Parmentier, le VRP de la patate

Si à cinquante six balais, tu as une recette de cuisine et une station de métro à ton nom, mais pas de Rolex au poignet, c’est que t’as raté ta vie.

Antoine Parmentier ne coche qu’une case. En 1813, date de sa mort à 56 ans, on connaît déjà les horloges à pendule et les montres à gousset. Mais Hans Wilsdorf, fondateur de Rolex est encore dans les limbes (la maison naît en 1905)… Quant au métro de Paris, il est inauguré en juillet 1900 !

En revanche le parmentier, gratin de restes de viande recouvert de purée de pomme de terre, il en est bien à l’origine.

Antoine Parmentier par François Dumont (1812)

Ce pharmacien est né à Montdidier en Picardie en 1737. Ses parents lingers ont connu des revers de fortune, et il doit son éducation au curé de la paroisse, qui lui enseigne le latin, passeport indispensable pour devenir apothicaire à l’époque. En 1750, il est commis auprès d’un pharmacien de Montdidier, puis à Paris.

N’ayant pas les moyens d’ouvrir sa propre officine, Antoine décide de s’enrôler dans l’armée.

En 1757, il est pharmacien dans les hôpitaux de l’armée de Hanovre au cours de la “guerre de Sept Ans”, qui oppose, de 1756 à 1763, la France alliée à l’Autriche et la Grande-Bretagne alliée à la Prusse. C’est de fait le premier grand conflit mondial sur notre continent, qui voit notamment l’Empire russe s’allier aux côtés de l’Autriche et le royaume d’Espagne aux côtés de la France. Et à la fin, c’est la Prusse et la Grande-Bretagne qui gagnent… Et ce conflit se poursuivra de manière plus ou moins larvaire jusqu’en 1815 et la bataille de Waterloo, dans le Brabant wallon qui marque la défaite définitive de Napoléon. Je reviendrai un jour sur cette bataille et le fameux bœuf Wellington…


En rouge : Grande Bretagne, Prusse, Portugal et leurs alliés
En bleu : France, Espagne, Autriche, Russie et leurs alliés
Les étoiles désignent les grandes batailles de la Guerre de Sept ans

En 1774, Parmentier est pensionnaire de Louis XVI à l’Hôtel des Invalides, construit un siècle auparavant pour accueillir les invalides de l’armée. Il a le statut d’apothicaire de cette grande maison, y dispose d’un appartement gratuit et peut se consacrer à ses recherches, en compagnie de sa sœur Marie-Suzanne, qui l’accompagnera toute sa vie.

Pendant la guerre de sept ans, Parmentier, prisonnier en Prusse, a goûté une bouillie de pommes de terre et a décelé les avantages alimentaires de ce tubercule. Les famines de 1769 et 70 le poussent à chercher des alternatives au blé et il met en évidence que l’amidon de la pomme de terre est un précieux substitut aux céréales. Avec d’autres scientifiques il cherche les moyens de fabriquer du pain à la pomme de terre. En 1786, il obtient de pouvoir cultiver une parcelle dans la plaine des Sablons située aujourd’hui à Neuilly-sur-Seine.

Et en août de cette année, il est très fier d’offrir un bouquet de plantes fleuries (celles que je vous offre en ouverture de cette chronique) au Roi, qui s’empresse d’en accrocher une fleur à sa boutonnière ainsi que dans la perruque de Marie-Antoinette, en déclarant “La France vous remerciera un jour d’avoir trouvé le pain des pauvres.” Quel attaché de presse !

Plus qu’un scientifique, Parmentier a été en l’occurrence un extraordinaire directeur du marketing de la pomme de terre, un légume que les Incas cultivaient depuis 8000 ans, introduite en Europe par les conquistadors espagnols. En fait, avec la complicité de la cour, il défait la pomme de terre de son image d’aliment du pauvre.

Il organise ainsi en octobre 1778 un repas de pommes de terre, devant les fours de la boulangerie de l’Hôtel des Invalides pour goûter le fameux pain de pommes de terre, ainsi qu’une série de plats à base de pommes de terre. Assistent à ce repas quelques “people” de l’époque, comme Lavoisier, ou Benjamin Franklin. Parmentier profite de l’occasion pour présenter “Le parfait boulanger ou traité complet sur la fabrication et le commerce du pain“.

Voici le menu servi ce jour-là :

Deux potages dont l’un était une purée du “nouveau légume” et l’autre un bouillon gras dans lequel était coupé en tranches un pain de pommes de terre qui mitonnait assez bien sans trop s’émietter.

Puis venaient comme entrées des pommes de terre en matelote, à la sauce blanche, à la maître d’hôtel et au roux.

Rôti : pommes de terre frites, salades de pommes de terre.

Entremets : beignets et confitures de pommes de terre

Le repas se terminait par un fromage de pommes de terre et un gâteau de fécule.

Et on mangea pendant tout le dîner un pain mêlé de pulpe de pommes de terre et de farine de froment.

Voir plus bas les recettes de pain et de confiture tirées de ce repas

Et puis chacun connaît l’épisode de la garde du champ des Sablons. Pour vaincre les réticences, Parmentier fait garder le champ de la plaine des Sablons par des hommes en armes le jour, mais pas la nuit. La garde du champ augmente la valeur de la culture aux yeux du peuple parisien qui croit qu’il s’agit d’un mets de choix réservé à la table du roi et de la Cour et, la nuit, les vols de tubercules sont aisés. Le peuple parisien en profite donc pour « voler » des tubercules et la consommation se serait alors répandue. La légende a sans doute un peu enjolivé la réalité, mais elle correspond néanmoins au moment où ce “légume du pauvre” prend ses quartiers de noblesse. Il n’est plus simplement bouilli ou cuit sous la cendre et servi avec du lard, mais il accompagne les ragoûts, servi avec du beurre et devient le légume de la cabane et du château. Le hachis parmentier conquiert les campagnes de France et de Navarre, surtout après que Parmentier en ait fait goûter au Roi.

Aujourd’hui la pomme de terre est cultivée dans 150 pays. La France est premier exportateur mondial de pommes de terre et le 2e producteur européen. Et la pomme de terre est la 4e culture vivrière dans le monde, après le blé, le riz et le maïs.

Quant à Parmentier, il ne cessera de poursuivre ses investigations dans toutes les directions de la chimie alimentaire, mais aussi dans celles de l’hygiène et de la médecine. On lui doit ainsi des travaux sur la châtaigne, sur le sucre fabriqué à partir de raisin, puis de betterave. Il échafaude les principes de conservation des aliments par le froid, ainsi que les salaisons, puis les conserves par ébullition. La révolution de 1789 ne ralentit quasiment pas le rythme de ses recherches sur le maïs, l’ergot de seigle, l’opium, la vaccination anti-variolique…

En 1809, il perd sa sœur Marie-Suzanne, et lui-même meurt de phtisie en 1813, honoré, reconnu, mais sans descendance familiale. Trop occupé, il n’avait jamais eu ni femme ni enfant. Il est enterré au cimetière du père Lachaise. Des anonymes viennent régulièrement y déposer des pommes de terre.

La tombe d’Antoine Parmentier au cimetière du père Lachaise. Des anonymes viennent régulièrement y déposer des pommes de terre

Le pain de pomme de terre

Ingrédients :

– 500g de farine de blé

– 400 g de pomme de terre

– levure de boulanger

– 2 œufs

– 1 cc de sel et de sucre

Éplucher les pommes de terre et les cuire (à la vapeur de préférence), écrasez-les encore chaudes.

Dans une terrine mélangez la farine, le sucre, le sel, ajoutez la levure et mélangez.

Ajouter la purée de pomme de terre et bien mélanger.

Incorporer les œufs battus légèrement, le beurre mou et pétrir jusqu’à ce que la pâte soit lisse, légère et un peu élastique.

Formez une boule, que vous couvrez et laissez lever jusqu’à ce qu’elle double de volume.

Dégazez la pâte délicatement, posez-la sur un plan de travail légèrement fariné, et confectionnez des petits pains de votre choix.

Badigeonnez avec un peu d’œuf battu et de lait.

Enfournez à 180°C pour une trentaine de minutes

Confiture de pommes de terre

– 1 bâton de cannelle

– 2 anis étoilés

– 1 gousse de vanille fendue et grattée

– 150 ml d’eau

– 375g de sucre roux

– 500g de pommes de terre pelées et coupées en morceaux

Portez à ébullition les morceaux de pommes de terre dans une casserole d’eau froide non salée, et les faire cuire jusqu’à tendreté. Les égoutter et les réduire en purée très fine.

Dans une bassine à confitures, portez à ébullition le sucre mélangé à 125 ml d’eau avec la cannelle, la vanille et l’anis étoilé. Quand le tout bout, baissez le feu et ajouter la purée de pommes de terre. Poursuivre la cuisson très brièvement en remuant sur feu doux. Hors du feu ôtez le bâton de cannelle, les anis étoilés et la gousse de vanille. Versez dans les pots ébouillantés, refermez-les et retournez-les jusqu’à refroidissement.

Le hachis Parmentier, au-delà des frontières

Chacun connaît la recette française à base de viande de bœuf,  accompagnée le cas échéant d’oignon et/ou d’ail, surmontée de purée de pommes de terre agrémentée selon besoins et moyens de beurre et de lait, le tout coiffé de chapelure

Je m’attarderais sur le Shepherd’s pie irlandais qui date de la même époque (1791)

Mais on trouve des variantes tout à fait contemporaines un peu partout dans le monde : le pastel de papa en Argentine ; le pastelón de papa en République dominicaine ; le siniyet batata (littéralement « assiette de pommes de terre »), ou kibbet batata en Palestine, Jordanie, Syrie et Liban ; le pâté chinois au Québec et au Nouveau-Brunswick ; le Kartofel’naya zapekanka (Картофельная запеканка) en Russie ; le bolo de batata au Brésil ; l’empadão au Portugal.

Le Shepherd’s pie

– 25 pommes de terres moyennes

– 1 oignon émincé

 – 2 carottes épluchées et coupées en rondelles

– 100 g de petits pois

–  500 g de bœuf

– 1 c. à soupe de farine

– 2 cuillères à soupe de lait

– 1 c. à soupe d’huile d’olive           

– 150 ml de bouillon de bœuf

– beurre

– sauce Worcestershire

– persil haché

– gruyère rapé

–  chapelure

–  sel, poivre

Épluchez les pommes de terre puis faites-les cuire dans une casserole d’eau bouillante. Dès qu’elles sont fondantes, égouttez-les et réduisez-les en purée en y ajoutant le lait, une noix de beurre, du sel, et du poivre.

Faites revenir le bœuf dans une poêle avec un peu d’huile. Ajoutez-y les oignons, les carottes, la farine, les petits pois et le bouillon de bœuf. Laissez mijoter quelques minutes.

Versez dans un plat allant au four la préparation à base de bœuf. Recouvrez ensuite de purée. Parsemez le tout de chapelure et de gruyère.

Enfournez pendant 30 minutes et servez chaud .

Il existe d’ailleurs en Irlande une variante au poisson : le fish pie.

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