
Stéphanie et Caroline Tatin ont dirigé l’hôtel éponyme, en face de la gare de Lamotte-Beuvron, dans le Loir et Cher, de 1894 à 1906. Caroline (à gauche) accueillait la clientèle, pendant que Stéphanie s’affairait aux cuisines. Et comme chacun sait, la Sologne est le paradis des chasseurs en tous genres, ce qui faisait de l’hôtel un QG des fines gâchettes de l’Orléanais et de la Touraine mais aussi de la région parisienne, à 200 km de là.

La légende prétend qu’un dimanche d’ouverture de la chasse, Stéphanie, qu’on appelait Fanny avait oublié la pâte de sa traditionnelle tarte aux pommes caramélisées, et tenta de rattraper le coup en l’ajoutant par-dessus les pommes.
Ce célébrissime dessert serait donc le résultat d’une erreur.
Mais quitte à en décevoir quelques-uns, cette légende n’a pas résisté pas à l’œil exercé de quelques historiens, qui notent une « tourte retournée » dès 1790, dans le règlement des épreuves pour obtenir une maîtrise de boulanger. Et Marie Souchon, une institutrice de l’époque, confie que Fanny avait obtenu cette recette de la cuisinière du comte Alfred Leblanc de Chateauvillard dont le château est à 5 km de Lamotte-Beuvron. L’institutrice avait pris soin de noter scrupuleusement les recommandations de Fanny et les détails de la recette.
Toujours est-il que la réputation de la tarte franchit rapidement les frontières du Loir et Cher, et parvient aux oreilles de Louis Vaudable, grand chasseur devant l’éternel, mais aussi et surtout propriétaire de Maxim’s, fondé rue Royale en 1893. Louis Vaudable fut aussi copropriétaire du Grand Véfour, propriétaire de l’un des restaurants de la Tour Eiffel, et désigné personnalité gastronomique de l’année en 1978. Il est décédé en 1983.

La légende prétend que Louis Vaudable tenta de demander aux sœurs Tatin leur recette, ce qu’elles lui refusèrent très poliment. Pas découragé, il envoya son chef pâtissier qui se serait fait passer pour un jardinier à la recherche d’un emploi. Ce stratagème aurait permis à l’espion de découvrir les secrets de cette merveille.
La légende est intéressante, mais assez invraisemblable : lorsque les sœurs Tatin cèdent leur affaire en 1906, Louis n’a que … 4 ans !
La recette de Marie Souchon fut publiée, semble t-il pour la première fois, en 1921 dans une revue locale Blois et le Loir-et-Cher. Elle figure dans Le Livret d’or de la section gastronomique régionaliste du Salon d’automne de 1923 sous la direction d’Austin de Croze avec pour titre Recette solognote : Tarte des Demoiselles Tatin, de Lamotte-Beuvron. Elle est reprise avec le même titre, en décembre de la même année dans Comœdia.
A ce moment entre en scène Maurice-Edmond Saillant, alias Curnonsky. Ce ventripotent critique, autrement appelé le « prince des gastronomes », serait lui aussi le propagateur du moment de panique de Fanny pendant le coup de feu un dimanche soir.

Mais là aussi, cela n’est attesté dans aucun écrit de Curnonsky, pourtant peu avare de sa plume. En tout cas, en 1926, ce dernier consacre un numéro spécial de sa revue La France gastronomique à l’Orléanais et fait définitivement passer la tarte Tatin à la postérité. Rien n’interdit de penser que la faconde du critique se soit abandonnée à alimenter la rumeur, dans quelque salon où il avait ses habitudes. La recette est retranscrite dans Paris Soir en 1929. Et sur la carte de Maxim’s, la tarte devient un must après la deuxième guerre mondiale.
On le voit et on le sait, pour créer une légende, il faut du temps, et beaucoup de fausses pistes, ou de fake news, c’est selon. Mais alors, où se trouve le secret de cette recette ?
Pour Marie Souchon, il est impératif d’utiliser un moule en cuivre : « Se servir d’un plat en cuivre, sans quoi cette délicieuse tarte ne sera jamais réussie. » Précisons que les moules actuels diffusent parfaitement la chaleur.
Les ingrédients se résument à des pommes, du beurre, du sucre et de la farine. Pour réussir la tarte, il faut lire le tour de main de Fanny : « Prendre des bons morceaux de beurre que l’on pétrit énergiquement. Puis en garnir le fond du plat en cuivre, mettre dessus une bonne couche de sucre en poudre ou cristallisé. Couper des pommes en morceaux qui doivent être soigneusement rangées dans le plat. Faire autant de couches que le plat peut en contenir, recouvrir les pommes d’une épaisse couche de sucre cristallisé. La meilleure pomme à employer est la reinette jaune veinée de rouge.» La meilleure pomme semble donc être la reinette. Mais d’autres « spécialistes » préconisent la reinette clochard, la boskoop ou la calville.
Sur ces quartiers, mettre encore un peu de beurre et sucre, puis recouvrir le tout d’une pâte brisée. Pour ce qui concerne la pâte, on peut à peu près tout lire : feuilletée, sablée ou brisée. Le secret réside probablement dans sa finesse : «La rouler aussi fine que possible (1 sou soit 1 millimètre) ; l’étendre sur les pommes, couper tout le tour autour du plat.» Cuire sur un bon feu de charbon, le tout recouvert d’un four de campagne garni aussi d’un feu vif. La cuisson doit durer de 20 à 25 minutes, au bout desquelles on enlève le four de campagne et vérifie si la cuisson est satisfaisante en soulevant avec un couteau le bord de la pâte. La tarte est à point si les quartiers de pommes sont bien dorés et si le sucre commence à être caramélisé.
Précisons qu’à ce jour la ribambelle de fours offerte au profane comme au professionnel peut aisément remplacer le charbon d’un autre âge et qu’un feu vif doit correspondre à une température de 180 à 220 degrés…
On coiffe ensuite la tarte avec le plat retourné dans lequel on doit servir, puis on retourne vivement le tout, de manière à ce que les pommes se trouvent en-dessus. Servir chaud.
Les gardiens du temple

La Confrérie des Lichonneux de Tarte Tatin, fondée en 1978, domiciliée à l’hôtel Tatin de Lamotte-Beuvron avec force breloques, chapeaux baveux et tuniques susceptibles d’atténuer les proéminences s’est « auto-assignée » la mission de faire respecter la véritable recette. Exit donc selon ces vigiles les Tatins aux pêches, aux endives, aux crevettes ou aux moules, ou autres joyeusetés des pianos !
La vraie recette secrète de Roselyne Bachelot

La mère de notre ci-devant ministre de la Culture, dentiste, avait pour patiente Huguette B. qui avait travaillé pour les sœurs Tatin et lui aurait donné le secret de la vraie recette. Pâte brisée, pommes Golden, sucre et beurre. Sauf que la pomme Golden delicious, découverte par hasard en Amérique en 1890, n’arrive véritablement sur les étals de France et de Navarre qu’après 1918, bien longtemps après la mort des deux sœurs Tatin. Certes la Golden possède un avantage incommensurable : elle se conserve très bien, et peut être commercialisée toute l’année, au contraire de la reinette qui atteint son apogée à l’automne, au moment de la chasse…
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[…] A Vonnas, à une vingtaine de kilomètres de Bourg en Bresse, Georges Blanc est l’héritier d’une dynastie d’hôteliers restaurateurs depuis 1872, dont la “mère Blanc”, sa grand’mère, qui régna sur les fourneaux jusqu’en 1949 et fut distinguée en 1933 “meilleure cuisinière du monde” par le redoutable critique Curnonsky (à propos de Curnonsky : https://recettesahistoires.com/2022/06/15/les-soeurs-tatin-le-storytelling-et-les-fake-news/). […]