Topinambour et rutabaga : l’oubli et la lumière

Dans la série des légumes oubliés, il y a ceux qu’on a vraiment oubliés, et ceux que nos parents ou nos grands-parents ont été trop contents de ranger au fin fond de leur mémoire. Car je vous parle d’un temps que seules les personnes âgées de 88 ans et plus peuvent connaître…

Transportons-nous  d’abord au temps des Poilus. Durant la Première guerre mondiale, les civils allemands et autrichiens font face à une quasi-famine et doivent leur survie à l’utilisation des topinambours et autres rutabagas qu’ils cuisinent à toutes les sauces, matin, midi et soir. Leurs enfants en font des cauchemars, et voyant arriver les mobilisations du IIIe Reich, intiment à leurs supérieurs de réquisitionner les pommes de terre de tous les pays qu’ils conquièrent. Par contrecoup, nos aïeuls se sont retrouvés à consommer ces racines que les soldats allemands abhorraient…

Aujourd’hui, nouveau pied de nez de l’Histoire : les légumes détestés par tous ceux qui ont vécu l’Occupation reviennent au devant de la scène !

Samuel de Champlain

Le topinambour est aussi appelé artichaut de Jérusalem, ou truffe du Canada, ou soleil vivace. On doit ces appellations à l’explorateur Samuel de Champlain, qui découvre ce légume en 1603, dans la Nouvelle France (le Canada). Les autochtones l’utilisent pour leur alimentation et comme fourrage pour leurs animaux.

Il est facile à cultiver, même dans des sols pauvres, il est peu sensible aux maladies. Et les navigateurs en diffusent l’utilisation un peu partout en Europe.

Il faudra attendre les recherches d’Antoine Parmentier à la fin du XVIIIe siècle pour que s’impose la pomme de terre (https://recettesahistoires.com/2022/08/16/parmentier-le-vrp-de-la-patate/)

Le topinambour est certes très facile à cultiver : les jardiniers savent la difficulté à s’en débarrasser. Le moindre morceau oublié dans une parcelle et hop c’est reparti !

La plante (helianthus tuberosus) produit une tige feuillue qui peut atteindre 3 m de hauteur et une fleur jaune qui rappelle son cousinage avec le tournesol (helianthus annuus).  Les 66 espèces d’helianthus ont l’immense privilège d’être méllifères. Elles attirent les abeilles et contribuent ainsi à la bonne santé de l’écosystème environnant.

Le topinambour a aussi l’avantage d’être très peu calorique grâce à la présence d’inuline dans sa structure, ce qui le rend très intéressant pour les diabétiques et celles et ceux qui souhaitent maigrir (méfiez-vous des publicités avantageuses sur le sujet, ce sont en règle générale des arnaques…)

Mais l’inuline a les défauts de ses qualités : elle n’est pas assimilée par l’intestin grêle, ce qui peut occasionner quelques flatulences si vous en consommez exagérément !

Petite astuce suggérée par les diététiciens : ajoutez une petite cuillère à café de bicarbonate de sodium dans l’eau de cuisson ou quelques pommes de terre.

Poulet, poire, topinambour

Philippe Etchebest

Est-ce utile de présenter Philippe Etchebest ?  Certes un guide aussi célèbre que jalousé lui a octroyé une mignonne étoile rouge à Bordeaux en 2001. Certes il fréquente assidûment les studios de télévision. Mais surtout il porte au col de sa veste de travail le liseré tricolore qui fait de lui depuis 2000 un des “meilleurs ouvriers de France” à l’issue d’un redoutable concours professionnel.

Il vous faut 5 filets de poulet, 1 blanc d’œuf, 1 cuillère à soupe de crème, 600 g de topinambours, 50 cl de lait, 5 poires (Conférence par exemple), un peu de fève de Tonka, du grué de cacao, 2 étoiles de badiane, 50 g de sucre, huile, sel et poivre.

Faites chauffer de l’eau dans une casserole avec le sucre et la badiane, pelez 3 poires et taillez-les en fines lamelles à la mandoline. Laissez infuser les lamelles pendant quelques minutes (feu éteint).

Préparez une farce fine : coupez un filet de poulet, hachez finement, salez, poivrez, ajoutez la crème et un blanc d’œuf puis mélangez de nouveau.

Faites revenir à la poêle, dans un peu d’huile, les deux filets restants des 2 cotés. Badigeonnez la face extérieure avec la farce fine de volaille puis recouvrez avec les lamelles de poires façon écailles. Serrez-les en ballottine dans un film alimentaire.

Cuisez-les 15 mn à la vapeur ou en immersion dans une casserole d’eau à peine frémissante.

Pelez et coupez 500 g de topinambours. Faites-les cuire dans le lait avec une pincée de sel. Lorsque les morceaux sont cuits, mixez et assaisonnez-les.

Coupez les poires et topinambours restants en petits dés. Faites-les sauter à la poêle à feu vif avec un peu d’huile.

Retirez le film  de la ballottine, caramélisez les filets au chalumeau.

Répartissez la brunoise dans le fond des assiettes et posez un filet dessus.

Versez le velouté autour et saupoudrez de grué de cacao et de fève de Tonka râpée.

Fruit d’une rencontre improbable entre un chou frisé et un navet, le rutabaga est ce qu’on appelle un “hybride” dénommé “corne de bélier” en Suède parce qu’il était utilisé pour nourrir les ovins.

Très semblable au navet, le rutabaga se distingue par sa grosseur et sa chair jaune foncée.  Très rustique comme son collègue topinambour, c’est un légume d’hiver qu’on sème en avril et qu’on peut consommer dans les mois d’hiver, d’octobre à décembre, il est riche en fibres et en vitamine C.

Vous pouvez le déguster rôti au miel, cuit auparavant à l’eau bouillante ou à la vapeur pendant une dizaine de minutes découpé en cubes. Vous faites fondre ensuite une noix de beurre à la poêle, vous faites revenir le rutabaga avant de déglacer au vinaigre et de le laisser confire avec un peu de miel, et d’ajouter un peu de crème fraîche pour le service.

Houmous de topinambour, panais et rutabaga

Certes “houmous” désigne au Liban le pois chiche déjà évoqué ici précédemment (https://recettesahistoires.com/2022/07/14/le-pois-chiche-nest-pas-egoiste/). Mais la cuisine est souvent faite de ces emprunts pas forcément remboursés…

Grenade

Il vous faut 4 topinambours, 1 panais, 1 ou 2 rutabagas, 2 gousses d’ail, 1 cuillère à soupe de tahin [purée de graines de sésame torréfiées et broyées, indispensable dans toute cuisine moyen-orientale, 2 à 3 cuillères à soupe d’huile d’olive, sel de mer, un peu de mélasse de grenade (sirop épais et concentré de jus de grenade frais), 1 cuillère à soupe de graines de sésame blond.

Préchauffez le four à 210°. Pelez et dégermez les gousses d’ail. Pelez et coupez en petits morceaux les légumes. Déposez-les sur une feuille de papier aluminium  avec les gousses d’ail. Arrosez d’une cuillerée à soupe d’huile d’olive. Fermez le papier pour former une papillote.

Enfournez pour 30 minutes. Éteignez le four. Mixez les légumes avec la purée de sésame et un peu de sel.  Ajoutez progressivement de l’huile d’olive : le houmous doit être bien crémeux.  Au moment de servir, arrosez l’houmous d’un filet de mélasse de grenade et saupoudrez de graines de sésame.

Un cerfeuil qui n’a pas froid aux yeux

A gauche la partie aérienne du cerfeuil tubéreux, à droite le cerfeuil des jardins

Que les choses soient bien claires : entre Anthriscus cerefolium (le cerfeuil des jardins et des potages) et Chaerophyllum bulbosum (le cerfeuil tubéreux, ou bulbeux si vous préférez) il n’y a rien, ni atome crochu, ni aventure sans lendemain. Ils ne peuvent pourtant nier un lien de parenté : ils appartiennent à la famille des apiacées, bien connue dans le landerneau des plantes à inflorescence en ombelles, jadis connue sous le nom d’ombellifères. C’est une grande et belle lignée de près de 3000 cousins !

Mais notre invité du jour est capricieux : il exige d’être stratifié à froid. Autrement dit, pour se réveiller, ses graines doivent subir les frimas deux années de suite ! Pas simple pour les jardiniers, ce qui explique que ce cerfeuil tubéreux demeure rare et cher, même si depuis des années les semenciers essaient de chercher une solution pour éviter cette double stratification…

Si vous en trouvez, ou mieux si vous parvenez à en produire dans votre potager, vous en avez sans doute apprécié les qualités gustatives : sucré, rappelant la pomme de terre et la châtaigne, une fois qu’on a laissé le bulbe reposer à la cave pendant deux mois ! En revanche, la consommation de ses feuilles peut donner à vos proches l’impression que vous vous êtes abandonné sur une dive bouteille… Les Caucasiens prétendent que la lacto-fermentation élimine les alcaloïdes indésirables qu’elles contiennent et rend la partie aérienne comestible.

Cappuccino au cerfeuil tubéreux et aux châtaignes

Le cappuccino, cet emblème de la cuisine italienne, fait la fierté des barista qui s’échinent à servir une tasse mousseuse de café au lait saupoudré de poudre de cacao.

Ici, il manque … le café mais la surprise est garantie en entrée de repas.

Pour 6 personnes il vous faudra 1 oignon, 600 g de cerfeuil tubéreux, 30 g de beurre, 800 g de châtaignes fraîches incisées et cuites à l’eau pendant 30 mn puis soigneusement décoquillées et nettoyées, 1 l de bouillon de volaille, 30 cl de crème fraîche, 1 cuillère à café de cacao non sucré, sel et poivre du moulin.

Épluchez et émincez finement l’oignon. Épluchez les bulbes de cerfeuils et coupez-les en petits morceaux.

Faites chauffer le beurre dans une poêle, ajoutez les dés de cerfeuil, l’oignon émincé et les châtaignes égouttées et faites colorer le tout pendant 5 minutes.

Couvrez de bouillon de volaille et portez à ébullition. Laissez frémir à couvert pendant 20 minutes. Ajoutez la crème et passez la préparation au mixeur plongeant. Rectifiez l’assaisonnement si besoin.

Montez 15 cl de crème liquide entière en chantilly jusqu’à ce qu’elle soit bien aérienne.

Répartissez le velouté dans 4 petites tasses. Pochez la chantilly bien froide sur le velouté puis saupoudrez de cacao. Servez sans attendre

Joue de porc, vin blanc, cerfeuil tubéreux

Pour 6 personnes il vous faudra : 1 kilo de joue de porc, 1 kilo de cerfeuil tubéreux, 500 g de carottes, 1/2 bouteille de vin blanc sec, 4 grosses échalotes, 1 cuillère à soupe de fond de volaille, 1 cuillère à soupe d’huile d’olive, un peu de sarriette, du sel, du poivre.

Épluchez et émincez finement les échalotes. Épluchez les carottes et coupez-les en biais en petits tronçons.

Dans un faitout, faites chauffer l’huile et faites revenir les joues sur tous les côtés. Ajoutez l’oignon, la sarriette, laissez dorer encore un peu puis ajoutez le vin, le fond de volaille et les carottes.

Après quelques bouillons, écumez la sauce et laissez mijoter à feu doux au moins deux heures à couvert. Ajoutez le cerfeuil tubéreux lavé et épluché et laissez cuire 10 minutes de plus.

Cerfeuil tubéreux confit

A gauche la badiane, à droite la cannelle

Il vous faut 100 g d’eau, 200 g vin blanc moelleux, 1 jus de citron, 150 g de sucre, 1 bâton de cannelle, 4 étoiles de badiane (anis étoilé), 400 g de cerfeuil tubéreux épluché

Lavez soigneusement les bulbes, plongez-les dans l’eau bouillante environ 8 à 10 minutes, puis égouttez-les et pelez-les à partir du collet.

Portez à ébullition tous les ingrédient sans les bulbes pendant 5 bonnes minutes. Ajoutez ensuite les cerfeuils tubéreux, couvrez et enfournez pour 1 heure à 100°C. Egouttez les cerfeuils et laisser refroidir.

Arlettes

Servez ces cerfeuils confits avec des arlettes de sarrasin telles que les confectionne le pâtissier Yann Couvreur dans ses boutiques parisiennes.

Yann Couvreur

Il vous faut  400 g de farine de blé (T45), 130 g de farine de sarrasin, 15 g de fleur de sel (ou du gros sel marin moulu), 10 g de levure de boulanger, 500 g de beurre, 30 cl d’eau, 350 g de sucre semoule, 100 g de muscovado (sucre de canne complet non raffiné en provenance des Philippines ou de l’île Maurice).

Réunissez les deux farines tamisées et la fleur de sel. Mélangez la levure réhydratée dans un peu d’eau, le beurre froid coupé en petits morceaux et l’eau.

Pétrissez l’ensemble jusqu’à ce que le beurre soit bien incorporé à la pâte.

Passez la pâte au rouleau et donnez-lui une forme rectangulaire, filmez et  mettez au congélateur pendant 30 mn avant de réserver au réfrigérateur pendant 1 h.

Pendant ce temps mixez le sucre et le muscovado.

Sortez la pâte et donnez-lui 2 tours simples : étalez-la sur un plan légèrement fariné puis repliez-la 3 fois sur elle-même, en la laissant 1 h au réfrigérateur entre chaque tour.

Donnez 2 autres tours simples en incorporant cette fois le mélange de sucre (réservez-en un peu pour la finition).

Sur le plan de travail étalez la pâte sur 1 cm d’épaisseur. Parsemez dessus le mélange de sucres restant, puis roulez en serrant bien.

Filmez serré le boudin de pâte et réservez-le 30 mn au congélateur pour que la pâte durcisse.

Détaillez le rouleau de pâte en rondelles de 3 mm d’épaisseur. Posez sur un papier sulfurisé les rondelles, recouvrez d’un autre papier sulfurisé et d’une plaque de pâtisserie surmontée d’un poids suffisant pour que la pâte soit bien aplatie.

Mettez à four chaud (190°) pendant 5 à 10 mn. Réservez sur une grille à la sortie du four.

Dans une coupe, ajoutez un peu de crème battue en chantilly au-dessus de quelques morceaux de cerfeuil confit et plantez une arlette sur la coupe.

Chevreuil façon Pic

Chevreuil mariné à la lie de saké, châtaigne et déclinaison de cerfeuil tubéreux, cédrat panaché et épine-vinette

Recette empruntée à “Vins et gastronomie”, excellente revue appréciée des professionnels (https://www.vinsetgastronomie.com)

Anne-Sophie Pic

On n’a pas forcément envie de jouer tous les jours au cuistot multi-étoilé mais cette recette de Anne-Sophie Pic décrit bien la complexité et la technicité de ce qui est servi  dans les maisons de la galaxie sur laquelle elle règne à Valence mais aussi à Paris, à Orly, Lausanne, Londres,  Singapour, Megève.

Pour 6 personnes il vous faut : 1 dos de chevreuil de 800 g, 1kg de carcasse et parures de chevreuil, de l’huile d’olive vierge, du beurre doux AOP.

Cédrat panaché : 150g eau, 50 g de sucre, les zestes d’1 cédrat panaché, 5g de jus de cédrat.

De gauche à droite, le cédrat, le cédrat panaché, et la main de Bouddha

Le cédrat, fruit du cédratier, est un agrume proche du citron dont on consomme essentiellement l’écorce. Le cédrat panaché est une variété colorée du fruit jaune qu’on connaît en Corse. La main de Bouddha est de la même famille.

Purée de cerfeuil tubéreux : 300 g de cerfeuils tubéreux épluchés, 90 g de crème, 5 g de jus de citron, 4 g de sel

Châtaignes : 20 g de châtaignes épluchées, 4 g de saké, 1 g de citron, sel

Marinade saké : 140 g de filet de chevreuil levé et paré, 30 g de lie de saké, 15 g de saké

Le saké kasu, appelé aussi “lie de saké”, est la partie solide qu’il reste après le pressage du saké. C’est un ingrédient aux multiples usages : pour les marinades, les soupes, les gâteaux, la fabrication du pain, pour saumurer des légumes… mais aussi en cosmétique.

Copeaux de cerfeuil tubéreux : 20 g de petits cerfeuils tubéreux, 5 g de jus de citron, 20 g d’huile d’olive, sel

Finition : 10 g d’épine-vinette, 20 g d’oxalis lune, 20 g d’oseille lune (ou mini-feuilles d’oseille verte)

Consommé de chevreuil : taillez les parures de chevreuil (3 cm x 3cm). Colorez les morceaux de viande et les os dans un fait-tout. Grattez fréquemment les sucs au fond. Ajoutez du beurre doux en cubes et faites mousser celui-ci. Finissez la coloration au four à 190°C pendant 20 min environ. Égouttez dans une grande passoire avec un linge étamine pour ne pas perdre les sucs.

Dans le fait-tout, mouillez les morceaux avec le bouillon. Faites cuire à frémissement pendant 5 h tout en prenant soin d’écumer et de dégraisser fréquemment. Passez au chinois étamine et faites réduire doucement jusqu’à la bonne texture. Refroidissez puis dégraissez. Réservez au frais.

Levez les zestes de cédrat, retirez les zistes (la partie blanche amère sous la peau). Portez tous les ingrédients à ébullition.

Laissez reposer une heure à température ambiante avant de mettre à refroidir. Émincez finement et conservez dans le sirop.

Purée de cerfeuil tubéreux : mettez sous vide tous les ingrédients, cuisez à 85°C pendant 60 min. Mixez, puis passez au chinois étamine, rectifiez l’assaisonnement.

Châtaignes en copeaux et râpées : mettez tous les ingrédients sous vide et cuisez à 85°C pendant 35 minutes. Refroidissez au congélateur. Retirez la peau des châtaignes, réalisez des copeaux à la mandoline à truffe et colorez puis desséchez sur la plancha.

Râpez l’autre partie des châtaignes à la microplane dans une plaque et conservez au frais bien à plat.

Marinade saké : mettez sous vide le dos de chevreuil avec les ingrédients de la marinade, puis laissez mariner 4 heures. Égouttez, rincez à l’eau claire et conservez dans l’huile de pépins de raisin.

Copeaux de cerfeuil tubéreux : épluchez les cerfeuils tubéreux , taillez à la mandoline à truffe, puis mettez sous vide avec la vinaigrette pendant trois heures.

Assaisonnez la purée de cerfeuil avec le zeste de cédrat, le saké et quelques gouttes de jus de citron.

Réalisez une boule de purée sur la chapelure de châtaignes et roulez avant de disposer dans l’assiette.

Epine-vinette

Placez entre les boules un copeau de cerfeuil chauffé sur une plaque chaude. Placez quelques épines-vinettes rôties au beurre (préalablement blanchies et refroidies). L’épine-vinette est un arbuste qu’on trouvait sur les chemins jusqu’au XIXe siècle. Accusée de propager la “rouille noire du blé”, elle a été quasiment éradiquée à l’état naturel.

Ajoutez deux zestes de cédrat par assiette ainsi que les pousses d’oxalis.

Les trompettes et les moutons

Pour cette nouvelle escale à bord de la galaxie des champignons, arrêtons-nous sur deux individus faciles à identifier et délicieux à déguster, poêlés, ou en omelette au retour d’une longue balade en forêt. Mais ils ont aussi d’autres cordes à leur arc…

Trompette des morts

Les Craterellus cornucopioides préfèreraient qu’on les affuble d’autres surnoms, “cornes d’abondance” par exemple, ou chanterelles. Rien n’y fait.

Elles font pourtant tout pour qu’on les cajole ces mignonnes trompettes : de l’été jusqu’à la fin de l’automne, elles vivent en colonies dans les bois de feuillus (hêtres, charmes, chênes, noisetiers, châtaigniers). Si vous en trouvez une il y a fort à parier qu’avec un minimum de concentration vous devriez pouvoir remplir rapidement votre panier. Et si vous trouvez le filon, laissez une pierre blanche, en tout cas dans votre mémoire : chaque année la trompette repousse au même endroit. Elle a un proche parent avec lequel on peut éventuellement la confondre, la chanterelle cendrée, moins noire, striée, avec des couleurs tournant du bistre au brun grisâtre. Mais celle-ci est également comestible, elle dégage même une fine senteur de mirabelle ! Et on ne peut pas les confondre toutes deux avec des ennemis toxiques ou mortels…

Chanterelle cendrée

Si vous souhaitez attendre avant de les apprêter, nettoyez-les soigneusement (évitez le bain dans l’évier, un petit coup de pinceau devrait suffire), enfilez-les le long d’un fil à repriser muni d’une fine aiguille et faites-les sécher à l’air libre, chaud et sec de préférence. Il faudra ensuite les réhydrater dans l’eau pendant une quinzaine de minutes.

Soufflé aux trompettes-de-la-mort et beaufort

Le soufflé est une épreuve qui rebute beaucoup de cuisiniers parce que sa fabrication et son minutage sont exigeants. Depuis le début du XVIIIe siècle et la “crème soufflée de blancs d’œufs, diversifiée et pointée d’écorces de citron” du “Nouveau cuisinier royal et bourgeois”, l’ouvrage de François Massialot, l’arrivée du soufflé bombé, tremblant et fumant constitue un temps fort du service, hier comme aujourd’hui, dans les palais comme en ville.

François Massialot

Tous les penseurs de la gastronomie française se sont relayés pour énoncer les règles d’or du soufflé, d’André Viard à Gaston Lenôtre en passant par Beauvillers, Grimod de la Reynière, Maurice Carême, Escoffier, j’en passe…

Il vous faut : 70 g de beurre + 20 g pour le moule, 60 g de farine + 20 g pour le moule, 25 cl de lait, 5 œufs, 140 g de beaufort râpé, 25 g de trompettes-de-la-mort séchées, 2 cuillères à soupe d’huile d’olive, 1 gousse d’ail pressée, poivre.

Réhydratez les champignons dans un récipient d’eau froide, beurrez généreusement le ou les moules à soufflé à l’aide d’un pinceau, en partant du bas vers le haut. Privilégiez les moules individuels, le risque de voir les soufflés retomber est moindre. Farinez-les, puis retournez-les au-dessus de l’évier en tapotant pour éliminer l’excédent de farine. Réservez au frais.

Faites revenir l’ail dans l’huile d’olive chaude, ajoutez les champignons égouttés, assaisonnez en sel et en poivre et faites cuire 5mn. Réservez.

Réalisez une béchamel. (voir ici pour la béchamel : https://recettesahistoires.com/2022/06/30/du-marquis-de-bechameil-a-la-crete-de-coq/)

Ajoutez le beaufort râpé.

Séparez les blancs des jaunes d’œufs. Incorporez au fouet les jaunes un à un dans la béchamel. Versez ensuite les trompettes et mélangez. Goûtez, assaisonnez en sel et en poivre. Montez les blancs en neige ferme. Mélangez au fouet un peu des blancs en neige à la préparation pour la détendre, puis incorporez le reste des blancs délicatement à la spatule.

Versez dans les moules en les remplissant aux ¾. Enfournez 35-40mn dans le four à 180°. N’ouvrez surtout pas le four avant la fin de la cuisson, les soufflés retomberaient. Servez de suite.

Jacques Manière

Je ne résiste pas au plaisir d’évoquer Jacques Manière, disparu en 1991. Génial autodidacte, précurseur de la “nouvelle cuisine”, longtemps chef du Dodin Bouffant (Paris V) il avait publié un magnifique Grand Livre de la cuisine à la vapeur, paru en 1985 et rendu accessible le soufflé en utilisant le four à vapeur.

Voici son simplissime “Flan d’ail

Pour 8 personnes il vous faut : 1 gousse d’ail, 4 œufs, 4 blancs d’œufs, 8 cuillères à soupe de crème fraîche, sel, poivre.

Epluchez l’ail et coupez-le en fins morceaux.

Placez l’ail dans le bol du mixer. Ajoutez les œufs et les blancs. Salez. Poivrez. Mixez. Ajoutez la crème fraîche. Mixez à nouveau.

Beurrez les ramequins. Remplissez-les avec le contenu du mixer. Faites cuire à la vapeur 10 minutes couvercle fermé et 5 minutes couvercle ouvert. Démoulez sur le plat de service.

Ce flanc soufflé accompagnera avec bonheur une pièce d’agneau ou de porc.

Et aujourd’hui comme hier, adoptez cette maxime : comme l’omelette, un soufflé peut être attendu, mais il ne doit jamais attendre !

Pied de mouton

De son nom savant Hydnum repandum, ou Hydne sinué, le pied de mouton vit moins en troupeau que la trompette des morts, mais il n’est pas rare de trouver l’un quand on cherche l’autre, à la même époque. Il vaut mieux privilégier les sujets pas trop âgés, avant qu’ils ne grossissent et ne durcissent, donc idéalement fin août-début septembre. Les aiguillons qu’il possède sur son “hyménium”, sous son chapeau, lui sont bien spécifiques. Ils peuvent durcir avec l’âge. Il est recommandé de frotter le chapeau avec un torchon pour ôter ces aiguillons dont le contact avec le palais peut être désagréable. Vous enlèverez ainsi un peu d’amertume.

On peut le congeler ou le sécher. En revanche il a une forte propension à accumuler des substances indésirables, notamment le césium 137. Il est donc recommandé de ne pas en abuser et de s’abstenir d’en consommer en cas d’accident nucléaire quelque part sur le continent…

Polenta aux pieds de mouton

La polenta est une spécialité italienne et provençale à base de semoule de maïs qu’on fait bouillir dans de l’eau. On peut ensuite l’accommoder de multiples façons : moelleuse en pavés réchauffés au four, croustillante après avoir été sautée, frite ou gratinée ; ou encore crémeuse en ajoutant du lait et/ou de la crème en fin de cuisson.

Pour 4 personnes il vous faut : ½ litre de lait, 100 g de semoule de maïs, 2 cuillères à café de beurre mou pour les moules, 2 œufs,  4 cuillères à café de persil, 2 cuillères à café de parmesan râpé, 300 g de pieds de mouton, ciboulette, 100 ml de bouillon de légumes, 1 pincée de curcuma, poivre.

Portez à ébullition le lait avec 1 cuillère à café de sel. Versez la semoule en remuant. Laissez cuire pendant 5 minutes afin d’obtenir une consistance épaisse.

Beurrez quatre ramequins individuels (8 cm de diamètre).

Séparez les jaunes des blancs d’œufs. Battez les jaunes au fouet puis mélangez avec la semoule refroidie, la moitié du persil et le parmesan. Battez les blancs en neige et incorporez à la semoule. Remplissez les ramequins et enfournez à 180°C dans un plat rempli d’eau pendant 30 mn.

Coupez en lamelles les pieds de mouton bien nettoyés au pinceau.

Faites revenir dans le beurre les champignons, la ciboulette. Ajoutez le bouillon de légumes, le reste de persil et la pointe de curcuma, salez et poivrez.
Démoulez les ramequins, nappez les flans de polenta avec la sauce aux champignons.

Cèpe et girolle, avec modération

Certains prétendent qu’on peut estimer avoir réussi dans la vie quand on exhibe au poignet une breloque brillante, sonnante et trébuchante. Ils ont tort !

Ou alors ils n’ont pas traîné dans les bois à la recherche de Boletus edulis (nom savant du cèpe dit de Bordeaux) ou de Cantharellus cibarius (en français girolle ou chanterelle commune).

Et même si on ne trouve pas de quoi se concocter une poêlée ou une omelette, le plaisir et la fierté sont supérieurs à la satisfaction de savoir quelle heure il est !

La promenade s’impose en septembre et octobre pour les cèpes et les bolets dans les bois de feuillus en plaine et en montagne, et de juillet à septembre dans les bois de conifères et de feuillus pour les girolles et les chanterelles.

Mais attention, la nature et les champignons détestent les margoulins quels qu’ils soient. La cueillette des champignons est autorisée en forêt domaniale (appartenant à l’État) si elle reste dans le cadre d’une consommation familiale et si les prélèvements sont raisonnables (5 litres par personne et par jour, sauf exception locale). Et la règle voudrait qu’on se munisse d’une autorisation préalable du propriétaire, qu’il soit privé ou public. Car tout ce qui pousse appartient à quelqu’un sur notre vieille terre de France…

Et puis, ça va sans dire mais ça va mieux en le disant, la cueillette et la consommation excessive des fruits de la terre n’est bonne ni pour la diversité ni pour votre estomac ! Le code pénal et le code forestier ont tout prévu en ce domaine et peuvent donner lieu à des amendes et peines d’emprisonnement très dissuasives…

Le bon sens recommande d’appliquer trois principes :

  • Récoltez les champignons en bon état ;
  • Evitez de cueillir des champignons que vous ne connaissez pas ;
  • Ne mangez pas de champignons au cours de plusieurs repas consécutifs.

Les spécialistes de l’ONF (Office National des Forêts) vous donnent également quelques conseils :

  • Informez vos proches de votre destination
  • Ne vous fiez pas aux applications téléphoniques. Elles occasionnent chaque année des empoisonnements…
  • Ne ramassez pas dans les endroits potentiellement pollués : bords des routes, composts, champs amendés. Les champignons sont des éponges composées de 80% d’eau, qui accumulent les composés toxiques
  • Equipez-vous d’un panier en osier, le champignon et l’environnement n’apprécient pas le sac plastique…
  • Triez votre récolte à la lumière du jour
  • Si vous avez un doute, demandez conseil à un spécialiste, ou à votre pharmacien
  • Ne revendez pas votre récolte, c’est interdit !

Œuf mollet, girolle, réglisse

Il vous faut (pour quatre personnes) : 4 œufs bio de rigueur, 250 g de girolles, 100 g de mascarpone, 15 cl de lait, 15 cl de bouillon de volaille, 1 échalote, 1/2 tasse de café bien serré, une pincée de poudre de réglisse (ou 4 gouttes d’extrait de réglisse), quelques feuilles d’épinards, quelques noisettes grossièrement concassées, 25 g de beurre, sel et poivre.

Hervé This

J’avais évoqué précédemment le cas du physico-chimiste Hervé This

Les cuistots auront beau jeu de lui reprocher de ne pas être cuisinier, tout le monde sait grâce à lui qu’un œuf mollet c’est un œuf bien nettoyé, plongé dans une quantité d’eau suffisante à 64°C, ni plus ni moins pendant une bonne quarantaine de minutes (et non pas trois comme le recommandait le minuteur de ma grand mère). Pas d’obligation de vous équiper d’un coûteux bain marie ou d’un thermoplongeur connecté ou pas, un thermomètre équipé d’une sonde suffira amplement.

La réglisse est une plante vivace originaire du sud de l’Europe, dont on torréfiait les racines avec lesquelles on fabriquait un “élixir de longue vie” qu’on trouvait sur les tables de chevet des hôpitaux. La réglisse continue à avoir des utilisations médicales pour le traitement des ulcères, des gastrites, des rhumes, des bronchites, des maux de gorge. On la trouve toujours comme boisson rafraîchissante (l’antésite), dans le pastis ou dans des confiseries. Méfiez-vous si vous parvenez à planter des graines de réglisse : si le climat lui convient, elle devient très vite envahissante…

Faites fondre le beurre dans une poêle. Ajoutez les girolles préalablement nettoyées et coupées et l’échalote ciselée. Faites sauter 5 minutes. Ajoutez les feuilles d’épinards en fin de cuisson, assaisonnez puis couvrez une minute.

Versez le café dans le mélange bouillon et lait. Faites chauffer sans bouillir. Ajoutez le mascarpone, la réglisse et mixez.

Répartissez girolles, épinards et noisettes dans les assiettes. Déposez un œuf écalé au centre et versez la crème émulsionnée café réglisse.

Cèpes en feuille de châtaigner, sabayon au goût grillé

Régis Marcon

A la frontière entre le Vivarais et le Velay, au cœur de l’Auvergne s’étend à Saint-Bonnet-le-Froid le domaine de la famille Marcon. Une terre magnifique mais austère, difficile à cultiver, au-dessus des “côtes du Rhône”. Les Marcon, famille de paysans,  ont dû abandonner la terre et reprendre le café du village dans les années 50. Régis reprend l’hôtel familial en 1979 et y reçoit depuis tous les honneurs dont peut rêver un cuisinier. Avec son fils Jacques il truste les récompenses en mettant à l’honneur  les richesses de son terroir : lentille verte, châtaigne, bœuf du Mézenc, agneau du Velay… et les champignons ramassés dans les bois alentour et cuisinés à toutes les sauces, de l’entrée au dessert, y compris le “thé forestier”.

Il vous faudra 4 beaux cèpes frais, 200 g de cèpes séchés, 8 feuilles de châtaigner, 4 tranches fines de lard demi-sel, 250 g de beurre, 3 œufs entiers + 1 jaune d’œuf, sel, vinaigre de Xérès. 

Lavez et coupez les champignons en deux. Faites une incision dans le pied et insérez une bande de lard.

Enfermez les cèpes dans une feuille de châtaignier, maintenez-les avec une pique en bois. Réservez dans une cocotte avec un peu d’eau.

Le sabayon a sans doute été importé d’Italie par Catherine de Médicis à la cour de France. Il consiste à incorporer un liquide à des jaunes d’œufs, au fouet, à feu vif.

Dans une sauteuse à fond épais mettez à chauffer le beurre, ajoutez les cèpes secs, faites frire tout doucement. Le beurre va brunir légèrement et prendre le goût du cèpe grillé. Réservez au chaud et filtrez. Fouettez au chaud les jaunes d’œufs avec un tout petit peu d’eau et ajoutez le beurre fondu infusé aux cèpes avec quelques gouttes de vinaigre, sel et poivre.

Si vous disposez d’un siphon de cuisine, il vous faut un appareil muni d’une bague rouge, supportant d’accueillir des liquides jusqu’à 75°C. Vous fouettez alors dans un bol le jaune d’œuf, les 3 œufs, sel et vinaigre, ajoutez tout doucement le beurre fondu tiède en mélangeant avec un fouet. Versez le contenu dans la bouteille du siphon que vous aurez tiédie auparavant. Attention à ne pas dépasser le niveau de contenance maximale de l’appareil.

Fermez le bouchon, agitez de bas en haut, le mélange est à environ 60/65°C, ajoutez 2 recharges de gaz, tenez au bain marie pas trop chaud (65°C) jusqu’à l’utilisation.

Cuisez les cèpes enveloppés des feuilles de châtaigner en cocotte au four à 200°C pendant 10 minutes. Dressez les cèpes sur assiette avec le jus qu’ils ont rendu. Servez le sabayon à part.

Régis Marcon préconise de servir ce plat avec un Viognier, cépage du prestigieux  vignoble de Condrieu, à 60 km de Saint-Bonnet-le-Froid

Morille et truffe : première escale

Comparée à notre échelle habituelle de valeurs, l’histoire des champignons risque de nous faire passer pour de très jeunes enfants de chœur.

Ils sont présents sur notre planète depuis… 450 millions d’années ! Et ils se sont emparés d’à peu près tous les milieux terrestres mais aussi les rivières et les océans, y compris les eaux saumâtres (douces et salées à la fois).

Il faut dire que nos relations avec les champignons n’ont pas été des plus pacifiques. Ils ont une réputation pas toujours très favorable ; entre les mortels, les simplement toxiques, les hallucinogènes ou les mérules qui dévorent nos charpentes, ils ne font rien pour qu’on les chérisse. Convenons aussi qu’ils accompagnent et accélèrent très généralement la décomposition du vivant sur lequel ils prennent pied.

Mais la vue d’une morille, d’une truffe ou d’un cèpe continue quoi qu’il en soit d’émouvoir le premier gastronome venu.

Et les scientifiques continuent de discuter pour déterminer si les champignons constituent ou pas un règne au même titre que les animaux ou les végétaux.

Je ne prétends pas me transformer en “mycologue”, je me contenterais d’évoquer quelques énergumènes avec lesquels j’ai eu l’occasion de passer quelques moments, dans les bois et les prés, puis dans une poêle, un fait-tout ou un saladier. Je vais tenter de vous embarquer pour une croisière avec escales au royaume encore mystérieux des champignons comestibles.

Aujourd’hui, je vous emmène saluer deux têtes couronnées.

Poularde aux morilles et au vin jaune

La morille est rare mais très recherchée. Elle pousse parcimonieusement au printemps, dans des forêts de frênes ou d’épicéas. Elle semble apprécier des terrains plutôt calcaires,  récemment brûlés ou en lisière de bois, notamment dans les massifs préalpins autour de Grenoble ainsi que dans certains terroirs américains.

Comme on retire au jeune coq quelques-uns de ses avantages  pour faire de lui un chapon tendre et douillet, on pratique de même avec les poulettes pour les transformer en poulardes. Entre la Saône et le Doubs s’étend le royaume de la volaille blanche aux pattes bleues, qui court dans les prairies  (15 m2 par poulet) à la recherche de vers de terre, d’herbe et de graines, avant un séjour d’une dizaine de jours dans une “épinette” pour parfaire la qualité de sa chair et de sa graisse. Après abattage, le précieux volatile est installé dans un linceul blanc et serré qui va encore contribuer à gainer ses rondeurs.

Le vin jaune provient des ceps de Savagnin cultivés sur les collines du Jura voisin. La vendange se fait sur des grappes bien mûres, voire déjà touchées par la pourriture noble. Le moût est vinifié puis pressuré avant que les peaux ne colorent le jus. Il est placé en fûts de chêne usagés de 228 litres, non complètement remplis pour permettre une “prise de voile”, l’apparition d’une colonie de levures qui vont absorber l’acidité du vin et lui donner sa belle couleur mordorée. Contrairement à d’autres nectars, on ne complète pas la “part des anges” déjà évaporée par l’ajout de jus, d’eau de vie ou de vin. Au bout de six ans, l’élevage du vin jaune est achevé et le précieux nectar est embouteillé en “clavelins”, petites bouteilles de 62 cl dans lesquelles il pourra patienter encore quelques décennies avant d’être consommé.

Georges Blanc

A Vonnas, à une vingtaine de kilomètres de Bourg en Bresse, Georges Blanc est l’héritier d’une dynastie d’hôteliers restaurateurs depuis 1872, dont la “mère Blanc”, sa grand’mère, qui régna sur les fourneaux jusqu’en 1949 et fut distinguée en 1933 “meilleure cuisinière du monde” par le redoutable critique Curnonsky (à propos de Curnonsky : https://recettesahistoires.com/2022/06/15/les-soeurs-tatin-le-storytelling-et-les-fake-news/).

Ici, on pratique depuis des lustres la volaille, mais aussi la crème, les morilles, les truffes, les écrevisses et les fameuses crêpes vonnassiennes, petites et épaisses, à base de farine et de pommes de terre…

Pour une tablée de 6 à 8 personnes il vous faut 2 poulardes de Bresse (1,8 à 2 kg), vidées, abattis réservés, flambées, découpées en morceaux , 2 oignons, 20 champignons de Paris , 4 gousses d’ail écrasées non pelées, 200 g de beurre, 40 cl de vin jaune, 2 l de crème liquide, sel et poivre, 1 trait de jus de citron.

Pour la sauce, il vous faudra 100 g de morilles fraîches, 30 g de beurre, 1 échalote.

Pelez et coupez les oignons en quatre. Retirez le bout terreux des champignons, essuyez- les et coupez-les en quartiers. Ecrasez les gousses d’ail avec la lame d’un couteau.

Mettez le beurre à chauffer dans une sauteuse sur feu vif. Déposez les morceaux de poularde, salez et poivrez. Ajoutez les oignons, les champignons et l’ail et faites dorer le tout 5 min de chaque côté : les morceaux doivent tous être bien enrobés de beurre et dorés. Versez le vin jaune et laissez réduire en grattant pour détacher les sucs caramélisés. Ajoutez la crème fraîche et laissez mijoter 25 à 30 mn environ.

Retirez les morceaux de poularde et réservez-les au chaud.

Passez la sauce dans une passoire fine, ajoutez un trait de jus de citron, rectifiez l’assaisonnement et portez à ébullition.

Préparez les morilles : étuvez-les dans le beurre avec l’échalote hachée et ajoutez-les à la sauce juste avant de servir.

Soupe d’artichaut à la truffe

Cet hiver, le moindre petit bout de Tuber melanosporum avoisine les 1500 euros le kilogramme. La faute à la chaleur de cet été en Périgord et dans les zones traditionnelles d’élevage et de récolte semble-t-il. La récolte est faible et de mauvaise qualité. Les vers et autres hôtes indésirables ont souvent pris pension dans des champignons aux formes souvent irrégulières.

Les mauvaises langues ont vite fait de jeter l’opprobre sur des producteurs qui ne renouvelleraient pas leurs méthodes et leurs principes, au contraire de leurs collègues espagnols et chinois. Ils semble bien pourtant qu’à 10 cm sous terre, à proximité des racines des arbres truffiers, les spores n’apprécient guère les chaleurs excessives de l’été ainsi que l’absence de pluie au moment fatidique de l’automne.  Elles font semble-t-il les frais du réchauffement climatique, comme tant d’animaux et de végétaux.

Comparativement à ce monarque fragile, l’artichaut importé d’Afrique du Nord via l’Andalousie fait figure de rustre campagnard. Aujourd’hui, nous nous contenterons du bon gros “camus” qu’on cultive en Bretagne notamment. Le “vert de Laon” est encore plus rustique et mieux adapté au froid. Les “violets” de Provence ou de Venise sont presque trop sophistiqués pour la circonstance. C’est le contraste qui va donner son sel à cette “soupe”. Les artichauts provençaux violets aiment qu’on les apprête en “barigoule”. La barigoule désigne en fait un… champignon, le lactaire délicieux, dont on farcissait accessoirement le cœur de ces petits légumes violets, avec des lardons…

Guy Savoy est né à Nevers en 1955. Son père est jardinier, sa  maman tient une petite buvette qui devient un restaurant avec un semblant de notoriété dans son quartier à Bourgoin-Jallieu. A 17 ans Guy entre en apprentissage chez Troisgros, où il rencontre notamment Bernard Loiseau. Depuis 1973, il arpente quelques-unes des plus belles cuisines du moment. Lasserre, puis le Lion d’or sur les hauteurs de Genève, puis l’Oasis à la Napoule. En 1977, il succède à Bernard Loiseau à la Barrière de Clichy, puis ouvre son premier restaurant dans le XVIe arrondissement, déménage en 1987 près des Champs Elysées dans un bâtiment rénové par Jean-Michel Wilmotte, avant de s’installer quai Conti dans l’hôtel de la Monnaie.

Pour cette soupe prestigieuse qui est devenue une référence il vous faut, pour 10 personnes :

8 artichauts, 1 citron, 2 échalotes, 20 g de beurre, 1 l de bouillon de légumes, 2 l de bouillon de volaille, une dizaine de lamelles de truffe, 100 g de truffe noire hachée, 2,5 cl de jus de truffe, 4 cl d’huile de truffe, 30 cl de crème à 35% de matière grasse, 150 g de vieux parmesan, sel, poivre du moulin.

L’huile de truffe est une huile neutre –pépin de raisin ou tournesol- dans laquelle vous aurez fait macérer quelques chutes de truffe. Attention, on trouve dans le commerce des huiles dites “saveur truffe” fabriquées avec des composants de synthèse qui ont certes le goût de truffe et sont beaucoup moins chères mais qui relèvent de la chimie plus que de la mycologie.

“Tournez” 8 artichauts : parez le haut des feuilles, puis celles qui entourent le cœur, enlevez le foin, coupez-les en quartiers puis réservez-les dans l’eau citronnée.

Soupe d’artichauts

Dans une casserole, faites suer les échalotes émincées au beurre sans coloration. Ajoutez les quartiers de cinq artichauts égouttés, le bouillon de légumes, portez à ébullition puis laissez cuire 30 min à petits frémissements. Mixez, filtrez à l’aide d’une passoire fine, puis terminez avec la truffe hachée, l’huile et le jus de truffe. Assaisonnez et réservez au frais.

Brunoise d’artichauts

Taillez deux autres artichauts en petits cubes, réservez dans de l’eau citronnée. Portez le bouillon de volaille à ébullition, ajoutez les cubes égouttés et laisser cuire à petits frémissements pendant 10 min. Mélangez avec 1 cl d’huile de truffe et 20 g de truffe hachée. Assaisonnez.

Espuma de parmesan

Portez 30 cl de crème à ébullition, ajoutez le parmesan et laissez-le fondre hors du feu. Passez au chinois et laissez refroidir. Versez dans un siphon et ajoutez 2 cartouches de gaz pour réaliser un “espuma”, mousse au siphon telle que le préparait Ferran Adrià dans son antre de El Bulli, à Roses en Catalogne, à proximité du célébrissime village de Salavador Dali, Cadaquès.

Ferran Adrià

Chips d’artichaut

Coupez en 4 quartiers le huitième artichaut que vous avez tourné, puis en fines tranches à la mandoline, avant de les frire à 170°C. Egouttez et salez.

Disposez la brunoise d’artichaut au fond d’une assiette creuse. Ajoutez l’espuma de parmesan et coulez la soupe chaude autour de cette préparation. Terminez avec des lamelles de truffe, les chips d’artichaut, un trait d’huile de truffe et des pousses de roquette.

Le condiment, le goût et Bruno Verjus

Voici un verbe qui est à lui seul un programme pour tout maître-queux qui se respecte : ASSAISONNER

Le Larousse explique qu’il s’agit d’accommoder un mets de façon à en relever le goût à l’aide de condiments. Le délicieux Robert précise que dans son acception littéraire, il s’agit d’ajouter de l’agrément, du piquant à un plat, un discours, un acte, …

Le premier condiment est à l’évidence le sel qu’on utilise sur à peu près toute la planète depuis la Préhistoire. Très vite, Homo sapiens complète la palette avec des herbes, des épices pour relever un mets ou l’adoucir. (Photo mise en avant : cristaux de gros sel et de poivre sous le microscope électronique)

Et depuis toujours on s’évertue à concentrer, sécher, fumer des feuilles, des fleurs, des tiges, des écorces, des bulbes, des matières animales pour en extraire la substantifique moelle comme le suggère François Rabelais (1534).

François Rabelais

La quasi-totalité de ce que nous consommons suppose un ou plusieurs assaisonnements en cours de préparation.

Et une pointe de sel sur un radis, une fine tranche de viande ou de poisson transfigurent la proposition initiale.

Je l’ai évoqué dans des chroniques précédentes (https://recettesahistoires.com/2022/10/18/on-casse-la-croute/

, https://recettesahistoires.com/2022/11/24/le-chou-la-fermentation-la-sante/

, https://recettesahistoires.com/2022/11/04/le-poivre-prince-des-epices-et-des-voyages/).

Pickles

Revenons sur une pratique déjà évoquée mais qui mérite davantage. Quand on plonge un aliment dans de la saumure (50 g de chlorure de sodium par litre d’eau, l’eau de mer étant à environ 35 g/l) ou du vinaigre (ou les deux), on élimine la plupart des bactéries qui pourraient surnager. Et l’acidité permet une meilleure assimilation du fer et des protéines dans l’organisme. On peut ainsi conserver des aliments périssables durant des mois, ce que les marins ont compris depuis bien longtemps.

Mais surtout pour ce qui nous intéresse, on modifie le goût et la texture de ce qu’on a immergé. C’est ainsi qu’on opère avec des cornichons, mais aussi des oignons grelots, du céleri-branche, des poivrons, des carottes, des navets et du chou-fleur coupés au format adéquat.

On peut facilement fabriquer ses propres pickles au moment de la récolte et les consommer durant le reste de l’année.

Les fruits ou légumes sont placés dans un pot stérilisé avec de la saumure, un  mélange de 75% de vinaigre et d’eau, du sucre (une cuillère à café par litre) On peut “épicer” ces “pickles” avec des clous de girofle, du poivre, du gingembre, de la farine de moutarde, du curcuma. Les cuisiniers ne se privent pas d’ajouter une touche personnelle avec d’autres substances autorisées, même si dans ce domaine comme dans d’autres “point trop n’en faut” selon la formule consacrée. On laisse mûrir ces bocaux jusqu’à obtenir le goût souhaité.

Portez à ébullition le liquide de conservation avant de le verser sur les aliments. Le procédé se limite à imprégner les aliments de vinaigre acide et n’implique normalement pas de fermentation.

Lactofermentation

Kimchi

On peut aussi conserver des fruits et des légumes en leur imposant une fermentation anaérobie dans de la saumure (20 g de sel par litre) en les coiffant d’une pierre pour qu’ils soient maintenus à l’abri de l’air. C’est la technique utilisée pour fabriquer la choucroute et le kimchi (chou fermenté) coréen. Cette technique n’implique pas que les aliments soient stériles avant d’être immergés. Elle nécessite cependant un minimum de précautions pour conserver une acidité raisonnable en fonction de la température du bain et de la concentration en sel.

La lactofermentation produit des vitamines B9 ou folates, indispensables notamment pour combler les carences des végétariens…

Câpres

Câprier en fleur

Sur tout le pourtour méditerranéen, on récolte les fruits (les câprons) du câprier commun (capparis spinosa) ou câprier ovale (capparis ovata), avant l’éclosion de leur magnifique fleur. On plonge ensuite dans du vinaigre saumuré ces fruits qu’on retrouve dans les pizzas, les mayonnaises, la tapenade (tapena signifiant câpre en provençal), la sauce et le steack tartare.

Bruno Verjus

Bruno Verjus

Voici un  cuisinier parfaitement atypique, même si son nom est à lui tout seul l’évocation d’un condiment toujours utilisé au sud de la Loire, supplanté par le vinaigre depuis le XVIIIème siècle. Le verjus est le jus acide extrait de raisins verts qui peut remplacer le jus de citron ou le vinaigre dans les vinaigrettes, les moutardes, et peut avantageusement “déglacer” les sucs de cuisson d’une viande ou d’un poisson pour préparer une sauce.

Bruno Verjus est né en 1959 à Renaison, près de Roanne, terre où l’on sait ce que bien vivre signifie https://recettesahistoires.com/2022/06/22/troisgros-la-dynastie-et-le-saumon/.

Mais il a toujours privilégié les chemins de traverse et s’est retrouvé en 2015 derrière les fourneaux de sa “Table”, entre la Bastille et la Gare de Lyon, après avoir été étudiant en médecine, puis photographe, puis journaliste gastronomique à France Culture puis chef d’entreprise, et après avoir été “trader” pendant 18 ans en Chine !

La preuve qu’il est et restera inclassable et un peu rebelle : en 2022, lors de la cérémonie de remise de ses deux étoiles par un guide spécialisé originaire de Clermont Ferrand, il n’a pas revêtu le tablier aux couleurs des sponsors de l’opération. Il n’aime ni les sandwiches ni les hommes-sandwiches le bonhomme !

Ce qui le passionne, c’est le plus beau légume, la plus belle pièce de volaille et la méthode la plus pertinente pour les apprêter dans le respect de celles et ceux qui les ont amenés à maturité.

Je vous livre un extrait récent de la carte de “Table” (https://table.paris/) :

Nourrir l’âme peut, parfois, avoir des effets bien plus puissants, bien plus profonds que simplement celui de nous sustenter… Produits de nos artisans reçus ce jour, en idée de menu dégustation, aux couleurs du jour

Mer veille – bonbon de ruban de seiche fleuri de truffe melanosporum, huile d’oignon grillé,

Orgasme en bouchées douces – ventre de bar à cru, taramatable,

Moelleux – oursin en langue carmine, bouillon légumier,

C’est gratiné – pétoncles sauvages grises, hélianti grillé, streusel,

Dans l’amer – salade de Trévise d’Udine, sabayon de truffe melanosporum et agrume,

Donburi – lentilles blondes de Champeix cuites en risotto, seiche à cru, émulsion marine,

Brume matinale – pot-au-feu de foie gras de canard tiédi dans un consommé de crabes verts, poutargue,

Moussetage – poire de terre, émulsion de moule et safran,

Mi-cru-mi-cuit – homard de casier d’Yeu, céleri-rave, rémoulade d’ortie et câpres,

Sous le soleil exactement – carabineros grillé au sel, rémoulade de gingembre et curcuma, jus des têtes,

A la ligne – sole aux coquillages, mucilage de pomme de terre, verjus,

Sous la roche – rouget grillé, foie gras snacké, royale de rouget, truffe melanosporum,

On se prend le chou, cervelle de veau infusée, de curcuma, remoulade de câpres, parmentière,

Laque de Chine – pigeon laqué au mole, betteraves, anchois,

Le Mans – volaille contisée de truffe melanosporum, rôtie au tilleul, vitrail de carottes,

Sous la mer – paume de ris de veau de lait rôtie, trévise, moelle,

Régalis – brebis en cire d’abeille,

Tartelette au chocolat Pérou, infusion de câpres de Linosa et caviar osciètre,

(hommage à Jacques Genin et Claudio Corallo)

Crème glacée à la praline rose,

(hommage à la mère Brazier et à Bernard Pacaud)

Madeleine souvenir d’un printemps dans le Mane, huile d’olive de kardamili

Précision, cela va sans dire, mais autant le dire, ça va mieux en le disant, le 26 janvier le menu dégustation était à 400 euros/personne. Forcément.  L’exigence et la qualité ont un prix. Mais l’explication se trouve dans les assiettes…

C’est à la fois précieux et cultivé, passionnant et délicieusement impertinent.

Dans un récent numéro de la très belle revue gastronomique “Yam”, Bruno Verjus divulgue une recette de bar de l’île d’Yeu maturé avec les écailles pendant 6 jours à 2°C, sans les ouïes remplacées par du laurier. Le poisson n’est pas cuit. Escalopé en fines tranches, il est recouvert de beurre noisette, servi avec une pâte d’herbes sauvages (ortie, pimprenelle, persil plat, mélisse) et un “jus de mucilage” de céleri et de coques : céleri-rave rôti pendant 40 minutes, passé à la centrifugeuse pour récupérer le seul jus, mixé avec des coques blanchies à l’eau bouillante. Pour terminer la sauce est enrichie de 40g de caviar osciètre et une cuillère à soupe de verjus, tiens donc.

Ortie

Et même si le chef s’en défendra, le homard quasiment cru servi à Table à la température du palais est devenu une référence.

Il vous faut un homard de casier d’environ 2 kg. Cuisez-le une minute à la vapeur (100°C). Décortiquez-le et taillez-le en portions.

Toastez les carapaces et faites-les infuser dans ½ litre de beurre clarifié à 40°C (Bruno utilise du beurre de Rouge flamande, riche en crème. Il est lentement fondu puis écumé). Il va s’imprégner des riches senteurs des carcasses. Juste avant de servir, pochez les portions dans cette même infusion grasse et odorante à souhait.

Déposez chaque portion sur une tranche épaisse de tomate ancienne, avec un cœur d’artichaut et/ou une section de céleri rave cuit au gros sel gris.

Assaisonnez d’une rémoulade de câpres et d’orties (mayonnaise avec un jaune d’œuf , de la moutarde, du vinaigre, sel et poivre et les légumes finement coupés) et d’une infusion de vinaigre de pomme légèrement pimentée. Tout est dans le condiment, vous dis-je !

Au nord, les chicons

Ce n’est pas forcément dans les habitudes de la maison mais cette chronique résonnera d’accents “chtis”…

La chicorée, alias le chicon, alias l’endive est une spécialité, que dis-je une fierté des “Hauts de France”. Les producteurs d’endives y sont concentrés à 95 % et la chicorée torréfiée de nos grands-mères provient exclusivement d’Orchies, sur la route entre Seclin et Valenciennes…

Depuis longtemps, on apprécie les vertus digestives, dépuratives et laxatives de la chicorée, qu’on cultive déjà sous Pline l’Ancien. Au XVIIe siècle, les Hollandais commencent à torréfier sa racine pour développer ses arômes et limiter son amertume. Dès le XIXe siècle la chicorée remplace le café lorsque celui-ci vient à manquer.

Les autorités repèrent en général ce type de trésor et créent un impôt pour en tirer des revenus. On raconte que dès cette époque un paysan belge avait caché dans sa cave ses racines de chicorée pour échapper aux taxes et découvrit trois semaines plus tard que les plantes avaient poursuivi leur croissance dans l’obscurité et donné de jolis bourgeons blancs nacrés. L’endive était née !

En Belgique et dans le Nord de la France on a dès ce moment développé les techniques de “forçage” pour produire des “witloof” (feuilles blanches) qui remplacent avantageusement les salades de l’été.

En mai, on sème des graines en plein champ. Les racines se développent. Entre septembre et novembre on les récolte, puis on commence le “forçage” : les racines sont replantées étroitement serrées, à l’obscurité, dans des “couches”, petits silos allongés recouverts de paille et de fumier et d’un toit en tôle pour approcher les 20°C favorables à la croissance optimale des endives. Vingt et un jours jours plus tard on récolte de magnifiques endives blanches, dites de “pleine terre”. On peut raccourcir la culture à quinze jours pour obtenir des “jeunes pousses”, plus croquantes et plus douces.

Cette méthode traditionnelle a ensuite été supplantée par le forçage en hydroponie. Il n’y a plus de terre. Les racines sont placées dans des bacs où circule une solution nutritive à 20°C, installés dans des bâtiments isothermes, à l’abri de la lumière.

Après leur récolte, on congèle les racines et toutes les trois semaines on peut mettre des bacs en culture. Cette solution permet d’étaler la récolte pendant toute l’année et réclame beaucoup moins d’efforts et d’exposition en plein air pour les “endiviers”.

Mais l’endive de pleine terre est revenue en force. Elle est reconnue depuis 2014 par un “label rouge” qui consacre ses qualités gustative et diététique et son respect de saisonnalité. Et la récente crise de l’énergie fragilise beaucoup la très gourmande hydroponie.

La sélection des plants a permis d’obtenir des variétés très douces, à l’amertume soigneusement limitée, et l’endive est devenue un des légumes les plus consommés en France. Peu calorique, elle est riche en eau, en fibres et en vitamines et peut se consommer en salade, en soupe, braisée ou en gratin.

Crue, on peut l’associer avec des fruits secs, des agrumes, des viandes séchées ou fumées ou du poisson fumé, du fromage, du poulet suivant l’envie du moment, et le contenu du réfrigérateur…

Crème d’endives, noix de St Jacques, champignons

Pour 4 personnes, il vous faut 1,5 kg d’endives, 12 noix de Saint-Jacques, 300 g de champignons (de Paris, pleurotes, shitakés,…) 40 g de beurre demi-sel, 1 cuillère à soupe de sucre, 20 cl de crème, ½ citron, quelques brins d’origan thym, poivre, sel.

Retirez les premières feuilles des endives et coupez le talon et le cœur, plus amer.

Coupez les endives en rondelles et faites fondre dans une sauteuse avec 20 g de beurre. Saupoudrez de sucre, salez, poivrez et cuisez pendant 25 à 30 minutes à couvert en mélangeant régulièrement jusqu’à ce qu’elles soient fondantes.

Passez les endives au blender, avec le jus de citron et la crème liquide. Réservez au chaud.

Rincez, essuyez et émincez les champignons. Rincez l’origan.

Pleurotes

Dans une poêle, faites fondre le beurre restant et faites suer les champignons à feu doux pendant 4 à 6 minutes. Augmentez le feu pour faire évaporer l’eau de végétation des champignons puis faites-les colorer à feu vif pendant quelques secondes. Réservez au chaud.

Séchez soigneusement les Saint-Jacques sans leur corail. Certains prétendent que cette virgule orange transporte des restes de digestion. Erreur : c’est l’appareil génital de ce mollusque hermaphrodite. La partie orange est l’organe femelle, ce qui est plus blanc l’organe mâle. Le corail est donc digeste, même si son goût très iodé rebute certain(e)s. Passé au mixer avec un jus de citron, c’est délicieux. Mais ici ce n’est pas utile.

Dans une autre poêle, chauffer l’huile de colza et cuisez à feu vif les noix 25 secondes de chaque côté pour qu’elles soient saisies à l’extérieur et « nacrées » à l’intérieur.

Origan

Servez la crème d’endives dans des bols. Déposer des noix de Saint Jacques et des champignons puis parsemer d’origan ciselé.

Velouté d’endives au pain d’épices et bacon croustillant

Il vous faut

6 endives, 1 l d’eau, 50 cl de lait, 1 oignon, 10 g de beurre, 4 tranches de pain d’épices, 4 tranches de bacon (50 g), 1 cuillère à café de gros sel, 1 cuillère à soupe d’ huile d’olive.

Otez les premières feuilles des endives. Ciselez-les grossièrement avec l’oignon.

Dans une cocotte, mettez le beurre à fondre et faites suer l’oignon.

Ajoutez les endives puis versez les liquides (eau et lait). Salez au gros sel.

Laissez cuire à feu moyen environ 15 min.

Pendant ce temps, coupez le pain d’épices en petits cubes et le bacon en fines lanières. Faites-les dorer dans un fond d’huile d’olive. Réservez.

Quand les endives sont cuites, mixez finement au mixeur plongeant.

Servez bien chaud parsemé du mélange bacon-pain d’épices.

Endives braisées aux zestes d’agrumes

Il vous faut

8 endives, 1 orange (zeste et jus), 1 citron jaune (zeste), 25 g de beurre, 1 cuillère à soupe de sucre roux, 1 cuillère à soupe de miel liquide, sel et poivre

Otez les premières feuilles des endives. Eliminez le talon (s’il est un peu bruni). Coupez les endives en deux dans le sens de la longueur.

Lavez les agrumes et zestez-les. Pressez l’orange et mettez le jus de côté.

Faites fondre le beurre dans une sauteuse. Déposez les demi-endives, saupoudrez-les de sucre roux, ajoutez le miel et faites caraméliser légèrement à feu vif. Ajoutez le jus de l’orange puis une partie des zestes d’agrumes. Salez et poivrez.

Laissez cuire à couvert à feu doux pendant 20 à 25 min en surveillant la cuisson. Servez  les endives braisées parsemées – juste au moment du service – des zestes d’agrumes restants, avec une volaille, des Saint-Jacques…

Endives au jambon

Pour mener à bien ce grand classique qui réjouit jeunes et moins jeunes, il vous faut

8 endives, 8 tranches de jambon blanc, 30 g de beurre, 2 cuillères à soupe de farine, ½ litre de lait, sel, poivre, noix de muscade, 100 g de gruyère râpé.

Lavez les endives, retirez les premières feuilles, coupez le talon et le cœur.

Mettez-les à cuire à l’eau bouillante salée environ 20 min. Egouttez-les soigneusement.

Dans une casserole, mettez à fondre le beurre. Hors du feu, ajoutez la farine au beurre et remuez jusqu’à obtenir un mélange lisse.

Toujours hors du feu, versez le lait et mélangez bien, de préférence au fouet.

Faites cuire à feu doux en remuant régulièrement jusqu’à épaississement (5 à 6 min). Salez, poivrez, ajoutez quelques grains de noix de muscade râpée.

Emballez les endives cuites dans les tranches de jambon puis rangez-les dans un plat à gratin. Nappez de béchamel puis parsemez de gruyère râpé. Faites gratiner au four environ 10 min.

Barbe de capucin

Cet ancêtre est cultivé depuis deux siècles dans les “catiches”, cavités de roche calcaire de la banlieue lilloise. Il n’en reste que deux producteurs. Plus amère que la “witloof”, elle peut “booster” une assiette de petits pois après un rapide passage au beurre par exemple. Avec des rates du Touquet tièdes, des lardons chauds et un œuf mollet, accompagnée d’huile d’olive et d’un jus de citron, c’est aussi raffiné que délicieux.

La chicorée en grains

Jean-Baptiste-Alphonse Leroux

En 1858, Jean-Baptiste Alphonse Leroux achète la manufacture Herbo fils & Cie à Orchies. L’usine produit alors du chocolat, du tapioca, de la moutarde … et de la chicorée torréfiée. Elle compte six ouvriers. Au début du XXe siècle, la maison se spécialise dans la seule production de chicorée en grains et développe son chiffre d’affaires en utilisant toutes les ficelles du marketing naissant.

Elle invente notamment les vignettes qu’on peut découper sur les paquets, fait appel à de talentueux peintres affichistes pour créer des affiches 4×3 et s’investit dès 1950 dans le sponsoring sportif.

Les racines de chicorée sont arrachées à l’automne, séchées puis torréfiées. La chicorée permet de réduire la teneur en caféine et apporte sa saveur de caramel.

En cuisine, la chicorée liquide offre des montagnes d’idées, en pâtisserie mais pas que…

Crêpes au cidre et à la chicorée

Quarante jours après Noël, soit le 2 février, la fête des chandelles, ou Chandeleur recommande en France, en Belgique et en Suisse de confectionner des crêpes. La fête, païenne et latine à l’origine, a été recyclée par les Chrétiens qui célèbrent pour l’occasion la présentation de Jésus au Temple.

Présentation de Jésus au temple, Andrea Mantegna, 1465.

Il vous faudra

3  cuillères à soupe de sucre, 250  gr de farine, 3  œufs, 3  cuillères à soupe d’huile, 1 pincée de sel, 3  cuillères à soupe de chicorée liquide, de l’eau, 40  cl de cidre.

Dans un saladier, mélangez la farine, le sucre et le sel.

Versez progressivement le cidre, les œufs, la chicorée liquide et l’huile. Si la pâte est trop épaisse, ajoutez un peu d’eau. Mélangez le tout pour obtenir une pâte lisse et homogène puis laisser reposer 30 minutes.

Mélangez de nouveau la préparation.

Faites cuire les crêpes à la poêle (c’est quand même plus amusant de les faire sauter que de faire confiance à la fée électricité) ou sur une crêpière.

Crème d’endives à la chicorée

Il vous faut

4 endives, 1 oignon, 3 petites pommes de terre grenaille, 1 cuillère à soupe de chicorée liquide, 10 cl de crème liquide, 12 noix de Saint-Jacques, 2 cuillères à soupe d’amandes effilées torréfiées. Sel, poivre, un peu de beurre pour la cuisson.

Coupez les endives en morceaux en retirant le cœur pour éviter l’amertume.

Epluchez l’oignon et émincez-le. Faites fondre un peu de beurre dans une poêle et mettez à revenir l’oignon et les endives.

Laissez cuire 5 minutes en mélangeant de temps en temps.

Épluchez les pommes de terre. Coupez-les en dés et ajoutez-les dans la poêle. Versez 25 cl d’eau. Salez, poivrez et couvrez. Laissez cuire 30 minutes.

Mixez la soupe et ajoutez la crème liquide et la chicorée liquide.

Au moment du service, faites dorer les noix de Saint-Jacques dans une poêle avec du beurre (25 secondes de chaque côté).

Salez, poivrez.

Servez la soupe bien chaude, déposez trois noix de Saint-Jacques par personne et répartissez les amandes.

Lendemains qui chantent ?

Branle-bas dans les nichoirs : « quoi, caqueter jusque 64 printemps, quand les poules auront des dents ? ». Les promesses de doubles rations de graines n’auront pas suffi, cette semaine on passe notre tour. Mais vous ne perdez pas au change, les plumitifs ont promis de nous en faire voir de toutes les couleurs pas plus tard que dès le 26 janvier…

Et je me permets de vous indiquer qu’en attendant, le lundi 23 janvier à 19h, nous dînerons et discuterons autour du chocolat aux Temps d’Em, accueillante échoppe de la grand place de Montreuil devant la statue du général Haig. Réservations indispensables ici

Pour vous plonger dans l’ensemble des chroniques c’est ici

Du marais à l’assiette, le céleri

Voilà un compère de cuisine pour le moins discret ! Au point que certains l’affublent du sobriquet de “bonne à tout faire des fourneaux” …

Ache des marais

Le céleri est utilisé depuis toujours, d’abord sous sa forme sauvage la “ache des marais” qu’on peut trouver au bord des rivières (attention, la ache sauvage est aujourd’hui protégée, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais).

On le cultive depuis la Renaissance. Et pour les néophytes, le céleri branche et le céleri rave sont deux cousins très proches, qui n’ont développé leurs caractéristiques que par le travail de sélection des botanistes.

Chacun sait qu’on devrait consommer beaucoup plus de légumes et le céleri, très peu calorique, n’est pas le moins pourvu de qualités en tous genres. Ses antioxydants font merveille dans la prévention des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Et il contient de la “lutéoline” qui stimule les cerveaux vieillissants !

Le céleri est indispensable dans bon nombre de plat “bistrottiers” et notamment l’inévitable “pot au feu” de l’hiver. Mais attardons-nous un instant sur le savoureux céleri rémoulade devenu très “tendance” au même titre que l’œuf dur mayonnaise ou le poireau vinaigrette.

La sauce rémoulade était au départ une vinaigrette enrichie d’anchois, de câpres et d’herbes. On y ajoute ensuite un peu de velouté, puis de la moutarde. Arrive en 1806 André Viard qui remplace le velouté par un jaune d’œuf et enlève les anchois et les câpres. La mayonnaise est née ! Pour les puristes, la différence entre la mayonnaise et la rémoulade, c’est la moutarde, présente dans la mayonnaise, pas dans la rémoulade.

André Viard mérite qu’on s’attarde sur lui. Chef cuisinier depuis la période révolutionnaire, il édite en 1806 “Le cuisinier impérial” qui deviendra en 1817 “Le cuisinier royal“. 950 recettes répertoriées et codifiées. Ce manuel de référence connaîtra … 32 éditions jusqu’en 1875.

Viard accompagne Louis-Philippe de Ségur, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg. Il revient ensuite à Paris au service du richissime Francis Egerton, comte de Bridgewater, après un passage par Vienne et Londres avec le prestigieux juriste Cambacéres. Il décline l’invitation de George IV, futur roi d’Angleterre, à devenir son “officier de bouche”.

La tombe d’André Viard et ses trésors enfouis, au cimetière du père Lachaise

C’est un homme discret, au point qu’il est bien difficile de dégotter son portrait. Mais les caprices de ses différents patrons ont un peu déteint sur lui. Bien avant son décès, il fait construire sa tombe au Père Lachaise. Il exige que son cercueil soit assez grand pour qu’on accompagne sa dépouille de 1000 livres de sel et autant de son. Il interdit à ses 25 meilleurs amis de se recueillir devant sa tombe mais les invite à se rassembler chez un restaurateur autour d’un repas qu’il a commandé pour la somme de 1000 francs de l’époque, soit 94,80 € par personne, addition très confortable en 1834.

Le céleri est plein de ressources. Rave ou branche, il peut se décliner de multiples façons. Les branches coupées en fins tronçons donnent de la couleur et du goût à une salade, un morceau de poisson ou de viande. Avec les graines de céleri broyées, on peut faire du sel de céleri indispensable à la préparation du Bloody Mary (https://recettesahistoires.com/2022/10/05/le-brunch-une-mode-une-solution/).

Et les chefs les plus créatifs ne sont pas en reste pour en trouver de nouvelles déclinaisons.

Alain Passard

Alain Passard propose parfois dans son “Arpège” une pomme de céleri cuite en croûte de sel pendant trois heures, servie en entrée froide ou tiède avec une mayonnaise bien moutardée.

Yannick Alléno

Yannick Alléno est familier de ce légume  avec son “Brochet brioché, extrait de céleri“, le “Canard, tarte feuilletée pommes-cannelle au foie gras, céleri en croûte de foin“, la “Noix de saint Jacques à cru, transparence de soja, céleri et citron caviar“, l'”Avocat resté sur l’arbre 18 mois en mille-feuille de céleri, extraction coco aux éclats de chia

Eric Frechon

Il en va de même pour Eric Frechon et son “Pâté en croûte de gibiers à plumes et rémoulade de céleri au raifort“, le “Céleri-Rave Monarch rôti à la broche, oignon paille, truffe noire et lard fumé, rémoulade de céleri aux noix et râpé de truffe noire” ou encore la “Soupe de topinambour, écume de café, crumble céleri cacao“.

Bernard Stamm

Je vous propose pour terminer les ravioles de Bernard Stamm dans son domaine alsacien d’Obernai (https://www.lafourchettedesducs.com/)

Il vous faut :

2 carottes

¼ de céleri rave

persil et coriandre

16 feuilles de raviole

120g de foie de canard frais

1 jaune d’œuf

2l de bouillon de bœuf

sel et poivre du moulin

Épluchez et lavez les carottes ainsi que le céleri et détaillez-les en brunoise. Cuisez la brunoise « à l’anglaise » dans 50cl d’eau bouillante salée, encore croquante. Hachez le persil et la coriandre. Réservez au frais.

Coupez le foie gras en cubes d’environ 1 cm de côté (environ 15 g). Disposez 8 feuilles de raviole, placez un cube de foie de canard frais au centre de la feuille. Salez et poivrez et fermez les ravioles avec les 8 autres feuilles en les badigeonnant de jaune d’œuf à l’aide d’un pinceau. Pochez les ravioles 5 min dans de l’eau bouillante salée.

Disposez les ravioles dans une assiette creuse ainsi que la brunoise de carotte et de céleri, nappez de consommé de bœuf bouillant et agrémentez de persil et de coriandre hachés.

Noir c’est noir ?

Je ne voudrais pas me mettre à dos les très nombreux fans de Johnny, mais je pense que les paroles de la chanson “Noir c’est noir” empruntée en 1966 au groupe espagnol “Los Bravos” ne reflètent pas nécessairement la réalité.

Noir c’est noir
Il n’y a plus d’espoir
Oui gris c’est gris
Et c’est fini, oh, oh, oh, oh
Ça me rend fou j’ai cru à ton amour.

D’ailleurs, à la fin des 3’12 de ce “hit” éternel les choses semblent susceptibles de s’arranger

Noir c’est noir

Il me reste l’espoir

Je préfère pour ma part les propos du peintre Pierre Soulages, mort à 102 ans en octobre 2022. Cet immense artiste avait compris après la deuxième guerre mondiale la nécessité  de “réinventer la peinture” avec de nouveaux outils et de nouveaux matériaux.

” J’ai d’abord employé le noir pour sa capacité à illuminer les couleurs sombres. C’était, au fond, une manière de créer de la lumière par le contraste. À partir de 1979, j’ai recouvert totalement ma toile avec la même couleur noire. Ce n’était plus le noir qui comptait alors, c’était le reflet par les différents états de surface du noir : quand il était strié, cela dynamisait la surface, lorsqu’il était lisse, c’était une surface calme qui réfléchissait la lumière différemment. Il y avait toute une série de possibilités. Mais à ce moment-là, je ne travaillais plus réellement avec le noir, je travaillais avec la lumière ; pas n’importe quelle lumière : celle réfléchie par les états de surface de la couleur noire. Réfléchie, transformée et, j’ai envie de dire, transmutée. »

Une des peintures monumentales au noir de bitume exposées au musée Soulages (Rodez)

Le noir fait vibrer la lumière et les couleurs, en peinture comme en cuisine !

Voici une petite revue très subjective et non exhaustive de recettes qui portent le noir en cuisine. Et ce n’est pas triste !

Tiens, du boudin !

On tient peut-être là un des plus anciens trésors de notre paradis charcutier. Aphtonite, un cuistot de la Grèce antique aurait créé cette recette en faisant cailler du sang dans des boyaux, accommodé selon les goûts avec des épices, des lardons, du riz, des morceaux de gras, des pommes ou des raisins secs… Depuis, on la retrouve un peu partout dans les tavernes, y compris en Amérique latine, dans la sphère russophone, en Espagne, dans le “breakfast” anglais…

Le boudin blanc date, lui, du Moyen Age et contient du lait, de la fécule, de la mie de pain et de la viande blanche (poulet ou volaille essentiellement) ainsi que différents arômes (truffes, porto, marrons…)

Une tuile au charbon ou à l’encre

Vous voulez étonner vos convives en légèreté et à moindre prix ? Rien de tel qu’une tuile, sucrée ou salée qui donnera du volume à une assiette et attirera le convive qui cassera la tuile, pour découvrir ce qu’elle cache…

L’ordre du jour étant au noir, concentrons-nous sur les tuiles plutôt salées, au charbon ou à l’encre.

Pour fabriquer du charbon actif, on carbonise du bois ou une matière organique végétale en la faisant chauffer à sec dans un récipient jusqu’à éliminer toute humidité. Remplissez une grande casserole de morceaux de bois dur et posez un couvercle léger dessus. Mettez-la sur le feu pendant 3 à 6 heures.

Les éléments calcinés, en se volatilisant, créent des alvéoles dans le carbone.

Le chêne, le bouleau, le peuplier, le hêtre, le pin, le saule ou encore le tilleul fournissent un bois propice au charbon actif. Il peut aussi être issu de bambou, d’écorce de noix de coco, de noyaux d’olives, de coques de cacahuète ….

Il vaut mieux éviter en revanche les charbons utilisés dans l’industrie obtenus à partir de résidus pétroliers… .

Le charbon végétal a des quantités d’applications, notamment pour purifier l’air, l’eau ou le corps. Il est depuis longtemps entré dans la composition des filtres de masques à gaz. Les Egyptiens utilisent depuis toujours le charbon végétal comme désodorisant, pour soigner les problèmes intestinaux mais aussi pour purifier l’eau.

L’encre de seiche, aussi appelée sépia, est un liquide riche en mélanine présent dans la poche de la seiche que cette dernière éjecte pour se protéger et s’extraire de situations délicates.

Lançons-nous dans la fabrication de quelques tuiles qui agrémenteront par exemple un poisson blanc avec une garniture colorée (poivrons, tomates…) ou pour valoriser une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…

Il vous faut :

160 g d’eau

60 g d’huile

20 g de farine type 55

Du charbon végétal ou de l’encre de seiche

Réunissez l’eau froide, l’huile et la farine et mixez. Ajoutez le colorant et mixer à nouveau. Chauffez une petite poêle anti-adhésive légèrement graissée. Versez comme pour une crêpe, une petite quantité d’appareil dans la poêle chaude. Laissez bouillir jusqu’à évaporation de l’eau. Continuez la cuisson jusqu’à atteindre la rigidité de la tuile. La tuile se détache facilement une fois cuite. Débarrassez sur un papier absorbant.

Avec cette tuile anthracite, vous donnerez du “peps” à une pièce de volaille, un fromage, un apéritif avec des olives…

Des pommes de terre à l’ail noir

L’ail noir est un ail bruni à basse température (60 à 80 °C) dans une enceinte humide (70 à 90 %) durant 2 à 3 semaines, prenant une texture similaire à celle d’un pruneau d’Agen, utilisé en cuisine asiatique, notamment en Corée.

Pour impressionner votre entourage, précisez que ce brunissement non enzymatique est une conséquence de la réaction de Maillard qui survient pendant la cuisson des aliments. Elle est en partie responsable du brunissement et du déploiement des arômes.  À 90°C, la réaction de Maillard se produit lentement. Pour augmenter sa vitesse, il faut que la surface de l’aliment dépasse le point d’ébullition de l’eau (100°C). L’ail cru a une odeur tenace et peut être mal digéré. L’ail noir a un goût qui rappelle le vinaigre balsamique, la réglisse et de douces saveurs sucrées et acidulées. Mais, à partir de 180°C, la réaction de Maillard laisse la place à la “pyrolyse”. On entre alors dans le chapitre des “ratages” et des plats carbonisés…

Originaire de Nancy, Frédéric Anton, un des Meilleurs Ouvriers de France (MOF) est aux pianos du luxissime Pré Catelan dans le Bois de Boulogne à Paris, depuis 1997. En 2007, il y décroche la prestigieuse troisième étoile.  En 2018, en compagnie de Thierry Marx, il rafle à Alain Ducasse la gestion des restaurants de la Tour Eiffel.

Sur Alain Ducasse et les batailles au sommet de la grande gastronomie française, voir https://recettesahistoires.com/2022/07/11/colbert-eiffel-et-de-gros-poissons/

Voici sa version simplissime et particulièrement goûteuse de ses pommes de terre à l’ail noir

1,2 kg de pommes de terre charlotte

quelques brins de thym citron

150 g de beurre demi-sel

1 tête d’ail noir

un peu de fleur de sel

du poivre concassé

Pelez et lavez les pommes de terre. Cuisez-les à la vapeur avec quelques brins de thym citron pendant 35 minutes. Égouttez-les et mettez-les entre deux torchons. Aplatissez-les délicatement avec la paume de la main pour qu’elles éclatent légèrement.

Préparez un beurre noisette, faites-y colorer les pommes de terre de chaque côté, puis ajoutez l’ail noir en chemise et le reste du thym. Arrosez avec le beurre de la cuisson. Dressez les pommes de terre et parsemez de fleur de sel et de poivre concassé. Servez aussitôt.

Radis noir, le top du détox

D’octobre à janvier, vous trouvez sur les étals des cylindres pas forcément très engageants mais pourtant pleins de ressources. Le radis noir, alias le radis d’Espagne, alias le raifort parisien favorise la digestion, draine le foie, augmente la sécrétion de bile et facilite l’élimination des toxines accumulée par exemple durant la trêve des confiseurs…

Il n’est pas forcément nécessaire de faire très compliqué pour se faire plaisir : une tranche de radis noir translucide sur une tartine beurrée : un peu de piquant, du gras, le croquant de la chair (on laisse la peau noire pour l’esthétique), la douceur de la mie. Sacré programme avec si peu de choses !

Il est possible de décupler ces sensations, par exemple  avec quelques copeaux de betterave rouge crue, des pousses d’épinards, quelques clémentines dont on aura prélevé un peu de zeste (la saison a lieu de novembre à février) et des noix de Saint-Jacques (saison d’octobre à avril) riches en protéines, pauvres en graisse, particulièrement abondantes depuis que la profession en a réglementé la récolte. Vous pouvez les utiliser crues finement tranchées en carpaccio, ou entières passées au beurre (45 secondes maxi de chaque côté).

Les couleurs de la forêt noire

Le costume traditionnel des habitants de la Forêt-Noire se compose de noir, de rouge et de blanc, couleurs que l’on retrouve dans le gâteau imaginé en 1915 à Bad Godesberg par un jeune pâtissier, Josef Keller, qui propose un biscuit à la noisette imbibé de kirsch, tartiné de confiture à la cerise noire. Incorporé dans un bataillon d’infanterie, il doit mettre de côté sa recette, jusqu’en 1919 où il ouvre une pâtisserie sur les bords du lac de Constance.

Josef Keller

La formule est semble t-il améliorée en 1930 par Erwin Hildenbrand, pâtissier à Tübingen, qui remplace le biscuit aux noisettes par une gênoise au chocolat et le surmonte de crème au beurre fourrée de cerises et de crème chantilly puis de copeaux de chocolat.

1930 est une date importante dans l’histoire de la cuisine et de la pâtisserie puisqu’à cette époque apparaissent les premiers réfrigérateurs domestiques. Il devient donc possible de fabriquer et de conserver quelques jours ces constructions fragiles. Cela correspond à l’essor des gâteaux à la crème. Et la Schwarzwälder Kirschtorte connaît un essor fulgurant.