Dans la série des légumes oubliés, il y a ceux qu’on a vraiment oubliés, et ceux que nos parents ou nos grands-parents ont été trop contents de ranger au fin fond de leur mémoire. Car je vous parle d’un temps que seules les personnes âgées de 88 ans et plus peuvent connaître…
Transportons-nous d’abord au temps des Poilus. Durant la Première guerre mondiale, les civils allemands et autrichiens font face à une quasi-famine et doivent leur survie à l’utilisation des topinambours et autres rutabagas qu’ils cuisinent à toutes les sauces, matin, midi et soir. Leurs enfants en font des cauchemars, et voyant arriver les mobilisations du IIIe Reich, intiment à leurs supérieurs de réquisitionner les pommes de terre de tous les pays qu’ils conquièrent. Par contrecoup, nos aïeuls se sont retrouvés à consommer ces racines que les soldats allemands abhorraient…

Aujourd’hui, nouveau pied de nez de l’Histoire : les légumes détestés par tous ceux qui ont vécu l’Occupation reviennent au devant de la scène !

Le topinambour est aussi appelé artichaut de Jérusalem, ou truffe du Canada, ou soleil vivace. On doit ces appellations à l’explorateur Samuel de Champlain, qui découvre ce légume en 1603, dans la Nouvelle France (le Canada). Les autochtones l’utilisent pour leur alimentation et comme fourrage pour leurs animaux.
Il est facile à cultiver, même dans des sols pauvres, il est peu sensible aux maladies. Et les navigateurs en diffusent l’utilisation un peu partout en Europe.
Il faudra attendre les recherches d’Antoine Parmentier à la fin du XVIIIe siècle pour que s’impose la pomme de terre (https://recettesahistoires.com/2022/08/16/parmentier-le-vrp-de-la-patate/)
Le topinambour est certes très facile à cultiver : les jardiniers savent la difficulté à s’en débarrasser. Le moindre morceau oublié dans une parcelle et hop c’est reparti !

La plante (helianthus tuberosus) produit une tige feuillue qui peut atteindre 3 m de hauteur et une fleur jaune qui rappelle son cousinage avec le tournesol (helianthus annuus). Les 66 espèces d’helianthus ont l’immense privilège d’être méllifères. Elles attirent les abeilles et contribuent ainsi à la bonne santé de l’écosystème environnant.
Le topinambour a aussi l’avantage d’être très peu calorique grâce à la présence d’inuline dans sa structure, ce qui le rend très intéressant pour les diabétiques et celles et ceux qui souhaitent maigrir (méfiez-vous des publicités avantageuses sur le sujet, ce sont en règle générale des arnaques…)
Mais l’inuline a les défauts de ses qualités : elle n’est pas assimilée par l’intestin grêle, ce qui peut occasionner quelques flatulences si vous en consommez exagérément !
Petite astuce suggérée par les diététiciens : ajoutez une petite cuillère à café de bicarbonate de sodium dans l’eau de cuisson ou quelques pommes de terre.
Poulet, poire, topinambour

Est-ce utile de présenter Philippe Etchebest ? Certes un guide aussi célèbre que jalousé lui a octroyé une mignonne étoile rouge à Bordeaux en 2001. Certes il fréquente assidûment les studios de télévision. Mais surtout il porte au col de sa veste de travail le liseré tricolore qui fait de lui depuis 2000 un des “meilleurs ouvriers de France” à l’issue d’un redoutable concours professionnel.
Il vous faut 5 filets de poulet, 1 blanc d’œuf, 1 cuillère à soupe de crème, 600 g de topinambours, 50 cl de lait, 5 poires (Conférence par exemple), un peu de fève de Tonka, du grué de cacao, 2 étoiles de badiane, 50 g de sucre, huile, sel et poivre.
Faites chauffer de l’eau dans une casserole avec le sucre et la badiane, pelez 3 poires et taillez-les en fines lamelles à la mandoline. Laissez infuser les lamelles pendant quelques minutes (feu éteint).
Préparez une farce fine : coupez un filet de poulet, hachez finement, salez, poivrez, ajoutez la crème et un blanc d’œuf puis mélangez de nouveau.
Faites revenir à la poêle, dans un peu d’huile, les deux filets restants des 2 cotés. Badigeonnez la face extérieure avec la farce fine de volaille puis recouvrez avec les lamelles de poires façon écailles. Serrez-les en ballottine dans un film alimentaire.
Cuisez-les 15 mn à la vapeur ou en immersion dans une casserole d’eau à peine frémissante.
Pelez et coupez 500 g de topinambours. Faites-les cuire dans le lait avec une pincée de sel. Lorsque les morceaux sont cuits, mixez et assaisonnez-les.
Coupez les poires et topinambours restants en petits dés. Faites-les sauter à la poêle à feu vif avec un peu d’huile.
Retirez le film de la ballottine, caramélisez les filets au chalumeau.
Répartissez la brunoise dans le fond des assiettes et posez un filet dessus.
Versez le velouté autour et saupoudrez de grué de cacao et de fève de Tonka râpée.
Fruit d’une rencontre improbable entre un chou frisé et un navet, le rutabaga est ce qu’on appelle un “hybride” dénommé “corne de bélier” en Suède parce qu’il était utilisé pour nourrir les ovins.

Très semblable au navet, le rutabaga se distingue par sa grosseur et sa chair jaune foncée. Très rustique comme son collègue topinambour, c’est un légume d’hiver qu’on sème en avril et qu’on peut consommer dans les mois d’hiver, d’octobre à décembre, il est riche en fibres et en vitamine C.
Vous pouvez le déguster rôti au miel, cuit auparavant à l’eau bouillante ou à la vapeur pendant une dizaine de minutes découpé en cubes. Vous faites fondre ensuite une noix de beurre à la poêle, vous faites revenir le rutabaga avant de déglacer au vinaigre et de le laisser confire avec un peu de miel, et d’ajouter un peu de crème fraîche pour le service.
Houmous de topinambour, panais et rutabaga
Certes “houmous” désigne au Liban le pois chiche déjà évoqué ici précédemment (https://recettesahistoires.com/2022/07/14/le-pois-chiche-nest-pas-egoiste/). Mais la cuisine est souvent faite de ces emprunts pas forcément remboursés…

Il vous faut 4 topinambours, 1 panais, 1 ou 2 rutabagas, 2 gousses d’ail, 1 cuillère à soupe de tahin [purée de graines de sésame torréfiées et broyées, indispensable dans toute cuisine moyen-orientale, 2 à 3 cuillères à soupe d’huile d’olive, sel de mer, un peu de mélasse de grenade (sirop épais et concentré de jus de grenade frais), 1 cuillère à soupe de graines de sésame blond.
Préchauffez le four à 210°. Pelez et dégermez les gousses d’ail. Pelez et coupez en petits morceaux les légumes. Déposez-les sur une feuille de papier aluminium avec les gousses d’ail. Arrosez d’une cuillerée à soupe d’huile d’olive. Fermez le papier pour former une papillote.
Enfournez pour 30 minutes. Éteignez le four. Mixez les légumes avec la purée de sésame et un peu de sel. Ajoutez progressivement de l’huile d’olive : le houmous doit être bien crémeux. Au moment de servir, arrosez l’houmous d’un filet de mélasse de grenade et saupoudrez de graines de sésame.