La crêpe, le roi … et Suzette

En cuisine, comme dans la vie, souvent, la petite et la grande histoire coexistent plus ou moins pacifiquement. C’est le cas de la crêpe Suzette.

Edouard VII

Nous sommes un jour de janvier 1896. Le prince de Galles, comme il en a l’habitude, est installé à la terrasse de son café préféré. Pas n’importe quel café du commerce, mais le café de Paris, propriété de la Société des bains de mer, dans la rutilante principauté de Monaco. N’est pas futur roi d’Angleterre (Edouard VII) qui veut.

Et pour son goûter, le prince aime se faire servir des crêpes. Nous sommes au café de Paris, et les crêpes sont poêlées minute, sur un guéridon, tenu ce jour-là par un jeune apprenti.

Le jeune homme, sans doute impressionné par l’hôte qu’il doit servir, renverse un peu de fine champagne dans l’assiette, qui s’enflamme à la chaleur du réchaud. Le serveur ne perd pas son sang froid, et étouffe les flammes en versant un peu de sucre.

Du haut de sa majesté, le prince demande ce qu’il se passe. Le jeune pâtissier toujours pas décontenancé explique qu’il met au point une nouvelle recette, qu’il voudrait  baptiser crêpe Prince de Galles. L’autre, bon prince, se tourne vers sa voisine, lui demande son prénom : Suzette !

Henri Charpentier

Le jeune commis se serait appelé Henri Charpentier, chef qui fera carrière outre atlantique dans les années 30.

Après cet épisode monégasque, il aurait été au service d’Auguste Escoffier, chef de l’hôtel Savoy de Londres, qui aurait repris l’histoire à son compte. Ce dernier sera renvoyé de l’hôtel  en 1897 pour avoir reçu des pots de vins de ses fournisseurs, un grand classique des cuisines de palace, avant de rebondir au Ritz de Paris puis de nouveau à Londres, au Carlton cette fois-ci.

Auguste Escoffier

Escoffier a sans doute piqué des trucs à droite et à gauche, en particulier auprès des équipes qui travaillaient pour lui.

Mais les cuisiniers d’aujourd’hui lui doivent beaucoup, notamment l’organisation des brigades, et aussi la propreté et la méthode érigées en religion.

Et surtout il a beaucoup écrit, mis sur le papier dans son Guide culinaire (1903) des dizaines de recettes qu’on continue d’appliquer scrupuleusement.

Et personne ne lui conteste l’invention de la pêche Melba et de la poire Belle Hélène, dont on reparlera, forcément !

Crêpe, sucre, agrume, alcool

Tout le monde prétend détenir LA recette de la vraie crêpe Suzette, je ne voudrais pas en ajouter une autre.

Paul Bocuse

Je peux en revanche vous proposer celle de Monsieur Paul pour la seule confection de la crêpe, en compagnie de l’irremplaçable Marthe Mercadier. Le pape de Collonges au Mont d’or met autant de beurre que de farine (les bons auteurs se contentent généralement de 50g de beurre pour 250g de farine, 60cl de lait et 4 œufs). Inutile de vous dire qu’il n’est  pas nécessaire de graisser vigoureusement la poêle avec un tel appareil, mais j’ai essayé, c’est gras, mais/donc c’est bon ! (et pour le même prix vous aurez un jambon au raifort et un coq au vin)

Le chef conseille de diluer la farine avec le lait froid avant de mettre les œufs. La remarque est est précieuse, pour s’affranchir des grumeaux. Les débats sont également infinis sur l’alcool à utiliser. Le bleu du curaçao de l’origine n’a plus guère la cote, on lui préfère souvent le Grand Marnier. Le beurre de mandarine, avec des zestes de ce précieux agrume plus goûteux que la clémentine ou l’orange, bien que non dépourvu de pépins, est assez incontournable.

3 réflexions sur « La crêpe, le roi … et Suzette »

  1. Reste la délicate question du flambage qu’Escoffier proscrit, contrairement à Charpentier, forcément ! A titre personnel, la petite cuisine sur guéridon et le contact rapproché avec le cuisinier me parait bien correspondre à la tendance du moment. Donc flambage, plutôt. Ca n’apporte pas grand chose de plus au goût, mais ce n’est pas antidiététique et c’est spectaculaire à souhait !

Laisser un commentaire