONU spécialisée dans l’éducation, la science et la culture. Avec ce statut non rémunéré, il entend promouvoir les actions de l’Organisation en faveur de la biodiversité et contribuer à “rétablir notre lien avec la nature et préserver l’harmonie de nos écosystèmes.” (source Atabula : https://atabula.com/)
Il a dans sa besace cette recette d’une relative simplicité si l’on se réfère à sa carte, souvent beaucoup plus sophistiquée et assez onéreuse.
Pour 10 personnes
1 courge musquée de Provence (si elle est suffisamment grosse, elle suffira pour tous les éléments de la recette)
Beurre (50 g/kg de courge)
Pelez la courge, jetez les graines. Passez une partie de la pulpe à la centrifugeuse. Laissez réduire à la casserole aux trois quarts.
Coupez en fines tranches une autre partie de la courge. Placez-les dans une casserole avec le beurre, couvrez (avec du papier sulfurisé) et faites cuire à feu très doux, en remuant de temps en temps afin que la courge ne dore pas. Continuez jusqu’à obtenir une purée bien cuite. Découvrez et faites cuire quelques minutes supplémentaires pour que la purée soit sèche. Passez au mixeur
Mousse de courge
110 g de sucre
150 ml de jus de courge réduit
120 g de jaunes d’œufs
7,5 g de feuilles de gélatine
Placez le sucre avec 100 ml de jus de courge réduit dans une poêle et faites cuire jusqu’à ce qu’il atteigne 118 °C.
Simultanément, commencez à battre les jaunes d’œufs au mixeur. Ajoutez le sirop en filet à 118 °C et battez jusqu’à ce que le mélange atteigne la température ambiante. Réservez.
Faites chauffer 50 ml de jus de courge et ajoutez la gélatine hydratée et égouttée jusqu’à dissolution complète. Mélangez avec 200 g de purée de courge et incorporez doucement l’appareil aux œufs. Répartissez dans des contenants carrés et placez au frais.
Mousse de baies d’argousier
3 œufs
80 g de sucre
180 ml de jus d’argousier
10 g de feuilles de gélatine
100 ml d’eau
180 g de beurre
150 ml de jus de courge réduit
120 g de jaunes d’œufs
7,5 g de feuilles de gélatine
Blanchissez les œufs avec le sucre. Mélangez avec le jus d’argousier, placez dans une casserole et portez à ébullition, en remuant constamment jusqu’à 78 °C. Hydratez la gélatine avec de l’eau très froide, égouttez et ajoutez au mélange précédent. Ajoutez le beurre pommade et mélangez jusqu’à obtention d’une texture homogène. Répartissez la mousse d’argousier sur la mousse de courge sur 5 mm de hauteur. Remettez au frais.
Coupez la dernière partie de la courge et émincez-la à la mandoline, pour obtenir des lamelles fines et longues. Placez les tranches sur du papier sulfurisé. Badigeonnez-les avec une tasse de sirop. Placez-les dans un sac et mettez sous vide au maximum pour qu’elles absorbent le sirop.
Badigeonnez les portions de mousse avec du miel d’acacia et saupoudrez de sarrasin et de pollen. Faites une demi-quenelle de cette préparation et répartissez-la sur des assiettes. Recouvrez la quenelle de mousse avec les tranches de potiron.
Courges confites
Mauro Colagreco est aussi capable de vous proposer cette recette simplissime
Il vous faut :
3,5 l d’eau
1 courge butternut
20 g de bicarbonate
1 kg de sucre
1 gousse de vanille
Pelez et coupez la courge en cubes de 2 x 2 cm. Dans un saladier, mélangez 1,5 l d’eau avec le bicarbonate. Plongez les morceaux de courge, mélangez et laissez reposer au froid pendant 24 heures. Dans une casserole, faites bouillir 2 l d’eau avec le sucre. Ajoutez les morceaux de courge et la vanille puis laisser cuire à feu doux pendant 1h30. Après cuisson, remplissez le bocal propre et fermez hermétiquement. Stérilisez le bocal dans une casserole avec de l’eau bouillante pendant 30 minutes (le bocal doit être immergé entièrement). Ensuite, laissez refroidir 15 minutes hors de l’eau. Retournez les bocaux puis laissez refroidir totalement. Conservez à l’abri de la lumière pendant 3 mois. Une fois ouvert, vous pouvez le conserver au froid pendant 2 semaines.
J’en resterai là avec les rimes et la prosodie. Cette complainte nostalgique est heureusement un peu naïve. Nos aïeuls ont depuis longtemps cherché et trouvé des parades aux caprices de la température et du soleil.
Et incontestablement, le roi des légumes des soirées froides c’est le chou que les Huns auraient ramené de leurs aventures en extrême orient.
Les marins savent depuis longtemps protéger leurs pêches et leur propre nourriture avec le sel. Les paysans utilisent un peu partout le salage, le séchage et la fumaison pour conserver les viandes et les poissons.
La choucroute met en œuvre une réaction chimique, la fermentation lactique ou lacto-fermentation. Très grossièrement, le glucose contenu dans la matière végétale se combine avec de l’eau et du sel, en l’absence d’oxygène, pour former des “bactéries lactiques” tout à fait recommandées par l’académie.
On retrouve cette technique de conservation dans de nombreux produits du quotidien : la choucroute, mais aussi les cornichons, les olives, le yogourt, les fromages, les saucissons…
Le principe de la lacto-fermentation est simple. Chacun peut se lancer dans l’aventure, avec un chou notamment. Il vous faut un chou finement émincé, 2% de sel et un bocal étanche !
Lançons nous dans une première choucroute. Les Alsaciens privilégient le “chou cabus quintal”.
Vous mettez votre chou émincé dans le bocal, n’oubliez pas de jeter quelques grains de sel entre les couches de chou.
Il faut utiliser du sel sans additif, ce qui n’est en général pas le cas du “sel de table” auquel on adjoint des anti-agglomérants et de l’iode. Privilégiez le sel de mer ou sel gris, si possible bien sec. Le sel de l’Himalaya est un “must'”, comme le sel de Maldon, récolté dans l’estuaire de Blackwater, près de Maldon (Essex). Mais Guérande est aussi bien, sinon mieux.
Sel rose de l’Himalaya
Tassez bien pour expulser un maximum d’air et remplissez le bocal autant que possible avant de le fermer hermétiquement. On pourrait ajouter de l’eau pour créer un milieu “anaérobie”, mais le chou devrait rendre suffisamment d’eau pour faire ce travail. Il faut “oublier” ce bocal si possible à l’abri de la lumière, à la température de la maison, pas au froid. Comptez au minimum deux semaines avant le début de la fermentation, l’optimum étant deux mois.
Passé ce délai, il est possible d’ouvrir le bocal, pour goûter l’acidité provoquée par la fermentation. Il suffira de bien essorer le chou pour le consommer, cru ou cuit, avec de la charcuterie mais pas seulement, avec du poisson c’est délicieux, avec ou sans vin d’Alsace…
On peut procéder de la même façon avec des navets, des carottes, de l’ail.
Sang Hoon Degeimbre
En matière de fermentation, Sang Hoon Degeimbre est une référence. Installé à Liernu, entre Louvain et Namur, dans son restaurant L’air du temps (https://airdutemps.be), au-milieu d’un jardin de cinq hectares, il conjugue le milieu dans lequel il évolue avec ses origines coréennes.
Voici ses carottes lacto-fermentées pour lesquelles il vous faut
1 litre d’eau
500 g de carottes
30 gr de sel
2 gousses d’ail
1 oignon
1/2 poire en dés
100 g de gros sel
Brossez et nettoyez les carottes. Déposez-les dans un bac et recouvrez de gros sel. Laissez macérer 3h. Rincez à l’eau courante.
Dissolvez le sel dans l’eau dans un bocal hermétique. Ajoutez les autres ingrédients et les carottes (coupées si besoin). Fermez le pot et laissez à température ambiante pendant une semaine, puis en cave ou au frigo pendant au moins trois semaines avant dégustation.
Le kimchi est un peu l’ancêtre coréen de la choucroute, voici comment Degeimbre le prépare :
Chou Pe-Tsaï
750 g chou chinois Pe-Tsaï ou Pak-choï. Il existe de nombreuses variétés de chou chinois, mais ces deux-là se vendent et se cultivent aisément dans nos contrées
75 g de sel de Maldon
400 g d’eau
50 g de chou-rave
½ oignon
1 pomme
2 gousses d’ail
10 g de gingembre
15 g de pignons de pin
1 c à soupe de Nuoc-mâm, sauce liquide à base de poisson fermentée dans une saumure
1 c. à café de Saeujeot, ou Séou Jan (crevettes fermentées salées coréennes)
Dissolvez le sel dans l’eau. Plongez-y le chou entre 1 et 5 h.
Coupez en julienne le chou rave, l’oignon, la pomme. Emincez l’ail et le gingembre.
Mélangez le tout à la main avec le Nuoc-mâm et le Séou-Jan. Entaillez le chou 1 cm au-dessus du cœur et déchirez-le en deux. Entre chaque feuille, dispersez le mélange. Roulez le chou sur lui-même et enfoncez-le dans un bocal étanche d’1 litre. Pressez fort. Refermez et laissez fermenter pendant 10 jours à température ambiante puis conserver au frais.
Yannick Alléno
Yannick Alléno est une star. Les magazines se sont délectés de sa gueule d’acteur et de ses conquêtes. En mai 2022, son fils Antoine est mort, percuté sur son scooter par un chauffard, alors qu’il rentrait du restaurant qu’il venait de créer avec son papa.
Yannick est responsable des trois restaurants et des salons du Pavillon Ledoyen (https://www.yannick-alleno.com/fr/ ), propriété de LVMH, comme l’hôtel Cheval Blanc à Courchevel et le Royal Mansour à Marrakech, que le chef supervise également, ainsi que le bistrot du Palais de la Mutualité et celui du Palais Brongniart, un salon de thé à Saint-Tropez, des hôtels à Dubaï, à Séoul, à Pékin, à Taipei, à Monaco… Et le restaurant qu’il avait créé avec son fils (https://perefilsparalleno.com/ fastfood de qualité) a rouvert en octobre 2022.
Chou de Pontoise
Alléno sait pour le moins se “médiatiser” et se démultiplier à l’image d’Alain Ducasse, mais c’est avant tout un cuisinier qui continue d’explorer de nouvelles pistes et sait mettre en valeur des produits qui disparaîtraient sans des volontés comme la sienne. C’est le cas du chou de Pontoise, et de ses incroyables nuances de bleu, rose, vert, dont on disait qu’il ne pouvait pas voyager. Depuis longtemps, il explique que la marque de la cuisine française c’est la sauce : « Je souhaite que les gens comprennent que la sauce est le verbe de la cuisine française, qu’elle est la seule à pouvoir unir dans un rapport d’harmonie deux produits totalement différents pour former un plat cohérent. Mon but est de remettre la sauce au cœur du débat. On l’a diabolisée sous l’offensive hygiéniste qui nous a fait croire que la sauce était forcément trop grasse et mauvaise pour la santé. Si l’inconscient collectif est convaincu de cela aujourd’hui, c’est parce que pendant des années, les sauces étaient mal faites. C’est comme si un mauvais peintre copiait une œuvre de Picasso. A la fin, on obtiendrait une croûte. Pour les sauces, c’est pareil. Il faut du temps, de l’expérience. Un bon saucier, c’est 15 ans de travail ! » Il a ainsi étudié les méthodes d’extraction pour condenser la substantifique moelle d’un légume, d’un parfum. Il utilise pour cela la centrifugation, la cryogénisation avec des outils qui ne se trouvent pas forcément dans la première cuisine venue, mais qu’on peut imaginer. Plus récemment, il s’est intéressé aux ressources de la fermentation. Cf interview par Mathilde Bourge in https://www.finedininglovers.fr/article/yannick-alleno-le-gout-du-terroir-par-la-fermentation
Il présente ainsi une langoustine “snackée” servie sur un mélange d’extraction de céleri et de jus de chou fermenté.
On peut approcher ce goût avec des moyens relativement simples : vous passez un pied de céleri branche au mixer, vous filtrez soigneusement le résultat au-dessus d’un récipient, et vous mélangez cela avec un peu de jus de chou fermenté. Après quelques tâtonnements vous devriez parvenir à obtenir un “miroir” légèrement sirupeux que vous napperez sur une assiette de service. Vous allez amoureusement décortiquer une “demoiselle de la mer” en conservant intacts le corps et la queue. Vous “châtrez” la bête en incisant le ventre sur sa longueur et en retirant délicatement à la pince le petit boyau noir. Vous “pochez” 10 minutes la langoustine au beurre noisette clarifié à 64°C, et vous terminez en la “flashant” quelques secondes à la salamandre.
Nous avons la regrettable habitude d’affubler à nos nourritures familières des sobriquets souvent peu amènes : la patate, le navet, la vache, le veau, l’agneau, le merlan, le maquereau en sont quelques illustrations. Et dans la série, le poireau n’est pas en reste.
Attendre dans une queue c’est “faire le poireau” ; les motards amateurs englués dans le sable du Touquet sont des “poireaux” ; une verrue faciale est un “poireau”, comme la médaille du Mérite agricole ; un valeureux général est un “poireau” parce qu’il a la tête blanche mais est encore vert…
Le poireau est devenu l’emblème du Pays de Galles, avec le narcisse, même si l’effigie du drapeau gallois est un dragon. La légende prétend que les soldats de Sa majesté se seraient régalés de poireaux savoureux dans le champ d’un cultivateur du Pas-de-Calais à Azincourt entre Fruges et Hesdin, durant la bataille éponyme en 1415 et les auraient emportés comme trophées de cette victoire.
Du temps de François Ier les médecins en prônaient l’usage aux gens « mugueteurs de dames pour leur donner plaisante haleine », pour « favoriser la diurèse, relâcher le ventre, arrêter les éructations, augmenter le lait des nourrices et faire cesser la stérilité. »
Plus prosaïquement c’est ainsi que les “mâles dominants” désignent le pénis.
Ce légume membre de la famille des alliacées comme l’oignon, l’ail, l’échalote et la ciboulette nous est familier depuis les Egyptiens.
Il a la particularité d’être “bisannuel”. La première année de sa vie, la plante fait des réserves. Elle fleurira et montera en graines au printemps suivant pour se reproduire.
Le jardinier va donc privilégier la production de la première année. Les prévoyants savent pourtant qu’il est très utile d'”oublier” quelques plants dans le potager pour produire les semences de la saison suivante.
“Allium porrum”, alias le poireau, c’est un peu le cochon dans la cuisine : tout est bon chez lui, c’est un peu le maître-mot de cette chronique. Et vous allez voir, on peut avantageusement s’affranchir du sempiternel potage poireaux-pommes de terre qui berce les bols de notre enfance, même si amoureusement préparé celui-ci conserve de nombreux adeptes en France et même un peu plus loin qu’en Navarre.
Les radicelles frites
Il vous est désormais INTERDIT de jeter quoi que ce soit quand vous rapportez une botte de poireaux du marché (ou du potager).
Vous coupez vos poireaux à 1 cm du pied, vous lavez soigneusement à l’eau pure et fraîche ces pieds et radicelles et vous les faites tremper une bonne dizaine de minutes dans de l’eau vinaigrée puis dans de l’eau bouillante. Après les avoir séchés, vous ajoutez un peu de farine et vous les plongez dans l’huile à 180°C quelques minutes. Vous pourrez agrémenter votre fameux potage de cette friture croustillante ou compléter une salade, décorer une tarte, un flan de poireaux…
Cerise sur le gâteau, votre salade appréciera beaucoup que vous ajoutiez quelques fleurs et quelques graines de poireau qui apporteront une touche de couleur et une note aillée bienvenue.
Œufs mimosa, huile de poireau
Apicius
Apicius proposait sous l’empereur Auguste, au début de notre ère des œufs farcis avec des jaunes aromatisés à la marjolaine, au safran, aux clous de girofle broyés, au fromage), reconstitués, passés au gril et servis au vinaigre (cf https://recettesahistoires.com/2022/08/26/lucullus-et-apicius-ils-sont-fous-ces-romains/). Ils ressemblent aux diaboliques “deviled eggs” anglais farcis à la viande, au fromage et aux épices, saupoudrés de paprika. On en retrouve des déclinaisons un peu partout.
Lydie Salvayre
L’œuf mimosa est une recette bien française datant des années 1920, en référence à la plante méditerranéenne qui fleurit à la fin de l’hiver. Mais “l’œuf dur mayo” renaît dans les brasseries et bistrots. Il a même son championnat du monde remporté cette année par Grégoire Simon, chef de la Grande Brasserie (6, rue de la Bastille). Gageons qu’avec une égérie comme Lydie Salvayre, récente Prix Goncourt, il a l’avenir devant lui : ” J’ai pleuré longtemps en imaginant l’ennui qui allait me terrasser dans les jours prochains car je venais d’achever ma seule relation humaine. Puis j’ai repensé à la façon dont elle avait mangé la garniture de salade qui accompagnait les œufs mimosa, sans la moindre pause langagière, sans la moindre expression humaine, sans lever les yeux, comme une bête, et tout mon chagrin s’est évanoui. ”
Vous faites cuire 10 œufs à l’eau bouillante, puis vous les refroidissez à l’eau froide. Ecalez-les et coupez-les en deux et récupérez les jaunes.
Couper le vert de deux poireaux, et mixez-le avec 0,5 l d’huile de tournesol. Si vous êtes équipé, passez ce mélange à la centrifugeuse. Sinon, à l’aide d’une fine passoire et d’une cuillère, pressez vigoureusement le solide au-dessus d’un récipient pour récupérer “l’huile de poireau” filtrée à travers la passoire. Laissez reposer au moins 20 minutes pour que l’eau et l’huile se séparent.
Mettez de côté trois jaunes et mélangez les autres avec trois jaunes crus, une grosse cuillère à soupe de moutarde, du sel, du poivre. Et montez une mayonnaise avec l’huile de poireau que vous venez de filtrer. Remplissez les blancs avec cette mayonnaise et les jaunes mis de côté coupés en cubes.
Poireau et foie gras
Canard mulard
J’entends déjà dans les chaumières les cris d’orfraie : “Quoi quoi ! Il veut encourager le gavage et l’assassinat de ces pauvres bêtes !”
Que ces bonnes âmes et les disciples de Hugo Clément et Aymeric Caron se rassurent, je ne retournerai ma veste ni dans un sens ni dans l’autre (je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire comme disait Coluche)…
Je sais en revanche que l’élevage des canards gras et l’élaboration des foies gras sont le résultat d’une culture millénaire, qui a forgé des paysages, une économie dans les régions de production. Les antispécistes, mais surtout la grippe aviaire menacent l’équilibre et l’avenir de nombreux petits paysans et de leurs familles.
Préparez les poireaux dont vous ne conservez ici que les blancs. Lavez-les soigneusement, plongez-les dans l’eau bouillante salée pendant 20 minutes au moins. Le poireau doit être fondant. Egouttez les tronçons verticalement et réservez-les au chaud.
Coupez des tranches de foie gras de 1,5 cm d’épaisseur, poivrez et saisissez-les à bonne température dans une poêle anti-adhésive (une minute de chaque côté). Jetez cette première graisse, égouttez les tranches sur du papier absorbant, mettez-les dans un plat et passez-les au grill 3 minutes.
Récupérez la graisse de la cuisson au four, ajoutez le vinaigre (2/3 de graisse, 1/3 de vinaigre). Disposez le foie gras sur les poireaux, ajoutez la vinaigrette et quelques grains de gros sel.
Poireau calciné, tartare d’huîtres
Eric Fréchon est un Picard, qui a entamé sa carrière en cuisine au Petit Café Bleu (aujourd’hui le Homard Bleu) au Tréport. A l’époque, son projet professionnel était juste de se payer un vélo ! Aux fourneaux triplement étoilés du palace parisien le Bristol (112 Rue du Faubourg Saint-Honoré) il conserve le sens de la simplicité de cette époque et le goût des produits auxquels il apporte sa technicité, sa précision, sa culture et sa curiosité de Meilleur ouvrier de France.
Il raconte que sur une plage sénégalaise il avait été attiré par l’odeur des huîtres que des pêcheurs faisaient griller au barbecue. Les mollusques étaient un peu carbonisés, mais il en avait conservé la mémoire gustative, et son association avec des poireaux grillés est désormais une “signature”.
Il vous faut des gros poireaux, que vous allez tailler à 23 cm de longueur en préservant les radicelles. Ils sont soigneusement lavés, les radicelles sont ensuite protégées avec du papier d’aluminium. Vous allez les cuire sous la salamandre (ou à la braise en saison si vous êtes équipé), en les tournant régulièrement pour qu’ils soient grillés sur toutes les faces.
Au Bristol, on pratique une incision pour extraire des tronçons de 2 cm de long qu’on remet ensuite en place dans la carcasse du légume savamment carbonisé.
Ouvrez ensuite huit huîtres (Fréchon préconise des “perles blanches” n°2), récupérez leur eau, ébarbez-les et réservez au frais. Taillez 100 g des barbes, faites-les “raidir” à la poêle et mélangez-les avec 100g de beurre aux algues. Réservez au frais.
Taillez la chair d’un citron en brunoise, mélangez-la avec 30 g de jus de citron, 40 g d’eau des huîtres et un peu de vinaigre (de Xérès par exemple). Ajoutez un peu d’échalote hachée, un peu de cébette, les huîtres hachées, sel poivre. Vous avez fabriqué un “tartare d’huîtres”.
Dans chaque tronçon de poireau, déposez des cubes de beurre d’algue, passez au four (200°C). Ajoutez ensuite quatre huîtres par poireau (les mêmes “perles blanches” n°2, ce qui vous fait au total deux douzaines d’huîtres pour 4 personnes). Repassez au four 3 minutes.
Au dernier moment ajoutez une cuillère de tartare auquel vous aurez ajouté 40 g de beurre d’algues fondu, de la ciboulette ciselée et des petits croûtons de pain finement coupés.
Christophe Colomb : ce nom ne vous est pas étranger, forcément. Ce fabuleux aventurier, qui décide contre vents et marées de traverser la “Mer océane” en naviguant vers l’ouest sur la Santa Maria et qui découvre l’Amérique (en fait les Caraïbes) en 1492 en pensant être arrivé aux Indes.
Le bougre ne se contente pas de l’aller-retour : il refait le chemin trois autres fois. Il semble plus à l’aise pour trouver le cap en observant les étoiles que pour administrer les territoires sur lesquels il pose le pied. Il n’a pas non plus un sens de l’observation très développé : au retour de son deuxième voyage, en 1494, il jette par dessus bord les sacs de fèves de cacao que les Amérindiens lui ont offert en cadeau de bienvenue. Il les aurait prises pour des crottes de chèvres ! Il lui faudra un troisième voyage sur l’île de Guanaja, en 1502, pour qu’il prenne conscience des ressources du cacao…
Il faut dire que le “xocoatl“, la boisson qui lui avait été offerte, ressemble plus à une punition ou à un médicament. Le chocolat que nous consommons aujourd’hui a été profondément amélioré depuis que les Mayas ont commencé à cultiver les cacaoyers, en l’an 600 de notre ère. La matière première subit en effet de nombreuses manipulations pour en arriver au chocolat noir à 70% de cacao que les pâtissiers utilisent dans leurs laboratoires.
La fève est fermentée, torréfiée, broyée pour former une pâte liquide dont on extrait la matière grasse, le “beurre de cacao“.
Le chocolat est constitué d’un mélange de pâte, de beurre de cacao et de sucre, dans des proportions tenues secrètes par chaque fabricant. A cela on ajoute l’assemblage des crus du chocolat, puisqu’on cultive des fèves dans les régions équatoriales des cinq continents, et qu’il existe des différences sensibles entre les variétés régionales de fèves.
Il y a donc chocolat et chocolat, des variétés plus ou moins nobles et des techniques d’extraction et de fabrication très différentes, à l’image des vins, des cafés…
Aujourd’hui, le cacao est une marchandise éminemment spéculative, objet des mêmes excès que le sucre, les céréales, le soja, l’huile de palme… On produit cinq fois plus de fèves aujourd’hui qu’en 1960, avec les risques inhérents de déforestation et de monoculture. Et la grande majorité des fèves issues des pays équatoriaux est traitée… en Europe !
En couleur chocolat les pays producteurs des 5,7 millions de tonnes annuelles, en rouge la Côte d’Ivoire et le Ghana (60% de la production mondiale)
Vous voulez essayer le “xocoatl” ?
Les Mayas et les Aztèques attribuent à ce breuvage des vertus sacrées et magiques. Il est consommé dans des rituels censés apporter force et énergie, sous l’effigie de Xochiquetzal, déesse aztèque de l’amour et de la beauté.
Xochiquetzal, déesse de la fécondité, patronne du chocolat
Pour une tasse, il vous faut
1 cuillère à soupe de cacao en poudre,
25 cl de liquide (eau si vous voulez jouer les Incas, lait autrement),
¼ de gousse de vanille,
1 pincée de cannelle,
1 pincée de piment rouge (ou 1/8 de piment si votre gosier est habilité),
½ cuillère à café de miel.
Dans une petite casserole versez le liquide, avec le miel, la vanille, la cannelle. Mélangez et portez à ébullition. Laissez reposer hors du feu pendant une vingtaine de minutes. Ajoutez le piment et le cacao et réchauffez à feu très doux.
Filtrez pour ôter les morceaux de vanille et de piment, fouettez la préparation jusqu’à obtenir un mélange bien mousseux.
Cuissot de sanglier, sauce au cacao
Je n’ai pas de sympathie particulière pour les chasseurs, notamment les “viandards” qui privatisent la campagne, les bois et les villages jusqu’à l’heure de l’apéritif. Mais j’entends suffisamment fort les agriculteurs qui se lamentent des dégâts occasionnés par les hardes de sangliers, pour considérer qu’un bon cuissot n’est pas de nature à bouleverser l’équilibre de notre vieille planète.
Faites mariner le cuissot pendant 8 jours dans un mélange “tant pour tant” de vin, de vinaigre et d’eau à la bonne quantité pour tout recouvrir. Ajoutez 500 g de carottes et d’oignons coupés en dés. N’oubliez pas le bouquet garni, une tête d’ail, une cuillère à soupe de grains de genièvre. Remuez la bête et le liquide régulièrement.
Dans une “braisière” aux dimensions adaptées au cuissot, faites dorer sur tous les côtés la pièce de viande avec 100 g de beurre et de saindoux. “Singez” avec 3 bonnes cuillères de farine. Mouillez avec 50% de marinade et 50% d’eau chaude. Ajoutez la garniture aromatique de la marinade et laissez cuire (1 heure pour le 1er kg de viande, ½ h pour le kg suivant. Exemple : votre cuissot pèse 4 kg, la cuisson durera 2 h 30).
Dans une casserole faites bouillir un verre de vinaigre avec deux cuillères à soupe de sucre, un peu de beurre manié (beurre + farine 50-50), 2 verres de bouillon de cuisson de la viande. Laissez bouillir quelques minutes en fouettant, ajoutez 300 g de raisins secs, 1 cuillère à soupe de cacao en poudre. Laissez cuire 15 minutes. Avant de servir, rallongez d’un peu de bouillon et d’une cuillère à soupe de cognac.
Pâtes au cacao
Dans un bol, mettez 360 g de farine, 4 œufs, de l’eau (la quantité dépend beaucoup de l’humidité contenue dans la farine et celle de la pièce, disons ½ verre) et 40 g de cacao. Pétrissez jusqu’à ce que le mélange soit homogène. Laissez reposer la pâte au moins une heure, enveloppée dans un torchon.
Etalez ensuite la pâte au rouleau (1mm) et découpez des lamelles (tagliatelles) que vous posez sur un torchon fariné.
Dans une casserole, versez l’équivalent d’un verre de lait, dans lequel vous faites fondre 200 g de gorgonzola. Ajoutez des noix en poudre, sel et poivre.
Faites cuire les tagliatelles dans de l’eau salée pendant 10 minutes. Ajoutez la sauce.
La mousse de Paul Bocuse
La mousse au chocolat est emblématique de l’arrivée du chocolat dans chaque foyer. Depuis Christophe Colomb, le cacao a certes passionné quelques spécialistes, et les tables royales. Mais son essor date de la révolution industrielle et de la construction d’usines de transformation en Europe (Menier en France, Kohler en Suisse, Fry&Sons, Van Houten, puis Nestlé, Lindt, Tobler, Suchard…)
On dit que Monsieur Paul (Bocuse) avait l’habitude de prendre le petit déjeuner régulièrement chez son ami Maurice Bernachon, cours Franklin Roosevelt à Lyon.
Paul, Maurice, le Président, des fèves, des plaques et des truffes
Tous deux étaient suffisamment complices pour qu’en 1975, lorsque Valéry Giscard d’Estaing décore le chef de Collonges-au-Mont–d’Or de la Légion d’Honneur (une première pour un cuisinier depuis Escoffier), les deux compères préparent en secret un gâteau inédit qu’ils emmèneront à l’Elysée : le “Président”, toujours en vente dans la boutique, à côté des éternels “palets d’or” et quelques autres trésors. Le fils de Maurice, Jean-Jacques, intègrera la brigade de Bocuse en 1968 avant de se marier avec Françoise, la fille de Paul. Les enfants du couple sont aujourd’hui aux commandes de la maison Bernachon.
Voici la mousse au chocolat telle qu’on continue de la proposer dans les restaurants et brasseries Bocuse.
Pour 6 ramequins, il vous faut :
5 œufs
130 g de chocolat (70% de cacao)
30 g de beurre
40 g de sucre en poudre
Faire fondre au bain-marie le chocolat cassé en petits morceaux et le beurre à feu très doux en mélangeant à la spatule en maintenant une température maximale de 43°C.
Cassez les œufs et séparez les jaunes des blancs d’œufs.
Montez les blancs d’œufs en neige à l’aide d’un robot jusqu’à ce qu’ils tiennent aux branches du fouet. Incorporez le sucre petit à petit quand les blancs sont fermes et continuez de fouetter. Ajoutez les jaunes d’œufs, puis le chocolat fondu en soulevant très délicatement. Mettez la mousse dans les ramequins et laissez reposer 2 heures minimum au réfrigérateur. Râpez et déposez des copeaux de chocolat sur la mousse.
En 1664, Colbert implante la compagnie des Indes orientales à Saint-Malo, pour développer les échanges avec l’Asie. Les affaires vont et viennent, mais la curiosité des Bretons pour l’Asie et ses saveurs ne s’est jamais démentie depuis.
Jean-Baptiste Colbert
“Les épices sont à la cuisine ce que la ponctuation est à la langue française. Comme la ponctuation révèle les mots, les épices permettent de révéler la face cachée des mets”. C’est Olivier Rœllinger, le magicien de Cancale, à quelques encablures du Mont Saint-Michel et de la cité des corsaires de Saint-Malo qui s’exprime ainsi.
Comme tout Breton qui se respecte, Olivier Rœllinger préfère aux rivières tranquilles les flots changeants, les vents siffleurs et les déferlantes de la grande bleue. Et les courants contraires il a connu !
Lorsqu’il a 14 ans, son père médecin abandonne le foyer. L’adolescent vit avec sa maman dans la maison de Bricourt, une demeure que sa famille avait acheté à des descendants de Surcouf, le corsaire malouin. En 1976, il a 21 ans et il est agressé par cinq inconnus dans les murs de Saint-Malo. Le futur ingénieur des Arts et Métiers est laissé pour mort, les jambes brisées, le crâne fracturé.
Robert Surcouf, Malouin corsaire de Sa majesté
Cloué sur un lit, puis en convalescence pendant deux ans, Olivier aura tout le temps nécessaire pour réfléchir à son avenir. Il reprend surtout goût à la vie dans la cuisine de la maison de Bricourt, aux côtés de sa maman Suzy, de Jane sa compagne et des amis qui viennent leur rendre visite.
Son projet prend corps très vite : ouvrir un restaurant avec Jane dans la “malouinière” d’enfance. En 1982, le restaurant Le Bricourt ouvre, en 1983 création du mélange d’épices Retour des Indes. En 1984, première étoile Michelin, la deuxième en 1988, la troisième en 2006. Entretemps, les Rœllinger ouvrent à Cancale un autre établissement, le Château Richeux, maison d’hôtes et restaurant, une boutique d’épices, et ils ont un enfant, Hugo !
En 2008, Olivier doit rendre son tablier : les séquelles de ses blessures de 1976 ne lui permettent plus d’être opérationnel en cuisine comme il l’imagine. Il reconvertit ses « pianos » en laboratoire de recherche et se consacre pleinement à sa passion pour le poivre en particulier et les épices en général. Les équipes des cuisines s’installent au château Richeux (deux étoiles aujourd’hui), en compagnie de Hugo qui a décidé de s’installer au fourneaux après quelques années dans la marine marchande. Mathilde, deuxième enfant du couple revient dans le giron familial après avoir fréquenté pendant 8 ans le Barreau de Paris.
De Saint-Malo à Phnom Penh
Les Bretons sont entreprenants, surtout lorsqu’il est question de voyages… et d’épices. Et en matière de poivre, le Cambodge est une référence incontournable.
Depuis 2016, le poivre de Kampot, une ville sur la côte du Golfe de Thaïlande, à 150 km de la capitale Phnom Penh, détient le précieux label IGP (indication géographique protégée) décerné par l’Union européenne qui garantit la spécificité d’une zone géographique pour une production agricole. Il existe d’autres poivres de grande qualité dans le monde, mais la reconnaissance d’un cahier des charges spécifique est pour les agriculteurs cambodgiens un solide atout d’avenir (seule IGP pour le poivre aujourd’hui avec le Penja du Cameroun).
Les haut-lieux des grands poivres du monde
Il est encore un peu difficile de trouver ce précieux poivre, mais les producteurs s’organisent pour mettre en place des filières d’exportation performantes.
Ce royaume de 17 millions d’habitants a vécu un XXe siècle tragique avec la guerre du Vietnam voisin, la guerre civile qui a fait près de 300 000 morts entre 1967 et 1975, suivie de la dictature du sinistre Pol Pot (près de 2 millions de victimes). Le bilan de ces années d’enfer est loin d’avoir été tiré : seuls cinq anciens responsables khmers rouges ont été jugés, trois ont été condamnés. Le pays se relève à peine de cette épouvantable descente et le PIB par habitant est en-dessous de la moyenne régionale, au même niveau que beaucoup de pays de l’Afrique sub-saharienne.
Le chaos installé par les Khmers rouges a débouché sur une catastrophe humanitaire dont sont victimes en premier lieu les enfants, orphelins ou livrés à eux-mêmes, notoirement peu scolarisés, qui vivent d’expédients, à Phnom Penh notamment. De nombreuses ONG tentent de venir à leur secours et ont créé par exemple “Les restaurants des enfants” qui leur offrent chaque jour plusieurs centaines de repas, accompagnés d’actions pour leur scolarisation, leur accompagnement sanitaire et social…
Il vous faut 1 anis étoilé (Badiane), un peu de noix de muscade
4 cl d’alcool distillé (cognac, calva, whisky…), 125 g de sucre, 10 grains de poivre noir, 3 clous de girofle, ¼ citron, ¼ orange, 2 bâtons de cannelle, 75 cl de vin rouge.
Extrayez les zestes de citron et d’orange. Versez le vin et l’alcool fort dans une casserole et portez le tout à ébullition à feu moyen.
Ajoutez le sucre, les bâtons de cannelle, les clous de girofle, les grains de poivre, les zestes de citron et d’orange.
Râpez un peu de noix de muscade et de gingembre. Laissez mijoter doucement pendant 20 minutes. Filtrez le tout pour enlever les épices.
Servir bien chaud dans des verres ou des tasses transparentes. Ajoutez éventuellement une rondelle d’orange
Faux-filet de bœuf au poivre de Kampot
Procurez-vous 200 g de faux-filet, de la coriandre et de l’oseille fraîches, 1 tige de citronnelle, 10 grains de poivre noir de Kampot concassés, 1 oignon frais, 1 citron vert, un fond de veau, du sel.
Rincez et hachez grossièrement les herbes fraiches et disposez-les sur une assiette, avec des tronçons de citronnelle et des oignons frais ciselés. Concassez le poivre de Kampot au mortier (Olivier Roellinger préconise d’acheter des grains de qualité, en petite quantité. La moyenne des poivres utilisés en cuisine sont entreposés depuis … cinq ans et ont perdu tout leur parfum), coupez en deux le citron vert.
Dans une coupelle, ajoutez une pincée de sel, de sucre, le fond de veau et le poivre. Badigeonnez la viande avec le mélange obtenu, puis faites-la cuire à la poêle. Une fois cuite, laissez-la reposer.
Coupez la viande en grosses tranches, disposez-la sur les herbes fraîches.
Préparez la sauce : dans un bol, ajoutez le jus d’un citron puis 2 cuillères à café de sel, 1 de sucre et 1 de poivre. Mélangez le tout.
Servez la viande avec du riz, du chou sauté et la sauce.
Soupe de pastèque et glace à l’avocat
Coupez une ½ pastèque en quartier, éliminez l’écorce et les graines, coupez la chair en cubes. Passez au blender avec dix grains de poivre noir, un peu de basilic, quelques feuilles de menthe, 3 cuillères à soupe de sirop d’agave et une cuillère à café de piment d’Espelette. Réservez au frais.
Mixez la chair de 2 gros avocats avec 25 cl de crème fraîche épaisse, 20 g de miel de châtaigne. Passez à la sorbetière pendant une trentaine de minutes. Versez ensuite dans un saladier réservé au congélateur.
Dans de petites assiettes creuses, servez la soupe, déposez au centre une boule de glace, surmontée d’une feuille de menthe.
Qu’ils croient ou pas à la vie éternelle, les vivants honorent les morts de cette terre. Nous avons tous besoin de rappeler à notre mémoire celles et ceux que nous avons connus, côtoyés, aimés, et qui sont partis avant nous.
Les morts, nos morts nous aident à nous souvenir que nous ne sommes que de passage et nous éprouvons la nécessité d’accompagner leur mémoire avec dignité. C’est la définition du sacré : nous respectons ce qui nous dépasse.
Et très souvent, nous accompagnons ce goût ou ce besoin du sacré avec des nourritures. Les grandes fêtes religieuses s’accompagnent de traditions gourmandes solides et liquides, quitte parfois à ce qu’elles supplantent ce qu’elles prétendent honorer.
Et n’en déplaise aux traditionalistes de tout poil, l’origine de la fête de la Toussaint n’est pas seulement chrétienne.
La fête de Samaïn
Pour les Celtes d’Irlande, d’Ecosse et du Pays de Galles, la fête de Samaïn marquait le début de l’automne et la nouvelle année. Problème, les Anglo-celtes utilisent un calendrier lunaire qui ne possède pas la régularité de nos habitudes solaires.
Les papes Grégoire III et Grégoire IV (huitième et neuvième siècles) ont décidé de fixer au 1er novembre la fête des saints qui avait lieu après Pâques ou la Pentecôte, à proximité immédiate de cette fête celtique. Et Halloween, quoiqu’on dise, est un héritage de la tradition gaélo-celtique. Le terme est une altération archaïque anglaise pour désigner la “veille de tous les saints” (All Hallows’ Eve)
Jack-o’-Lantern, le héros symbolique d’Halloween, était condamné à errer éternellement dans l’obscurité entre l’enfer et le paradis en s’éclairant d’un tison posé dans un navet. Dans les plaines de Flandres notamment, on utilisait aussi la betterave. Le navet et la betterave ont progressivement été remplacés par la citrouille.
Les émigrants irlandais et écossais fuyant la famine ont introduit la fête d’Halloween aux Etats-Unis et au Canada, d’où elle a inondé la planète à partir de 1920, avec le précieux concours des dessinateurs de BD puis de dessins animés.
Petite virée à travers les sucreries concoctées dans les échoppes d’Europe et d’ailleurs pour le plaisir des plus petits mais pas que…
Les papassini sardes
Papassini à la mode psychédélique
Papassini traditionnels
Dans les ruelles de Cagliari en Sardaigne, les enfants vont de porte en porte et demandent une obole pour les défunts. La tradition veut qu’à cette occasion, les morts reviennent sur terre se mélanger aux vivants et on laisse donc le soir la table prête avec un repas pour les défunts. Ils se régalent paraît-il d’une assiette de papassini et les vivants aussi.
Comme souvent ces recettes de tradition orale ne sont pas gravées dans le marbre et varient suivant les quartiers et les régions. Mais tous ont une forme de losange et contiennent des raisins secs, papassa étant un type de raisin sec très répandu en Italie.
Les anciens regrettent que ces gâteaux traditionnels soient aujourd’hui recouverts d’un glaçage et de petites paillettes psychédéliques.
Pour fabriquer des papassini, il vous faut
250 g de farine
3,5 cl d’huile d’olive
10 cl d’eau tiède
Dans un saladier, mélangez ces ingrédients et formez une boule que vous couvrez et laissez reposer 30 mn à température ambiante.
Pendant ce temps préparez la farce : 250 g de ricotta (fromage blanc italien), 75 g de sucre, le jus d’un ½ citron et un peu de zeste, 1 g de safran, 1 jaune d’œuf et 30 g de farine mélangée à de la poudre à lever, des “papassa” (130 g) réhydratés dans de l’eau, 130 g d’amandes pelées, grillées et hachées et un peu d’extrait d’amande. Laissez reposer pendant 15 mn.
Avec la première pâte, formez les “pardulas“. Etalez-la sur 3 ou 4 mm d’épaisseur, découpez des disques de 10 cm de diamètre à l’emporte-pièce. Sur chaque disque, déposez au centre 2 cuillères à café de farce. Relevez les bords de façon à former un petit panier, pincez les bords pour que chaque gâteau ait la forme d’un soleil. Déposez les gâteaux sur un papier sulfurisé et enfournez à 160°C pendant 30 mn. Laissez refroidir sur une grille.
Le pain des morts de Lombardie
Depuis cette région centrale et riche de la Péninsule, le “pain des morts” a essaimé dans toute la Péninsule. Il est censé nourrir à la fois les vivants et les morts qui viennent rendre visite à cette occasion à leurs successeurs.
Il vous faudra pour cela
6 blancs d’œufs
300 g de sucre
un peu de levure
100 ml de “vino santo”, blanc liquoreux toscan
500 g de biscuits macarons
50 g de cacao en poudre
250 g de farine
120g de raisins secs, autant de figues sèches et d’amandes
cannelle, noix de muscade
Dans un mixeur, réduisez les biscuits puis les amandes et les figues.
Dans un bol, ajoutez à ce mélange le sucre, la farine, le cacao et les épices puis le vin avec les blancs d’œufs, la levure. Terminez par les raisins secs.
Confectionnez des navettes de 100 g et de 1 cm d’épaisseur. Enfournez à 180°C pendant 20 mn, saupoudrez de sucre glace et laissez reposer pendant au moins deux jours.
Les niflettes de Provins
A Provins, on n’a pas attendu qu’Alain Peyrefitte et Christian Jacob soient maires de ce chef-lieu de Seine-et-Marne pour fabriquer des niflettes, vendues par douzaines dans toutes les bonnes pâtisseries au moment de la Toussaint. On raconte qu’au Moyen-Age, elles étaient offertes aux orphelins à la sortie des cimetières, « niflette » venant du bas latin Ne flete ! : Ne pleure pas !
La tour de Belem
Les niflettes sont de petites tartelettes en pâte feuilletées garnies d’une crème délicatement parfumée à la fleur d’oranger. Elles ressemblent furieusement aux “pasteis de Nata” qu’on sert à Lisbonne, près de la magnifique tour manuéline de Belem, à l’embouchure du Tage. Au Portugal comme en Seine-et-Marne on affirme qu’on fabrique ça depuis le Moyen Age et qu’on est donc “les premiers”. Petit avantage pour les Portugais : on sert les “pasteis” toute l’année, pas seulement à la Toussaint
La tresse de Toussaint bavaroise
L’Allerheiligenstriezel est une brioche tressée composée de farine, d’œufs, de levure, de shortening (l’équivalent de la végétaline) ou de beurre, de raisins secs, de lait, de sel et de sucre perlé, d’amandes effilées ou de graines de pavot. Parfois, elle est parfumée au rhum ou au jus de citron ou même aux deux.
Elle est offerte aux filleuls par leurs parrains pour la Toussaint. Dans les anciens cultes funéraires, le deuil s’exprimait par la coupe des cheveux tressés d’une femme.
Les dedos de bruja
ou doigts de sorcière espagnols
En Espagne, on roule une pâte sablée et sucrée à laquelle on a ajouté des amandes en poudre. On forme des cylindres d’une dizaine de centimètres auxquels on donne une forme de doigts ridés. A l’une des extrémités, on colle une amande non émondée avec un peu de gelée de groseille (ou de framboise). On colore le tout au jaune d’œuf et on enfourne (190°C) pour une dizaine de minutes. Il existe une version salée de ces doigts de sorcière, sans sucre, avec de la sauce tomate à la place de la confiture de groseille.
Les huesos de santo
ou os de saints madrilènes
Fabriquez une pâte d’amande avec 100 g d’amandes crues émondées, 80 g de sucre et 40 ml d’eau. Dissolvez le sucre dans l’eau et vous amenez à ébullition. Hors du feu ajoutez lentement les amandes réduites en poudre en pétrissant pour obtenir une pâte bien lisse, un peu collante. Laissez reposer au froid 1 heure au moins. (On ne vous en voudra pas si vous vous procurez de la pâte d’amande toute prête…)
Sur une plaque saupoudrée de sucre glace, formez des carrés de pâte d’amande de 5 cm et 3 mm d’épaisseur, tracez des sillons espacés de 1 cm et formez des petits cylindres autour d’une cuillère de bois.
Faites un sirop avec 100 g de sucre et 50 ml d’eau, portez à ébullition et laissez refroidir ; dans un saladier, battez quatre jaunes d’œufs avant d’ajouter graduellement le sirop refroidi sans cesser de remuer. Faites cuire au bain-marie pendant 20 mn en remuant constamment, jusqu’à obtenir une crème épaisse. Laissez refroidir.
Fourrez les cylindres par leurs deux extrémités avec cette crème refroidie à la poche à douille. Recouvrez de glaçage et laissez sécher sur une grille.
Les “os de saints” peuvent se conserver dans un récipient hermétique
Les Soul Cakes
de Grande Bretagne
Chaque “gâteau de l’âme” représente l’âme d’un défunt. Ils étaient distribués en récompense aux chanteurs (soulers), des enfants et des pauvres qui allaient de porte en porte en chantant des prières pour les morts. Cette tradition est à l’origine de la menace “Trick or Treating” lancée par les enfants.
Ils sont composés de
– 375 g de farine,
– 1 pincée de sel,
– 2 cuillères à café de noix de muscade râpée,
– 2 cuillères à café de mélange 4 épices,
– 185 g de beurre mou,
– 155 g de sucre en poudre,
– 90 g de raisins secs blonds,
– 1 œuf,
– 12 cl de lait.
On rassemble tous les ingrédients pour former une pâte homogène. On forme des petits cercles de 8 cm environ, on trace deux diamètres perpendiculaires. On décore ces diamètres en ajoutant des raisins secs. On enfourne 10 mn à 220°C.
Les cuisiniers des cinq continents cherchent toujours la bonne méthode pour cuire un poisson, une pièce de viande, un fruit, un légume sans détériorer les “jus”, sources de goût et de douceur ?
On peut aussi fabriquer une croûte avec du sel, de l’argile, de la cendre, du goudron… qui va permettre une cuisson douce en préservant les sucs, mais dont on devra ensuite se débarrasser.
Bœuf Wellington
Commençons notre voyage en Angleterre. Arthur Wellesley, duc de Wellington (1769-1852) est un héros définitif dans la mémoire des sujets de Sa Gracieuse Majesté (eh oui Charles, la majesté demeure du sexe féminin, nonobstant l’état civil du souverain). Cet aristocrate qui fut Premier ministre de 1828 à 1830, est surtout … le vainqueur de Napoléon Bonaparte à Waterloo, dans la plaine du Brabant wallon, en juin 1815.
Arthur Wellesley, duc de Wellington
Et ce que les cuisiniers irlandais s’acharnent à baptiser un filet de bœuf en croûte demeure en Angleterre un “bœuf Wellington”. Quant aux Français, même si la statue de Napoléon continue de tourner le dos aux falaises de Douvres à Wimille, près de Boulogne-sur-mer, ils ne rechignent pas à cuisiner et à déguster ce plat typiquement anglais, particulièrement roboratif et dispendieux…
Il faut en premier lieu vous munir d’un magnifique rôti de bœuf dans le filet (1,5 kg), de champignons, sauvages si c’est la saison, de Paris sinon (600 g), de 100 g d’oignons et d’autant d’échalotes.
Vous réalisez une “duxelle” de champignons, hachés, au couteau si possible, au mixer (on n’attend pas que ce soit de la purée…) si vous n’avez pas la patience. Ajoutez le jus d’un demi-citron pour éviter qu’ils s’oxydent, coupez (ou mixez) les oignons et les échalotes et faites-les revenir dans un mélange de beurre et d’huile. Ajoutez les champignons et continuez à cuire jusqu’à ce que la duxelle ait rendu son eau de végétation. Etalez dans un bac que vous recouvrez et mettez au frais après assaisonnement.
Saisissez le rôti sur toutes ses faces. Il s’agit de caraméliser en surface les sucres de la viande brièvement afin d’emprisonner les jus. Laissez refroidir et assaisonnez, en enlevant délicatement la ficelle si c’est le cas.
Sur un papier de cuisson ou un film étalez une dizaine de tranches de jambon de Parme qui doivent très légèrement se chevaucher sans se superposer. Le jambon ne doit pas se substituer au rôti…
Etalez (1 cm) la duxelle bien froide sur ce jambon, à l’aide d’une maryse. Ajoutez sur la duxelle des tranches de truffe noire puis de fines tranches de foie gras. N’oubliez pas d’assaisonner (sel et poivre) et déposez le rôti bien froid. Entourez le rôti avec les tranches de jambon, la duxelle, les truffes et le foie gras. Serrez le tout dans un film plastique (autrefois on aurait utilisé un torchon) et mettez au frais.
Fig 2
Réalisez une pâte feuilletée à cinq tours (ou achetez là chez votre meilleur boulanger). Il en faudra 1kg environ, que vous allez “abaisser” à 5 mm pour obtenir un rectangle de 60×40 cm que vous diviserez en deux rectangles de 30×40 protégés tous deux par du papier sulfurisé et réservés au frais.
A l’aide d’un “rouleau à losange“, vous fabriquez sur l’un des deux morceaux un “tressage” que vous ouvrez délicatement en étirant la pâte. Recouvrez cette tresse de papier sulfurisé et placez-la à nouveau au frais pour raffermissement.
Réalisez 4 ou 5 crêpes de 28 cm de diamètre au beurre (60 g de farine, 3 œufs, 15 cl de lait entier, 1 cuillère à soupe d’eau, 15 g de beurre).
Fig 1
Sortez ensuite le filet que vous badigeonnez de moutarde et que vous enveloppez avec les crêpes bien étalées sur le plan de travail, en évitant les superpositions.
Etalez ensuite le premier feuilletage, doré à l’œuf (1 jaune d’œuf et un peu de crème) sur son contour et enveloppez le rôti dans son appareillage en laissant la soudure des crêpes au-dessus. Collez les deux bords de feuilletage grâce à la dorure, rabattez les bords pour former un paquet soigneusement recouvert de pâte, y compris sur les côtés. Soudez les extrémités à la dorure à l’œuf et éliminez les excédents de pâte feuilletée. Le “paquet” possède son endroit, bien propre et lisse, et son envers, avec les soudures. Retournez le “pain” de feuilletage, dorez-le au pinceau.
Fig 3
Posez-le ensuite sur la pâte feuilletée grillagée, “soudures” au-dessus, de façon à ce que la soudure de la pâte grillagée corresponde à celle de l’envers du rôti. Soudez cette dernière pâte en supprimant les éventuels excès de pâte et les superpositions, retournez enfin le filet sur sa plaque de cuisson recouverte de papier sulfurisé. De nouveau passage au froid.
Précision, cette recette prestigieuse nécessite un peu d’habileté, mais surtout de la patience et du temps, ce qui est souvent le cas de la “bonne” cuisine… Si vous vous mettez en chantier, prévoyez de débuter la veille du service.
Fig 4
Au moment de la cuisson, sortez le filet, passez-le à la dorure, piquez-le avec une sonde de cuisson et enfournez à 210°C. Le filet est cuit quand la sonde indique que la température au cœur atteint 52°C. Le cœur est alors saignant. C’est, je trouve, la cuisson optimale, avec le plaisir d’avoir une viande bien rosée au moment de la découpe. Si vous le préférez très rouge (bleu, dit-on) c’est 48°C. On peut aussi cuire à point (60°C) et même bien cuit (65°C), mais c’est un peu dommage après tout ce cérémonial.
Grand Veneur
Le filet Wellington réclame une sauce à sa mesure. La sauce “Grand veneur” conçue pour accompagner les gros gibiers lors des chasses à courre s’impose !
Taillez deux carottes, deux échalotes et deux oignons en fines lamelles (en paysanne), faites suer l’ensemble au beurre et à l’huile en agitant à la spatule pour éviter qu’ils se colorent, “singez” avec deux cuillères à soupe de farine en continuant à mélanger à la spatule, mouillez avec 50cl de vin rouge et 10 cl de vinaigre de vin rouge et 50 cl de jus de bœuf légèrement caramélisé, confectionné avec des parures de bœuf (des os que vous demanderez à votre boucher).
Portez le tout à ébullition, ajoutez un bouquet garni, assaisonnez et laissez réduire de moitié. Filtrez ensuite ce fumet en pressant à la spatule pour récupérer tout le jus. Ajoutez deux cuillères à soupe de gelée de groseilles, rectifiez l’assaisonnement avec du sel et du piment d’Espelette et au moment de servir faites monter la sauce au beurre, à chaud, avec 100 g d’airelles au naturel.
Pastilla
Au Maghreb, pour les grandes occasions, on sort sa “pastilla“. Comme son nom le laisse entendre, la pastilla est en effet une … importation espagnole.
Il faut pour cela remonter à 711 ap JC et à la conquête de la péninsule ibérique, occupée par les Wisigoths, par l’armée berbère du général Tariq Ibn Ziyad. Cette domination musulmane se poursuivra jusqu’en 1492 (l’année où le Génois Christophe Colomb “découvre” l’Amérique) avec la prise de Grenade par les troupes de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille. Les réfugiés maures auraient emporté dans leurs bagages cette tarte au pigeon et aux amandes.
Des gauche à droite : Tariq Ibn Ziyad, Ferdinand d’Aragon, Isabelle de Castille
Chaque ville du Maghreb prétend détenir la vraie recette de la pastilla sucrée-salée, en fonction des ressources locales.
Pour 6 personnes, il vous faut 3 pigeons de 500 g, que vous allez colorer à la cocotte pendant 10 mn. Vous les retirez et assaisonnez de sel et de poivre.
Désossez les pigeons et émiettez la chair avec les doigts. Dans un bol, mélangez 100 g d’amandes effilées avec 30 g de miel, 5 g de cannelle et 5 cl d’eau de fleur d’oranger.
Dans la cocotte, vous mettez 2 oignons émincés avec un bouquet de coriandre, un bouquet de persil plat, 3 gousses d’ail, le tout haché. Après 5 mn, remettez les pigeons avec un peu de gingembre, de muscade, de safran, de ras el hanout et recouvrez d’eau. Portez à ébullition et laissez cuire à couvert pendant 20 mn à feu doux. Retirez les pigeons, laissez la sauce réduire à feu doux pendant 20 mn puis ajoutez les œufs entiers crus qui vont la faire épaissir.
On peut ensuite faire des portions individuelles ou un seul plat qu’on partagera, comme une tarte. Je préfère la cérémonie du découpage et du partage entre les convives. Dans les deux cas, commencez par disposer dans un cercle de montage de la dimension souhaitée une feuille de brick, fine pâte composée de farine de blé, d’eau et d’huile de tournesol.
Vous pouvez lui préférer la pâte filo, encore plus fine, originaire de Grèce, composée de farine de blé, d’eau et d’amidon de maïs.
Vous beurrez le fond de pâte, vous laissez déborder cette première feuille, puis vous disposez la chair de pigeon. Vous ajoutez un nouveau cercle de brick que vous ajustez à la bonne mesure, recouvrez de la sauce épaissie à l’œuf et remettez à nouveau une feuille de brick. Vous terminez par le mélange d’amandes et de miel et vous repliez la première feuille de brick que vous avez laissé déborder. Vous allez retourner votre gâteau ou vos portions individuelles sur une plaque allant au four, vous cuisez à 200°C pendant 10 minutes.
Au moment de servir, vous saupoudrez très légèrement de sucre glace et vous pouvez décorer à la main ou au pochoir avec de la cannelle en poudre.
Une croûte de sel pour le bar
Bar (Dicentrarchus labrax)
Les hommes utilisent le sel depuis qu’ils essaient de maîtriser leur alimentation. Les premières mines de sel datent de 800 ans avant notre ère. Auparavant on consommait le sel naturellement contenu dans ce qu’on mangeait : certaines plantes, certains animaux, certaines eaux… Mais depuis longtemps on sait qu’une carence en sel peut créer des désordres dans notre organisme, de même qu’un excès de sel est lui aussi dommageable.
A la préhistoire, on exploitait les croûtes naturelles de sel déposées par les embruns. Et les chasseurs ont compris depuis longtemps que les zones riches en sel sont plus giboyeuses.
L’idée de créer une croûte de sel autour d’un aliment pour le cuire à l’étouffée n’est donc pas récente.
Notre consommation quotidienne de sel doit tourner autour de 4 à 6 g par jour, ni plus, ni moins. Pour que la croûte de sel ne sale pas trop ce qu’on veut cuire, on conseille de réserver cette cuisson à des pièces assez grosses et d’adjoindre au gros sel qui va recouvrir la pièce à cuire un mélange de blanc d’œuf et de farine. Et en ce qui concerne le poisson, il est vivement recommandé de lui laisser la peau avant de le recouvrir de sa gangue.
On peut évidemment parfumer cette enveloppe en lui adjoignant par exemple des salicornes, plantes halophytes qui poussent dans les prés salés (sur les prés salés, https://recettesahistoires.com/2022/06/18/mechoui-pre-sale-et-abraham/), recouverts régulièrement par la mer. Enfournez le poisson et sa croûte à une température de 180°C maximum, faute de quoi la carapace de sel va se fissurer et libérer le jus que vous avez essayé de conserver. Comptez une trentaine de minutes pour un bar, 40 pour un gros saumon et 1h30 pour un poulet.
Depuis fort longtemps, les humains ont remarqué que lorsqu’on cuit une pièce de viande avec os, un poisson entier, un fruit, le jus qui s’en échappe a tendance à figer après refroidissement.
Les gelées proviennent de la cuisson d’aliments riches en collagènes, essentiellement la peau, les cartilages, les muscles et les os de porc. Vous l’avez compris, quand vous mangez une côtelette ou une tranche de rôti dans le filet, tous les restes sont recyclés par les équarisseurs, lavés, séchés, traités à l’acide chlorhydrique. On obtient ainsi de la gélatine déshydratée, en plaque ou en poudre, sans goût et sans odeur, qu’on retrouve un peu partout dans les productions culinaires : bonbons, yaourts, et autres desserts lactés, mais aussi dans tous les aliments industriels auxquels on peut apporter texture et épaisseur. 80% de la gélatine française est d’origine porcine, mais on peut aussi utiliser pour cela des os de bovins, de volailles, des arêtes de poissons, privilégiés notamment par les populations qui ne consomment pas de viande porcine. N’en jetons pas plus, je n’ai pas l’intention de jouer les pourfendeurs de l’industrie alimentaire.
Les végétaliens et autres végétariens se rabattent sur les gélifiants d’origine végétale : l’agar-agar issu des algues marines et autres laminaires, ou la pectine contenue dans de nombreux fruits. On me dit dans l’écouteur que les algues marines sont une source de protéines et de santé encore peu ou pas assez utilisée pour l’alimentation humaine.
J’en resterai là sur ces considérations géopolitiques, et je reviens à la mission beaucoup plus noble et importante que je poursuis : vous raconter de belles histoires de cuisine.
Mousse de tomate à froid
Chia, ou sauge d’Espagne
Vous avez de belles tomates issues de votre potager ?
Choisissez-en une bien mûre, bien grosse, pas forcément belle, et passez-la au mixer. Vous obtenez une masse rose, assez appétissante et odorante. Passez-la au tamis muni d’un linge propre. Vous obtenez un beau liquide ambré : la couleur rouge provient essentiellement du “lycopène” contenu dans la peau qui est restée dans votre tamis. Si vous laissez reposer ce liquide un petit moment au frais, vous allez voir se former une fine couche de gélatine à la surface. La pectine contenue dans votre tomate produit son effet.
Vous pouvez maintenant perfectionner la formule : ajoutez une cuillère à soupe de graines de chia que vous aurez fait tremper quelques minutes dans de l’eau, et vous les ajoutez à votre “eau de tomate”. La gélatine naturellement contenue dans les graines va se combiner avec celle de la tomate. Vous obtenez ainsi une “confiture de tomate” à froid, que vous pouvez parfumer et épicer à votre goût, avec quelques feuilles de basilic finement hachées par exemple.
Ferran Adrià
Continuons, mais à présent nous sommes au XXIe siècle : avec un siphon muni d’une ou deux cartouches de protoxyde d’azote (plus connue à présent pour ses usages dévoyés), vous pouvez réaliser un “espuma de tomate” qui vous permettra de réaliser un hors d’œuvre spectaculaire. Vous pouvez par exemple insérer quelques lamelles de poisson fumé dans une verrine, que vous coifferez avec l’espuma, le tout surmonté pourquoi pas de quelques câpres. Vous n’êtes plus très loin des exploits de Ferran Adrià dans son antre de El Bulli, à proximité de Cadaquès et de la maison de Salvador Dalí en Catalogne. Il se dit que El Bulli devrait ouvrir sous forme de musée en juin 2023.
Bille de chou fleur sur espuma de tomate, œufs de hareng
Poursuivons dans cette veine “moléculaire” avec les billes à l’alginate.
Prenez 260 g de chou fleur que vous cuisez dans une casserole d’eau salée. Pendant ce temps, mélangez 320 ml d’eau avec 3 g d’alginate de sodium, proche parent du bicarbonate, fabriqué avec des algues brunes, ou laminaires. Faites bouillir le tout pendant 1 minute, laissez refroidir. Mixez le chou fleur dans la solution d’alginate jusqu’à obtenir une purée fine et lisse.
Vous aurez préparé une solution de chlorure de calcium dans 1,5 l d’eau froide. Je sais, cette chimie est effrayante, mais est-il nécessaire de vous rappeler que le sel fin dont vous parsemez toute votre cuisine est du chlorure de sodium ? (Mon point de vue sur la cuisine dite “moléculaire” : https://recettesahistoires.com/2022/10/05/le-brunch-une-mode-une-solution/)
A l’aide d’une petite cuillère, vous allez prélever de toutes petites boules de purée de chou fleur (les “pros” utilisent une pipette ad-hoc qui permet des billes plus petites) et les faire tomber dans le bain de chlorure froid. Des petites sphères vont se former, que vous allez longuement rincer dans un saladier d’eau froide. Après quelques essais vous déterminerez le temps nécessaire pour que la “sphérification” soit top : une gangue solide, mais une purée encore liquide à l’intérieur.
Chemin faisant, je vous propose une autre idée de hors d’œuvre. Dans une petite soucoupe, vous disposez un peu de confiture de tomate, que vous agrémentez d’une bille de chou fleur, elle-même coiffée de quelques œufs de hareng, ou de lump, ou de caviar si vous en avez les moyens.
Chaud-froid
François-Henri de Montmorency, maréchal de Luxembourg
Transportons nous en 1759. François-Henri de Montmorency-Bouteville, duc de Piney-Luxembourg, comte de Bouteville et comte de Luxe, duc de Piney-Luxembourg, pair de France et maréchal de France, alias le maréchal de Luxembourg, alias le tapissier de Notre-Dame, reçoit dans son château de Montmorency. L’hôte doit sa splendide carte de visite aux services rendus à Louis XIV, notamment au moment de la guerre de Hollande (https://recettesahistoires.com/2022/10/05/le-brunch-une-mode-une-solution/). Dans la soirée, un messager vient demander au maréchal de se rendre sur le champ au Conseil du roi. Il obtempère immédiatement, abandonne ses convives, revient fort tard dans la soirée, et demande qu’on lui serve un seul plat pour son dîner. On lui propose la fricassée de poulet à la crème servie quelques heures plus tôt, qui a évidemment refroidi dans l’intervalle.
Ces morceaux de poulet figés dans la sauce blanche ravissent notre François-Henri, au point que quelques jours plus tard il demande qu’on lui serve à nouveau ce plat chaud refroidi. Le maître d’hôtel souhaite baptiser cette nouveauté le “refroidi”, le maréchal décide qu’on le baptisera “chaud-froid”.
Voici la recette légèrement amendée et améliorée depuis l’époque, avec le concours de Marie-Antoine Carême (1784-1833), autoproclamé le “roi des chefs et le chef des rois”, à qui les cuistots doivent notamment l’invention de la toque.
Marie-Antoine Carême
On prend une belle volaille dans laquelle on découpe les “suprêmes” (les blancs accompagnés du manchon de l’aile et recouverts de leur peau). On met la carcasse à cuire dans un bouillon aromatisé (un pied de veau, carottes, poireaux, épices, laurier, thym) qu’on laisse lentement réduire. On filtre au bout de quelques heures le nectar parfumé, riche en collagène issu du pied de veau et des entrailles de la volaille.
On va s’en servir pour pocher les suprêmes pendant une dizaine de minutes et pour réaliser une “sauce suprême“. Dans une casserole, on fait un “roux blond” avec 90g de beurre et autant de farine, on fouette doucement à feu moyen pendant 5 minutes, sans que l’ensemble ne se colore. On mouille avec 1,5 litre de bouillon filtré bien froid. Grâce au choc thermique entre le roux blond chaud et le bouillon bien froid, on évite les grumeaux. On laisse cuire 15 minutes, on ajoute 30 g de crème fraîche épaisse et on continue à fouetter jusqu’à ce que l’ensemble soit bien homogène. On termine la sauce en lui adjoignant deux jaunes d’œuf et un dé de madère.
Chaud-froid de volaille, tel qu’il était servi sur le paquebot France, du temps de sa splendeur
On trempe les suprêmes dans la sauce avant de les poser sur une grille et de les mettre au froid. On recommence l’opération au moins deux fois. On termine avec une décoration de persil et/ou d’estragon, sur le plat de service. Une fine tranche de truffe sera du plus bel effet, mais attention à ne pas surcharger. Le chaud-froid peut constituer une très belle entrée, sans accompagnement.
Fromage de tête
Poursuivons avec un sacré plat de résistance : le fromage de tête, ou tête pressée, ou “tête fromagée” au Québec, “presskopf” en Alsace, “beultekaze” à Dunkerque, “tête marbrée” en Suisse, “saleson” en Pologne, “tobā” en Roumanie, “zielts” en Russie, “carn de perol” en Catalogne, “head cheese” en Grande Bretagne. Un peu partout, la recette est la même : on cuit pendant de longues heures une tête de porc saumurée, dont on a néanmoins enlevé les yeux et les oreilles, aromatisée avec des baies de genièvre concassées, du thym et du laurier, ou diverses épices locales. Le collagène des os, des cartilages, des peaux offre gracieusement son onctuosité. On désosse ensuite soigneusement le contenu en enlevant les cartilages et on confectionne des terrines qu’on laisse reposer au froid.
Il ne vous a pas échappé qu’à Lyon, et au Palais de l’Elysée à certaines époques, on raffole de la tête de veau servie chaude.
Un peu partout on fait de même avec les têtes de sanglier qui pullulent dans les prairies et les forêts, et on confectionne des “têtes de hure”. Les musulmans cuisinent de leur côté le “bouzellouf” tête de mouton saignée, aromatisée de citron, de laurier et de piment.
Les groseilles de Commercy
Vous avez un poulailler et une grosse patience ?
Il va vous en falloir pour vous débarrasser des pépins de groseille à l’aide d’une plume d’oie, comme on le fait à Commercy (Lorraine) depuis 1344, dit-on. Depuis près de 700 ans, au moment de la récolte, des “épépineuses” (je suis sûr que des “épépineurs” feraient tout aussi bien l’affaire) enlèvent délicatement les tout petits pépins de chaque grain de groseille à l’aide d’une plume d’oie taillée en biseau. Chaque ouvrière traite 2 kg de fruits par jour. Ceux-ci sont ensuite jetés dans un sirop de sucre brûlant. On obtient ainsi la “confiture la plus chère du monde” (180 euros le kilo à ce jour), mais c’est paraît-il divin.
Je suis sûr que Marcel Proust aurait aimé tartiner une madeleine (de Commercy) de ce succulent et précieux nectar, avant de la tremper dans sa tasse de thé.
Sous-titre pour ne pas perturber le moral : le /bɹʌntʃ/
Une fois n’est pas coutume, je voudrais vous entretenir aujourd’hui d’une tradition culinaire que nous avons importée des Etats-Unis, par l’intermédiaire de nos ex-cousins d’Outre-Manche.
C’est un secret de Polichinelle, de la Big Apple à Los Angeles on mange beaucoup et mal, et nous n’avons pas forcément besoin de devenir les émules de l’Oncle Sam, sur ce plan comme sur d’autres…
Mais si un jour vous naviguez dans ces contrées, vous trouverez à toute heure une occasion de vous sustenter, entre le breakfast, le lunch, le dinner, et ce fameux brunch, initialement réservé a priori aux dimanches à lever tardif. Aujourd’hui, dans notre hexagone notamment, le poulet du dimanche tend à céder la place au généreux buffet “all inclusive” du café ou du bistrot plutôt qu’à la table familiale.
Je m’arrêterai pour la circonstance à quelques emblèmes qui me permettront de baguenauder autour de ce refrain.
Œuf Benedict
Oscar Tschirky, maître d’hôtel du Waldorf Astoria
Il semble qu’on doive l’invention de cet œuf à Lemuel Benedict, client régulier de l’hôtel Waldorf Astoria de New York qui souhaitait qu’on lui serve un petit déjeuner roboratif à base de toast grillé, sur lequel on pose une tranche de lard grillé, un œuf poché, le tout nappé de sauce hollandaise. Le maître d’hôtel Oscar Tschirky perfectionne un tout petit peu cette proposition et la met à la carte d’où elle ne sortira plus.
Le toast est à présent un “muffin anglais“, petit pain blanc levé deux fois : on confectionne la pâte avec la farine, la levure, sel, sucre, eau, on laisse doubler de volume dans un endroit tiède, puis on étale, on découpe à l’emporte-pièce des ronds de 7 cm, et on laisse de nouveau gonfler pendant 45 minutes. On enduit ensuite d’huile d’olive, on parsème de semoule, et on fait dorer à la poêle des deux côtés. Ce muffin coupé dans la largeur est recouvert d’une fine tranche de bacon grillé, d’un œuf poché et de sauce hollandaise.
Le simple œuf poché n’a pas fini d’exciter de nombreuses glandes salivaires !
Des générations de cuistots se sont échinées à dégotter la méthode imparable pour proposer un œuf bien blanc et suffisamment ferme qui, lorsqu’on le perce au couteau laisse échapper un jaune onctueux. Au Japon, les “onsen tamago” sont cuits pendant une quinzaine de minutes dans des sources chaudes. En Grèce et en Turquie certaines communautés cuisent les œufs “hamine” pendant six heures dans la braise.
Ils ont tenté de fournir des explications scientifiques au savoir pragmatique des cuisiniers. Ils ont ainsi déterminé que le blanc de l’œuf coagule à 62 °C et le jaune à 68 °C. Pour avoir une cuisson parfaite, il faut donc cuire l’œuf à 64 °C ou 65 °C. Là où l’on faisait confiance à son petit doigt pour déterminer le temps de cuisson idéal, les scientifiques démontrent que si on respecte les 64°C, le temps n’est plus aussi contraignant. On peut aller de 35 à 60 minutes suivant la texture qu’on souhaite obtenir pour le jaune.
A leur corps défendant, This et Goussault ont été accusés de toutes les avanies pour avoir été les “inventeurs” de la “cuisine moléculaire” et de ses excès, comme s’il y avait de la cuisine non moléculaire et comme si la cuisine n’était pas avant tout de la chimie et de la physique avec des protides et des lipides, de l’azote et de l’oxygène, du vide et du plein, du liquide et du solide, et tout le tralala…
Les marchands du temple, ou plutôt les fabricants d’ustensiles de cuisine ont vite repéré les débouchés que ces recherches pouvaient offrir.
Il existe aujourd’hui quantité d’appareils pour assurer une cuisson à basse température. Les pros ont des bains-marie équipés de thermostat. Pour les autres, je propose une technique peu onéreuse : une casserole suffisamment grande et un thermomètre plongeant ! Vous portez à 64°C une quantité d’eau assez importante, pour amortir le choc thermique quand vous mettez les œufs, et vous attendez le temps nécessaire, en surveillant la température du coin de l’œil, suivant la confiance que vous accordez à votre cuisinière électrique ou à gaz.
Louis XIV traverse le Rhin, le 12 juin 1672 au gué de Tolhuis, peinture de Adams Frans Van der Meulen (RijksMuseum d’Amsterdam)
Reste la sauce hollandaise qui ne doit rien à un récent président de la République, mais plutôt à Louis XIV qui, de 1672 à 1678 avait entrepris la guerre de Hollande en compagnie de ses alliés contre la Quadruple alliance. Et les troupes du roi soleil l’emportèrent au traité de Nimègue, confirmant la France dans sa prééminence en Europe.
La sauce hollandaise est élaborée à partir d’une émulsion de jaunes d’œufs à laquelle on rajoute du beurre clarifié et du jus de citron. On monte un sabayon au fouet avec 3 jaunes d’œufs et deux cuillères à soupe d’eau, à feu doux. Quand ce mélange commence à épaissir (on dit qu’il est au ruban) on ajoute progressivement 200g de beurre clarifié (on l’a fait fondre et on a retiré à l’étamine la caséine qui surnage) puis le jus d’un demi-citron. Cette sauce est un grand classique de l’accompagnement des poissons.
Dans un moule à bord haut, chemisé de papier sulfurisé, on tasse des biscuits mixés avec du beurre pommade.
Dans les cantines du Nord ou de Belgique il est de tradition d’utiliser des speculoos réduits en poussière. Les Américains préfèrent les biscuits Graham au goût parfaitement neutre.
Arrêtons nous un instant sur Sylvester Graham, révérend nutritionniste presbytérien. A la fin du XIXe siècle, il recommandait des aliments fades, non épicés et peu gras, comme remède aux « pulsions charnelles » et aux « périls de la débauche », comme la masturbation qui éloignent les hommes du Christ. Ses théories sanitaires influenceront ensuite John Harvey Kellogg, l’inventeur des Corn flakes, ainsi que Henry Parsons Crowell, fondateur de la Quaker Oats company, propriété aujourd’hui de … Pepsi Cola… Et comme chacun sait les quakers désignent des religieux qui avaient (ont ?) l’habitude de se mettre à trembler à l’office pour expier leurs péchés.
Conclusion, si vous ne souhaitez pas que votre pâte de biscuit ait un goût trop prononcé de cannelle, mais que vous répugnez à cautionner le puritanisme anglo-saxon, il vous reste à trouver des biscuits un peu sucrés mais pauvres en goût pour ne pas envahir celui de votre gâteau (galettes bretonnes par exemple), mixés avec du beurre pommade.
Battez 500g de fromage blanc avec 150g de sucre en poudre. Ajoutez 25cl de crème fraîche, 3 œufs, un par un et une gousse de vanille (de la VRAIE vanille, de Madagascar par exemple, ou de la Réunion, des Comores ou de Tahiti…). On la coupe dans le sens de la longueur et on racle l’intérieur au couteau, et on on réutilise les demi-gousses vidées qu’on met dans le bocal de sucre en poudre qui deviendra sucre vanillé.
Versez le tout sur la croûte biscuitée, lissez bien la surface (la croûte ne doit pas déborder), et enfournez à 180°C pour 55 minutes. Laissez au frais pendant 12h au moins avant de servir.
Bloody mary
Et que boit-on à l’heure du brunch ?
Les Européens se contentent du café, du thé ou du chocolat chaud et de jus de fruit. Aux Etats-Unis, on se lève plus tard et on attaque par le sucré, avec des cocktails alcoolisés !
Je vous propose avec toutes les précautions d’usage sur les effets de l’abus de la consommation d’alcool pour votre santé, un bloody mary, qui ferait référence à une légende anglo-saxonne mettant en scène une mère infanticide enterrée vivante, qui se serait arraché les ongles à force de gratter son cercueil. Outre-Manche, c’est le surnom donné à Marie Tudor, reine de la France et de l’Angleterre il y a un certain temps, à cause des persécutions qu’elle mena contre les protestants.
Le Bloody Mary est un cocktail à base de vodka, de jus de tomate, de jus de citron, d’un soupçon de piment, d’une once de sauce Tabasco, d’un nuage de sauce Worcestershire, et de sel de céleri.
N’en déplaise aux localistes et autres locavores de tout poil, je trouve intéressant de m’arrêter le temps d’une chronique sur le riz, qu’on a commencé à cultiver quelque part dans la province du Hunnan (Chine), il y a 10 000 ans, avant qu’il n’apparaisse peu après sur les rives du Gange, de l’autre côté de l’Himalaya. Ca ne pousse pas dans la Beauce, ni sur les collines de l’Artois, mais je suis amoureux des paysages que Oryza sativa (nom savant du plant de riz) engendre, et des précieux grains qu’il permet de récolter.
Fernand Paul Achille Braudel, né le 24 août 1902 à Luméville-en-Ornois (Meuse) et mort le 27 novembre 1985 à Cluses (Haute-Savoie)
L’historien Fernand Braudel s’est beaucoup intéressé à la “civilisation du riz” de l’Asie, en miroir de notre “civilisation du blé” d’Europe (celle qui va de l’Atlantique à l’Oural) et d’Amérique du nord, ainsi que de la “civilisation du maïs” plutôt située en Amérique du Sud. Le blé et le riz se disputent aujourd’hui la suprématie dans l’alimentation humaine, le blé semblant disposer d’un avantage particulièrement appréciable en ces temps de dérèglement climatique : il est beaucoup moins gourmand en eau, même s’il se rattrape avec les tonnes d’engrais et de traitements chimiques qu’on lui balance pour assurer de belles récoltes.
Braudel explique que pour sa part, le riz ne nécessite pas de jachère. La terre ne doit donc pas se reposer, et la culture du riz nécessite moins de force. Un hectare de riz permet de nourrir 6 à 8 personnes, avec essentiellement des moyens humains. Mais cette culture suppose un important réseau de drainage et d’irrigation qui modèle le paysage. L’historien explique ainsi une plus grande permanence de la civilisation asiatique et une plus forte propension à l’immuabilité, ce qui peut être vu comme une force, mais aussi sa faiblesse.
Il existe évidemment une grande variété de riz cultivés, sans compter les riz sauvages qu’on trouve par exemple au Canada.
On distinguera pour faire simple le riz rond et le riz long. Le riz long ne colle pas : basmati, thaï, surinam, il est donc privilégié pour les salades, ou en accompagnement. Plus le grain est rond, plus il a tendance à coller, ce qui est avantageux pour tous ceux qui utilisent des baguettes pour se nourrir…
Le riz cultivé est présent en Europe depuis le XIIIe siècle, en Italie, en Espagne, et en Camargue.
Un sushi au maquereau
Oui, je sais, le sushi n’a rien d’occidental. C’est vraiment un plat emblématique de la “civilisation du riz”. Mais c’est vraiment très bon, et sa seule évocation nous conduit en Asie. Et plutôt que le saumon surexploité dans toutes les mers du monde, généralement élevé dans des conditions pas forcément ragoutantes, je vous propose aujourd’hui le maquereau, particulièrement économique et à la robe tellement seyante…
Commençons par le riz. Les Japonais utilisent bien évidemment un riz rond (“Japonica Oryza sativa”). Il est lavé plusieurs fois avant cuisson pour éliminer un peu d’amidon. Il est cuit dans un cuiseur à riz, espèce de cocotte minute, mais une casserole à fond épais fera tout à fait l’affaire. On démarre à froid, on couvre et on amène lentement à ébullition sans ôter le couvercle. Les Japonais ajoutent un morceau de kombu, une algue séchée qu’on trouve aisément en France. On laisse bouillir 5 minutes et on continue ensuite 10 minutes, à feu très doux, puis on laisse reposer 10 minutes hors du feu, avec le couvercle.
On transfère le riz dans un récipient, en bois de cyprès si vous avez, dans un saladier c’est très bien, avec une spatule en bois et on y ajoute 30 cl d’eau soigneusement dissoute avec 4 cuillères à soupe de vinaigre de riz, 2 cuillères à soupe de sucre, 1/2 cuillère à café de sel pour 300 g de riz sec. On remue délicatement le tout, pour ne pas écraser les grains, mais pour faire retomber aussi rapidement que possible la température. Vous pouvez à présent former une petite quenelle de riz dans la paume de la main et vous mettez les petites rations au frais.
Passons au maquereau
Vous allez utiliser un couteau fin, souple et allongé, qui permettra de lever les filets. Vous incisez derrière l’ouïe entre l’arrière de la tête et la petite nageoire latérale, en faisant attention de ne pas traverser le ventre et les viscères. On retourne le poisson et on fait de même de l’autre côté.
En saisissant la tête du poisson vous cassez l’arête centrale en la tordant vers le bas. Et vous tirez délicatement la tête vers l’avant pour dégager les viscères de la cavité ventrale et retirer le tout.
Vous pouvez maintenant ouvrir le ventre avec la pointe du couteau en passant par l’orifice anal et rincer l’intérieur de la cavité sous un filet d’eau froide. Vous grattez légèrement l’arête centrale pour retirer le sang.
Glissez la lame contre l’arête centrale, en direction de la queue pour lever un premier filet, en plaquant la lame contre l’arête et en l’inclinant vers le bas pour ne pas laisser de chair.
Découpez le filet jusqu’à la queue pour finir de le lever.
Même opération de l’autre côté.
On peut à présent parer et désarêter les filets avec une pince, en passant l’index le long de cette ligne, de la tête vers la queue, pour sentir la présence d’arête et les faire se relever.
Si vous n’avez pas de pince spécifique, vous pouvez inciser la chair de chaque côté de la ligne et en retirer une fine bande contenant les arêtes.
On va disposer les filets sur un plat côté peau et les assaisonner uniformément au sel fin, avec une pointe de sucre, pendant 30 minutes, avant de les éponger et de les recouvrir de vinaigre de riz et d’algue kombu pendant une vingtaine de minutes.
Retirez délicatement la peau transparente située sur les flancs. C’est un peu délicat, il faut la soulever avec un ongle et la décoller de la partie pigmentée de la peau sans enlever les pigments. On peut à présent filmer ces filets, qu’on coupera en tranches et qu’on présentera sur les quenelles de riz, peau à l’extérieur, après avoir mis un tout petit peu de raifort si vous préférez les épices locales ou de wasabi si vous aimez vraiment le piquant, ou les deux, et peut-être aussi un peu de gingembre…
Une salade au riz noir
Le riz venere apporte une saveur de noisette, voire de pain sorti du four qui se marie particulièrement bien avec les fruits de mer ou les crustacés. Les empereurs lui trouvaient des vertus aphrodisiaques, nos contemporains sont un peu dubitatifs dans ce domaine… En tout cas, les Italiens ont bien compris l’intérêt qu’il représentait et le cultivent abondamment dans la plaine du Pô
Il nécessite une cuisson un peu plus longue (25 minutes) que ses congénères blancs, puisque c’est un riz complet : son enveloppe noire colore l’ensemble du grain à la cuisson. Comme dans de nombreuses recettes, et comme pour les sushis, il est recommandé de le rincer après cuisson et de le refroidir rapidement.
Pour l’agrémenter avec des noix de Saint-Jacques, on peut lui adjoindre toutes sortes de végétaux : graines de sésame, dés d’avocats, morceaux de concombre ou de céleri branche, tomates cerises, cacahuètes… à vous de faire preuve d’imagination (et de goût…)
Quant à la Saint-Jacques, il est de bon ton de ne consommer que le blanc (muscle qui permet au coquillage de se déplacer) et de négliger le corail (appareil reproducteur). On peut pourtant utiliser le corail dans toutes sortes de sauces, sauf peut-être dans ce cadre précis de salade de riz noir. La noix, saisie très rapidement à la flamme ou à la poêle pour caraméliser légèrement sa surface, en conservant sa chair nacrée se suffit à elle-même.
Arborio, carnaroli, le territoire du risotto
Les Italiens, surtout ceux du nord de la péninsule, ont autant de risottos que les Français n’ont de fromages. En plus, ils terminent souvent la préparation de leur “rizzottttto” en le saupoudrant de parmesan et/ou de gorgonzola, voire une cuillère de mascarpone.
Mais le principe intangible du risotto ce sont des grains de riz rond qu’on commence par “nacrer” avec un peu de matière grasse et des oignons finement coupés, et qu’on fait ensuite lentement gonfler en ajoutant un peu de vin blanc sec puis un bouillon choisi en fonction des autres éléments qu’on lui ajoutera. Les Italiens sont formels : on reste devant sa casserole durant toute la durée de la cuisson, on remue inlassablement le mélange avec une cuiller en bois et on ajoute du liquide en petites quantités, jusqu’à obtenir la consistance souhaitée : des grains fondants, mais pas trop pâteux, baignant dans un jus qui a pris de la consistance avec l’amidon que le riz a exprimé, mélangé au bouillon, aux produits laitiers et au vin.
Gâteau de riz, la régression assumée
Il existe une infinité de variations autour du riz sucré, notamment en Asie. Que celui qui ne s’est jamais pamé devant une feuille de bananier cachant un peu de riz au lait de coco mélangé avec des dés de mangue me jette la première baie de goji !
Je vous proposerais plus simplement pour le dessert un petit gâteau de riz au lait et à la vanille, sucré mais pas trop, qu’on égouttera et qu’on terminera de cuire dans un moule en céramique dûment caramélisé après avoir ajouté deux œufs battus. Attention, cela peut être brûlant, il est donc recommandé de laisser le petit jouet refroidir loin des regards un bon quart d’heure avant de le déguster. On peut tenter de le démouler, si vous avez trouvé le bon rapport entre le liquide et le solide, et si vous avez soigneusement huilé le récipient avant de l’enduire de caramel. Mais avec une petite cuiller dans le beau moule à gâteau individuel, c’est aussi bon.
Est-ce que les choses ont vraiment changé ? Sous Néron, César et Cicéron, la réussite passait par la politique… et les armes !
Lucullus
Prenons le dossier du jeune Lucullus. Son papa était un honorable fonctionnaire de l’empire. Lucullus n’aura de cesse, avec son frère, de venger son père, accusé de détournement de l’argent public en attaquant l’accusateur. Les deux frères perdent leur procès, mais leur action est finalement considérée comme un acte de “piété filiale” (!).
Elu questeur avant de partir en Asie puis en Afrique, il devient consul. Ses diverses aventures par monts et par vaux lui permettent d’amasser une confortable fortune. Il se fait construire une magnifique demeure à Tusculum, et il est à l’origine des très beaux jardins de la Villa Médicis, où sont logés depuis 1803 les pensionnaires français lauréats des Grands prix de Rome.
La villa Médicis à Rome
Lucullus est avant tout connu pour ses fastes et sa vie dissolue, mais il a depuis longtemps séduit les gastronomes, et de nombreux plats sucrés ou salés sont à son effigie. Attribuons-lui néanmoins un bon point : on lui doit la construction de la première bibliothèque de Rome, avec des galeries et des salles de lecture ouvertes à tous.
On trouve toutes sortes de curiosités dans les recettes attribuées à la table de Lucullus, dont je peux a priori exclure la timbale de macaronis au foie gras, aux morilles et aux truffes : les macaronis et autres spaghettis sont arrivés sur nos tables au XIIIe siècle, en provenance de Chine comme il se doit. Mais les truffes, les morilles et le foie gras excitaient déjà les papilles de l’époque romaine.
Les macaronis de Jean-Louis Nomicos
Le cultissime macaroni au foie gras et aux truffes, le “plat signature” de Jean-Louis Nomicos, aussi simple que luxueux, créé du temps où il officiait à la Grande Cascade dans le bois de Boulogne (1994) est sans doute plus proche de Lucullus qu’il n’y paraît, nonobstant ces fameux macaronis.
Il vous faut pour cela
des macaronis longs (candele ou zite n°19)
du lait pour cuire ces pâtes (2,5 dl qu’on allonge avec de l’eau)
du céleri rave en brunoise
du foie gras entier
de la truffe noire
On fait à peine cuire les macaronis. En général ces gros modules nécessitent 12 minutes de cuisson. Ici, on les sort du mélange lait-eau bouillante au bout de 6 minutes et on les réserve dans un linge humide pour les laisser gonfler.
On a taillé le céleri en fine brunoise, on le fait revenir au beurre, on ajoute ensuite la truffe soigneusement écrasée à la fourchette. On va laisser un moment la truffe et le céleri infuser hors du feu, puis on ajoute le foie gras en petits dés. On laisse l’ensemble reposer pour que tous les parfums interagissent. On met l’appareil de céleri dans une poche à douille et on farcit délicatement les macaronis collés entre eux, détaillés en petits rectangles de cinq macaronis et d’une douzaine de centimètres. On nappe chaque rectangle de crème réduite et on saupoudre de parmesan. On superpose deux ou trois rectangles de macaronis farcis et on passe à la salamandre pendant quelques minutes. On dresse sur une assiette des traits de béchamel et de jus de veau réduit et les macaronis gratinés.
Jean-Louis Nomicos
Après la Grande Cascade, Jean-Louis Nomicos a longtemps cuisiné au restaurant Lasserre, avant d’ouvrir sa propre table, le Nomicos dans le XVIe arrondissement. Il signe également la carte du restaurant Frank, au sein de la Fondation Louis Vuitton (Frank Gehry est l’architecte de ce magnifique bâtiment construit en 2006).
L’omelette au miel, elle, semble bien avoir été à la table de Lucullus
Il vous faut
4 œufs
1,5 cuillère à soupe de farine
un peu de levure qu’on utilisait déjà à l’époque pour le pain
4 cuillères à soupe de miel
On mélange les œufs avec la levure jusqu’à disparition des grumeaux, on ajoute la farine, puis le miel. On met ensuite la préparation au four dans un moule suffisamment grand pendant 15 minutes. Il va normalement doubler de volume. A la sortie du four on l’arrose de miel.
Apicius
Apicius est du même gabarit. Proche du pouvoir, ce millionnaire avait très vite voué son existence aux plaisirs de la table au point de compromettre sa fortune et de finir par se suicider. Il est notamment connu pour avoir organisé une expédition à Alexandrie pour déguster des langoustes…
Apicius adorait le jambon au miel et aux figues dont je ne peux vous priver :
après avoir fait cuire le jambon (entier, de préférence, avec l’os, c’est lui qui transmet le goût…) à l’eau avec beaucoup de figues sèches et trois feuilles de laurier, détachez la couenne, enlevez l’os délicatement et faites des incisions en carrés, que vous remplirez de miel. Enrobez ensuite le jambon d’une pâte de farine et d’huile, lui rendant ainsi une peau. Mettez au four jusqu’à ce que la pâte soit dorée.
Et vous ne résisterez pas aux beignets aux figues. Vous fouettez deux œufs, vous ajoutez 15 cl de lait et 170 g de farine. Vous coupez les figues fraîches en deux après avoir ôté la tige, vous les trempez dans la pâte à beignets que vous avez laissé reposer et vous les plongez dans un bain d’huile frémissante pendant 4 minutes. Vous les égouttez soigneusement et vous les roulez dans du miel liquide.
Langue Lucullus : une fierté valenciennoise
Edmond Laudouard était le chef du restaurant valenciennois le Verdonck. En 1930, un couple de Parisiens lui demande s’il est possible d’améliorer le traditionnel pot au feu à la langue fumée servi traditionnellement à l’occasion de funérailles. Exit donc le pot au feu, il décide d’enrichir la langue fumée d’une mousse composée d’œufs, de Cognac, de graisse de canard et de foie gras. La superposition du foie gras beige et des très fines tranches de langue fumée à cru puis parfumée au court bouillon forme un mille-feuilles alternant le beige et le rose foncé. Cette invention constitue ce qu’on appelle une “tuerie” pour les yeux et le palais. La langue baptisée Lucullus est une fierté valenciennoise en même temps qu’une belle réussite pour deux entreprises locales qui prospèrent.
Savez-vous ce que disait le maire de Reims quand il accueillait un futur roi de France le jour de son sacre à la porte de la cathédrale ?
“Nous vous offrons ce que nous avons de meilleur : nos vins, nos poires et nos cœurs“.
Et à Reims, depuis que le moine Dom Pérignon avait mis au point la deuxième fermentation en 1668, on présentait au monarque, bien évidemment, une coupe de champagne. Cette tradition a concerné Louis XV, Louis XVI, Marie-Louise d’Autriche, et Charles X. Louis XIV avait été sacré au même endroit en 1654 : le champagne était encore en gestation, il n’avait eu droit qu’à un verre de vin.
Mais en ce qui concerne la poire, le jeune Louis XIV était un connaisseur. Une fois installé à Versailles, il avait demandé à Jean-Baptiste La Quintinie, son jardinier, grand spécialiste de la taille des arbres fruitiers, de créer le célèbre potager royal, en asséchant un marécage et en créant un réseau complet d’irrigation couplé aux jardins du château, eux-mêmes alimentés par la folle machine de Marly, souvent en panne…
On y trouve depuis toutes sortes de légumes autour d’un grand bassin, mais aussi 5000 arbres fruitiers taillés en espaliers le long de murs spécialement bâtis à cette intention. Des poiriers et des pommiers, mais aussi des figuiers, dont on récolte jusqu’à 4000 fruits par jour en pleine saison. La poire préférée de Louis XIV est la poire “bon-chrétien d’hiver” qui rassemble il faut le dire toutes sortes de qualités : elle se conserve longtemps, ses dimensions sont imposantes, sa chair est fondante, sucrée et très juteuse et l’arbre offre une bonne résistance aux maladies.
Comme la plupart des fruits et légumes que nous consommons, la poire est un fruit d’importation qui a commencé à être cultivé il y a un bon millier d’années, quelque part en Asie centrale. La pêche a voyagé sur la route de la soie jusqu’en Perse, puis la Grèce et Rome.
Déjà Homère disait de la poire que c’était le “fruit des dieux“.
Au hit-parade des variétés disponibles sur les marchés aujourd’hui : Guyot, Wiliams, mais aussi Beurré-Hardy, Louise Bonne, Comice, Doyenné du Comice, Passe-Crassane, et la dernière née : Angélys, issue des amours contrôlés par la science entre une Doyenné et une Passe-Crassane… La France est le troisième producteur européen, derrière l’Italie et l’Espagne.
La Belle Hélène est un opéra-bouffe de Jacques Offenbach, dont la création au théâtre des Variétés en 1864 a défrayé la chronique.
Jacques Offenbach
Un décret de Napoléon III de janvier 1864 permet en effet aux directeurs de théâtres de d’élargir leur répertoire, de ne plus se cantonner à un seul genre, va engager une libéralisation et donner aux artistes une source infinie de nouvelles ressources. Le théâtre des Variétés, boulevard du Montparnasse, autrefois cantonné dans le vaudeville, peut à présent s’ouvrir au lyrique, et Jacques Offenbach, en conflit avec la direction du théâtre des Bouffes Parisiens, propose à Ludovic Halévy, célèbre librettiste une idée : “Comme les Anglais qui envoient partout des correspondants en temps de guerre, on pourrait peut-être employer ce moyen pour notre Prise de Troie.”
Ludovic Halévy
L’enlèvement d’Hélène par le berger Pâris, origine de la Guerre de Troie, fournit la matière à une parodie des mœurs de la société du Second empire et son goût effréné des plaisirs. La bouffonnerie permet toutes les insolences et le génie mélodique d’Offenbach va faire de ce projet un immense succès, jamais démenti depuis, malgré les renâclements de la censure et les critiques jalouses de certains auteurs, comme Théophile Gauthier.
Très vite, les restaurants des Grands boulevards s’inspirent de ce triomphe pour proposer, qui un tournedos grillé Belle-Hélène, qui des suprêmes de volaille sautés Belle-Hélène, dressés sur des croquettes d’asperges, surmontées d’une lame de truffe.
Auguste Escoffier
En 1864, Auguste Escoffier est employé à l’hôtel Bellevue de Nice. Il rencontre le propriétaire du Petit Moulin rouge, rue d’Antin, près de l’Opéra, qui lui propose le poste de “commis rôtisseur”. Le jeune commis monte à Paris, et entame son ascension vers la gloire, les grandes tables européennes, une notoriété d’envergure, et ses méthodes de management toujours en vigueur dans les cuisines contemporaines. (Pour en savoir plus sur Escoffier, c’est ici : https://recettesahistoires.com/2022/06/24/la-crepe-le-roi-et-suzette/)
Hortense Schneider
Le Petit moulin rouge, qui n’a rien à voir avec le plus connu Moulin rouge du boulevard de Clichy, est situé à proximité du théâtre des Variétés où s’enchaînent les représentations de la Belle Hélène (jouée 197 soirs dans ce théâtre jusqu’en janvier 1866) et de son interprète emblématique, Hortense Schneider. Il est vraisemblable qu’un jour ou l’autre la cantatrice ait fréquenté le restaurant, et que le cuisinier qui avait pris du grade et n’avait pas son pareil pour séduire les élégantes, ait baptisé un dessert qu’il n’avait sans doute pas créé. Mais c’est un coutumier du fait.
La poire Belle-Hélène est dans la mode des plats “chaud et froid” de l’époque : une poire, Williams par exemple (héritière de la “bon chrétien d’hiver”) épluchée et épépinée par le dessous, pochée entière dans un sirop tant pour tant de sucre et eau, refroidie, dressée sur de la glace à la vanille, nappée de chocolat chaud. Quel qu’en soit l’inventeur, la poire Belle Hélène a accompagné le succès de l’opéra-bouffe, avant de le supplanter.
Comme la poire, la pêche est originaire d’Asie. Elle était déjà cultivée en Chine 1000 ans avant notre ère. Elle est présente sur les étals de France et de Navarre et aux Amériques depuis le 15e siècle…
Nellie Melba
La pêche Melba doit son nom à une cantatrice d’origine australienne, Nellie Melba, de son vrai nom Helen Porter Mitchell , venue chanter à Covent Garden en 1894, à l’époque ou l’inévitable Auguste Escoffier était chef de l’hôtel Savoy de Londres. La cantatrice, qui devait résider dans l’hôtel, invite Escoffier à une représentation de Lohengrin, dans laquelle apparaît un cygne. De retour devant ses pianos, le cuisinier crée un dessert pour la remercier : entre les ailes d’un cygne taillé dans un bloc de glace, est enchâssée une timbale d’argent remplie de glace à la vanille, sur laquelle sont posées des pêches pochées à la vanille. Le tout est recouvert d’un coulis de framboises fraîches, et d’un voile de sucre filé. Le dessert fait depuis une très belle carrière, pas seulement dans les palaces, pas toujours très diététique, même si la pêche est réputée soigner les altérations du larynx.
Nellie Melba est l’une des premières cantatrices à avoir fait l’objet d’enregistrements phonographiques. Et dans la série “Downton Abbey”, elle donne un récital privé devant la famille Crawley, ses proches et ses domestiques, sous les traits de la soprano néo-zélandaise Kiri Te Kanawa (l’enregistrement date de 2014, Dame Kiri, âgée en 2022 de 78 ans, a mis fin à sa carrière publique en 2017).
Si à cinquante six balais, tu as une recette de cuisine et une station de métro à ton nom, mais pas de Rolex au poignet, c’est que t’as raté ta vie.
Antoine Parmentier ne coche qu’une case. En 1813, date de sa mort à 56 ans, on connaît déjà les horloges à pendule et les montres à gousset. Mais Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex est encore dans les limbes (la maison naît en 1905)… Quant au métro de Paris, il est inauguré en juillet 1900 !
En revanche le parmentier, gratin de restes de viande recouvert de purée de pomme de terre, il en est bien à l’origine.
Antoine Parmentier par François Dumont (1812)
Ce pharmacien est né à Montdidier en Picardie en 1737. Ses parents lingers ont connu des revers de fortune, et il doit son éducation au curé de la paroisse, qui lui enseigne le latin, passeport indispensable pour devenir apothicaire à l’époque. En 1750, il est commis auprès d’un pharmacien de Montdidier, puis à Paris.
N’ayant pas les moyens d’ouvrir sa propre officine, Antoine décide de s’enrôler dans l’armée.
En 1757, il est pharmacien dans les hôpitaux de l’armée de Hanovre au cours de la “guerre de Sept Ans”, qui oppose, de 1756 à 1763, la France alliée à l’Autriche et la Grande-Bretagne alliée à la Prusse. C’est de fait le premier grand conflit mondial sur notre continent, qui voit notamment l’Empire russe s’allier aux côtés de l’Autriche et le royaume d’Espagne aux côtés de la France. Et à la fin, c’est la Prusse et la Grande-Bretagne qui gagnent… Et ce conflit se poursuivra de manière plus ou moins larvaire jusqu’en 1815 et la bataille de Waterloo, dans le Brabant wallon qui marque la défaite définitive de Napoléon. Je reviendrai un jour sur cette bataille et le fameux bœuf Wellington…
En rouge : Grande Bretagne, Prusse, Portugal et leurs alliés En bleu : France, Espagne, Autriche, Russie et leurs alliés Les étoiles désignent les grandes batailles de la Guerre de Sept ans
En 1774, Parmentier est pensionnaire de Louis XVI à l’Hôtel des Invalides, construit un siècle auparavant pour accueillir les invalides de l’armée. Il a le statut d’apothicaire de cette grande maison, y dispose d’un appartement gratuit et peut se consacrer à ses recherches, en compagnie de sa sœur Marie-Suzanne, qui l’accompagnera toute sa vie.
Pendant la guerre de sept ans, Parmentier, prisonnier en Prusse, a goûté une bouillie de pommes de terre et a décelé les avantages alimentaires de ce tubercule. Les famines de 1769 et 70 le poussent à chercher des alternatives au blé et il met en évidence que l’amidon de la pomme de terre est un précieux substitut aux céréales. Avec d’autres scientifiques il cherche les moyens de fabriquer du pain à la pomme de terre. En 1786, il obtient de pouvoir cultiver une parcelle dans la plaine des Sablons située aujourd’hui à Neuilly-sur-Seine.
Et en août de cette année, il est très fier d’offrir un bouquet de plantes fleuries (celles que je vous offre en ouverture de cette chronique) au Roi, qui s’empresse d’en accrocher une fleur à sa boutonnière ainsi que dans la perruque de Marie-Antoinette, en déclarant “La France vous remerciera un jour d’avoir trouvé le pain des pauvres.” Quel attaché de presse !
Plus qu’un scientifique, Parmentier a été en l’occurrence un extraordinaire directeur du marketing de la pomme de terre, un légume que les Incas cultivaient depuis 8000 ans, introduite en Europe par les conquistadors espagnols. En fait, avec la complicité de la cour, il défait la pomme de terre de son image d’aliment du pauvre.
Il organise ainsi en octobre 1778 un repas de pommes de terre, devant les fours de la boulangerie de l’Hôtel des Invalides pour goûter le fameux pain de pommes de terre, ainsi qu’une série de plats à base de pommes de terre. Assistent à ce repas quelques “people” de l’époque, comme Lavoisier, ou Benjamin Franklin. Parmentier profite de l’occasion pour présenter “Le parfait boulanger ou traité complet sur la fabrication et le commerce du pain“.
Voici le menu servi ce jour-là :
Deux potages dont l’un était une purée du “nouveau légume” et l’autre un bouillon gras dans lequel était coupé en tranches un pain de pommes de terre qui mitonnait assez bien sans trop s’émietter.
Puis venaient comme entrées des pommes de terre en matelote, à la sauce blanche, à la maître d’hôtel et au roux.
Rôti : pommes de terre frites, salades de pommes de terre.
Entremets : beignets et confitures de pommes de terre
Le repas se terminait par un fromage de pommes de terre et un gâteau de fécule.
Et on mangea pendant tout le dîner un pain mêlé de pulpe de pommes de terre et de farine de froment.
Voir plus bas les recettes de pain et de confiture tirées de ce repas
Et puis chacun connaît l’épisode de la garde du champ des Sablons. Pour vaincre les réticences, Parmentier fait garder le champ de la plaine des Sablons par des hommes en armes le jour, mais pas la nuit. La garde du champ augmente la valeur de la culture aux yeux du peuple parisien qui croit qu’il s’agit d’un mets de choix réservé à la table du roi et de la Cour et, la nuit, les vols de tubercules sont aisés. Le peuple parisien en profite donc pour « voler » des tubercules et la consommation se serait alors répandue. La légende a sans doute un peu enjolivé la réalité, mais elle correspond néanmoins au moment où ce “légume du pauvre” prend ses quartiers de noblesse. Il n’est plus simplement bouilli ou cuit sous la cendre et servi avec du lard, mais il accompagne les ragoûts, servi avec du beurre et devient le légume de la cabane et du château. Le hachis parmentier conquiert les campagnes de France et de Navarre, surtout après que Parmentier en ait fait goûter au Roi.
Aujourd’hui la pomme de terre est cultivée dans 150 pays. La France est premier exportateur mondial de pommes de terre et le 2e producteur européen. Et la pomme de terre est la 4e culture vivrière dans le monde, après le blé, le riz et le maïs.
Quant à Parmentier, il ne cessera de poursuivre ses investigations dans toutes les directions de la chimie alimentaire, mais aussi dans celles de l’hygiène et de la médecine. On lui doit ainsi des travaux sur la châtaigne, sur le sucre fabriqué à partir de raisin, puis de betterave. Il échafaude les principes de conservation des aliments par le froid, ainsi que les salaisons, puis les conserves par ébullition. La révolution de 1789 ne ralentit quasiment pas le rythme de ses recherches sur le maïs, l’ergot de seigle, l’opium, la vaccination anti-variolique…
En 1809, il perd sa sœur Marie-Suzanne, et lui-même meurt de phtisie en 1813, honoré, reconnu, mais sans descendance familiale. Trop occupé, il n’avait jamais eu ni femme ni enfant. Il est enterré au cimetière du père Lachaise. Des anonymes viennent régulièrement y déposer des pommes de terre.
La tombe d’Antoine Parmentier au cimetière du père Lachaise. Des anonymes viennent régulièrement y déposer des pommes de terre
Le pain de pomme de terre
Ingrédients :
– 500g de farine de blé
– 400 g de pomme de terre
– levure de boulanger
– 2 œufs
– 1 cc de sel et de sucre
Éplucher les pommes de terre et les cuire (à la vapeur de préférence), écrasez-les encore chaudes.
Dans une terrine mélangez la farine, le sucre, le sel, ajoutez la levure et mélangez.
Ajouter la purée de pomme de terre et bien mélanger.
Incorporer les œufs battus légèrement, le beurre mou et pétrir jusqu’à ce que la pâte soit lisse, légère et un peu élastique.
Formez une boule, que vous couvrez et laissez lever jusqu’à ce qu’elle double de volume.
Dégazez la pâte délicatement, posez-la sur un plan de travail légèrement fariné, et confectionnez des petits pains de votre choix.
Badigeonnez avec un peu d’œuf battu et de lait.
Enfournez à 180°C pour une trentaine de minutes
Confiture de pommes de terre
– 1 bâton de cannelle
– 2 anis étoilés
– 1 gousse de vanille fendue et grattée
– 150 ml d’eau
– 375g de sucre roux
– 500g de pommes de terre pelées et coupées en morceaux
Portez à ébullition les morceaux de pommes de terre dans une casserole d’eau froide non salée, et les faire cuire jusqu’à tendreté. Les égoutter et les réduire en purée très fine.
Dans une bassine à confitures, portez à ébullition le sucre mélangé à 125 ml d’eau avec la cannelle, la vanille et l’anis étoilé. Quand le tout bout, baissez le feu et ajouter la purée de pommes de terre. Poursuivre la cuisson très brièvement en remuant sur feu doux. Hors du feu ôtez le bâton de cannelle, les anis étoilés et la gousse de vanille. Versez dans les pots ébouillantés, refermez-les et retournez-les jusqu’à refroidissement.
Le hachis Parmentier, au-delà des frontières
Chacun connaît la recette française à base de viande de bœuf, accompagnée le cas échéant d’oignon et/ou d’ail, surmontée de purée de pommes de terre agrémentée selon besoins et moyens de beurre et de lait, le tout coiffé de chapelure
Je m’attarderais sur le Shepherd’s pie irlandais qui date de la même époque (1791)
Mais on trouve des variantes tout à fait contemporaines un peu partout dans le monde : le pastel de papa en Argentine ; le pastelón de papa en République dominicaine ; le siniyet batata (littéralement « assiette de pommes de terre »), ou kibbet batata en Palestine, Jordanie, Syrie et Liban ; le pâté chinois au Québec et au Nouveau-Brunswick ; le Kartofel’naya zapekanka (Картофельная запеканка) en Russie ; le bolo de batata au Brésil ; l’empadão au Portugal.
Le Shepherd’s pie
– 25 pommes de terres moyennes
– 1 oignon émincé
– 2 carottes épluchées et coupées en rondelles
– 100 g de petits pois
– 500 g de bœuf
– 1 c. à soupe de farine
– 2 cuillères à soupe de lait
– 1 c. à soupe d’huile d’olive
– 150 ml de bouillon de bœuf
– beurre
– sauce Worcestershire
– persil haché
– gruyère rapé
– chapelure
– sel, poivre
Épluchez les pommes de terre puis faites-les cuire dans une casserole d’eau bouillante. Dès qu’elles sont fondantes, égouttez-les et réduisez-les en purée en y ajoutant le lait, une noix de beurre, du sel, et du poivre.
Faites revenir le bœuf dans une poêle avec un peu d’huile. Ajoutez-y les oignons, les carottes, la farine, les petits pois et le bouillon de bœuf. Laissez mijoter quelques minutes.
Versez dans un plat allant au four la préparation à base de bœuf. Recouvrez ensuite de purée. Parsemez le tout de chapelure et de gruyère.
Enfournez pendant 30 minutes et servez chaud .
Il existe d’ailleurs en Irlande une variante au poisson : le fish pie.
Le sureau n’a pas bonne réputation. C’est bien dommage parce que ce petit arbuste fourmille de précieuses ressources pour la cuisine mais aussi dans la vie quotidienne.
Une flûte de compète
En premier lieu, mon âge me permet encore de me souvenir des flûtes qu’on essayait de fabriquer au cœur de l’été, en ponctionnant quelques branches bien droites, sans tige latérale, d’une vingtaine de centimètres et de l’épaisseur d’un doigt de ce Sambucus nigra (nom latin du sureau, pour faire plus savant). A l’aide d’un fil de fer on évacue patiemment la moelle. Choisissez de préférence une branche à croissance verticale. Ses parois sont plus fines et le canal médullaire est plus important, ce qui facilite la progression d’un beau son limpide.
Avec le canif dont vous vous êtes équipé pour la première opération, vous effectuez une première entaille, à une largeur de doigt de l’extrémité de la branche (fig 1). Et 2 cm plus loin vous effectuez une deuxième entaille de biais en direction de la première entaille (fig 2).
Vous avez dégagé une petite entaille qui laisse apparaître le canal médullaire (fig 3). Vous allez maintenant fabriquer un “biseau” qui va permettre de mettre l’air en vibration. L’idéal est d’utiliser une branche dont le diamètre s’insère dans le canal médullaire. Vous allez aplanir d’un côté, et vous allez insérer cette petite branche, de façon à ce que le plat que vous avez fait vienne affleurer avec le plat de l’entaille précédente, et vous laissez ce morceau dépasser de la flûte (fig 4). Cela vous permettra d’ajuster l’instrument jusqu’à ce qu’il produise un son. Si tout va bien, percez trois petits trous qui vont permettre la modulation du son : si vous bouchez les trous avec les doigts le son sera plus grave, si vous ouvrez tous les trous, il sera plus aïgu (fig 5).
Ce début est certes modeste : trois petits trous correspondent à trois petites notes de musique comme aurait dit Barbara. On peut aussi opter pour la formule “flûte de Pan” : un biseau par flûte mais pas d’autre petit trou et autant de flûtes reliées entre elles que de sons, qui seront modulés uniquement par la longueur de la flûte.
Et on peut aussi tenter de copier la flûte à bec en buis, en érable ou en poirier, à six ou huit trous, mais vous vous embarqueriez dans une sacrée aventure. Je ne vous cacherai pas qu’avant que l’ensemble ne soit mélodieux, un peu de patience et de longueur de temps vont être nécessaires. Mais vous êtes sur la bonne piste. Et puis il est recommandé de laisser l’ensemble sécher tranquillement quelques jours avant de vous produire en concert sur la place du village, histoire d’éviter de vous intoxiquer avec la fameuse “sambunigrine“, alacaloïde toxique que renferme naturellement le sureau. Si vous attrapez une petite diarrhée, c’est normal : c’est l’œuvre de la sambunigrine.
Mais vous allez voir, pour toutes les autres utilisations du sambucus à destination de l’alimentation humaine, il y a une parade très simple : on chauffe les fruits, les feuilles, les fleurs, le jus à 70°C et HOP les toxines s’en vont !
Les animaux, eux, en tout cas ceux qui se délectent du sureau, ne semblent pas trop préoccupés par nos petits soucis digestifs. Toutes sortes de passereaux se régalent dans ces buissons : fauvette, rouge-gorge, grive, … Et de nombreux insectes y pullulent comme les coccinelles, et des papillons nocturnes et diurnes. Il a même un papillon nocturne spécifique qui ne vit que dans cet arbuste, la phalène du sureau.
La phalène du sureau
Le sureau est très précieux pour les jardiniers. S’il pousse à proximité de la parcelle que vous essayez de faire fructifier, c’est très bon signe ! Le sureau est en effet une plante nitrophile. Il adore l’azote contenu dans le sol ! Et un terrain correctement azoté c’est l’assurance de belles récoltes.
Sambucus nigra
Si en revanche, les grappes de sureau ne pendent pas mais sont dirigées vers le ciel, c’est très mauvais signe. Votre parcelle est en excès d’azote, ou alors vous pratiquez l’agriculture intensive avec des intrants azotés chimiques pas du tout bio, vous compactez le sol avec vos engins sophistiqués et vous polluez les nappes souterraines ! La plante en question n’est pas un sambucus nigra, mais un sambucus ebulus ou sureau yèble. Ce n’est pas un arbuste, mais une herbe qui peut atteindre 1,5 m au maximum et, elle, il ne faut JAMAIS le consommer, même cuite ou archi-cuite, alors que le sureau noir est un arbuste qui conserve ses bois durant l’hiver, et peut mesurer jusqu’à 5 m de hauteur.
Sambucus ebulus ou yèble
Le sureau est un des premiers végétaux à produire des feuilles à la sortie de l’hiver, et dès leur apparition elles font le bonheur des chenilles de nombreux papillons. En revanche, elles ont trouvé un subterfuge pour se préserver des humains : elles “puent” dès qu’on les froisse !
Oreille de Judas
On trouve parfois sur les troncs des “Oreilles de Judas“, champignons comestibles qu’on peut déguster en salade ou dans des sauces et des potages auxquels ils donnent de l’onctuosité.
Pierre Hermé et son emblématique Ispahan
Les fleurs, elles, sont bien sous tous rapports : elles sentent très bon, elles font de délicieux beignets, et sont hermaphrodites : pas besoin de s’embêter à trouver un compagnon ou à attendre le bon vouloir d’une abeille… Les arômes de la fleur ressemblent à ceux du litchi ou de la rose, c’est selon. Et ce n’est pas pour rien que Pierre Hermé, superstar de la pâtisserie, rassemble depuis 1997 dans son emblématique gâteau “Ispahan” les saveurs de la rose et du litchi avec la framboise.
Fleurs de sureau
Fin mai, début juin, on peut donc tenter de faire sensation au repas du dimanche avec des beignets de fleurs de sureau
Après récolte, secouez soigneusement les fleurs, en évitant de les laver à l’eau. Comptez deux ou trois ombelles par convive.
Confectionnez une pâte à beignet avec 2 œufs, 100g de farine, 2 cuillers à soupe de fleur de maïs, 1 cuiller à café de levure chimique ou de levure de boulanger, si votre boulanger en utilise encore. S’il fait son levain lui-même, c’est fini. Mélangez le tout avant d’ajouter ¼ de litre d’eau gazeuse, un peu de bière brune pour conforter vos origines cht’tis, 1 pincée de sel, et un zeste de citron râpé. Laissez reposer une ½ heure. Vous pouvez ensuite tremper les fleurs dans cette pâte en les tenant par la tige, et les frire à 180°C pendant quelques secondes.
Vous pouvez aussi réaliser un délicieux sirop de fleurs de sureau qui se conservera longtemps.
Il vous faut une dizaine d’ombelles, ½ litre d’eau, 600g de sucre, 2 citrons bio pour pouvoir utiliser le zeste
Débarrassez-vous des mouches et autres vers qui aiment s’y abriter, et placez-les dans un récipient, en ne conservant que les fleurs et en supprimant les tiges. Ajoutez un citron coupé en rondelles (avec le zeste bien sûr). Versez votre ½ litre d’eau bouillante et laissez macérer le tout pendant 48 heures. Filtrez ensuite cette macération et versez-la dans une casserole avec un jus de citron sans la pulpe et le sucre. Faites bouillir en écumant régulièrement jusqu’à ce le sucre soit complètement dissous. Versez ce sirop brûlant dans une bouteille soigneusement ébouillantée. Fermez et tenez au frais après refroidissement. Vous pourrez ensuite contenter petits et grands avec de l’eau plate ou gazeuse. En remplaçant l’eau par de l’eau de vie, vous obtiendrez de la liqueur de sureau dont il est question un peu plus bas.
Quant à la confiture de baie de sureau, on la fabrique à partir de la mi-août (un peu plus tôt les années de canicule…).
On commence par égrener les baies avec une fourchette de manière à obtenir 1 kg de baies. On va ensuite les broyer au moulin à légumes (manuel de préférence, on fait de la confiture pas de la purée !) et les laisser dégorger dans une bassine (en cuivre de préférence, c’est plus chic, mais le verre ou l’inox feront l’affaire) avec 1 kg de sucre pendant 24 heures. C’est souvent le cas en pâtisserie et en cuisine, on pratique le “tant pour tant” : même quantité de fruit que de sucre. Si vous n’avez pas suffisamment de fruits, dosez le sucre en conséquence.
Le lendemain, on va cuire la préparation pendant 45 min en écumant régulièrement.
Un peu de pectine, pour épaissir le jus
Souvent, la confiture de sureau est un peu trop liquide, même si vous poursuivez la cuisson pour en évaporer une partie de liquide. Plutôt de risquer une sur-cuisson, néfaste au goût et au fond de votre casserole, il est préférable d’y ajouter un peu de pectine.
La solution de facilité serait de vous précipiter chez votre épicier et d’y acheter un sachet de pectine en poudre, ou d’agar-agar en provenance d’algues marines, ou pire de gelée animale. Il y a pourtant un moyen très économique et beaucoup plus goûteux pour arriver à vos fins. Dorénavant, quand vous mangez des pommes, des coings, des agrumes, vous mettez de côté les épluchures et autres pépins. Vous les stockez dans un sachet étanche au fond de votre congélateur.
Le moment venu, vous mettez ces précieux déchets dans une cocotte, avec un soupçon d’eau. Portez le tout à ébullition, puis à feu tout doux. Je vous recommande d’installer sur le dessus un papier cuisson troué en son milieu, pour limiter l’évaporation. Régulièrement, vous enlevez ce papier cuisson, et vous remuez lentement. Le fumet qui se dégage va vous mettre en appétit
Au bout de ces deux heures, passez la préparation au chinois, sans presser trop fort, parce que vous souhaitez que le jus soit épais et pas trop dilué. Vous avez votre ration de pectine pour l’hiver, que vous pouvez stocker dans des galets en silicone, puis congeler. La compote qui reste après filtrage constituera un excellent dessert.
Le wedding cake de Meghan et Harry
Les Anglais disent parfois qu’il ne faut surtout pas parler de la cuisine anglaise à table ! Ils ont pourtant été séduits par les fastes du mariage du prince Harry avec Meghan Markle en mai 2018.
J’éviterai d’entrer dans le détail de de la panacotta de petits pois avec des oeufs de caille et de la verveine servie en entrée aux 600 invités dont la tenniswoman désormais retraitée Serena Williams. Je me contenterai de vous parler des 200 citrons d’Amalfi nécessaires, ainsi que des 500 oeufs bio du Suffolk, des 20 kg de beurre, 20 kg de farine, 20kg de sucre et des 10 bouteilles de Sandringham Elderflower Cordial, une liqueur de sureau qu’on ne trouve qu’au Royaume de sa Majesté (pour la recette de liqueur de sureau, voir plus haut).
Claire Ptak, propriétaire de la Violet Bakery à Hackney à l’est de Londres, a créé ce dessert. Originaire de Californie, la pâtissière avait été interviewée par Meghan Markle pour son blog lifestyle The Tig. Les futurs mariés avaient fait eux-mêmes la demande : “Le Prince Harry et Ms. Markle ont demandé à Claire Ptak de créer un gâteau au citron et à la fleur de sureau pour y instiller toutes les saveurs du printemps. Il est recouvert de crème et décoré de fleurs fraîches“, a écrit Kensington Palace sur Twitter. Le résultat final ? Un gâteau géant décoré de 150 fleurs fraiches.
Un peu partout dans le monde, on consomme ce condiment qui, certes, peut occasionner des flatulences, mais n’a pas d’équivalent pour relever le goût d’une tomate ou d’un légume, d’une viande ou d’un poisson. En plus, cette “amaryllacée” regorge de substances plutôt bénéfiques à notre santé.
La famille des “aulx”, qui se reconnaît à son odeur caractéristique, est assez étendue, et de nombreux terroirs en détiennent une variété spécifique. Elle est cultivée depuis au moins 5000 ans, et on raconte qu’elle a probablement suscité le premier conflit social de l’histoire de l’humanité : les ouvriers égyptiens qui construisaient la pyramide de Cheops auraient cessé le travail pour protester contre la suppression de leur ration d’ail.
Je vous propose une halte sur deux utilisations de l’ail, l’une du nord, l’autre du sud.
A Arleux, près de Douai (Nord), on cultive et on fume l’ail à la tourbe depuis le début du XIXe siècle. La production actuelle, répartie entre 50 petits producteurs, s’élève à 2300 tonnes chaque année, soit 10% de la production française, et depuis 2013, cet ail rose tressé et fumé de manière traditionnelle bénéficie d’une IGP (indication géographique protégée) qui s’étend à 62 petites communes du Nord et du Pas-de-Calais.
Patrick Masclet
Je m’en voudrais de ne pas citer la mémoire de Patrick Masclet, professeur agrégé de génie électrique, maire d’Arleux, conseiller régional, sénateur, président de l’association des maires du Nord, grand humaniste et homme de dialogue trop tôt disparu en 2017, qui a beaucoup œuvré dans l’ombre pour parvenir à l’obtention de ce label européen.
A Arleux, au moment de la Foire à l’ail organisée traditionnellement lors du premier week-end de septembre, on déguste la traditionnelle soupe à l’ail et on repart avec une tresse de 60 ou 90 têtes d’ail fumé qui va embaumer votre voiture puis le local dans lequel vous la remiserez pendant une durée indéterminée…
Pour faire votre soupe il vous faut 2 litres d’eau, 100 grammes d’ail émincé, 500 grammes de pommes de terre épluchées et mises en cubes ; 2 carottes râpées, thym, sel, poivre. Vous faites cuire le tout pendant 30 minutes et vous mixez. Dans l’assiette de service vous positionnez une belle tartine grillée surmontée de fromage râpé, et vous versez la soupe bien chaude.
A 1000 km de là, à Marseille, on utilise l’ail pour préparer l’aïoli (ou aiolli selon que vous pratiquez ou pas la langue provençale). Le mot désigne en fait la sauce qui accompagne le plat et qui se décline ensuite dans une infinité de préparations.
Mortier
Pour fabriquer un aïoli, il faut donc disposer d’un “mortier” si possible en granit, et d’un pilon en buis, même si de nombreuses officines vont tenter de vous convaincre des bienfaits de l’acier inoxydable, de la céramique, du verre, du plastique (!)
Et quitte à faire bondir quelques puristes y compris marseillais, dans la sauce de l’aïoli, il n’y a pas d’œuf ! Même à Marseille, le sujet fait débat, mais il semble bien que l’œuf ne soit pas invité au départ dans la préparation de l’émulsion qui assurera le liant.
Une émulsion est un mélange de deux substances liquides non miscibles, qui implique donc un liquide autre que l’huile pour faire prendre l’aïoli. C’est le rôle de la moutarde dans la traditionnelle mayonnaise.
Certains “spécialistes” marseillais prétendent que le jus d’ail peut jouer ce rôle. D’autres ajoutent la peau de la morue qui est en train de bouillir par ailleurs, d’autres encore ajoutent de la mie de pain, ou quelques pignons de pin, ou quelques gouttes de citron. Certains mêmes vont jusqu’à combiner l’ensemble, y compris un jaune d’œuf et de la moutarde…
C’est à vous de voir, c’est même l’essence de la cuisine !
On sert cette sauce en compagnie de la morue dessalée et bouillie dans une eau parfumée avec un oignon planté de deux clous de girofle, des bulots cuits et/ou des escargots, des calamars ou mieux des supions, des œufs durs, des légumes juste cuits, si possible séparément : haricots verts, petites carottes fanes, artichauts poivrades, fenouil en quartiers, petites courgettes, oignons nouveaux. Ajoutez à cela des quartiers de chou fleur encore craquants.
Dans le mortier versez six gousses d’ail pelées, dégermées et écrasées. Equipez-vous d’un peu de patience et de force dans les poignets, et battez la purée d’ail avant d’ajouter doucement un petit filet d’huile d’olive jusqu’à obtenir la texture souhaitée.
Frédéric Mistral
“Autour d’un bon ailloli, bien monté et odorant et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères ?”
Frédéric Mistral, le chantre de la langue d’oc, prix Nobel de littérature en 1904 (Maillane Bouches du Rhône, 1830-1914)
Morue ou cabillaud ?
Que les choses soient bien claires, le cabillaud et la morue c’est le même poisson. Le premier est frais, originaire des mers froides, le deuxième est le premier séché et salé. La transformation du cabillaud en morue n’est pas aussi vitale qu’auparavant, les bateaux et les techniques de conservation et de congélation ayant beaucoup évolué. Longtemps un peu méprisé, le cabillaud emporte aujourd’hui les faveurs des cuisiniers pour sa palette de goûts et sa bonne tenue à la cuisson. C’est aussi le choix des enfants parce qu’il est dépourvu de petites arêtes. Du coup, il a été surpêché en Atlantique et au Pacifique. Les populations sont en déclin, sauf en mer de Barents, où il est toujours abondant. Mais cette mer qui voit les limites de la glace reculer pour cause de réchauffement climatique, est au centre de bien des appétits. On y trouve des cabillauds, de grosses crevettes délicieuses, mais aussi et surtout du pétrole et du gaz de Norvège… et de Russie.
Attention, le texte qui suit est de nature à provoquer des acidités à l’estomac de quelques âmes sensibles !
Nous entrons en effet dans le vaste territoire des fermentations, des pourritures, des champignons divers et variés, susceptibles de provoquer des hauts le cœur, mais sans lesquels notre palais et nos pupilles seraient bien malheureux.
Même si vous êtes militant d’une ou plusieurs ligues antialcooliques, vous avez forcément eu l’occasion de récupérer un fond de bouteille de vin qui traînait depuis quelques jours au fond d’une cuisine ou d’un garde-manger.
Très rapidement, pour peu que vous ayez soigneusement oublié de mettre un bouchon et de le protéger au réfrigérateur, le breuvage d’origine a changé d’allure. Il devient acide, et si vous prolongez un peu l’expérience, il se forme à la surface du liquide une pellicule peu engageante.
Vous êtes au cœur d’une expérience de chimie passionnante. A la surface du vin, en contact avec l’air ambiant, les bactéries acétiques au-milieu desquelles nous tentons de survivre sont en train de boulotter l’alcool de votre nectar et de le convertir en acide. Et la pellicule gélatineuse qui se forme à la surface du liquide indique que vous avez engendré une “mère de vinaigre”. En fait elle n’est que l’expression du processus de transformation de l’alcool en acide, qu’on appelle en langage savant, donc latin, “mycoderma aceti“, la “peau de l’acide”.
Pour fabriquer du vinaigre, on mélange cet acide obtenu avec de l’alcool dilué (entre 6 et 8% d’alcool) à hauteur de 20% de “mère” et 80% de liquide alcoolisé (bière, cidre, vin blanc ou rouge). On peut aussi utiliser des alcools plus fort, vodka, saké, whisky… qu’on diluera pour parvenir à la bonne teneur alcoolique.
Si vous êtes dépourvu de mère, vous pouvez utiliser un vinaigre non pasteurisé, une mère de kombucha (thé fermenté), ou un peu de levure. Un jus de fruit ne suffit pas, il faut impérativement une dose d’alcool.
Vous mettez ensuite le tout dans un bocal non étanche, recouvert simplement d’un tissu pour éviter qu’il ne se transforme en piège à insectes. Vous pouvez vous procurer un “vinaigrier” en céramique.
Vinaigrier
Et vous l’oubliez un certain temps à l’abri de la lumière et à température ambiante. Vous pouvez régulièrement accélérer la transformation en aérant le liquide, en le brassant, ou même en injectant de l’oxygène…
Il va falloir ensuite laisser le vinaigre vieillir, en bouteille soigneusement fermée, à l’abri de l’air et de la lumière. On peut à ce stade l’aromatiser avec des fruits secs, des fines herbes, du gingembre, des copeaux de chêne…
Le vinaigre a quelques qualités que son grand frère le pinard (pardon le vin) n’a pas. C’est notamment un excellent antibactérien. Je connais quelques cuistots qui arpentent leur piano armés de chiffons imprégnés de vinaigre blanc pour redonner de l’ éclat à l’inox et aux chromes, mais aussi pour se débarrasser des microbes qui aimeraient bien se faire un nid dans cet endroit alléchant. C’est aussi un très bon moyen de perdre du poids par la sensation de satiété qu’il engendre, et une bonne prévention contre le diabète.
L’utilisation du vinaigre ne date pas d’hier. Les Babyloniens y avaient déjà recours pour conserver les aliments, 5000 ans avant JC.
Louis Pasteur
Et plus près de nous, Louis Pasteur publie en 1866 un ouvrage intitulé “Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir” qui établit une bonne part des connaissances scientifiques actuelles sur le sujet, 22 ans avant la découverte du vaccin contre la rage.
L’empereur de Modène
Les vignes de l’Emilie-Romagne produisent du vin. Certes. Mais elles sont surtout réputées pour le vinaigre balsamique qui en est issu, quitte à vexer les Italiens qui préfèrent mettre en valeur le Lambrusco, le Colle di Parma…
Modène : cathédrale di Santa Maria Assunta in cielo e San Geminiano
Le vinaigre balsamique est un vinaigre de vin auquel on adjoint du “moût” de raisin. Il s’agit de jus de raisin bien mûr qu’on fait lentement chauffer pendant 12h, afin de concentrer les sucres. Suivant la qualité, la proportion de moût peut varier de 20 à 90%. Mais l’essentiel de la qualité des bouteilles estampillées réside dans le vieillissement pendant des années dans des barriques de bois. Régulièrement le nectar de plus en plus sirupeux est transvasé dans des tonneaux de plus en plus petits.
Soyons méfiants, on peut trouver dans le commerce des vinaigres dits balsamiques auxquels on a adjoint du caramel, pour obtenir la couleur et la texture recherchées. La garantie de qualité réside dans le label DOP, équivalent de notre “appellation d’origine contrôlée” (AOC), ou l’indication géographique protégée (IGP) qui est une norme européenne. A priori, plus c’est vieux, et plus le mélange d’origine est riche en moût, meilleur c’est.
Le prince de Jerez
Jerez : monastère de la Cartuja
Dans le sud de l’Andalousie, on ne jure que par le vinaigre de Xeres issu de la fermentation de vins doux (cépages Palomino, Muscat, Ximenez) qu’on laisse vieillir longuement dans des fûts de chêne ayant auparavant accueilli du vin de Xeres.
Des recettes qui virent à l’aigre
Le vin est présent en cuisine depuis toujours, ou presque, le vinaigre, proche cousin du vin n’est pas en reste.
Il a même une irrésistible allégorie au cinéma. Claude Chabrol, gourmand patenté, attachait une grande importance aux régions dans lesquelles il implantait ses caméras, et aux menus des “catering” qu’il allait proposer à ses équipes de tournage. Son “Poulet au vinaigre“(1985) en est l’illustration coupable, mais tellement savoureuse
Le canard à la Duchambais
Du côté de Saint-Pourçain-sur-Sioule, commune de l’Allier, on ne sait toujours pas qui était ce Duchambais qui a donné son nom à cette recette de canard emblématique du Bourbonnais. Etait-ce un curé de l’ancien régime, ou un châtelain, l’un et/ou l’autre ayant pactisé(s) avec des soldats autrichiens qui auraient bivouaqué dans la région en 1815, après la défaite de Waterloo ? Je me garderais bien de conclure. Mais la recette, elle, est à peu près définitive.
Pour 4 personnes il vous faut
1 canard, ou 2 cuisses + 2 magrets + le foie de la volaille
10 échalotes
50 cl de vin de Saint-Pourçain rouge, 5 cl de vinaigre, 5 cl de marc de raisin
2 belles cuillères à soupe de crème fraîche épaisse, 80 g de beurre, 1 cuillère à soupe d’huile
1 bouquet garni, 1 pincée de graines de coriandre, sel, poivre
Faites mariner le foie dans le marc
Dans une cocotte, faites dorer dans un mélange d’huile et de beurre (le mélange est consubstantiel du Bourbonnais) les morceaux de canard et les échalotes hachées pendant 10 minutes.
Déglacez au vinaigre, ajoutez le bouquet garni, les grains de coriandre. Mouillez avec le vin, laissez mijoter pendant une heure.
Hachez finement le foie avec son eau de vie.
Réservez ensuite les morceaux de canard, enlevez le bouquet garni.
Faite réduire le mélange restant en récupérant à la cuiller de bois les sucs de cuisson du fond de la casserole. Ajoutez le foie haché avec la crème fraîche sans laisser bouillir. Nappez le canard de cette sauce, servez rapidement.
Le lapin à la Tournaisienne
Le lundi qui suit l’épiphanie, il est de tradition à Tournai d’organiser une fête appelée le lundi perdu ou lundi du parjure. La population était conviée à venir dénoncer en assises populaires les crimes qui avaient échappé aux autorités durant l’année écoulée. Et les notables offraient à la population un repas qui comportait invariablement un lapin, appelé “lapin perdu“. Aujourd’hui, les assises sont parties aux oubliettes, mais le lapin perdu non !
Allez savoir pourquoi ce plat dit traditionnel du nord comporte des pruneaux, pas vraiment d’origine locale. Mais l’origine des fruits séchés est plutôt chinoise qu’agenaise. Et on consomme des pruneaux un peu partout, notamment sur les côtes françaises. Le séchage des prunes et des raisins est bien connu des marins depuis longtemps. La preuve, les Bretons possèdent dans leur patrimoine culinaire un far breton aux pruneaux…
Pour fabriquer un bon lapin à la tournaisienne, il faut commencer par réhydrater les pruneaux dans un bol d’eau chaude.
On fait ensuite dorer dans du beurre les morceaux de lapin “singés” à la farine. On réserve ensuite ces morceaux dorés sur toutes les faces et on remplace par des oignons finement hachés. On remet ensuite les morceaux de lapin et on ajoute 2 cuillères à soupe de cassonade brune, sucre moins raffiné que le sucre blanc, 30 ml de vinaigre de vin, un bouquet garni et deux verres d’eau. N’oubliez pas de saler et poivrer, et laisser mijoter pendant une heure. Ajoutez 250g de pruneaux dénoyautés au bout de 45 minutes.
On peut remplacer les pruneaux par du sirop de Liège, un moût réalisé avec des pommes et des poires, et la bière conviendrait aux ressources locales. C’est pour le coup complètement local, et absolument délicieux, mais le plat qui en résulte ne peut revendiquer d’être un lapin à la Tournaisienne !
“Cicer arietinum” n’a pas fini de nous ménager des surprises.
Derrière ce nom savant se cache le pois chiche, et cette légumineuse méditerranéenne est une sacrée vedette.
Cette star de la cuisine orientale, riche en protéines, en vitamines et en fibres, est d’une culture particulièrement adaptée au climat méditerranéen, et supporte des stress hydriques importants. Et comme tous ses collègues de la famille des légumineuses, le pois chiche est capable de fixer l’azote atmosphérique et ne nécessite donc pas d’apport d’engrais azoté. Sa seule requête : la chaleur. En dessous de 20°C, le lascar végète. Il apprécie les sols pauvres : du sable, des cailloux, mais surtout pas d’argile ni de compost et s’il vous plait, presque pas d’eau !
Le pois chiche a quelques cousins, sa famille compte 18 000 espèces ! Parmi eux, vous connaissez sans doute le soja, qui demeure la principale source de protéine pour l’alimentation animale, comme les trèfles, les féverolles… Et si vous ne consommez personnellement pas ou peu de luzerne ni de sainfoin, vous êtes plus familier des haricots rouges, des lentilles, des cacahuètes, de la réglisse…
Les légumineuses constituent notamment ce qu’on appelle les “engrais verts”. Leur capacité à fixer l’azote leur permet de fertiliser les terres qu’elles occupent et font d’elles des agents essentiels dans la réduction des gaz à effet de serre.
Le pois chiche constitue une excellente source de protéines végétales, il est très riche en fibres végétales, favorise le transit intestinal et préserve la santé cardiovasculaire. D’ailleurs, il est au centre des préoccupations des responsables de notre alimentation : comme le tournesol ou le blé, c’est devenu une plante stratégique, dont une partie était récoltée en Ukraine. Le déficit de l’année devrait atteindre 50 000 tonnes …
Dans les contrées où il est cultivé, et notamment dans tout l’arc méditerranéen, le pois chiche est bien évidemment apprécié pour toutes ses qualités. Et il a été décliné dans de nombreuses recettes.
La chakchouka
Ce plat d’origine berbère est né en Afrique du Nord, du côté de Carthage, d’où elle a gagné tout le Proche Orient. C’est avant tout une compotée d’oignons et de tomates surmontée en fin de préparation d’un œuf qui cuira sur les légumes bouillants, accompagnés d’herbes fraîches (coriandre, menthe…). Mais selon la région où l’on se trouve, on y ajoute des poivrons, des aubergines, des courgettes, et/ou des pois chiches. Et bien entendu on puise dans les ressources des épices locales, pimentées ou non. On peut la déguster froide ou chaude, c’est selon. Et au moment du ramadan on peut la servir le soir avec des petits pains matlouh à la semoule
Le hoummous
C’est un plat d’origine ottomane qu’on retrouve dans tout le Proche Orient, jusqu’en Arménie, depuis le XVe siècle. La recette de base n’a pas beaucoup évolué. C’est une purée de pois chiche mélangée à de la crème de sésame (tahine)
Le couscous
On trouve des couscoussiers dans des sépultures datant du III e siècle avant JC en Numidie, au nord de l’Algérie, berceau de la culture du blé, et dans tout le Maghreb. Les pieds noirs et l’émigration ont contribué à étendre sa zone de prédilection beaucoup plus au nord, et c’est aujourd’hui un des plats préférés des Français.
La semoule de blé est cuite à la vapeur avec un bouillon aromatisé qu’on sert avec un ragoût de légumes et des protéines : viande, poissons, légumineuses. Le pois chiche peut jouer ce rôle, même si nous avons pris l’habitude de consommer simultanément des protéines animales ET végétales. Les savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous sont aujourd’hui inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, comme le bortsch, la calligraphie arabe, la rumba congolaise, ou le gamelan.
Le couscoussier était auparavant une marmite contenant de l’eau sur laquelle on ajustait un plat en terre percé de trous. Aujourd’hui le couscoussier est en métal. Dans la partie inférieure on fait cuire les légumes et les viandes, et on fournit la vapeur parfumée nécessaire à la cuisson de la semoule
Le tajine
Il s’agit avant tout d’un plat de cuisson surmonté d’un couvercle conique en terre cuite vernissée qui permet de fabriquer des ragoûts à l’étouffée. Mais le plat se confond avec la préparation qu’on y mijote.
Et mon petit doigt, encore lui, prétend que de nos jours les tajines sont des pièces de vaisselle souvent très décorées et ouvragées, plutôt des plats de service que des ustensiles de cuisine.
Et on trouve dans les milliers de recettes de tajine de nombreuses utilisations des légumineuses parmi les semoules, les viandes ou les poissons, et aussi souvent des fruits séchés ou confits
La panisse
C’est une galette de farine de pois chiche mélangée avec un peu d’huile d’olive et d’eau, découpée en bâtonnets dans de longs cylindres, frites. Elle est servie en accompagnement d’une salade, ou bien de légumes et ou de viande, et remplace avantageusement les sempiternelles pommes de terre frites.
Elle vient de la Ligurie au nord Ouest de l’Italie et a essaimé au XIXe siècle vers la Provence et tout le sud est de la France. Dans la région de Nice, elle est finement étalée sur une plaque et passée au four. On l’appelle la socca.
Le falafel
C’est une alternative intéressante à l’empereur “hamburger”. On fabrique de petites boulettes de pois chiches et/ou de fèves. On les passe à la friture et on les sert dans du pain pita, petit pain rond qu’on trouve dans tout le Moyen Orient, avec de la sauce piquante et de la crème de sésame
L’aquafaba
C’est officiellement une invention de … 2015. Joël Roessel, informaticien reconverti dans le chant lyrique, adepte des médecines douces et des pratiques végétaliennes, découvre que l’eau de cuisson des pois chiches (90 % d’eau et 10 % de protéines et de fibres) est d’une composition identique à celle du blanc d’œuf.
Joël Rossel (premier plan)
Visiblement, il a beaucoup potassé les bouquins de Hervé This, physico-chimiste, promoteur depuis 1984 de la “cuisine moléculaire”.
expliquant qu’on peut monter en neige l’eau visqueuse des flageolets, comme celle des pois chiches. Cette information est reprise l’année suivante aux Etats-Unis par Goose Wohlt, praticien en “médecine de l’énergie” et “guide shamanique” qui donne un nom à ce liquide : aquafaba.
Goose Wohlt
Tout ceci ne constituerait qu’une anecdote, si tous les “vegans” de la planète ne s’étaient précipités pour monter l’affaire en mayonnaise. C’est vrai, on peut faire faire une meringue, une mousse au chocolat ou aussi une mayonnaise avec le liquide de cuisson des haricots ou des pois chiches, mais rappelons à ce moment que l’usage des pois chiches remonte au moins à trois siècles avant notre ère et qu’il faut donc raison garder : nos ancêtres libanais ou carthaginois ont eu tout loisir de constater que l’eau de cuisson des lentilles et des pois chiches possédait des propriétés intéressantes pour la cuisine et même pour la santé.
Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) n’a pas laissé à la postérité une réputation de bon vivant. C’était avant tout un amoureux des chiffres et de la bonne tenue des finances publiques, ce dont le dispendieux Roi Soleil avait bien besoin.
Colbert par Claude Lefebvre (1666)
Ce n’est visiblement pas lui qui a glissé l’idée d’une recette de merlan à son maître d’hôtel, le discret Nicolas Audiger, dont on dit qu’il aurait aussi ramené à Versailles le petit pois, dont le roi usera et abusera.
Toujours est-il que Colbert a laissé dans son héritage ce fameux merlan Colbert, codifié et modernisé par ce cher Escoffier dont nous avons déjà parlé, puis remis à l’honneur au siècle dernier par Joël Robuchon dans son restaurant de l’époque, le Jamin, (32, rue de Longchamp, près du Trocadéro – aujourd’hui l’Astrance de Pascal Barbot).
Le merlan présente de nombreux avantage : il est peu cher, peu gras, riche en vitamines B3, B12, D, ainsi qu’en protéines, en phosphore ainsi qu’en magnésium et en Oméga 3. Sa chair fine a aussi l’avantage de plaire aux enfants. Et puis il est disponible quasiment toute l’année. En revanche, il possède les inconvénients de ses avantages : il n’aime pas les cuissons trop longues, ni le congélateur !
Il est de tradition de servir le merlan en position dite “en colère”. Au préalable bien entendu, on a vidé la bête, de préférence par les ouïes. On pince sa queue dans ses mandibules de carnassier au moment de le passer à la friture, ce qui permet d’admirer ce qu’on appelle ses “yeux de merlan frit”.
Mais Robuchon, par exemple, préfère soigneusement enlever l’arête centrale à cru, en pratiquant une incision sur le dessus de la bête, et en dégageant précautionneusement les chairs avec un fin couteau bien aiguisé à lame souple (un “couteau d’office”).
Il va ensuite “paner” le poisson, plutôt à l’anglaise, et le passer à la friture rapidement, pour qu’il prenne une belle teinte dorée sans qu’il se délite.
Il peut ensuite l’installer sur l’assiette de service et loger dans la cavité dégagée par l’arête centrale une belle noisette de beurre manié : dans 50g de beurre on ajoute un peu de jus de citron, une cuillère à café de glace de viande, du persil et de l’estragon hachés, du sel, du poivre
Robuchon accompagnait ce poisson de sa fameuse purée dont je ne peux pas ne pas vous révéler les subtilités : pour 1 kg de pommes de terre (lui suggérait les petites rattes du Touquet), compter 250g de beurre (eh oui, c’est un peu comme pour les crêpes de Bocuse, il faut du baaeuuurre !), 7g de gros sel, 25 cl de lait entier.
On cuit les pommes de terre non pelées (elle conserveront ainsi l’amidon qui assure leur suavité) pendant 25 minutes dans de l’eau salée (départ eau froide). Epluchez-les et passez-les au moulin à légumes (svp pas au mixer électrique qui vous fabriquerait de la colle à affiche…). Déposez-les ensuite dans une casserole à feu doux, et mélangez à la cuiller en bois en ajoutant progressivement le beurre, puis le lait complété d’un tout petit peu d’eau bouillante. N’oubliez pas de saler et poivrer à votre convenance.
Autant le merlan apprécie les fonds rocheux, autant la sole est un poisson de fonds sableux, sur lesquels elle peut se rendre invisible en frétillant au-milieu des grains de sable, à proximité des côtes, de préférence aux embouchures de rivières, où elle trouve les vers, les crabes et les crevettes dont elle est friande.
Avec ses deux yeux situés du même côté, et son mode vie rampant, on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement élégante. Elle rallie pourtant tous les suffrages dans l’assiette.
Il existe des myriades de recettes de sole, fourrées, en filet, associées à toutes sortes d’ingrédients.
Je m’attarderai sur deux d’entre elles, parce qu’elles ont… une histoire.
En premier lieu, la sole meunière, la plus simple ou presque.
Marie Quinton, la belle meunière
Une légende prétend qu’à Royat, dans le Puy de Dôme, Marie Quinton, née en 1854, morte en 1933, avait transformé un moulin en restaurant. Elle aurait créé ce plat à l’intention du général Boulanger, venu se réfugier en Auvergne pour tenter de mettre bas sa réputation d'”empereur des amoureux” et retrouver sa maîtresse, la vicomtesse de Bonnemains. Cette belle aubergiste confidente des amants se faisait appeler la “belle meunière”, ceci expliquant cela. Précision, l’auberge de la belle meunière existe toujours, à Royat. D’autres rumeurs affirment qu’il s’agit d’une recette normande. Je préfère pour ma part la première version, les Normands ayant à leur disposition des pelletées de recettes de soles. N’empêche, on trouvait déjà des filets de sole panés à la table de Louis XIV…
Je retiens aussi la sole à la Dugléré.
De 1822 à sa mort en 1884, Adolphe Dugléré est le chef du “Café anglais”, à l’angle du Boulevard des Italiens et de la rue Marivaux, tout près de l’Opéra Comique. A la fin du second Empire, c’était le plus snob et le plus couru des cafés parisiens. La façade ne payait pas de mine, mais on y comptait 22 salons et cabinets particuliers, tous ornés de boiseries d’acajou et de noyer, de miroirs patinés à la feuille d’or. Le Café anglais disparaît peu avant 1914. A son emplacement on trouve aujourd’hui… un café-restaurant, le Gramont.
Adolphe Dugléré
Dugléré n’était sans doute pas personnage commode. Il avait en horreur les fumeurs et les ivrognes. Mais on lui doit surtout quelques recettes qui lui ont survécu : les pommes Anna, le potage Germiny, et la sauce éponyme.
Le poisson est poché sur un lit de tomates concassées, d’oignons, d’échalotes ciselés, de persil haché et du vin blanc. La sauce est obtenue par la réduction du liquide de cuisson monté au beurre, ou à la crème, c’est selon.
Et pour clore cette trilogie, il fallait une recette plus méditerranéenne. Le rouget est dans notre mémoire plutôt un poisson de Méditerranée, même si réchauffement climatique aidant, on en trouve maintenant au large de la Norvège (!) Il se nourrit de petits vers et de crustacé qu’il trouve en farfouillant dans le sol, tête la première avec ses deux barbillons.
Voici une recette de rouget comme on peut la trouver parfois à la carte du Louis XIV, le restaurant emblématique d’Alain Ducasse à Monaco.
Les poissons sont écaillés, vidés et désarêtés par le dos en incisant le long de l’arête centrale et en veillant bien à ne pas désolidariser la tête et la queue. On réserve les foies et les arêtes pour la suite et les rougets à plat au frais sur une plaque filmée
Épluchez, lavez une courgette, une aubergine, deux branches de cardons (des côtes de blettes pour les septentrionaux, mais les cardons c’est meilleur à l’approche de la Méditerranée) et trois gousses d’ail et un oignon. Taillez tout ce petit monde en brunoise (dés de 2 mm de côté).
Mondez (enlever la peau en plongeant pendant quelques secondes dans l’eau bouillante) et épépinez deux belles tomates, avant de tailler également la chair en brunoise. Dans un sautoir, faites revenir tous ces légumes pendant une dizaine de minutes jusqu’à ce qu’ils aient commencé à compoter.
Poêlez également deux tranches de pain de mie dont vous aurez ôté la croûte, taillés eux aussi en brunoise, pendant 2 minutes. Egouttez-les sur un papier absorbant.
Coupez 20g d’olives noires en fins copeaux, ciselez les feuilles de deux branches de basilic. Réservez les branches pour la suite. Écrasez les foies des rougets à la fourchette.
En fin de cuisson de la compotée, ajoutez-y le pain de mie, les olives, le basilic ciselé et les foies. Bien mélanger. Saler et poivrer. Laisser refroidir.
Répartissez la farce ainsi obtenue sur le ventre des rougets. Les refermer. Les ficeler délicatement en trois endroits. Réservez-les au frais.
Jus de bouillabaisse
Epluchez et émincez un demi fenouil que vous allez faire suer à l’huile d’olive dans un petit fait-tout qu’on appelle une “russe” avec un peu d’oignons et de chair de tomate, et une gousse d’ail écrasée pendant 5 minutes.
Ajoutez les arêtes des rougets concassées. Déglacez avec une cuillère à soupe de pastis, et laissez réduire légèrement. Ajoutez ensuite 4 cl de vin blanc, réduire de moitié. Mouiller à hauteur avec de l’eau. Saler légèrement. Cuire pendant 15 à 20 minutes.
Hors du feu, ajoutez une vingtaine de pistils de safran et les tiges de basilic réservées tout à l’heure. Laisser infuser 10 minutes.
Passez le jus au chinois étamine sans fouler de façon à ce qu’il soit clair.
Fleurs de courgettes farcies
Laver délicatement 4 fleurs de courgettes, ôter les pistils, raccourcir la tige. Les déposer au fur et à mesure sur un linge humide. Les réserver au frais.
Prélevez le vert de quatre courgettes et 7 feuilles de menthe que vous hachez au couteau. Dans un sautoir, faites suer ce mélange avec un filet d’huile d’olive et de la fleur de sel pendant 3 minutes. Laisser refroidir.
Avec une petite cuillère, remplir les fleurs de cette farce. Les réserver au frais sur leur linge.
Pommes grenailles
Blanchir pendant 5 minutes 8 pommes de terre grenailles soigneusement grattées et lavées
Présentation
Déposer les rougets farcis dans un plat huilé. Ajouter les fleurs de courgettes farcies et les pommes grenailles. Verser le jus de bouillabaisse.
Enfourner à 210 °C pour 8 minutes. Arroser fréquemment.
Laisser ensuite reposer les rougets pendant 2 minutes sur la porte du four. Les déficeler.
Dans chaque assiette, dresser un rouget, une fleur de courgette et deux pommes grenailles.
Rectifier l’assaisonnement du jus de cuisson, lui ajouter un peu de jus de citron et d’huile d’olive, le verser sur les rougets.
Anglaise, française, milanaise, la panure, ou panelure
La panure à la française consiste à beurrer la pièce à cuire au pinceau (avec du “beurre pommade”) et la recouvrir ensuite de mie de pain fraîche mixée ou de chapelure (pain rassis, biscottes, flocons d’avoine mixés…)
A l’anglaise, on passe d’abord la pièce dans de la farine, puis dans de l’œuf battu additionné d’un tout petit peu d’huile, avant de la rouler dans la chapelure.
A la milanaise on ajoute à la chapelure un tiers de son volume de parmesan râpé
Ducasse-Robuchon : je t’aimais, moi non plus
Longtemps, Alain Ducasse et Joël Robuchon se sont regardés en chiens de faïence, soucieux de parvenir au zénith de la gastronomie française, puis d’y demeurer, ce qui n’est pas simple.
Alain Ducasse
Alain Ducasse est un miraculé. En 1984, ce jeune chef originaire d’Orthez (lui préfère dire qu’il est de Chalosse…), alors âgé de 27 ans, vient d’obtenir ses premières étoiles à la Terrasse de l’Hôtel Juana de Juan-les-Pins. Il survit au crash de son avion de tourisme dans la vallée de la Maurienne. Embarqué avec cinq autres personnes en direction de Courchevel, il est le seul survivant de l’accident et devra se reconstruire pendant un an dans les hôpitaux. Il manque perdre la vue, pense ne jamais remarcher, mais ne perd pas de vue son objectif professionnel : décrocher une troisième étoile, et plus si affinités. C’est de cette époque que date son habitude de diriger les cuisines sans forcément mettre les mains à la pâte, plus manager que maître-queux. Il a l’œil sur tout, la vaisselle, les couverts, les viennoiseries, les apéritifs, la température des plats, et surtout la qualité des personnes dont il s’entoure. Il parviendra à ses fins pour la première fois à 34 ans.
Joël Robuchon
Joël Robuchon est né à Poitiers en 1945, 12 ans avant Alain Ducasse. Son père maçon et sa maman femme de ménage souhaitent simplement pour leur enfant une vie honnête. A 12 ans, Joël entre au petit séminaire de Mauléon. Il voulait entrer dans les ordres, mais découvre la cuisine en aidant les religieuses pour servir la communauté des séminaristes et de leurs professeurs. A 15 ans il devient apprenti chez Robert Auton, à Chasseneuil du Poitou. Il obtiendra pour la première fois sa troisième étoile à 38 ans.
Alain Ducasse a certes perdu un peu de son aura. Il a dû renoncer aux cuisines du Plaza Athénée en 2021, et avait perdu en 2018 l’appel d’offres lancé par la mairie de Paris et la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE) portant des restaurants de la tour : le Jules Verne, restaurant du deuxième étage, la brasserie du premier étage, les différents points de vente à emporter et la partie traiteur pour les réceptions et autres événements ponctuels organisés dans le monument. Sans oublier le restaurant d’entreprise de la SETE qui compte près de 350 salariés. En 2016 le chiffre d’affaires a atteint près de 40 millions d’euros, pour un bénéfice net estimé de 5 millions d’euros. La Sodexo, qui avait misé sur le duo Frédéric Anton-Thierry Marx, a gagné face au “ticket” Elior-Ducasse, titulaire précédent.
Mais rassurez-vous Alain Ducasse n’est pas sur la paille. Il est toujours l’homme du Louis XV à Monaco. Il est installé depuis 1987 par le prince Rainier à l’hôtel de Paris, ce palace endormi. Il y décrochera ses premières “trois étoiles” en 1990, six ans après son terrible accident d’avion ! Il est citoyen monégasque depuis 2008, et continue de gérer un empire sur toute la planète qui comprend des restaurants de tout calibre, des foodtrucks végétariens, des manufactures de café, de chocolat…
Comme par hasard, Robuchon s’était vu confier la gestion d’un restaurant d’hôtel, le Métropole, situé juste en face de l’hôtel de Paris, et Ducasse n’était pas peu fier de succéder à Joël Robuchon en reprenant les fourneaux de son restaurant de l’avenue Poincaré (le Joël Robuchon). C’était pour le Poitevin sa façon de prendre congé et d’officialiser sa retraite de cuisinier en 1995, ce qui ne l’empêchera pas d’être omni-présent à travers ses “Ateliers”, ses émissions de télévision, y compris une chaîne spécialisée, Gourmet TV. Il meurt d’un cancer du pancréas en 2018
A eux deux, Ducasse et Robuchon ont totalisé jusqu’à 50 étoiles, et quelle que soit l’opinion qu’on puisse pouvoir avoir sur la pertinence des classements qui tentent de classer les grandes tables du monde, ni sur la personnalité assez… envahissante des deux personnages, on ne peut que s’incliner devant l’influence qu’ont pu avoir ces chefs caractéristiques de la gastronomie française.
Si d’aventure vos pas vous mènent un jour dans “Big Apple”, le pélerinage par “Katz’s” (205 East Houston Street ) est indispensable. Chaque semaine, ce restaurant spécialisé dans les “delicatessen” sert près de 7 tonnes de pastrami et 4000 hot dogs !
Katz’s : 7 tonnes de pastrami par semaine
Et contrairement à ce qu’imaginent certains voyageurs, le pastrami n’est pas une spécialité des quartiers juifs de NewYork. C’est une invention roumaine. Le verbe roumain «a păstra » signifie conserver. Les paysans yiddish avaient mis au point une technique de saumurage et de fumage qui permettait de conserver la viande tout en l’attendrissant. On retrouve à la frontière arméno-turque des procédés qui ont sans doute inspiré les juifs roumains. Le “Pastirma” turc est un morceau de viande enrobé d’épices séché au soleil.
En Europe de l’Est, on utilisait principalement de la viande d’oie. A la fin du XIXe siècle, les juifs ashkénazes ont émigré en masse de l’Europe centrale vers d’autres pays européens, la Palestine, et beaucoup vers l’Amérique du nord. Les exilés ont adapté leurs traditions à ce qu’ils trouvaient sur place, et l’oie a été remplacée par le bœuf .
Depuis, la viande de base du pastrami est le grumeau de bœuf, ou brisket, partie inférieure de la poitrine. C’est un morceau très persillé, recouvert d’une couche de graisse.
La viande est saumurée (5 jours) avec des épices (oignon, ail, coriandre, laurier, clou de girofle, etc.), puis enrobée d’une croûte d’épices (poivre, coriandre, …) et fumée aux copeaux de hêtre une ou deux heures à basse température. La cuisson lente et longue fera fondre une bonne partie des graisses, tout en préservant les goûts. On laisse ensuite la viande reposer au moins deux jours, avant de la couper en tranches très fines qu’on va déposer en couches successives entre deux tranches de pain de seigle.
On accompagne le pastrami de légumes fermentés : chou blanc, carottes, haricots verts, poivrons, oignons rouges. Tous ces composants sont coupés en fines lamelles et enfermés dans un bocal dans lequel on va les laisser fermenter pendant 5 jours avec des pois chiches, de l’aneth, de l’estragon, de l’eau et du sel (30g/litre).
Vous avez sans doute constaté qu’il n’est pas besoin d’aller aujourd’hui aux confins de l’Europe centrale ni même à New York pour déguster un délicieux sandwich au pastrami, même si, bien évidemment, c’est forcément meilleur sur place.
Un sandwich fabriqué en 1762
Je ne sais pas s’il existe des statistiques sur le plat le plus consommé à l’échelle mondiale, mais assurément, le sandwich doit être dans le “top 10”, devant la blanquette, le couscous, la pizza, le pastrami…
John Montagu, 4e comte de Sandwich, peint en 1783par Sir Thomas Gainsborough
John Montagu était comte de Sandwich, quatrième du nom, à la fin du XVIIIe siècle. Il semble bien qu’il ait donné naissance à ce plat universel, mais les versions divergent sur les circonstances qui l’auraient amené à cette création.
L’une explique que, notamment vers 1762, il occupait des fonctions gouvernementales et passait le plus clair de son temps à son bureau et consommait “sur le pouce”, un peu de pain garni de viande. Il semble bien en effet que dès cette époque, les hommes d’affaires, les diplomates consommaient des aliments froids pour le déjeuner (cf l’assiette anglaise).
Une autre version moins reluisante affirme que Montagu était un joueur invétéré, et que lancé un jour dans une partie de cartes interminable, il demanda qu’on lui apporte deux tranches de pain garnies de viande froide, de concombre et de fromage. On dit même que ce plat revêtait deux qualités essentielles à ses yeux : il n’avait pas besoin de quitter la table de jeu pour s’alimenter et il pouvait conserver les mains propres…
L’heure du thé
Au pays de sa très gracieuse majesté, il est d’usage de faire une pause à 5 heures de l’après-midi pour déguster une tasse de thé. Et Outre-Manche, cette tasse est, en règle générale, accompagnée de quelques menues victuailles, salées et sucrées. J’en retiens deux.
Le sandwich au concombre est une recette traditionnelle, composé de tranches de concombres coupées aussi finement que possible et assaisonnée de sel et de jus de citron, entre deux tranches de pain de mie (pullman loaf) à la texture dense coupées à l’aide d’un couteau à lame large. La lumière doit pouvoir les transpercer. Les tranches sont soigneusement enduites de beurre jusqu’aux bords pour éviter que le pain ne se ramollisse. La croûte du pain est ensuite coupée et le sandwich divisé en triangles.
Et puis le “scone”, petit pain composé de farine, de levure, de sel, d’un peu de sucre et de lait, formé en disques de 5 ou 6 cm de diamètre, sur 2 cm d’épaisseur, enfournés à 220°C pendant 12 à 15 minutes, dégustés à peine sortis du four accompagnés de crème double…
Juillet sans Tour de France, c’est presque comme un mois sans soleil. Certes, c’est devenu depuis sa création en 1903 une gigantesque affiche publicitaire avec tous les excès possibles, mais c’est aussi une course magnifique, avec ses légendes, ses drames, ses héros, une magnifique ballade dans notre pays, des incursions chez nos voisins, et une aubaine pour les télés chargées de le retransmettre. C’est, en audience, le troisième événement sportif mondial, derrière la coupe du monde de football et les Jeux olympiques d’été.
Et puisque dans cet opus, on traite des histoires ET de la cuisine, je vais vous en conter une, liée à une autre course mythique, le Paris Brest Paris. Le Paris-Brest est en effet une pâtisserie créée en même temps que la course, en 1891, pour lui rendre hommage. Pierre Giffard, le directeur du Petit journal, avait compris ce que d’autres ont ensuite appliqué et amplifié : un journal peut susciter de nouveaux lecteurs en créant des événements.
Plusieurs pâtissiers se sont disputés l’invention du gâteau en forme de roue de vélo, dont on a un peu oublié aujourd’hui le lien avec la course. Les différents pâtissiers-créateurs ont tous un point commun : leur échoppe est située sur le parcours originel emprunté par les cyclistes sur leurs drôles de machines. Tout le monde est d’accord sur la base de la composition du gâteau : une couronne en pâte à chou, cuite avec des amandes effilées en surface pour donner du croquant. Après cuisson, on découpe délicatement cette couronne qui doit avoir gonflé, et on fourre avec une crème pralinée.
En 1891 toujours, le Véloce Club Bordelais crée Bordeaux-Paris, autre course mythique de 650 km, dont une partie derrière derny, aujourd’hui passée de mode malgré le doublé Critérium du Dauphiné libéré-Bordeaux Paris dans la foulée réussi en 1965 par Jacques Anquetil.
Le tour de France a, lui, été créé par Henri Desgrange, directeur du journal L’Auto, devenu ensuite l’Equipe. L’organisateur de la course est aujourd’hui ASO, filiale du groupe Amaury éditeur entre autres de l’Equipe, de France Football et du Parisien (anciennement Parisien Libéré). ASO est aussi l’organisateur du Paris-Dakar, de Paris Roubaix, Paris Nice…
Très longues distances, la roue tourne
Le premier vainqueur du Paris-Brest-Paris (PBP) en 1891 s’appelle Charles Terront, qui boucle les 1200 km du parcours en un peu plus de 4 jours, à la moyenne fabuleuse de … 16km/h. Depuis 1931, le Paris-Brest-Paris est devenu une randonnée cyclotouriste, sans classement, organisée tous les 4 ans. La dernière édition a eu lieu en 2019 et a réuni … 6418 participants. 4366 d’entre eux sont arrivés avant le délai fatidique de 90 heures et ont reçu … un splendide diplôme. La prochaine édition aura lieu du 20 au 24 août 2023.
Les courses cyclistes longues distances font encore rêver certains compétiteurs, en dehors des critères et des défauts du cyclisme professionnel. Elles ont même leurs afficionados, qui suivent attentivement ces événements.
Arrêtons nous sur la “Transcontinental race”, la TCR, organisée chaque année depuis 2013, à travers l’Europe. Ici, pas de caravane publicitaire, pas de prime mirobolante, et un parcours en autonomie.
Les concurrents créent et choisissent leur parcours, leurs points de repos, leurs ravitaillements. Ils ne peuvent évidemment pas emprunter les voies interdites au vélo. Ils sont suivis grâce à des balises fixées sur leur monture. Ils ne peuvent recevoir d’aide extérieure. Seule obligation, pointer à quatre “checkpoints” obligatoires disposés sur le parcours, à des lieux stratégiques. Chaque année, ils parcourent environ 4000 km pour atteindre la ligne d’arrivée, fixée cette année à Burgas (Bulgarie) sur la Mer Noire.
Ils s’élanceront le 24 juillet 2022 à 22 heures au pied du mur de Grammont, haut-lieu du Tour des Flandres, qu’ils graviront de nuit.
Fiona Kolbinger
Cette course redoutable, bien qu’amateur, a été remportée en 2019 … par une femme, devant 224 hommes et 40 femmes, en dix jours, deux heures et quarante-huit minutes. Fiona Kolbinger, dans le civil est étudiante en chirurgie au centre hospitalier universitaire de Dresde. Cette année là, elle avait enchaîné la “Transcontinental” avec le PBP qu’elle avait terminé dans les temps impartis ! Et mon petit doigt me signale qu’elle s’entraîne dur pour être présente à l’édition 2022, les deux dernières ayant été annulées pour cause de pandémie.
On pourrait ajouter au moins à cette liste la French Divide, qui traverse la France des chemins gravel du 6 au 21 août 2022, et le Love tour organisé du 10 au 17 juillet par les amis de 200 – toutes les aventures du vélo, une magnifique revue que je ne saurais trop vous recommander…
Splendeur et misère du Petit journal
Poursuivant sur sa lancée, Le Petit Journal organise en 1894 la première compétition automobile de l’histoire, le Paris-Rouen.
Replié à Clermont-Ferrand en juin 1940, le Petit Journal y vivra médiocrement, jusqu’en août 1944, subventionné par le gouvernement de Vichy. Son conseil d’administration est alors présidé par le colonel de La Rocque, père de la sinistre milice des Croix de Feu. Comme tous les titres qui avaient continué de paraître sous l’occupation, le journal est interdit à la Libération.
Conticini, le génie dans la tradition
Philippe Conticini symbolise dans la pâtisserie la grâce et la légèreté, à l’opposé de sa silhouette qu’il parvient difficilement à maîtriser. Il s’attaque très régulièrement aux grands classiques qu’il essaie de revitaliser, en respectant ce qui en fait la force.
Il y a quelques années, il avait redonné toute sa vigueur au Paris-Brest, et tous les apprentis pâtissiers s’échinent depuis à essayer de le copier.
Sa pâte à chou est une pâte à chou : dans un mélange d’eau et de lait (en tant pour tant, 125g), il fait fondre 110g de beurre et ajoute 140g de farine, 1 cuillère à café de sucre et une de sel. Il mélange soigneusement et incorpore ensuite un à un 5 œufs battus, tout en mélangeant (on peut utiliser pour cette opération un batteur à la feuille). On doit obtenir une pâte souple et luisante. Eventuellement ajouter un peu d’œuf battu si la pâte ne se referme pas quand on enfonce l’index.
Plutôt qu’une roue, il forme sur une plaque graissée, une couronne de 8 boules de pâte qui vont se rejoindre à la cuisson. Il s’éloigne certes du pneu de vélo, peu digeste, mais il forme une couronne qui sera beaucoup plus craquante à la dégustation. Et surtout, il ajoute au sommet de chaque boule un “craquelin” de pâte à crumble (40g de beurre pommade, 50g de sucre roux, 50g de farine T45, 1 pincée de sel), qu’il malaxe soigneusement avant de l’étaler finement (2mm) entre deux feuilles de papier sulfurisé et d’y découper 8 disques d’un diamètre légèrement inférieur à celui des choux (4 cm environ). Il colle ensuite ces disques de craquelin sur chaque chou, avant d’enfourner le tout à 170°C pendant 45 minutes. Le résultat sera une couronne d’une légèreté incomparable, surmontée d’une pellicule de pâte délicieusement sucrée et craquante.
Il laisse à présent la couronne refroidir, avant de la découper soigneusement dans l’épaisseur.
Dans chaque boule, il poche un peu de crème pralinée (155 g de lait demi écrémé, 15 g de maïzena, 30 g de sucre semoule, 2 jaunes d’œufs, 1 feuille de gélatine, 80g de pâte de praliné , 60 g de beurre) et ajoute un insert de praliné (pour 500 gr de pâte de praliné, 300 g de noisettes entières brutes, 300 g d’amandes entières brutes, 400 g de sucre semoule, 100 g d’eau, le tout lentement caramélisé et mixé, puis refroidi et mis en poche). Il complète ensuite avec de la crème pralinée, avant de reposer le disque supérieur et son craquelin. Il est impératif de se réserver un temps de repos ensuite, pour que tous les ingrédients soient à température. Et que quand on déguste, l’insert de praline soit fondant au-milieu de la crème pralinée.
Depuis, Philippe Conticini a sans doute écouté les remarques des amoureux du vélo, qui ne se retrouvaient pas dans cette roue inconfortable. Il commercialise à nouveau un Paris-Brest circulaire et lisse, mais on y retrouve ses améliorations géniales.
Je ne sais pas si nos descendants frémiront encore longtemps à la lecture du “Vieil homme et la mer” ou de “Pour qui sonne le glas”, mais ce géant d’Hemingway, né en 1899, mort en 1961 a bercé les nuits et les rêves de bien des enfants du XXe siècle.
Ecrivain, journaliste, il couvre notamment la première guerre mondiale. Il séjournera à Paris de 1921 à 1924 période pendant laquelle il est correspondant du Toronto Star. Il suivra plus tard la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains et revient en Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il se fera notamment remarquer par le général Leclerc qui l’enverra promener quand l’autre prétendait vouloir libérer le bar du Ritz (!)
Ernest Hemingway avait ses habitudes au “Café de Flore”, célèbre repère du boulevard Saint Germain, à côté des “Deux Magots”.