La rose et le parfum, l’ail et la santé

Un peu partout dans le monde, on consomme ce condiment qui, certes, peut occasionner des flatulences, mais n’a pas d’équivalent pour relever le goût d’une tomate ou d’un légume, d’une viande ou d’un poisson. En plus, cette “amaryllacée” regorge de substances plutôt bénéfiques à notre santé.

La famille des “aulx”, qui se reconnaît à son odeur caractéristique, est assez étendue, et de nombreux terroirs en détiennent une variété spécifique. Elle est cultivée depuis au moins 5000 ans, et on raconte qu’elle a probablement suscité le premier conflit social de l’histoire de l’humanité : les ouvriers égyptiens qui construisaient la pyramide de Cheops auraient cessé le travail pour protester contre la suppression de leur ration d’ail.

Je vous propose une halte sur deux utilisations de l’ail, l’une du nord, l’autre du sud.

A Arleux, près de Douai (Nord), on cultive et on fume l’ail à la tourbe depuis le début du XIXe siècle. La production actuelle, répartie entre 50 petits producteurs, s’élève à 2300 tonnes chaque année, soit 10% de la production française, et depuis 2013, cet ail rose tressé et fumé de manière traditionnelle bénéficie d’une IGP (indication géographique protégée) qui s’étend à 62 petites communes du Nord et du Pas-de-Calais.

Patrick Masclet

Je m’en voudrais de ne pas citer la mémoire de Patrick Masclet, professeur agrégé de génie électrique, maire d’Arleux, conseiller régional, sénateur, président de l’association des maires du Nord, grand humaniste et homme de dialogue trop tôt disparu en 2017, qui a beaucoup œuvré dans l’ombre pour parvenir à l’obtention de ce label européen.

A Arleux, au moment de la Foire à l’ail organisée traditionnellement lors du premier week-end de septembre, on déguste la traditionnelle soupe à l’ail et on repart avec une tresse de 60 ou 90 têtes d’ail fumé qui va embaumer votre voiture puis le local dans lequel vous la remiserez pendant une durée indéterminée…

Pour faire votre soupe il vous faut 2 litres d’eau, 100 grammes d’ail émincé, 500 grammes de pommes de terre épluchées et mises en cubes ; 2 carottes râpées, thym, sel, poivre. Vous faites cuire le tout pendant 30 minutes et vous mixez. Dans l’assiette de service vous positionnez une belle tartine grillée surmontée de fromage râpé, et vous versez la soupe bien chaude.

A 1000 km de là, à Marseille, on utilise l’ail pour préparer l’aïoli (ou aiolli selon que vous pratiquez ou pas la langue provençale). Le mot désigne en fait la sauce qui accompagne le plat et qui se décline ensuite dans une infinité de préparations.

Mortier

Pour fabriquer un aïoli, il faut donc disposer d’un “mortier” si possible en granit, et d’un pilon en buis, même si de nombreuses officines vont tenter de  vous convaincre des bienfaits de l’acier inoxydable, de la céramique, du verre, du plastique (!)

Et quitte à faire bondir quelques puristes y compris marseillais, dans la sauce de l’aïoli, il n’y a pas d’œuf ! Même à Marseille, le sujet fait débat, mais il semble bien que l’œuf ne soit pas invité au départ dans la préparation de l’émulsion qui assurera le liant.

Une émulsion est un mélange de deux substances liquides non miscibles, qui implique donc un liquide autre que l’huile pour faire prendre l’aïoli. C’est le rôle de la moutarde dans la traditionnelle mayonnaise.

Certains “spécialistes” marseillais prétendent que le jus d’ail peut jouer ce rôle. D’autres ajoutent la peau de la morue qui est en train de bouillir par ailleurs, d’autres encore ajoutent de la mie de pain, ou quelques pignons de pin, ou quelques gouttes de citron. Certains mêmes vont jusqu’à combiner l’ensemble, y compris un jaune d’œuf et de la moutarde…

C’est à vous de voir, c’est même l’essence de la cuisine !

On sert cette sauce en compagnie de la morue dessalée et bouillie dans une eau parfumée avec un oignon planté de deux clous de girofle, des bulots cuits et/ou des escargots, des calamars ou mieux des supions, des œufs durs, des légumes juste cuits, si possible séparément : haricots verts, petites carottes fanes,  artichauts poivrades, fenouil en quartiers, petites courgettes, oignons nouveaux. Ajoutez à cela des quartiers de chou fleur encore craquants.

Dans le mortier versez six gousses d’ail pelées, dégermées et écrasées. Equipez-vous d’un peu de patience et de force dans les poignets, et battez la purée d’ail avant d’ajouter doucement un petit filet d’huile d’olive jusqu’à obtenir la texture souhaitée.

Frédéric Mistral

“Autour d’un bon ailloli, bien monté et odorant et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères ?”

Frédéric Mistral, le chantre de la langue d’oc, prix Nobel de littérature en 1904 (Maillane Bouches du Rhône, 1830-1914)

Morue ou cabillaud ?

Que les choses soient bien claires, le cabillaud et la morue c’est le même poisson. Le premier est frais, originaire des mers froides, le deuxième est le premier séché et salé. La transformation du cabillaud en morue n’est pas aussi vitale qu’auparavant, les bateaux et les techniques de conservation et de congélation ayant beaucoup évolué. Longtemps un peu méprisé, le cabillaud emporte aujourd’hui les faveurs des cuisiniers pour sa palette de goûts et sa bonne tenue à la cuisson. C’est aussi le choix des enfants parce qu’il est dépourvu de petites arêtes. Du coup, il a été surpêché en Atlantique et au Pacifique. Les populations sont en déclin, sauf en mer de Barents, où il est toujours abondant. Mais cette mer qui voit les limites de la glace reculer pour cause de réchauffement climatique, est au centre de bien des appétits. On y trouve des cabillauds, de grosses crevettes délicieuses, mais aussi et surtout du pétrole et du gaz de Norvège… et de Russie.

Touche pas à ma mère !

Attention, le texte qui suit est de nature à provoquer des acidités à l’estomac de quelques âmes sensibles !

Nous entrons en effet dans le vaste territoire des fermentations, des pourritures, des champignons divers et variés, susceptibles de provoquer des hauts le cœur, mais sans lesquels notre palais et nos pupilles seraient bien malheureux.

Même si vous êtes militant d’une ou plusieurs ligues antialcooliques, vous avez forcément eu l’occasion de récupérer un fond de bouteille de vin qui traînait depuis quelques jours au fond d’une cuisine ou d’un garde-manger.

Très rapidement, pour peu que vous ayez soigneusement oublié de mettre un bouchon et de le protéger au réfrigérateur, le breuvage d’origine a changé d’allure. Il devient acide, et si vous prolongez un peu l’expérience, il se forme à la surface du liquide une pellicule peu engageante.

Vous êtes au cœur d’une expérience de chimie passionnante. A la surface du vin, en contact avec l’air ambiant, les bactéries acétiques au-milieu desquelles nous tentons de survivre sont en train de boulotter l’alcool de votre nectar et de le convertir en acide. Et la pellicule gélatineuse qui se forme à la surface du liquide indique que vous avez engendré une “mère de vinaigre”. En fait elle n’est que l’expression du processus de transformation de l’alcool en acide, qu’on appelle en langage savant, donc latin, “mycoderma aceti“, la “peau de l’acide”.

Pour fabriquer du vinaigre, on mélange cet acide obtenu avec de l’alcool dilué (entre 6 et 8% d’alcool) à hauteur de 20% de “mère” et 80% de liquide alcoolisé (bière, cidre, vin  blanc ou rouge). On peut aussi utiliser des alcools plus fort, vodka, saké, whisky… qu’on diluera pour parvenir à la bonne teneur alcoolique.

Si vous êtes dépourvu de mère, vous pouvez utiliser un vinaigre non pasteurisé, une mère de kombucha (thé fermenté), ou un peu de levure. Un jus de fruit ne suffit pas, il faut impérativement une dose d’alcool.

Vous mettez ensuite le tout dans un bocal non étanche, recouvert simplement d’un tissu pour éviter qu’il ne se transforme en piège à insectes. Vous pouvez vous procurer un “vinaigrier” en céramique.

Vinaigrier

Et vous l’oubliez un certain temps à l’abri de la lumière et à température ambiante. Vous pouvez régulièrement accélérer la transformation en aérant le liquide, en le brassant, ou même en injectant de l’oxygène…

Il va falloir ensuite laisser le vinaigre vieillir, en bouteille soigneusement fermée, à l’abri de l’air et de la lumière. On peut à ce stade l’aromatiser avec des fruits secs, des fines herbes, du gingembre, des copeaux de chêne…

Le vinaigre a quelques qualités que son grand frère le pinard (pardon le vin) n’a pas. C’est notamment un excellent antibactérien. Je connais quelques cuistots qui arpentent leur piano armés de chiffons imprégnés de vinaigre blanc pour redonner de l’ éclat à l’inox et aux chromes, mais aussi pour se débarrasser des microbes qui aimeraient bien se faire un nid dans cet endroit alléchant. C’est aussi un très bon moyen de perdre du poids par la sensation de satiété qu’il engendre, et une bonne prévention contre le diabète.

L’utilisation du vinaigre ne date pas d’hier. Les Babyloniens y avaient déjà recours pour conserver les aliments, 5000 ans avant JC.

Louis Pasteur

Et plus près de nous, Louis Pasteur publie en 1866 un ouvrage intitulé “Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent, procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir” qui établit une bonne part des connaissances scientifiques actuelles sur le sujet, 22 ans avant la découverte du vaccin contre la rage.

L’empereur de Modène

Les vignes de l’Emilie-Romagne produisent du vin. Certes. Mais elles sont surtout réputées pour le vinaigre balsamique qui en est issu, quitte à vexer les Italiens qui préfèrent mettre en valeur le Lambrusco, le Colle di Parma…

Modène : cathédrale di Santa Maria Assunta in cielo e San Geminiano

Le vinaigre balsamique est un vinaigre de vin auquel on adjoint du “moût” de raisin. Il s’agit de jus de raisin bien mûr qu’on fait lentement chauffer pendant 12h, afin de concentrer les sucres. Suivant la qualité, la proportion de moût peut varier de 20 à 90%. Mais l’essentiel de la qualité des bouteilles estampillées réside dans le vieillissement pendant des années dans des barriques de bois. Régulièrement le nectar de plus en plus sirupeux est transvasé dans des tonneaux de plus en plus petits.

Soyons méfiants, on peut trouver dans le commerce des vinaigres dits balsamiques auxquels on a adjoint du caramel, pour obtenir la couleur et la texture recherchées. La garantie de qualité réside dans le label DOP, équivalent de notre “appellation d’origine contrôlée” (AOC), ou l’indication géographique protégée (IGP) qui est une norme européenne. A priori, plus c’est vieux, et plus le mélange d’origine est riche en moût, meilleur c’est.

Le prince de Jerez

Jerez : monastère de la Cartuja

Dans le sud de l’Andalousie, on ne jure que par le vinaigre de Xeres issu de la fermentation de vins doux (cépages Palomino, Muscat, Ximenez) qu’on laisse vieillir longuement dans des fûts de chêne ayant auparavant accueilli du vin de Xeres.

Des recettes qui virent à l’aigre

Le vin est présent en cuisine depuis toujours, ou presque, le vinaigre, proche cousin du vin n’est pas en reste.

Il a même une irrésistible allégorie au cinéma. Claude Chabrol, gourmand patenté, attachait une grande importance aux régions dans lesquelles il implantait ses caméras, et aux menus des “catering” qu’il allait proposer à ses équipes de tournage. Son “Poulet au vinaigre“(1985) en est l’illustration coupable, mais tellement savoureuse

Le canard à la Duchambais

Du côté de Saint-Pourçain-sur-Sioule, commune de l’Allier, on ne sait toujours pas qui était ce Duchambais qui a donné son nom à cette recette de canard emblématique du Bourbonnais. Etait-ce un curé de l’ancien régime, ou un châtelain, l’un et/ou l’autre ayant pactisé(s) avec des soldats autrichiens qui auraient bivouaqué dans la région en 1815, après la défaite de Waterloo ? Je me garderais bien de conclure. Mais la recette, elle, est à peu près définitive.

Pour 4 personnes il vous faut

1 canard, ou 2 cuisses + 2 magrets + le foie de la volaille

10 échalotes

50 cl de vin de Saint-Pourçain rouge, 5 cl de vinaigre, 5 cl de marc de raisin

2 belles cuillères à soupe de crème fraîche épaisse, 80 g de beurre, 1 cuillère à soupe d’huile

1 bouquet garni, 1 pincée de graines de coriandre, sel, poivre

Faites mariner le foie dans le marc

Dans une cocotte, faites dorer dans un mélange d’huile et de beurre (le mélange est consubstantiel du Bourbonnais) les morceaux de canard et les échalotes hachées pendant 10 minutes.

Déglacez au vinaigre, ajoutez le bouquet garni, les grains de coriandre. Mouillez avec le vin, laissez mijoter pendant une heure.

Hachez finement le foie avec son eau de vie.

Réservez ensuite les morceaux de canard, enlevez le bouquet garni.

Faite réduire le mélange restant en récupérant à la cuiller de bois les sucs de cuisson du fond de la casserole. Ajoutez le foie haché avec la crème fraîche sans laisser bouillir. Nappez le canard de cette sauce, servez rapidement.

Le lapin à la Tournaisienne

Le lundi qui suit l’épiphanie, il est de tradition à Tournai d’organiser une fête appelée le lundi perdu ou lundi du parjure. La population était conviée à venir dénoncer en assises populaires les crimes qui avaient échappé aux autorités durant l’année écoulée. Et les notables offraient à la population un repas qui comportait invariablement un lapin, appelé “lapin perdu“. Aujourd’hui, les assises sont parties aux oubliettes, mais le lapin perdu non !

Allez savoir pourquoi ce plat dit traditionnel du nord comporte des pruneaux, pas vraiment d’origine locale. Mais l’origine des fruits séchés est plutôt chinoise qu’agenaise. Et on consomme des pruneaux un peu partout, notamment sur les côtes françaises. Le séchage des prunes et des raisins est bien connu des marins depuis longtemps. La preuve, les Bretons possèdent dans leur patrimoine culinaire un far breton aux pruneaux…

Pour fabriquer un bon lapin à la tournaisienne, il faut commencer par réhydrater les pruneaux dans un bol d’eau chaude.

On fait ensuite dorer dans du beurre les morceaux de lapin “singés” à la farine. On réserve ensuite ces morceaux dorés sur toutes les faces et on remplace par des oignons finement hachés. On remet ensuite les morceaux de lapin et on ajoute 2 cuillères à soupe de cassonade brune, sucre moins raffiné que le sucre blanc, 30 ml de vinaigre de vin, un bouquet garni et deux verres d’eau. N’oubliez pas de saler et poivrer, et laisser mijoter pendant une heure. Ajoutez 250g de pruneaux dénoyautés au bout de 45 minutes.

On peut remplacer les pruneaux par du sirop de Liège, un moût réalisé avec des pommes et des poires, et la bière conviendrait aux ressources locales. C’est pour le coup complètement local, et absolument délicieux, mais le plat qui en résulte ne peut revendiquer d’être un lapin à la Tournaisienne !

Le pois chiche n’est pas égoïste

Cicer arietinum” n’a pas fini de nous ménager des surprises.

Derrière ce nom savant se cache le pois chiche, et cette légumineuse méditerranéenne est une sacrée vedette.

Cette star de la cuisine orientale, riche en protéines, en vitamines et en fibres, est d’une culture particulièrement adaptée au climat méditerranéen, et supporte des stress hydriques importants. Et comme tous ses collègues de la famille des légumineuses, le pois chiche est capable de fixer l’azote atmosphérique et ne nécessite donc pas d’apport d’engrais azoté. Sa seule requête : la chaleur. En dessous de 20°C, le lascar végète. Il apprécie les sols pauvres : du sable, des cailloux, mais surtout pas d’argile ni de compost et s’il vous plait, presque pas d’eau !

Le pois chiche a quelques cousins, sa famille compte 18 000 espèces ! Parmi eux, vous connaissez sans doute le soja, qui demeure la principale source de protéine pour l’alimentation animale, comme les trèfles, les féverolles… Et si vous ne consommez personnellement pas ou peu de luzerne ni de sainfoin, vous êtes plus familier des haricots rouges, des lentilles, des cacahuètes, de la réglisse…

Les légumineuses constituent notamment ce qu’on appelle les “engrais verts”. Leur capacité à fixer l’azote leur permet de fertiliser les terres qu’elles occupent et font d’elles des agents essentiels dans la réduction des gaz à effet de serre.

Le pois chiche constitue une excellente source de protéines végétales, il est très riche en fibres végétales, favorise le transit intestinal et préserve la santé cardiovasculaire. D’ailleurs, il est au centre des préoccupations des responsables de notre alimentation : comme le tournesol ou le blé, c’est devenu une plante stratégique, dont une partie était récoltée en Ukraine. Le déficit de l’année devrait atteindre 50 000 tonnes …

Dans les contrées où il est cultivé, et notamment dans tout l’arc méditerranéen, le pois chiche est bien évidemment apprécié pour toutes ses qualités. Et il a été décliné dans de nombreuses recettes.

La chakchouka

Ce plat d’origine berbère est né en Afrique du Nord, du côté de Carthage, d’où elle a gagné tout le Proche Orient. C’est avant tout une compotée d’oignons et de tomates surmontée en fin de préparation d’un œuf qui cuira sur les légumes bouillants, accompagnés d’herbes fraîches (coriandre, menthe…). Mais selon la région où l’on se trouve, on y ajoute des poivrons, des aubergines, des courgettes, et/ou des pois chiches. Et bien entendu on puise dans les ressources des épices locales, pimentées ou non. On peut la déguster froide ou chaude, c’est selon. Et au moment du ramadan on peut la servir le soir avec des petits pains matlouh à la semoule

Le hoummous

C’est un plat d’origine ottomane qu’on retrouve dans tout le Proche Orient, jusqu’en Arménie, depuis le XVe siècle. La recette de base n’a pas beaucoup évolué. C’est une purée de pois chiche mélangée à de la crème de sésame (tahine)

Le couscous

On trouve des couscoussiers dans des sépultures datant du III e siècle avant JC en Numidie, au nord de l’Algérie, berceau de la culture du blé, et dans tout le Maghreb. Les pieds noirs et l’émigration ont contribué à étendre sa zone de prédilection beaucoup plus au nord, et c’est aujourd’hui un des plats préférés des Français.

La semoule de blé est cuite à la vapeur avec un bouillon aromatisé qu’on sert avec un ragoût de légumes et des protéines : viande, poissons, légumineuses. Le pois chiche peut jouer ce rôle, même si nous avons pris l’habitude de consommer simultanément des protéines animales ET végétales. Les savoirs, savoir-faire et pratiques liés à la production et à la consommation du couscous sont aujourd’hui inscrits sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, comme le bortsch, la calligraphie arabe, la rumba congolaise, ou le gamelan.

Le couscoussier était auparavant une marmite contenant de l’eau sur laquelle on ajustait un plat en terre percé de trous. Aujourd’hui le couscoussier est en métal. Dans la partie inférieure on fait cuire les légumes et les viandes, et on fournit la vapeur parfumée nécessaire à la cuisson de la semoule

Le tajine

Il s’agit avant tout d’un plat de cuisson surmonté d’un couvercle conique en terre cuite vernissée qui permet de fabriquer des ragoûts à l’étouffée. Mais le plat se confond avec la préparation qu’on y mijote.

Et mon petit doigt, encore lui, prétend que de nos jours les tajines sont des pièces de vaisselle souvent très décorées et ouvragées, plutôt des plats de service que des ustensiles de cuisine.

Et on trouve dans les milliers de recettes de tajine de nombreuses utilisations des légumineuses parmi les semoules, les viandes ou les poissons, et aussi souvent des fruits séchés ou confits

La panisse

C’est une galette de farine de pois chiche mélangée avec un peu d’huile d’olive et d’eau, découpée en bâtonnets dans de longs cylindres, frites. Elle est servie en accompagnement d’une salade, ou bien de légumes et ou de viande, et remplace avantageusement les sempiternelles pommes de terre frites.

Elle vient de la Ligurie au nord Ouest de l’Italie et a essaimé au XIXe siècle vers la Provence et tout le sud est de la France. Dans la région de Nice, elle est finement étalée sur une plaque et passée au four. On l’appelle la socca.

Le falafel

C’est une alternative intéressante à l’empereur “hamburger”. On fabrique de petites boulettes de pois chiches et/ou de fèves. On les passe à la friture et  on les sert dans du pain pita, petit pain rond qu’on trouve dans tout le Moyen Orient, avec de la sauce piquante et de la crème de sésame

L’aquafaba

C’est officiellement une invention de … 2015. Joël Roessel, informaticien reconverti dans le chant lyrique, adepte des médecines douces et des pratiques végétaliennes, découvre que l’eau de cuisson des pois chiches (90 % d’eau et 10 % de protéines et de fibres) est d’une composition identique à celle du blanc d’œuf.

Joël Rossel (premier plan)

Visiblement, il a beaucoup potassé les bouquins de Hervé This, physico-chimiste, promoteur depuis 1984 de la “cuisine moléculaire”.

Hervé This par Claude Truong-Ngoc

En 2014, il publie un article sur son blog :

http://www.revolutionvegetale.com/fr

expliquant qu’on peut monter en neige l’eau visqueuse des flageolets, comme celle des pois chiches. Cette information est reprise l’année suivante aux Etats-Unis par Goose Wohlt, praticien en “médecine de l’énergie” et “guide shamanique” qui donne un nom à ce liquide : aquafaba.

Goose Wohlt

Tout ceci ne constituerait qu’une anecdote, si tous les “vegans” de la planète ne s’étaient précipités pour monter l’affaire en mayonnaise. C’est vrai, on peut faire faire une meringue, une mousse au chocolat ou aussi une mayonnaise avec le liquide de cuisson des haricots ou des pois chiches, mais rappelons à ce moment que l’usage des pois chiches remonte au moins à trois siècles avant notre ère et qu’il faut donc raison garder : nos ancêtres libanais ou carthaginois ont eu tout loisir de constater que l’eau de cuisson des lentilles et des pois chiches possédait des propriétés intéressantes pour la cuisine et même pour la santé.

Colbert, Eiffel et de gros poissons

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683)  n’a pas laissé à la postérité une réputation de bon vivant. C’était avant tout un amoureux des chiffres et de la bonne tenue des finances publiques, ce dont le dispendieux Roi Soleil avait bien besoin.

Colbert par Claude Lefebvre (1666)

Ce n’est visiblement pas lui qui a glissé l’idée d’une recette de merlan à son maître d’hôtel, le discret Nicolas Audiger, dont on dit qu’il aurait aussi ramené à Versailles le petit pois, dont le roi usera et abusera.

Toujours est-il que Colbert a laissé dans son héritage ce fameux merlan Colbert, codifié et modernisé par ce cher Escoffier dont nous avons déjà parlé, puis remis à l’honneur au siècle dernier par Joël Robuchon dans son restaurant de l’époque, le Jamin, (32, rue de Longchamp, près du Trocadéro – aujourd’hui l’Astrance de Pascal Barbot).

Le merlan présente de nombreux avantage : il est peu cher, peu gras, riche en vitamines B3, B12, D, ainsi qu’en protéines, en phosphore ainsi qu’en magnésium et en Oméga 3. Sa chair fine a aussi l’avantage de plaire aux enfants. Et puis il est disponible quasiment toute l’année.
En revanche, il possède les inconvénients de ses avantages : il n’aime pas les cuissons trop longues, ni le congélateur !

Il est de tradition de servir le merlan en position dite “en colère”. Au préalable bien entendu, on a vidé la bête, de préférence par les ouïes. On pince sa queue dans ses mandibules de carnassier au moment de le passer à la friture, ce qui permet d’admirer ce qu’on appelle ses “yeux de merlan frit”.

Mais Robuchon, par exemple, préfère soigneusement enlever l’arête centrale à cru, en pratiquant une incision sur le dessus de la bête, et en dégageant précautionneusement les chairs avec un fin couteau bien aiguisé à lame souple (un “couteau d’office”).

Il va ensuite “paner” le poisson, plutôt à l’anglaise, et le passer à la friture rapidement, pour qu’il prenne une belle teinte dorée sans qu’il se délite.

Il peut ensuite l’installer sur l’assiette de service et loger dans la cavité dégagée par l’arête centrale une belle noisette de beurre manié : dans 50g de beurre on ajoute un peu de jus de citron, une cuillère à café de glace de viande, du persil et de l’estragon hachés, du sel, du poivre

Robuchon accompagnait ce poisson de sa fameuse purée dont je ne peux pas ne pas vous révéler les subtilités : pour 1 kg de pommes de terre (lui suggérait les petites rattes du Touquet), compter 250g de beurre (eh oui, c’est un peu comme pour les crêpes de Bocuse, il faut du baaeuuurre !), 7g de gros sel, 25 cl de lait entier.

On cuit les pommes de terre non pelées (elle conserveront ainsi l’amidon qui assure leur suavité) pendant 25 minutes dans de l’eau salée (départ eau froide). Epluchez-les et passez-les au moulin à légumes (svp pas au mixer électrique qui vous fabriquerait de la colle à affiche…). Déposez-les ensuite dans une casserole à feu doux, et mélangez à la cuiller en bois en ajoutant progressivement le beurre, puis le lait complété d’un tout petit peu d’eau bouillante. N’oubliez pas de saler et poivrer à votre convenance.

Autant le merlan apprécie les fonds rocheux, autant la sole est un poisson de fonds sableux, sur lesquels elle peut se rendre invisible en frétillant au-milieu des grains de sable, à proximité des côtes, de préférence aux embouchures de rivières, où elle trouve les vers, les crabes et les crevettes dont elle est friande.

Avec ses deux yeux situés du même côté, et son mode vie rampant, on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement élégante. Elle rallie pourtant tous les suffrages dans l’assiette.

Il existe des myriades de recettes de sole, fourrées, en filet, associées à toutes sortes d’ingrédients.

Je m’attarderai sur deux d’entre elles, parce qu’elles ont… une histoire.

En premier lieu, la sole meunière, la plus simple ou presque.

Marie Quinton, la belle meunière

Une légende prétend qu’à Royat, dans le Puy de Dôme, Marie Quinton, née en 1854, morte en 1933, avait  transformé un moulin en restaurant. Elle aurait créé ce plat à l’intention du général Boulanger, venu se réfugier en Auvergne pour tenter de mettre bas sa réputation d'”empereur des amoureux” et retrouver sa maîtresse, la vicomtesse de Bonnemains. Cette belle aubergiste confidente des amants se faisait appeler la “belle meunière”, ceci expliquant cela. Précision, l’auberge de la belle meunière existe toujours, à Royat. D’autres rumeurs affirment qu’il s’agit d’une recette normande. Je préfère pour ma part la première version, les Normands ayant à leur disposition des pelletées de recettes de soles. N’empêche, on trouvait déjà des filets de sole panés à la table de Louis XIV…

Je retiens aussi la sole à la Dugléré.

De 1822 à sa mort en 1884, Adolphe Dugléré est le chef du “Café anglais”, à l’angle du Boulevard des Italiens et de la rue Marivaux, tout près de l’Opéra Comique. A la fin du second Empire, c’était le plus snob et le plus couru des cafés parisiens. La façade ne payait pas de mine, mais on y comptait 22 salons et cabinets particuliers, tous ornés de boiseries d’acajou et de noyer, de miroirs patinés à la feuille d’or. Le Café anglais disparaît peu avant 1914. A son emplacement on trouve aujourd’hui… un café-restaurant, le Gramont.

Adolphe Dugléré

Dugléré n’était sans doute pas personnage commode. Il avait en horreur les fumeurs et les ivrognes. Mais on lui doit surtout quelques recettes qui lui ont survécu : les pommes Anna, le potage Germiny, et la sauce éponyme.

Le poisson est poché sur un lit de tomates concassées, d’oignons, d’échalotes ciselés, de persil haché et du vin blanc. La sauce est obtenue par la réduction du liquide de cuisson monté au beurre, ou à la crème, c’est selon.

Et pour clore cette trilogie, il fallait une recette plus méditerranéenne. Le rouget est dans notre mémoire plutôt un poisson de Méditerranée, même si réchauffement climatique aidant, on en trouve maintenant au large de la Norvège (!) Il se nourrit de petits vers et de crustacé qu’il trouve en farfouillant dans le sol, tête la première avec ses deux barbillons.

Voici une recette de rouget comme on peut la trouver parfois à la carte du Louis XIV, le restaurant emblématique d’Alain Ducasse à Monaco.

Les poissons sont écaillés, vidés et désarêtés par le dos en incisant le long de l’arête centrale et en veillant bien à ne pas désolidariser la tête et la queue. On réserve les foies et les arêtes pour la suite et les rougets à plat au frais sur une plaque filmée

Épluchez, lavez une courgette, une aubergine, deux branches de cardons (des côtes de blettes pour les septentrionaux, mais les cardons c’est meilleur à l’approche de la Méditerranée) et trois gousses d’ail et un oignon. Taillez tout ce petit monde en brunoise (dés de 2 mm de côté).

Mondez (enlever la peau en plongeant pendant quelques secondes dans l’eau bouillante) et épépinez deux belles tomates, avant de tailler également la chair en brunoise. Dans un sautoir, faites revenir tous ces légumes pendant une dizaine de minutes jusqu’à ce qu’ils aient commencé à compoter.

Poêlez également deux tranches de pain de mie dont vous aurez ôté la croûte, taillés eux aussi en brunoise, pendant 2 minutes. Egouttez-les sur un papier absorbant.

Coupez 20g d’olives noires en fins copeaux, ciselez les feuilles de deux branches de basilic. Réservez les branches pour la suite. Écrasez les foies des rougets à la fourchette.

En fin de cuisson de la compotée, ajoutez-y le pain de mie, les olives, le basilic ciselé et les foies. Bien mélanger. Saler et poivrer. Laisser refroidir.

Répartissez la farce ainsi obtenue sur le ventre des rougets. Les refermer. Les ficeler délicatement en trois endroits. Réservez-les au frais.

Jus de bouillabaisse

Epluchez et émincez un demi fenouil que vous allez faire suer à l’huile d’olive dans un petit fait-tout qu’on appelle une “russe” avec un peu d’oignons et de chair de tomate, et une gousse d’ail écrasée pendant 5 minutes.

Ajoutez les arêtes des rougets concassées. Déglacez avec une cuillère à soupe de pastis, et laissez réduire légèrement. Ajoutez ensuite 4 cl de vin blanc, réduire de moitié. Mouiller à hauteur avec de l’eau. Saler légèrement. Cuire pendant 15 à 20 minutes.

Hors du feu, ajoutez une vingtaine de pistils de safran et les tiges de basilic réservées tout à l’heure. Laisser infuser 10 minutes.

Passez le jus au chinois étamine sans fouler de façon à ce qu’il soit clair.

Fleurs de courgettes farcies

Laver délicatement 4 fleurs de courgettes, ôter les pistils, raccourcir la tige. Les déposer au fur et à mesure sur un linge humide. Les réserver au frais.

Prélevez le vert de quatre courgettes et 7 feuilles de menthe que vous hachez au couteau. Dans un sautoir, faites suer ce mélange avec un filet d’huile d’olive et de la fleur de sel pendant 3 minutes. Laisser refroidir.

Avec une petite cuillère, remplir les fleurs de cette farce. Les réserver au frais sur leur linge.

Pommes grenailles

Blanchir pendant 5 minutes 8 pommes de terre grenailles soigneusement grattées et lavées

Présentation

Déposer les rougets farcis dans un plat huilé. Ajouter les fleurs de courgettes farcies et les pommes grenailles. Verser le jus de bouillabaisse.

Enfourner à 210 °C pour 8 minutes. Arroser fréquemment.

Laisser ensuite reposer les rougets pendant 2 minutes sur la porte du four. Les déficeler.

Dans chaque assiette, dresser un rouget, une fleur de courgette et deux pommes grenailles.

Rectifier l’assaisonnement du jus de cuisson, lui ajouter un peu de jus de citron et d’huile d’olive, le verser sur les rougets.

Anglaise, française, milanaise, la panure, ou panelure

La panure à la française consiste à beurrer la pièce à cuire au pinceau (avec du “beurre pommade”) et la recouvrir ensuite de mie de pain fraîche mixée  ou de chapelure (pain rassis, biscottes, flocons d’avoine mixés…)

A l’anglaise, on passe d’abord la pièce dans de la farine, puis dans de l’œuf battu additionné d’un tout petit peu d’huile, avant de la rouler dans la chapelure.

A la milanaise on ajoute à la chapelure un tiers de son volume de parmesan râpé

Ducasse-Robuchon : je t’aimais, moi non plus

Longtemps, Alain Ducasse et Joël Robuchon se sont regardés en chiens de faïence, soucieux de parvenir au zénith de la gastronomie française, puis d’y demeurer, ce qui n’est pas simple.

Alain Ducasse

Alain Ducasse est un miraculé. En 1984, ce jeune chef originaire d’Orthez (lui préfère dire qu’il est de Chalosse…), alors âgé de 27 ans, vient d’obtenir ses premières étoiles à la Terrasse de l’Hôtel Juana de Juan-les-Pins. Il survit au crash de son avion de tourisme dans la vallée de la Maurienne. Embarqué avec cinq autres personnes en direction de Courchevel, il est le seul survivant de l’accident et devra se reconstruire pendant un an dans les hôpitaux. Il manque perdre la vue, pense ne jamais remarcher, mais ne perd pas de vue son objectif professionnel : décrocher une troisième étoile, et plus si affinités. C’est de cette époque que date son habitude de diriger les cuisines sans forcément mettre les mains à la pâte, plus manager que maître-queux. Il a l’œil sur tout, la vaisselle, les couverts, les viennoiseries, les apéritifs, la température des plats, et surtout la qualité des personnes dont il s’entoure. Il parviendra à ses fins pour la première fois à 34 ans.

Joël Robuchon

Joël Robuchon est né à Poitiers en 1945, 12 ans avant Alain Ducasse. Son père maçon et sa maman femme de ménage souhaitent simplement pour leur enfant une vie honnête. A 12 ans, Joël entre au petit séminaire de Mauléon. Il voulait entrer dans les ordres, mais découvre la cuisine en aidant les religieuses pour servir la communauté des séminaristes et de leurs professeurs. A 15 ans il devient apprenti chez Robert Auton, à Chasseneuil du Poitou. Il obtiendra pour la première fois sa troisième étoile à 38 ans.

Alain Ducasse a certes perdu un peu de son aura. Il a dû renoncer aux cuisines du Plaza Athénée en 2021, et avait perdu en 2018 l’appel d’offres lancé par la mairie de Paris et la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE) portant des restaurants de la tour : le Jules Verne, restaurant du deuxième étage, la brasserie du premier étage, les différents points de vente à emporter et la partie traiteur pour les réceptions et autres événements ponctuels organisés dans le monument. Sans oublier le restaurant d’entreprise de la SETE qui compte près de 350 salariés. En 2016 le chiffre d’affaires a atteint près de 40 millions d’euros, pour un bénéfice net estimé de 5 millions d’euros. La Sodexo, qui avait misé sur le duo Frédéric Anton-Thierry Marx, a gagné face au “ticket” Elior-Ducasse, titulaire précédent.

Mais rassurez-vous Alain Ducasse n’est pas sur la paille. Il est toujours l’homme du Louis XV à Monaco. Il est installé depuis 1987 par le prince Rainier à l’hôtel de Paris, ce palace endormi. Il y décrochera ses premières “trois étoiles” en 1990, six ans après son terrible accident d’avion ! Il est citoyen monégasque depuis 2008, et continue de gérer un empire sur toute la planète qui comprend des restaurants de tout calibre, des foodtrucks végétariens, des manufactures de café, de chocolat…

Comme par hasard, Robuchon s’était vu confier la gestion d’un restaurant d’hôtel, le Métropole, situé juste en face de l’hôtel de Paris, et Ducasse n’était pas peu fier de succéder à Joël Robuchon en reprenant les fourneaux de son restaurant de l’avenue Poincaré (le Joël Robuchon). C’était pour le Poitevin sa façon de prendre congé et d’officialiser sa retraite de cuisinier en 1995, ce qui ne l’empêchera pas d’être omni-présent à travers ses “Ateliers”, ses émissions de télévision, y compris une chaîne spécialisée, Gourmet TV. Il meurt d’un cancer du pancréas en 2018

A eux deux, Ducasse et  Robuchon ont totalisé jusqu’à 50 étoiles, et quelle que soit l’opinion qu’on puisse pouvoir avoir sur la pertinence des classements qui tentent de classer les grandes tables du monde, ni sur la personnalité assez… envahissante des deux personnages, on ne peut que s’incliner devant l’influence  qu’ont pu avoir ces chefs caractéristiques de la gastronomie française.

Sandwich v/s pastrami

Si d’aventure vos pas vous mènent un jour dans “Big Apple”, le pélerinage par “Katz’s” (205 East Houston Street ) est indispensable. Chaque semaine, ce restaurant spécialisé dans les “delicatessen” sert près de 7 tonnes de pastrami et 4000 hot dogs !

Katz’s : 7 tonnes de pastrami par semaine

Et contrairement à ce qu’imaginent certains voyageurs, le pastrami n’est pas une spécialité des quartiers juifs de NewYork. C’est une invention roumaine. Le verbe roumain «a păstra » signifie conserver. Les paysans yiddish avaient mis au point une technique de saumurage et de fumage qui permettait de conserver la viande tout en  l’attendrissant. On retrouve à la frontière arméno-turque des procédés qui ont sans doute inspiré les juifs roumains. Le “Pastirma” turc est un morceau de viande enrobé d’épices séché au soleil.

En Europe de l’Est, on utilisait principalement de la viande d’oie. A la fin du XIXe siècle, les juifs ashkénazes ont émigré en masse de l’Europe centrale vers d’autres pays européens, la Palestine, et beaucoup vers  l’Amérique du nord. Les exilés ont adapté leurs traditions à ce qu’ils trouvaient sur place, et l’oie a été remplacée par le bœuf .

Depuis, la viande de base du pastrami est le grumeau de bœuf, ou brisket, partie inférieure de la poitrine. C’est un morceau très persillé, recouvert d’une couche de graisse.

La viande est saumurée (5 jours) avec des épices (oignon, ail, coriandre, laurier, clou de girofle, etc.), puis enrobée d’une croûte d’épices (poivre, coriandre, …) et fumée aux copeaux de hêtre une ou deux heures à basse température. La cuisson lente et longue fera fondre une bonne partie des graisses, tout en préservant les goûts. On laisse ensuite la viande reposer au moins deux jours, avant de la couper en tranches très fines qu’on va déposer en couches successives entre deux tranches de pain de seigle.

On accompagne le pastrami de légumes fermentés : chou blanc, carottes, haricots verts, poivrons, oignons rouges. Tous ces composants sont coupés en fines lamelles et enfermés dans un bocal dans lequel on va les laisser fermenter pendant 5 jours avec des pois chiches, de l’aneth, de l’estragon, de l’eau et du sel (30g/litre).

Vous avez sans doute constaté qu’il n’est pas besoin d’aller aujourd’hui aux confins de l’Europe centrale ni même à New York pour déguster un délicieux sandwich au pastrami, même si, bien évidemment, c’est forcément meilleur sur place.

Un sandwich fabriqué en 1762

Je ne sais pas s’il existe des statistiques sur le plat le plus consommé à l’échelle mondiale, mais assurément, le sandwich doit être dans le “top 10”, devant la blanquette, le couscous, la pizza, le pastrami…

John Montagu, 4e comte de Sandwich, peint en 1783 par Sir Thomas Gainsborough

John Montagu était comte de Sandwich, quatrième du nom, à la fin du XVIIIe siècle. Il semble bien qu’il ait donné naissance à ce plat universel, mais les versions divergent sur les circonstances qui l’auraient amené à cette création.

L’une explique que, notamment vers 1762, il occupait des fonctions gouvernementales et passait le plus clair de son temps à son bureau et consommait “sur le pouce”, un peu de pain garni de viande. Il semble bien en effet que dès cette époque, les hommes d’affaires, les diplomates consommaient des aliments froids pour le déjeuner (cf l’assiette anglaise).

Une autre version moins reluisante affirme que Montagu était un joueur invétéré, et que lancé un jour dans une partie de cartes interminable, il demanda qu’on lui apporte deux tranches de pain garnies de viande froide, de concombre et de fromage. On dit même que ce plat revêtait deux qualités essentielles à ses yeux : il n’avait pas besoin de quitter la table de jeu pour s’alimenter et il pouvait conserver les mains propres…

L’heure du thé

Au pays de sa très gracieuse majesté, il est d’usage de faire une pause à 5 heures de l’après-midi pour déguster une tasse de thé. Et Outre-Manche, cette tasse est, en règle générale, accompagnée de quelques menues victuailles, salées et sucrées. J’en retiens deux.

Le sandwich au concombre est une recette traditionnelle, composé de tranches de concombres coupées aussi finement que possible et assaisonnée de sel et de jus de citron, entre deux tranches de pain de mie (pullman loaf) à la texture dense coupées à l’aide d’un couteau à lame large. La lumière doit pouvoir les transpercer. Les tranches sont soigneusement enduites de beurre jusqu’aux bords pour éviter que le pain ne se ramollisse. La croûte du pain est ensuite coupée et le sandwich divisé en triangles.

Et puis le “scone”, petit pain composé de farine, de levure, de sel, d’un peu de sucre et de lait, formé en disques de 5 ou 6 cm de diamètre, sur 2 cm d’épaisseur, enfournés à 220°C pendant 12 à 15 minutes, dégustés à peine sortis du four accompagnés de crème double…

Paris-Brest : la praline en connaît un rayon

Juillet sans Tour de France, c’est presque comme un mois sans soleil. Certes, c’est devenu depuis sa création en 1903 une gigantesque affiche publicitaire avec tous les excès possibles, mais c’est aussi une course magnifique, avec ses légendes, ses drames, ses héros, une magnifique ballade dans notre pays, des incursions chez nos voisins, et une aubaine pour les télés chargées de le retransmettre. C’est, en audience, le troisième événement sportif mondial, derrière la coupe du monde de football et les Jeux olympiques d’été.

Et puisque dans cet opus, on traite des histoires ET de la cuisine,  je vais vous en conter une, liée à une autre course mythique, le Paris Brest Paris. Le Paris-Brest est en effet une pâtisserie créée en même temps que la course, en 1891, pour lui rendre hommage. Pierre Giffard, le directeur du Petit journal, avait compris ce que d’autres ont ensuite appliqué et amplifié : un journal peut susciter de nouveaux lecteurs en créant des événements.

Plusieurs pâtissiers se sont disputés l’invention du gâteau en forme de roue de vélo, dont on a un peu oublié aujourd’hui le lien avec la course. Les différents pâtissiers-créateurs ont tous un point commun : leur échoppe est située sur le parcours originel emprunté par les cyclistes sur leurs drôles de machines. Tout le monde est d’accord sur la base de la composition du gâteau : une couronne en pâte à chou, cuite avec des amandes effilées en surface pour donner du croquant. Après cuisson, on découpe délicatement cette couronne qui doit avoir gonflé, et on fourre avec une crème pralinée.

En 1891 toujours, le Véloce Club Bordelais crée Bordeaux-Paris, autre course mythique de 650 km, dont une partie derrière derny, aujourd’hui passée de mode malgré le doublé Critérium du Dauphiné libéré-Bordeaux Paris dans la foulée réussi en 1965 par Jacques Anquetil.

Le tour de France a, lui, été créé par Henri Desgrange, directeur du journal L’Auto, devenu ensuite l’Equipe. L’organisateur de la course est aujourd’hui ASO, filiale du groupe Amaury éditeur entre autres de l’Equipe, de France Football et du Parisien (anciennement Parisien Libéré). ASO est aussi l’organisateur du Paris-Dakar, de Paris Roubaix, Paris Nice…

Très longues distances, la roue tourne

Le premier vainqueur du Paris-Brest-Paris (PBP) en 1891 s’appelle Charles Terront, qui boucle les 1200 km du parcours en un peu plus de 4 jours, à la moyenne fabuleuse de … 16km/h. Depuis 1931, le Paris-Brest-Paris est devenu une randonnée cyclotouriste, sans classement, organisée tous les 4 ans. La dernière édition a eu lieu en 2019 et a réuni … 6418 participants. 4366 d’entre eux sont arrivés avant le délai fatidique de 90 heures et ont reçu … un splendide diplôme. La prochaine édition aura lieu du 20 au 24 août 2023.

Les courses cyclistes longues distances font encore rêver certains compétiteurs, en dehors des critères et des défauts du cyclisme professionnel. Elles ont même leurs afficionados, qui suivent attentivement ces événements.

Arrêtons nous sur la “Transcontinental race”, la TCR, organisée chaque année depuis 2013, à travers l’Europe. Ici, pas de caravane publicitaire, pas de prime mirobolante, et un parcours en autonomie.

Les concurrents créent et choisissent leur parcours, leurs points de repos, leurs ravitaillements. Ils ne peuvent évidemment pas emprunter les voies interdites au vélo. Ils sont suivis  grâce à des balises fixées sur leur monture. Ils ne peuvent recevoir d’aide extérieure. Seule obligation, pointer à quatre “checkpoints” obligatoires disposés sur le parcours, à des lieux stratégiques. Chaque année, ils parcourent environ 4000 km pour atteindre la ligne d’arrivée, fixée cette année à Burgas (Bulgarie) sur la Mer Noire.

Ils s’élanceront le 24 juillet 2022 à 22 heures au pied du mur de Grammont, haut-lieu du Tour des Flandres, qu’ils graviront de nuit.

Fiona Kolbinger

Cette course redoutable, bien qu’amateur, a été remportée en 2019 … par une femme, devant 224 hommes et 40 femmes, en dix jours, deux heures et quarante-huit minutes. Fiona Kolbinger, dans le civil est étudiante en chirurgie au centre hospitalier universitaire de Dresde. Cette année là, elle avait enchaîné la “Transcontinental” avec le PBP qu’elle avait terminé dans les temps impartis ! Et mon petit doigt me signale qu’elle s’entraîne dur pour être présente à l’édition 2022, les deux dernières ayant été annulées pour cause de pandémie.

On pourrait ajouter au moins à cette liste la French Divide, qui traverse la France des chemins gravel du 6 au 21 août 2022, et le Love tour organisé du 10 au 17 juillet par les amis de 200 – toutes les aventures du vélo, une magnifique revue que je ne saurais trop vous recommander…

Splendeur et misère du Petit journal

Poursuivant sur sa lancée, Le Petit Journal organise en 1894 la première compétition automobile de l’histoire, le Paris-Rouen.

Replié à Clermont-Ferrand en juin 1940, le Petit Journal y vivra médiocrement, jusqu’en août 1944, subventionné par le gouvernement de Vichy. Son conseil d’administration est alors présidé par le colonel de La Rocque, père de la sinistre milice des Croix de Feu. Comme tous les titres qui avaient continué de paraître sous l’occupation, le journal est interdit à la Libération.

Conticini, le génie dans la tradition

Philippe Conticini symbolise dans la pâtisserie la grâce et la légèreté, à l’opposé de sa silhouette qu’il parvient difficilement à maîtriser. Il s’attaque très régulièrement aux grands classiques qu’il essaie de revitaliser, en respectant ce qui en fait la force.

Il y a quelques années, il avait redonné toute sa vigueur au Paris-Brest, et tous les apprentis pâtissiers s’échinent depuis à essayer de le copier.

Sa pâte à chou est une pâte à chou : dans un mélange d’eau et de lait (en tant pour tant, 125g), il fait fondre 110g de beurre et ajoute 140g de farine, 1 cuillère à café de sucre et une de sel. Il mélange soigneusement et incorpore ensuite un à un 5 œufs battus, tout en mélangeant (on peut utiliser pour cette opération un batteur à la feuille). On doit obtenir une pâte souple et luisante. Eventuellement ajouter un peu d’œuf battu si la pâte ne se referme pas quand on enfonce l’index.

Plutôt qu’une roue, il forme sur une plaque graissée, une couronne de 8 boules de pâte qui vont se rejoindre à la cuisson. Il s’éloigne certes du pneu de vélo, peu digeste, mais il forme une couronne qui sera beaucoup plus craquante à la dégustation. Et surtout, il ajoute au sommet de chaque boule un “craquelin” de pâte à crumble (40g de beurre pommade, 50g de sucre roux, 50g de farine T45, 1 pincée de sel), qu’il malaxe soigneusement avant de l’étaler finement (2mm) entre deux feuilles de papier sulfurisé et d’y découper 8 disques d’un diamètre légèrement inférieur à celui des choux (4 cm environ). Il colle ensuite ces disques de craquelin sur chaque chou, avant d’enfourner le tout à 170°C pendant 45 minutes. Le résultat sera une couronne d’une légèreté incomparable, surmontée d’une pellicule de pâte délicieusement sucrée et craquante.

Il laisse à présent la couronne refroidir, avant de la découper soigneusement dans l’épaisseur.

Dans chaque boule, il poche un peu de crème pralinée (155 g de lait demi écrémé, 15 g de maïzena, 30 g de sucre semoule, 2 jaunes d’œufs, 1 feuille de gélatine, 80g de pâte de praliné , 60 g de beurre) et ajoute un insert de praliné (pour 500 gr de pâte de praliné, 300 g de noisettes entières brutes, 300 g d’amandes entières brutes, 400 g de sucre semoule, 100 g d’eau, le tout lentement caramélisé et mixé, puis refroidi et mis en poche). Il complète ensuite avec de la crème pralinée, avant de reposer le disque supérieur et son craquelin. Il est impératif de se réserver un temps de repos ensuite, pour que tous les ingrédients soient à température. Et que quand on déguste, l’insert de praline soit fondant au-milieu de la crème pralinée.

Depuis, Philippe Conticini a sans doute écouté les remarques des amoureux du vélo, qui ne se retrouvaient pas dans cette roue inconfortable. Il commercialise à nouveau un Paris-Brest circulaire et lisse, mais on y retrouve ses améliorations géniales.

Ernest, le Pont-Neuf, … et les frites

Ernest Hemingway

Je ne sais pas si nos descendants frémiront encore longtemps à la lecture du “Vieil homme et la mer” ou de “Pour qui sonne le glas”, mais ce géant d’Hemingway, né en 1899, mort en 1961 a bercé les nuits et les rêves de bien des enfants du XXe siècle.

Ecrivain, journaliste, il couvre notamment la première guerre mondiale. Il séjournera à Paris de 1921 à 1924 période pendant laquelle il est correspondant du Toronto Star. Il suivra plus tard la guerre d’Espagne, aux côtés des Républicains et revient en Europe à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il se fera notamment remarquer par le général Leclerc qui l’enverra promener quand l’autre prétendait vouloir libérer le bar du Ritz (!)

Ernest Hemingway avait ses habitudes au “Café de Flore”, célèbre repère du boulevard Saint Germain, à côté des “Deux Magots”.

Ce café a été le rendez-vous  du Tout Paris intellectuel.

A la fin du XIXe siècle, c’est même le rendez-vous de l’extrême droite. Maurras y crée le journal “L’Action Française”. Apollinaire et André Breton y inventent le surréalisme, Picasso, Prévert, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir y ont leurs habitudes, comme Albert Camus, et plus tard, Brigitte Bardot, Delon, Gainsbourg (qui se fait servir des pastis doubles rebaptisés “102”) ou Belmondo. Et la liste n’est pas close, BHL, Arielle Dombasle, Sharon Stone, Johnny Depp peuvent toujours y débouler.

On ne peut pas dire que ce “café chic” soit un haut-lieu de la gastronomie parisienne ou même germano-pratine. Le “club sandwich” est réputé, comme le caviar et et le Pouilly Fumé, sans plus.

Hemingway, colosse de 1,82 m pour un bon quintal, s’y fait servir un roboratif filet de bœuf, enrobé de poivre, flambé au bourbon, déglacé au fond de veau, à la moutarde, au beurre et à la crème fraîche, qu’on peut encore se faire servir au Flore et ailleurs. L’écrivain le préfère croustillant à l’extérieur, rosé ou saignant à l’intérieur, et ajoute un peu de sauce au soja.

Il ne dédaigne pas non plus un “Hamburger” de 450g de bœuf haché (!), garni de deux clous de girofle, de l’ail haché, des petits oignons verts, des câpres, de la sauge, des épices du Nouveau monde introuvables aujourd’hui, un peu de vin blanc et un œuf battu.

Le Pont Neuf en 1615

Le pavé et le hamburger lui sont invariablement servis avec des “pommes Pont Neuf” qui, n’en déplaise à nos amis d’Outre-Quiévrain, sont bien les ancêtres des frites. Les  Belges peuvent se consoler : ils demeurent les plus grands consommateurs de “french fries” au monde (16 kg par tête de pipe par an).

Jean-Frédéric Krieger

Mais il semble bien qu’elles ont été inventées à la fin du XVIIe siècle par les vendeuses de beignets du Pont Neuf, le plus vieux pont de Paris, dont la construction avait commencé sous Henri IV. L’une d’entre elles a un jour l’idée saugrenue de plonger des pommes de terre dans sa friture. La recette fait son chemin, jusqu’à ce qu’un certain Jean-Frédéric Krieger, dit “Fritz” qui travaille dans une rôtisserie à Montmartre n’ouvre en 1844 une “baraque” itinérante et ne se mette à sillonner notamment les routes (plates) de la Belgique.