Les tomates ont dansé tout l’été,
les raisins sont vendangés,
les blés sont moissonnés,
les patates sont en purée,
Quand la bise fut venue,
d’un bond les légumes
se sont faits plus discrets
sur les étals de la cité
Refusant d’accepter de manger
des flocons et des surgelés,
notre estomac se réjouirait
de vitamines et de jus frais.
A l’automne allons déterrer
les navets et les racines.
Mais ses majestés de l’hiver
seront les choux de Pontoise et les cabus.
J’en resterai là avec les rimes et la prosodie. Cette complainte nostalgique est heureusement un peu naïve. Nos aïeuls ont depuis longtemps cherché et trouvé des parades aux caprices de la température et du soleil.
Et incontestablement, le roi des légumes des soirées froides c’est le chou que les Huns auraient ramené de leurs aventures en extrême orient.
Les marins savent depuis longtemps protéger leurs pêches et leur propre nourriture avec le sel. Les paysans utilisent un peu partout le salage, le séchage et la fumaison pour conserver les viandes et les poissons.
La choucroute met en œuvre une réaction chimique, la fermentation lactique ou lacto-fermentation. Très grossièrement, le glucose contenu dans la matière végétale se combine avec de l’eau et du sel, en l’absence d’oxygène, pour former des “bactéries lactiques” tout à fait recommandées par l’académie.
On retrouve cette technique de conservation dans de nombreux produits du quotidien : la choucroute, mais aussi les cornichons, les olives, le yogourt, les fromages, les saucissons…
Le principe de la lacto-fermentation est simple. Chacun peut se lancer dans l’aventure, avec un chou notamment. Il vous faut un chou finement émincé, 2% de sel et un bocal étanche !

Lançons nous dans une première choucroute. Les Alsaciens privilégient le “chou cabus quintal”.
Vous mettez votre chou émincé dans le bocal, n’oubliez pas de jeter quelques grains de sel entre les couches de chou.
Il faut utiliser du sel sans additif, ce qui n’est en général pas le cas du “sel de table” auquel on adjoint des anti-agglomérants et de l’iode. Privilégiez le sel de mer ou sel gris, si possible bien sec. Le sel de l’Himalaya est un “must'”, comme le sel de Maldon, récolté dans l’estuaire de Blackwater, près de Maldon (Essex). Mais Guérande est aussi bien, sinon mieux.

Sel rose de l’Himalaya
Tassez bien pour expulser un maximum d’air et remplissez le bocal autant que possible avant de le fermer hermétiquement. On pourrait ajouter de l’eau pour créer un milieu “anaérobie”, mais le chou devrait rendre suffisamment d’eau pour faire ce travail. Il faut “oublier” ce bocal si possible à l’abri de la lumière, à la température de la maison, pas au froid. Comptez au minimum deux semaines avant le début de la fermentation, l’optimum étant deux mois.
Passé ce délai, il est possible d’ouvrir le bocal, pour goûter l’acidité provoquée par la fermentation. Il suffira de bien essorer le chou pour le consommer, cru ou cuit, avec de la charcuterie mais pas seulement, avec du poisson c’est délicieux, avec ou sans vin d’Alsace…
On peut procéder de la même façon avec des navets, des carottes, de l’ail.

Sang Hoon Degeimbre
En matière de fermentation, Sang Hoon Degeimbre est une référence. Installé à Liernu, entre Louvain et Namur, dans son restaurant L’air du temps (https://airdutemps.be), au-milieu d’un jardin de cinq hectares, il conjugue le milieu dans lequel il évolue avec ses origines coréennes.
Voici ses carottes lacto-fermentées pour lesquelles il vous faut
1 litre d’eau
500 g de carottes
30 gr de sel
2 gousses d’ail
1 oignon
1/2 poire en dés
100 g de gros sel
Brossez et nettoyez les carottes. Déposez-les dans un bac et recouvrez de gros sel. Laissez macérer 3h. Rincez à l’eau courante.
Dissolvez le sel dans l’eau dans un bocal hermétique. Ajoutez les autres ingrédients et les carottes (coupées si besoin). Fermez le pot et laissez à température ambiante pendant une semaine, puis en cave ou au frigo pendant au moins trois semaines avant dégustation.
Le kimchi est un peu l’ancêtre coréen de la choucroute, voici comment Degeimbre le prépare :

Chou Pe-Tsaï
750 g chou chinois Pe-Tsaï ou Pak-choï. Il existe de nombreuses variétés de chou chinois, mais ces deux-là se vendent et se cultivent aisément dans nos contrées
75 g de sel de Maldon
400 g d’eau
50 g de chou-rave
½ oignon
1 pomme
2 gousses d’ail
10 g de gingembre
15 g de pignons de pin
1 c à soupe de Nuoc-mâm, sauce liquide à base de poisson fermentée dans une saumure
1 c. à café de Saeujeot, ou Séou Jan (crevettes fermentées salées coréennes)
Dissolvez le sel dans l’eau. Plongez-y le chou entre 1 et 5 h.
Coupez en julienne le chou rave, l’oignon, la pomme. Emincez l’ail et le gingembre.
Mélangez le tout à la main avec le Nuoc-mâm et le Séou-Jan. Entaillez le chou 1 cm au-dessus du cœur et déchirez-le en deux. Entre chaque feuille, dispersez le mélange. Roulez le chou sur lui-même et enfoncez-le dans un bocal étanche d’1 litre. Pressez fort. Refermez et laissez fermenter pendant 10 jours à température ambiante puis conserver au frais.

Yannick Alléno
Yannick Alléno est une star. Les magazines se sont délectés de sa gueule d’acteur et de ses conquêtes. En mai 2022, son fils Antoine est mort, percuté sur son scooter par un chauffard, alors qu’il rentrait du restaurant qu’il venait de créer avec son papa.
Yannick est responsable des trois restaurants et des salons du Pavillon Ledoyen (https://www.yannick-alleno.com/fr/ ), propriété de LVMH, comme l’hôtel Cheval Blanc à Courchevel et le Royal Mansour à Marrakech, que le chef supervise également, ainsi que le bistrot du Palais de la Mutualité et celui du Palais Brongniart, un salon de thé à Saint-Tropez, des hôtels à Dubaï, à Séoul, à Pékin, à Taipei, à Monaco… Et le restaurant qu’il avait créé avec son fils (https://perefilsparalleno.com/ fastfood de qualité) a rouvert en octobre 2022.

Chou de Pontoise
Alléno sait pour le moins se “médiatiser” et se démultiplier à l’image d’Alain Ducasse, mais c’est avant tout un cuisinier qui continue d’explorer de nouvelles pistes et sait mettre en valeur des produits qui disparaîtraient sans des volontés comme la sienne. C’est le cas du chou de Pontoise, et de ses incroyables nuances de bleu, rose, vert, dont on disait qu’il ne pouvait pas voyager. Depuis longtemps, il explique que la marque de la cuisine française c’est la sauce : « Je souhaite que les gens comprennent que la sauce est le verbe de la cuisine française, qu’elle est la seule à pouvoir unir dans un rapport d’harmonie deux produits totalement différents pour former un plat cohérent. Mon but est de remettre la sauce au cœur du débat. On l’a diabolisée sous l’offensive hygiéniste qui nous a fait croire que la sauce était forcément trop grasse et mauvaise pour la santé. Si l’inconscient collectif est convaincu de cela aujourd’hui, c’est parce que pendant des années, les sauces étaient mal faites. C’est comme si un mauvais peintre copiait une œuvre de Picasso. A la fin, on obtiendrait une croûte. Pour les sauces, c’est pareil. Il faut du temps, de l’expérience. Un bon saucier, c’est 15 ans de travail ! » Il a ainsi étudié les méthodes d’extraction pour condenser la substantifique moelle d’un légume, d’un parfum. Il utilise pour cela la centrifugation, la cryogénisation avec des outils qui ne se trouvent pas forcément dans la première cuisine venue, mais qu’on peut imaginer. Plus récemment, il s’est intéressé aux ressources de la fermentation. Cf interview par Mathilde Bourge in https://www.finedininglovers.fr/article/yannick-alleno-le-gout-du-terroir-par-la-fermentation
Il présente ainsi une langoustine “snackée” servie sur un mélange d’extraction de céleri et de jus de chou fermenté.

On peut approcher ce goût avec des moyens relativement simples : vous passez un pied de céleri branche au mixer, vous filtrez soigneusement le résultat au-dessus d’un récipient, et vous mélangez cela avec un peu de jus de chou fermenté. Après quelques tâtonnements vous devriez parvenir à obtenir un “miroir” légèrement sirupeux que vous napperez sur une assiette de service. Vous allez amoureusement décortiquer une “demoiselle de la mer” en conservant intacts le corps et la queue. Vous “châtrez” la bête en incisant le ventre sur sa longueur et en retirant délicatement à la pince le petit boyau noir. Vous “pochez” 10 minutes la langoustine au beurre noisette clarifié à 64°C, et vous terminez en la “flashant” quelques secondes à la salamandre.