Lucullus et Apicius : ils sont fous ces Romains ?

Est-ce que les choses ont vraiment changé ? Sous Néron, César et Cicéron, la réussite passait par la politique… et les armes !

Lucullus

Prenons le dossier du jeune Lucullus. Son papa était un honorable fonctionnaire de l’empire. Lucullus n’aura de cesse, avec son frère, de venger son père, accusé de détournement de l’argent public en attaquant l’accusateur. Les deux frères perdent leur procès, mais leur action est finalement considérée comme un acte de “piété filiale” (!).

Elu questeur avant de partir en Asie puis en Afrique, il devient consul. Ses diverses aventures par monts et par vaux lui permettent d’amasser une confortable fortune. Il se fait construire une magnifique demeure à Tusculum, et il est à l’origine des très beaux jardins de la Villa Médicis, où sont logés depuis 1803 les pensionnaires français lauréats des Grands prix de Rome.

La villa Médicis à Rome

Lucullus est avant tout connu pour ses fastes et sa vie dissolue, mais il a depuis longtemps séduit les gastronomes, et de nombreux plats sucrés ou salés sont à son effigie. Attribuons-lui néanmoins un bon point : on lui doit la construction de la première bibliothèque de Rome, avec des galeries et des salles de lecture ouvertes à tous.

On trouve toutes sortes de curiosités dans les recettes attribuées à la table de Lucullus, dont je peux a priori exclure la timbale de macaronis au foie gras, aux morilles et aux truffes : les macaronis et autres spaghettis sont arrivés sur nos tables au XIIIe siècle, en provenance de Chine comme il se doit. Mais les truffes, les morilles et le foie gras excitaient déjà les papilles de l’époque romaine.

Les macaronis de Jean-Louis Nomicos

Le cultissime macaroni au foie gras et aux truffes, le “plat signature” de Jean-Louis Nomicos, aussi simple que luxueux, créé du temps où il officiait à la Grande Cascade dans le bois de Boulogne (1994) est sans doute plus proche de Lucullus qu’il n’y paraît, nonobstant ces fameux macaronis.

Il vous faut pour cela

  • des macaronis longs (candele ou zite n°19)
  • du lait pour cuire ces pâtes (2,5 dl qu’on allonge avec de l’eau)
  • du céleri rave en brunoise
  • du foie gras entier
  • de la truffe noire

On fait à peine cuire les macaronis. En général ces gros modules nécessitent 12 minutes de cuisson. Ici, on les sort du mélange lait-eau bouillante au bout de 6 minutes et on les réserve dans un linge humide pour les laisser gonfler.

On a taillé le céleri en fine brunoise, on le fait revenir au beurre, on ajoute ensuite la truffe soigneusement écrasée à la fourchette. On va laisser un moment la truffe et le céleri infuser hors du feu, puis on ajoute le foie gras en petits dés. On laisse l’ensemble reposer pour que tous les parfums interagissent. On met l’appareil de céleri dans une poche à douille et on farcit délicatement les macaronis collés entre eux, détaillés en petits rectangles de cinq macaronis et d’une douzaine de centimètres. On nappe chaque rectangle de crème réduite et on saupoudre de parmesan. On superpose deux ou trois rectangles de macaronis farcis et on passe à la salamandre pendant quelques minutes. On dresse sur une assiette des traits de béchamel et de jus de veau réduit et les macaronis gratinés.

Jean-Louis Nomicos

Après la Grande Cascade, Jean-Louis Nomicos a longtemps cuisiné au restaurant Lasserre, avant d’ouvrir sa propre table, le Nomicos dans le XVIe arrondissement. Il signe également la carte du restaurant Frank, au sein de la Fondation Louis Vuitton (Frank Gehry est l’architecte de ce magnifique bâtiment construit en 2006).

L’omelette au miel, elle, semble bien avoir été à la table de Lucullus

Il vous faut

  • 4 œufs
  • 1,5 cuillère à soupe de farine
  • un peu de levure qu’on utilisait déjà à l’époque pour le pain
  • 4 cuillères à soupe de miel

On mélange les œufs avec la levure jusqu’à disparition des grumeaux, on ajoute la farine, puis le miel. On met ensuite la préparation au four dans un moule suffisamment grand pendant 15 minutes. Il va normalement doubler de volume. A la sortie du four on l’arrose de miel.

Apicius

Apicius est du même gabarit. Proche du pouvoir, ce millionnaire avait très vite voué son existence aux plaisirs de la table au point de compromettre sa fortune et de finir par se suicider. Il est notamment connu pour avoir organisé une expédition à Alexandrie pour déguster des langoustes…

Apicius adorait le jambon au miel et aux figues dont je ne peux vous priver :

après avoir fait cuire le jambon (entier, de préférence, avec l’os, c’est lui qui transmet le goût…) à l’eau avec beaucoup de figues sèches et trois feuilles de laurier, détachez la couenne, enlevez l’os délicatement et faites des incisions en carrés, que vous remplirez de miel. Enrobez ensuite le jambon d’une pâte de farine et d’huile, lui rendant ainsi une peau. Mettez au four jusqu’à ce que la pâte soit dorée.

Et vous ne résisterez pas aux beignets aux figues. Vous fouettez deux œufs, vous ajoutez 15 cl de lait et 170 g de farine. Vous coupez les figues fraîches en deux après avoir ôté la tige, vous les trempez dans la pâte à beignets que vous avez laissé reposer et vous les plongez dans un bain d’huile frémissante pendant 4 minutes. Vous les égouttez soigneusement et vous les roulez dans du miel liquide.

Langue Lucullus : une fierté valenciennoise

Edmond Laudouard était le chef du restaurant valenciennois le Verdonck. En 1930, un couple de Parisiens lui demande s’il est possible d’améliorer le traditionnel pot au feu à la langue fumée servi traditionnellement à l’occasion de funérailles. Exit donc le pot au feu, il décide d’enrichir la langue fumée d’une mousse composée d’œufs, de Cognac, de graisse de canard et de foie gras. La superposition du foie gras beige et des très fines tranches de langue fumée à cru puis parfumée au court bouillon forme un mille-feuilles alternant le beige et le rose foncé. Cette invention constitue ce qu’on appelle une “tuerie” pour les yeux et le palais. La langue baptisée Lucullus est une fierté valenciennoise en même temps qu’une belle réussite pour deux entreprises locales qui prospèrent.

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