Du marquis de Béchameil à la crête de coq

Louis de Béchameil, marquis de Nointel, pourrait aujourd’hui se targuer d’un honneur que très peu de gastronomes peuvent lui contester : la sauce qui porte son nom, simplifié par l’histoire, lui a permis que son nom propre devienne un nom commun, au même titre que la poubelle, le colt, la silhouette, et quelques autres.

Et comme c’est souvent le cas, ce petit nobliau rouennais, dont la femme était la cousine de Colbert, n’a visiblement pas inventé quoi que ce soit. Rendons-lui quand même un peu de justice : il devait au moins aimer l’art de la table, puisque ses activités de fermier général lui avaient permis d’acquérir la charge de maître d’hôtel du roi, et le titre de marquis afférent.

François Pierre de la Varenne

Plus probablement, c’est le cuisinier du marquis d’Uxelles, François Pierre de la Varenne, qui lui dédie cette sauce qu’il avait lui-même concoctée à partir de souvenirs italiens.

Cette béchamel est la base d’une longue tradition culinaire s’appuyant sur une base de farine et de matière grasse, diluée avec de l’eau ou du lait. On entre ici dans la litanie des “roux”, qu’on retrouve dans les sauces, mais aussi dans les potages. Suivant le temps durant lequel on laisse la farine se torréfier avec la matière grasse, le roux est “brun”, “blond” ou “blanc”.

En règle générale, la quantité de farine est équivalente à celle de matière grasse. C’est ce qu’on appelle le “tant pour tant”. Et on bloque la torréfaction avec l’ajout de liquide. Celui-ci peut être du lait, plus ou moins enrichi de crème, un “fumet”, bouillon de cuisson obtenu après la cuisson d’une pièce de viande ou de poisson, dans lequel peuvent aussi entrer en jeu des parties moins nobles : os, abats, moelle, arêtes, têtes, recherchées pour les sucs qu’elles contiennent, et la gélatine qui apportera de la texture

Dans les années 70, l’avènement de la “nouvelle cuisine” a failli porter un coup définitif à cette tradition séculaire de sauces très riches, et pas toujours très diététiques.

La béchamel a pourtant résisté, ainsi que ses nombreuses variantes (Mornay, Nantua, financière, soubise, Cardinale …). Au restaurant, on a essayé de privilégier les réductions, et le seul ajout de crème fraîche ou d’alcool. Mais les endives au jambon, les crêpes fourrées, les lasagnes, les soufflés, les gratins, les croque-monsieur et autres croquettes ont encore de beaux jours devant eux, dans les petites et les grandes cuisines !

Illustrons cette affirmation avec une recette qui continue de prospérer : le vol-au-vent, qu’on peut aussi décliner sous forme de bouchée à la reine, ou de croustade. Je reviendrai un jour sur le feuilletage, qui mérite plus qu’un paragraphe.

Marie Leszczynska

Nous remontons pour ce faire au XVIIe siècle et à Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, mariée à 22 ans, alors que le roi n’en avait que 15. Fille du roi détrôné de Pologne, elle comprend assez vite qu’elle n’a pas les faveurs de la cour. Elle tient son rôle de reine avec sérieux, mais le Roi ne résiste pas aux jupons de ses maîtresses, et elle se réfugie dans les bonnes œuvres, l’éducation de ses nombreux enfants… et la bonne chère.

Vincent La Chapelle

Au désespoir, elle demande un jour à Vincent La Chapelle, son “écuyer de bouche” de fabriquer un plat susceptible de réveiller les ardeurs de son mari volage mais attentionné. Le cuisinier réalise à son intention un “puits d’amour” en feuilletage dans lequel il dispose écrevisses, girolles, quenelles truffées et foies blonds de volaille, ris de veau, crêtes et rognons de coq : tout ce qu’on appelle les “béatilles” aux vertus supposées aphrodisiaques, enrobées dans une sauce financière.

La sauce financière est une béchamel mouillée au bouillon de volaille et au vin blanc, dans laquelle on ajoute du blanc de poulet et des champignons mixés

Antonin Carême

On doit le vol-au-vent à Antonin Carême, qui s’était modestement auto-proclamé “le chef des rois et le roi des chefs“. Un de ses aides se serait écrié « Regarde Antonin, il vole-au-vent ! » après que le célèbre cuisinier eût préparé un feuilletage. La différence réside sans doute dans les dimensions : le vol-au-vent mesure 15 à 20 cm et convient à une table, la bouchée autour de 10 cm est individuelle. Les ingrédients sont coupés plus finement, en “salpicon”, dit-on. Le vol-au-vent peut être plus spectaculaire pour mettre en valeur les écrevisses, les crêtes de coq, voire les morilles si le cœur vous en dit.

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