Le chou, la fermentation, la santé

Les tomates ont dansé tout l’été,

les raisins sont vendangés,

les blés sont moissonnés,

les patates sont en purée,

Quand la bise fut venue,

d’un bond les légumes

se sont faits plus discrets

sur les étals de la cité

Refusant d’accepter de manger

des flocons et des surgelés,

notre estomac se réjouirait

de vitamines et de jus frais.

A l’automne allons déterrer

les navets et les racines.

Mais ses majestés de l’hiver

seront les choux de Pontoise et les cabus.

J’en resterai là avec les rimes et la prosodie. Cette complainte nostalgique est heureusement un peu naïve. Nos aïeuls ont depuis longtemps cherché et trouvé des parades aux caprices de la température et du soleil.

Et incontestablement, le roi des légumes des soirées froides c’est le chou que les Huns auraient ramené de leurs aventures en extrême orient.

Les marins savent depuis longtemps protéger leurs pêches et leur propre nourriture avec le sel. Les paysans utilisent un peu partout le salage, le séchage et la fumaison pour conserver les viandes et les poissons.

La choucroute met en œuvre une réaction chimique, la fermentation lactique ou lacto-fermentation. Très grossièrement, le glucose contenu dans la matière végétale se combine avec de l’eau et du sel, en l’absence d’oxygène, pour former des “bactéries lactiques” tout à fait recommandées par l’académie.

On retrouve cette technique de conservation dans de nombreux produits du quotidien : la choucroute, mais aussi les cornichons, les olives, le yogourt, les fromages, les saucissons…

Le principe de la lacto-fermentation est simple. Chacun peut se lancer dans l’aventure, avec un chou notamment. Il vous faut un chou finement émincé, 2% de sel et un bocal étanche !

Lançons nous dans une première choucroute. Les Alsaciens privilégient le “chou cabus quintal”.

Vous mettez votre chou émincé dans le bocal, n’oubliez pas de jeter quelques grains de sel entre les couches de chou.

Il faut utiliser du sel sans additif, ce qui n’est en général pas le cas du “sel de table” auquel on  adjoint des anti-agglomérants et de l’iode. Privilégiez le sel de mer ou sel gris, si possible bien sec. Le sel de l’Himalaya est un “must'”, comme le sel de Maldon, récolté dans l’estuaire de Blackwater, près de Maldon (Essex). Mais Guérande est aussi bien, sinon mieux.

Sel rose de l’Himalaya

Tassez bien pour expulser un maximum d’air et remplissez le bocal autant que possible avant de le fermer hermétiquement. On pourrait ajouter de l’eau pour créer un milieu “anaérobie”, mais le chou devrait rendre suffisamment d’eau pour faire ce travail. Il faut “oublier” ce bocal si possible à l’abri de la lumière, à la température de la maison, pas au froid. Comptez au minimum deux semaines avant le début de la fermentation, l’optimum étant deux mois.

Passé ce délai, il est possible d’ouvrir le bocal, pour goûter l’acidité provoquée par la fermentation. Il suffira de bien essorer le chou pour le consommer, cru ou cuit, avec de la charcuterie mais pas seulement, avec du poisson c’est délicieux, avec ou sans vin d’Alsace…

On peut procéder de la même façon avec des navets, des carottes, de l’ail.

Sang Hoon Degeimbre

En matière de fermentation, Sang Hoon Degeimbre est une référence. Installé à Liernu, entre Louvain et Namur, dans son restaurant L’air du temps (https://airdutemps.be), au-milieu d’un jardin de cinq hectares, il conjugue le milieu dans lequel il évolue avec ses origines coréennes.

Voici ses carottes lacto-fermentées pour lesquelles il vous faut

1 litre d’eau

500 g de carottes

30 gr de sel

2 gousses d’ail

1 oignon

1/2 poire en dés

100 g de gros sel

Brossez et nettoyez les carottes. Déposez-les dans un bac et recouvrez de gros sel. Laissez macérer 3h. Rincez à l’eau courante.

Dissolvez le sel dans l’eau dans un bocal hermétique. Ajoutez les autres ingrédients et les carottes (coupées si besoin). Fermez le pot et laissez à température ambiante pendant une semaine, puis en cave ou au frigo pendant au moins trois semaines avant dégustation.

Le kimchi est un peu l’ancêtre coréen de la choucroute, voici comment Degeimbre le prépare :

Chou Pe-Tsaï

750 g chou chinois Pe-Tsaï ou Pak-choï. Il existe de nombreuses variétés de chou chinois, mais ces deux-là se vendent et se cultivent aisément dans nos contrées

75 g de sel de Maldon

400 g d’eau

50 g de chou-rave

½ oignon

1 pomme

2 gousses d’ail

10 g de gingembre

15 g de pignons de pin

1 c à soupe de Nuoc-mâm, sauce liquide à base de poisson fermentée dans une saumure

1 c. à café de Saeujeot, ou Séou Jan (crevettes fermentées salées coréennes)

Dissolvez le sel dans l’eau. Plongez-y le chou entre 1 et 5 h.

Coupez en julienne le chou rave, l’oignon, la pomme. Emincez l’ail et le gingembre.

Mélangez le tout à la main avec le Nuoc-mâm et le Séou-Jan. Entaillez le chou 1 cm au-dessus du cœur et déchirez-le en deux. Entre chaque feuille, dispersez le mélange. Roulez le chou sur lui-même et enfoncez-le dans un bocal étanche d’1 litre. Pressez fort. Refermez et laissez fermenter pendant 10 jours à température ambiante puis conserver au frais.

Yannick Alléno

Yannick Alléno est une star. Les magazines se sont délectés de sa gueule d’acteur et de ses conquêtes. En mai 2022, son fils Antoine est mort, percuté sur son scooter par un chauffard, alors qu’il rentrait du restaurant qu’il venait de créer avec son papa.

Yannick est responsable des trois restaurants et des salons du Pavillon Ledoyen (https://www.yannick-alleno.com/fr/ ), propriété de LVMH, comme l’hôtel Cheval Blanc à Courchevel et le Royal Mansour à Marrakech, que le chef supervise également, ainsi que le bistrot du Palais de la Mutualité et celui du Palais Brongniart, un salon de thé à Saint-Tropez, des hôtels à Dubaï, à Séoul, à Pékin, à Taipei, à Monaco… Et le restaurant qu’il avait créé avec son fils (https://perefilsparalleno.com/ fastfood de qualité) a rouvert en octobre 2022.

Chou de Pontoise

Alléno sait pour le moins se “médiatiser” et se démultiplier à l’image d’Alain Ducasse, mais c’est avant tout un cuisinier qui continue d’explorer de nouvelles pistes et sait mettre en valeur des produits qui disparaîtraient sans des volontés comme la sienne. C’est le cas du chou de Pontoise, et de ses incroyables nuances de bleu, rose, vert, dont on disait qu’il ne pouvait pas voyager. Depuis longtemps, il explique que la marque de la cuisine française c’est la sauce : « Je souhaite que les gens comprennent que la sauce est le verbe de la cuisine française, qu’elle est la seule à pouvoir unir dans un rapport d’harmonie deux produits totalement différents pour former un plat cohérent. Mon but est de remettre la sauce au cœur du débat. On l’a diabolisée sous l’offensive hygiéniste qui nous a fait croire que la sauce était forcément trop grasse et mauvaise pour la santé. Si l’inconscient collectif est convaincu de cela aujourd’hui, c’est parce que pendant des années, les sauces étaient mal faites. C’est comme si un mauvais peintre copiait une œuvre de Picasso. A la fin, on obtiendrait une croûte. Pour les sauces, c’est pareil. Il faut du temps, de l’expérience. Un bon saucier, c’est 15 ans de travail ! » Il a ainsi étudié les méthodes d’extraction pour condenser la substantifique moelle d’un légume, d’un parfum. Il utilise pour cela la centrifugation, la cryogénisation avec des outils qui ne se trouvent pas forcément dans la première cuisine venue, mais qu’on peut imaginer. Plus récemment, il s’est intéressé aux ressources de la fermentation. Cf interview par Mathilde Bourge in https://www.finedininglovers.fr/article/yannick-alleno-le-gout-du-terroir-par-la-fermentation

Il présente ainsi une langoustine “snackée” servie sur un mélange d’extraction de céleri et de jus de chou fermenté.

On peut approcher ce goût avec des moyens relativement simples : vous passez un pied de céleri branche au mixer, vous filtrez soigneusement le résultat au-dessus  d’un récipient, et vous mélangez cela avec un peu de jus de chou fermenté. Après quelques tâtonnements vous devriez parvenir à obtenir un “miroir” légèrement sirupeux que vous napperez sur une assiette de service. Vous allez amoureusement décortiquer une “demoiselle de la mer” en conservant intacts le corps et la queue. Vous “châtrez” la bête en incisant le ventre sur sa longueur et en retirant délicatement à la pince le petit boyau noir. Vous “pochez” 10 minutes la langoustine au beurre noisette clarifié à 64°C, et vous terminez en la “flashant” quelques secondes à la salamandre.

La “noblesse à tout faire” du poireau

Nous avons la regrettable habitude d’affubler à nos nourritures familières des sobriquets souvent peu amènes : la patate, le navet, la vache, le veau, l’agneau, le merlan, le maquereau en sont quelques illustrations. Et dans la série, le poireau n’est pas en reste.

Attendre dans une queue c’est “faire le poireau” ; les motards amateurs englués dans le sable du Touquet sont des “poireaux” ; une verrue faciale est un “poireau”, comme la médaille du Mérite agricole ; un valeureux général est un “poireau” parce qu’il a la tête blanche mais est encore vert…

Le poireau est devenu l’emblème du Pays de Galles, avec le narcisse, même si l’effigie du drapeau gallois est un dragon. La légende prétend que les soldats de Sa majesté se seraient régalés de poireaux savoureux dans le champ d’un cultivateur du Pas-de-Calais à Azincourt entre Fruges et Hesdin, durant la bataille éponyme en 1415 et les auraient emportés comme trophées de cette victoire.

Du temps de François Ier les médecins en prônaient l’usage aux gens « mugueteurs de dames pour leur donner plaisante haleine »,  pour « favoriser la diurèse, relâcher le ventre, arrêter les éructations, augmenter le lait des nourrices et faire cesser la stérilité. »

Plus prosaïquement c’est ainsi que les “mâles dominants” désignent le pénis.

Ce légume membre de la famille des alliacées comme l’oignon, l’ail, l’échalote et la ciboulette nous est familier depuis les Egyptiens.

Il a la particularité d’être “bisannuel”. La première année de sa vie, la plante fait des réserves. Elle fleurira et montera en graines au printemps suivant pour se reproduire.

Le jardinier va donc privilégier la production de la première année. Les prévoyants savent pourtant qu’il est très utile d'”oublier” quelques plants dans le potager pour produire les semences de la saison suivante.

“Allium porrum”, alias le poireau, c’est un peu le cochon dans la cuisine : tout est bon chez lui, c’est un peu le maître-mot de cette chronique. Et vous allez voir, on peut avantageusement s’affranchir du sempiternel potage poireaux-pommes de terre qui berce les bols de notre enfance, même si amoureusement préparé celui-ci conserve de nombreux adeptes en France et même un peu plus loin qu’en Navarre.

Les radicelles frites

Il vous est désormais INTERDIT de jeter quoi que ce soit quand vous rapportez une botte de poireaux du marché (ou du potager).

Vous coupez vos poireaux à 1 cm du pied, vous lavez soigneusement à l’eau pure et fraîche ces pieds et radicelles et vous les faites tremper une bonne dizaine de minutes dans de l’eau vinaigrée puis dans de l’eau bouillante. Après les avoir séchés, vous ajoutez un peu de farine et vous les plongez dans l’huile à 180°C quelques minutes. Vous pourrez agrémenter votre fameux potage de cette friture croustillante ou compléter une salade, décorer une tarte, un flan de poireaux…

Cerise sur le gâteau, votre salade appréciera beaucoup que vous ajoutiez quelques fleurs et quelques graines de poireau qui apporteront une touche de couleur et une note aillée bienvenue.

Œufs mimosa, huile de poireau

Apicius

Apicius proposait sous l’empereur Auguste, au début de notre ère des œufs farcis avec des jaunes aromatisés à la marjolaine, au safran, aux clous de girofle broyés, au fromage), reconstitués, passés au gril et servis au vinaigre (cf https://recettesahistoires.com/2022/08/26/lucullus-et-apicius-ils-sont-fous-ces-romains/). Ils ressemblent aux diaboliques “deviled eggs” anglais farcis à la viande, au fromage et aux épices, saupoudrés de paprika. On en retrouve des déclinaisons un peu partout.

Lydie Salvayre

L’œuf mimosa est une recette bien française datant des années 1920, en référence à la plante méditerranéenne qui fleurit à la fin de l’hiver. Mais “l’œuf dur mayo” renaît dans les brasseries et bistrots. Il a même son championnat du monde remporté cette année par Grégoire Simon, chef de la Grande Brasserie (6, rue de la Bastille). Gageons qu’avec une égérie comme Lydie Salvayre, récente Prix Goncourt, il a l’avenir devant lui : ” J’ai pleuré longtemps en imaginant l’ennui qui allait me terrasser dans les jours prochains car je venais d’achever ma seule relation humaine. Puis j’ai repensé à la façon dont elle avait mangé la garniture de salade qui accompagnait les œufs mimosa, sans la moindre pause langagière, sans la moindre expression humaine, sans lever les yeux, comme une bête, et tout mon chagrin s’est évanoui. ” 

Vous faites cuire 10 œufs à l’eau bouillante, puis vous les refroidissez à l’eau froide. Ecalez-les et coupez-les en deux et récupérez les jaunes.

Couper le vert de deux poireaux, et mixez-le avec 0,5 l d’huile de tournesol. Si vous êtes équipé, passez ce mélange à la centrifugeuse. Sinon, à l’aide d’une fine passoire et d’une cuillère, pressez vigoureusement  le solide au-dessus d’un récipient pour récupérer “l’huile de poireau” filtrée à travers la passoire. Laissez reposer au moins 20 minutes pour que l’eau et l’huile se séparent.

 Mettez de côté trois jaunes et mélangez les autres avec trois jaunes crus, une grosse cuillère à soupe de moutarde, du sel, du poivre. Et montez une mayonnaise avec l’huile de poireau que vous venez de filtrer.  Remplissez les blancs avec cette mayonnaise et les jaunes mis de côté coupés en cubes.

Poireau et foie gras

Canard mulard

J’entends déjà dans les chaumières les cris d’orfraie : “Quoi quoi ! Il veut encourager le gavage et l’assassinat de ces pauvres bêtes !”

Que ces bonnes âmes et les disciples de Hugo Clément et Aymeric Caron se rassurent, je ne retournerai ma veste ni dans un sens ni dans l’autre (je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire comme disait Coluche)…

Je sais en revanche que l’élevage des canards gras et l’élaboration des foies gras sont le résultat d’une culture millénaire, qui a forgé des paysages, une économie dans les régions de production. Les antispécistes, mais surtout la grippe aviaire menacent l’équilibre et l’avenir de nombreux petits paysans et de leurs familles.

Pour ce qui suit, il vous faut donc 150 g foie gras cru de canard, de belle couleur mastic, souple et ferme à la fois, du gros sel marin, du poivre de qualité (Kampot par exemple, cf https://recettesahistoires.com/2022/11/04/le-poivre-prince-des-epices-et-des-voyages/), de quatre beaux poireaux et du vinaigre de vin vieux.

Préparez les poireaux dont vous ne conservez ici que les blancs. Lavez-les soigneusement, plongez-les dans l’eau bouillante salée pendant 20 minutes au moins. Le poireau doit être fondant. Egouttez les tronçons verticalement et réservez-les au chaud.

Coupez des tranches de foie gras de 1,5 cm d’épaisseur, poivrez et saisissez-les à bonne température dans une poêle anti-adhésive (une minute de chaque côté). Jetez cette première graisse, égouttez les tranches sur du papier absorbant, mettez-les dans un  plat et passez-les au grill 3 minutes.

Récupérez la graisse de la cuisson au four, ajoutez le vinaigre (2/3 de graisse, 1/3 de vinaigre). Disposez le foie gras sur les poireaux, ajoutez la vinaigrette et quelques grains de gros sel.

Poireau calciné, tartare d’huîtres

Eric Fréchon est un Picard, qui a entamé sa carrière en cuisine au Petit Café Bleu (aujourd’hui le Homard Bleu) au Tréport. A l’époque, son projet professionnel était juste de se payer un vélo ! Aux fourneaux triplement étoilés du palace parisien le Bristol (112 Rue du Faubourg Saint-Honoré) il conserve le sens de la simplicité de cette époque et le goût des produits auxquels il apporte sa technicité, sa précision, sa culture et sa curiosité de Meilleur ouvrier de France.

Il raconte que sur une plage sénégalaise il avait été attiré par l’odeur des huîtres que des pêcheurs faisaient griller au barbecue. Les mollusques étaient un peu carbonisés, mais il en avait conservé la mémoire gustative, et son association avec des poireaux grillés est désormais une “signature”.

Il vous faut des gros poireaux, que vous allez tailler à 23 cm de longueur en préservant les radicelles. Ils sont soigneusement lavés, les radicelles sont ensuite protégées avec du papier d’aluminium. Vous allez les cuire sous la salamandre (ou à la braise en saison si vous êtes équipé), en les tournant régulièrement pour qu’ils soient grillés sur toutes les faces.

Au Bristol, on pratique une incision pour extraire des tronçons de 2 cm de long qu’on remet ensuite en place dans la carcasse du légume savamment carbonisé.

Ouvrez ensuite huit huîtres (Fréchon préconise des “perles blanches” n°2), récupérez leur eau, ébarbez-les et réservez au frais. Taillez 100 g des barbes, faites-les “raidir” à la poêle et mélangez-les avec 100g de beurre aux algues. Réservez au frais.

Taillez la chair d’un citron en brunoise, mélangez-la avec 30 g de jus de citron, 40 g d’eau des huîtres et un peu de vinaigre (de Xérès par exemple). Ajoutez un peu d’échalote hachée, un peu de cébette, les huîtres hachées, sel poivre. Vous avez fabriqué un “tartare d’huîtres”.

Dans chaque tronçon de poireau, déposez des cubes de beurre d’algue, passez au four (200°C). Ajoutez ensuite quatre huîtres par poireau (les mêmes “perles blanches” n°2, ce qui vous fait au total deux douzaines d’huîtres pour 4 personnes). Repassez au four 3 minutes.

Au dernier moment ajoutez une cuillère de tartare auquel vous aurez ajouté 40 g de beurre d’algues fondu, de la ciboulette ciselée et des petits croûtons de pain finement coupés.

Christophe, Paul, Maurice, et le chocolat

Christophe Colomb : ce nom ne vous est pas étranger, forcément. Ce fabuleux aventurier, qui décide contre vents et marées de traverser la “Mer océane” en naviguant vers l’ouest sur la Santa Maria et qui découvre l’Amérique (en fait les Caraïbes) en 1492 en pensant être arrivé aux Indes.

Le bougre ne se contente pas de l’aller-retour : il  refait le chemin trois autres fois. Il semble plus à l’aise pour trouver le cap en observant les étoiles que pour administrer les territoires sur lesquels il pose le pied. Il n’a pas non plus un sens de l’observation très développé : au retour de son deuxième voyage, en 1494, il jette par dessus bord les sacs de fèves de cacao que les Amérindiens lui ont offert en cadeau de bienvenue. Il les aurait prises pour des crottes de chèvres ! Il lui faudra un troisième voyage sur l’île de Guanaja, en 1502, pour qu’il prenne conscience des ressources du cacao…

Il faut dire que le “xocoatl“, la boisson qui lui avait été offerte, ressemble plus à une punition ou à un médicament. Le chocolat que nous consommons aujourd’hui a été profondément amélioré depuis que les Mayas ont commencé à cultiver les cacaoyers, en l’an 600 de notre ère. La matière première subit en effet de nombreuses manipulations pour en arriver au chocolat noir à 70% de cacao que les pâtissiers utilisent dans leurs laboratoires.

La fève est fermentée, torréfiée, broyée pour former une pâte liquide dont on extrait la matière grasse, le “beurre de cacao“.

Le chocolat est constitué d’un mélange de pâte, de beurre de cacao et de sucre, dans des proportions tenues secrètes par chaque fabricant. A cela on ajoute l’assemblage des crus du chocolat, puisqu’on cultive des fèves dans les régions équatoriales des cinq continents, et qu’il existe des différences sensibles entre les variétés régionales de fèves.

Il y a donc chocolat et chocolat, des variétés plus ou moins nobles et des techniques d’extraction et de fabrication très différentes, à l’image des vins, des cafés… 

Aujourd’hui, le cacao est une marchandise éminemment spéculative, objet des mêmes excès que le sucre, les céréales, le soja, l’huile de palme… On produit cinq fois plus de fèves aujourd’hui qu’en 1960, avec les risques inhérents de déforestation et de monoculture. Et la grande majorité des fèves issues des pays équatoriaux est traitée… en Europe !

En couleur chocolat les pays producteurs des 5,7 millions de tonnes annuelles, en rouge la Côte d’Ivoire et le Ghana (60% de la production mondiale)

Vous voulez essayer le “xocoatl” ?

Les Mayas et les Aztèques attribuent à ce breuvage des vertus sacrées et magiques. Il est consommé dans des rituels censés apporter force et énergie, sous l’effigie de Xochiquetzal, déesse aztèque de l’amour et de la beauté.

Xochiquetzal, déesse de la fécondité, patronne du chocolat

Pour une tasse, il vous faut

1 cuillère à soupe de cacao en poudre,

25 cl de liquide (eau si vous voulez jouer les Incas, lait autrement),

¼ de gousse de vanille,

1 pincée de cannelle,

1 pincée de piment rouge (ou 1/8 de piment si votre gosier est habilité),

½ cuillère à café de miel.

Dans une petite casserole versez le liquide, avec le miel, la vanille, la cannelle. Mélangez et portez à ébullition. Laissez reposer hors du feu pendant une vingtaine de minutes. Ajoutez le piment et le cacao et réchauffez à feu très doux.

Filtrez pour ôter les morceaux de vanille et de piment, fouettez la préparation jusqu’à obtenir un mélange bien mousseux.

Cuissot de sanglier, sauce au cacao

Je n’ai pas de sympathie particulière pour les chasseurs, notamment les “viandards” qui privatisent la campagne, les bois et les villages jusqu’à l’heure de l’apéritif. Mais j’entends suffisamment fort les agriculteurs qui se lamentent des dégâts occasionnés par les hardes de sangliers, pour considérer qu’un bon cuissot n’est pas de nature à bouleverser l’équilibre de notre vieille planète.

Faites mariner le cuissot pendant 8 jours dans un mélange “tant pour tant” de vin, de vinaigre et d’eau à la bonne quantité pour tout recouvrir. Ajoutez 500 g de carottes et d’oignons coupés en dés. N’oubliez pas le bouquet garni, une tête d’ail, une cuillère à soupe de grains de genièvre. Remuez la bête et le liquide régulièrement.

Dans une “braisière” aux dimensions adaptées au cuissot, faites dorer sur tous les côtés la pièce de viande avec 100 g de beurre et de saindoux. “Singez” avec 3 bonnes cuillères de farine. Mouillez avec 50% de marinade et 50% d’eau chaude. Ajoutez la garniture aromatique de la marinade et laissez cuire (1 heure pour le 1er kg de viande, ½ h pour le kg suivant. Exemple : votre cuissot pèse 4 kg, la cuisson durera 2 h 30).

Dans une casserole faites bouillir un verre de vinaigre avec deux cuillères à soupe de sucre, un peu de beurre manié (beurre + farine 50-50), 2 verres de bouillon de cuisson de la viande. Laissez bouillir quelques minutes en fouettant, ajoutez 300 g de raisins secs, 1 cuillère à soupe de cacao en poudre. Laissez cuire 15 minutes. Avant de servir, rallongez d’un peu de bouillon et d’une cuillère à soupe de cognac.

Pâtes au cacao

Dans un bol, mettez 360 g de farine, 4 œufs, de l’eau (la quantité dépend beaucoup de l’humidité contenue dans la farine et celle de la pièce, disons ½ verre) et 40 g de cacao. Pétrissez jusqu’à ce que le mélange soit homogène. Laissez reposer la pâte au moins une heure, enveloppée dans un torchon.

Etalez ensuite la pâte au rouleau (1mm) et découpez des lamelles (tagliatelles) que vous posez sur un torchon fariné.

Dans une casserole, versez l’équivalent d’un verre de lait, dans lequel vous faites fondre 200 g de gorgonzola. Ajoutez des noix en poudre, sel et poivre.

Faites cuire les tagliatelles dans de l’eau salée pendant 10 minutes. Ajoutez la sauce.

La mousse de Paul Bocuse

La mousse au chocolat est emblématique de l’arrivée du chocolat dans chaque foyer. Depuis Christophe Colomb, le cacao a certes passionné quelques spécialistes, et les tables royales. Mais son essor date de la révolution industrielle et de la construction d’usines de transformation en Europe (Menier en France, Kohler en Suisse, Fry&Sons, Van Houten, puis Nestlé, Lindt, Tobler, Suchard…)

On dit que Monsieur Paul (Bocuse) avait l’habitude de prendre le petit déjeuner régulièrement chez son ami Maurice Bernachon, cours Franklin Roosevelt à Lyon.

Paul, Maurice, le Président, des fèves, des plaques et des truffes

Tous deux étaient suffisamment complices pour qu’en 1975, lorsque Valéry Giscard d’Estaing décore le chef de Collonges-au-Mont–d’Or de la Légion d’Honneur (une première pour un cuisinier depuis Escoffier), les deux compères préparent en secret un gâteau inédit qu’ils emmèneront à l’Elysée : le “Président”, toujours en vente dans la boutique, à côté des éternels “palets d’or” et quelques autres trésors. Le fils de Maurice, Jean-Jacques, intègrera la brigade de Bocuse en 1968 avant de se marier avec Françoise, la fille de Paul. Les enfants du couple sont aujourd’hui aux commandes de la maison Bernachon.

Voici la mousse au chocolat telle qu’on continue de la proposer dans les restaurants et brasseries Bocuse.

Pour 6 ramequins, il vous faut :

5 œufs

130 g de chocolat (70% de cacao)

30 g de beurre

40 g de sucre en poudre

Faire fondre au bain-marie le chocolat cassé en petits morceaux et le beurre à feu très doux en mélangeant à la spatule en maintenant une température maximale de 43°C.

Cassez les œufs et séparez les jaunes des blancs d’œufs.

Montez les blancs d’œufs en neige à l’aide d’un robot jusqu’à ce qu’ils tiennent aux branches du fouet. Incorporez le sucre petit à petit quand les blancs sont fermes et continuez de fouetter. Ajoutez les jaunes d’œufs, puis le chocolat fondu en soulevant très délicatement. Mettez la mousse dans les ramequins et laissez reposer 2 heures minimum au réfrigérateur. Râpez et déposez des copeaux de chocolat sur la mousse.

Le poivre, prince des épices et des voyages

En 1664, Colbert implante la compagnie des Indes orientales à Saint-Malo, pour développer les échanges avec l’Asie. Les affaires vont et viennent, mais la curiosité des Bretons pour l’Asie et ses saveurs ne s’est jamais démentie depuis.

Jean-Baptiste Colbert

“Les épices sont à la cuisine ce que la ponctuation est à la langue française. Comme la ponctuation révèle les mots, les épices permettent de révéler la face cachée des mets”. C’est Olivier Rœllinger, le magicien de Cancale, à quelques encablures du Mont Saint-Michel et de la cité des corsaires de Saint-Malo qui s’exprime ainsi.

Comme tout Breton qui se respecte, Olivier Rœllinger préfère aux rivières tranquilles les flots changeants, les vents siffleurs et les déferlantes de la grande bleue. Et les courants contraires il a connu !

Lorsqu’il a 14 ans, son père médecin abandonne le foyer. L’adolescent vit avec sa maman dans la maison de Bricourt, une demeure que sa famille avait acheté à des descendants de Surcouf, le corsaire malouin. En 1976, il a 21 ans et il est agressé par cinq inconnus dans les murs de Saint-Malo. Le futur ingénieur des Arts et Métiers est laissé pour mort, les jambes brisées, le crâne fracturé.

Robert Surcouf, Malouin corsaire de Sa majesté

Cloué sur un lit, puis en convalescence pendant deux ans, Olivier aura tout le temps nécessaire pour réfléchir à son avenir. Il reprend surtout goût à la vie dans la cuisine de la maison de Bricourt, aux côtés de sa maman Suzy, de Jane sa compagne et des amis qui viennent leur rendre visite.

Son projet prend corps très vite : ouvrir un restaurant avec Jane dans la “malouinière” d’enfance. En 1982, le restaurant Le Bricourt ouvre, en 1983 création du mélange d’épices Retour des Indes. En 1984, première étoile Michelin, la deuxième en 1988, la troisième en 2006. Entretemps, les Rœllinger ouvrent à Cancale un autre établissement, le Château Richeux, maison d’hôtes et restaurant, une boutique d’épices, et ils ont un enfant, Hugo !

En 2008, Olivier doit rendre son tablier : les séquelles de ses blessures de 1976 ne lui permettent plus d’être opérationnel en cuisine comme il l’imagine. Il reconvertit ses « pianos » en laboratoire de recherche et se consacre pleinement à sa passion pour le poivre en particulier et les épices en général. Les équipes des cuisines s’installent au château Richeux (deux étoiles aujourd’hui), en compagnie de Hugo qui a décidé de s’installer au fourneaux après quelques années dans la marine marchande. Mathilde, deuxième enfant du couple revient dans le giron familial après avoir fréquenté pendant 8 ans le Barreau de Paris.

De Saint-Malo à Phnom Penh

Les Bretons sont entreprenants, surtout lorsqu’il est question de voyages… et d’épices. Et en matière de poivre, le Cambodge est une référence incontournable.

Depuis 2016, le poivre de Kampot, une ville sur la côte du Golfe de Thaïlande, à 150 km de la capitale Phnom Penh, détient le précieux label IGP (indication géographique protégée) décerné par l’Union européenne qui garantit la spécificité d’une zone géographique pour une production agricole. Il existe d’autres poivres de grande qualité dans le monde, mais la reconnaissance  d’un cahier des charges spécifique est pour les agriculteurs cambodgiens un solide atout d’avenir (seule IGP pour le poivre aujourd’hui avec le Penja du Cameroun).

Les haut-lieux des grands poivres du monde

Il est encore un peu difficile de trouver ce précieux poivre, mais les producteurs s’organisent pour mettre en place des filières d’exportation performantes.

www.kampotgardenshop.com

Ce royaume de 17 millions d’habitants a vécu un XXe siècle tragique avec la guerre du Vietnam voisin, la guerre civile qui a fait près de 300 000 morts entre 1967 et 1975, suivie de la dictature du sinistre Pol Pot (près de 2 millions de victimes). Le bilan de ces années d’enfer est loin d’avoir été tiré : seuls cinq anciens responsables khmers rouges ont été jugés, trois ont été condamnés. Le pays se relève à peine de cette épouvantable descente et le PIB par habitant est en-dessous de la moyenne régionale, au même niveau que beaucoup de pays de l’Afrique sub-saharienne.

Le chaos installé par les Khmers rouges a débouché sur une catastrophe humanitaire dont sont victimes en premier lieu les enfants, orphelins ou livrés à eux-mêmes, notoirement peu scolarisés, qui vivent d’expédients, à Phnom Penh notamment. De nombreuses ONG tentent de venir à leur secours et ont créé par exemple “Les restaurants des enfants” qui leur offrent chaque jour plusieurs centaines de repas, accompagnés d’actions pour leur scolarisation, leur accompagnement sanitaire et social…

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Vin chaud aux agrumes et aux épices

Il vous faut 1 anis étoilé (Badiane), un peu de noix de muscade

4 cl d’alcool distillé (cognac, calva, whisky…), 125 g de sucre, 10 grains de poivre noir, 3 clous de girofle, ¼ citron, ¼ orange, 2 bâtons de cannelle, 75 cl de vin rouge.

Extrayez les zestes de citron et d’orange. Versez le vin et l’alcool fort dans une casserole et portez le tout à ébullition à feu moyen.

Ajoutez le sucre, les bâtons de cannelle, les clous de girofle, les grains de poivre, les zestes de citron et d’orange.

Râpez un peu de noix de muscade et de gingembre. Laissez mijoter doucement pendant 20 minutes. Filtrez le tout pour enlever les épices.

Servir bien chaud dans des verres ou des tasses transparentes. Ajoutez éventuellement une rondelle d’orange

Faux-filet de bœuf au poivre de Kampot

Procurez-vous 200 g de faux-filet, de la coriandre et de l’oseille fraîches, 1 tige de citronnelle, 10 grains de poivre noir de Kampot concassés, 1 oignon frais, 1 citron vert, un fond de veau, du sel.

Rincez et hachez grossièrement les herbes fraiches et disposez-les sur une assiette, avec des tronçons de citronnelle et des oignons frais ciselés. Concassez le poivre de Kampot au mortier (Olivier Roellinger préconise d’acheter des grains de qualité, en petite quantité. La moyenne des poivres utilisés en cuisine sont entreposés depuis … cinq ans et ont perdu tout leur parfum), coupez en deux le citron vert.

Dans une coupelle, ajoutez une pincée de sel, de sucre, le fond de veau et le poivre. Badigeonnez la viande avec le mélange obtenu, puis faites-la cuire à la poêle. Une fois cuite, laissez-la reposer.

Coupez la viande en grosses tranches, disposez-la sur les herbes fraîches.

Préparez la sauce : dans un bol, ajoutez le jus d’un citron puis 2 cuillères à café de sel, 1 de sucre et 1 de poivre. Mélangez le tout.

Servez la viande avec du riz, du chou sauté et la sauce.

Soupe de pastèque et glace à l’avocat

Coupez une ½ pastèque en quartier, éliminez l’écorce et les graines, coupez la chair en cubes. Passez au blender avec dix grains de poivre noir, un peu de basilic, quelques feuilles de menthe, 3 cuillères à soupe de sirop d’agave et une cuillère à café de piment d’Espelette. Réservez au frais.

Mixez la chair de 2 gros avocats avec 25 cl de crème fraîche épaisse, 20 g de miel de châtaigne. Passez à la sorbetière pendant une trentaine de minutes. Versez ensuite dans un saladier réservé au congélateur.

Dans de petites assiettes creuses, servez la soupe, déposez au centre une boule de glace, surmontée d’une feuille de menthe.