Le “brunch”, une mode ? une solution ?

Sous-titre pour ne pas perturber le moral : le /bɹʌntʃ/

Une fois n’est pas coutume, je voudrais vous entretenir aujourd’hui d’une tradition culinaire que nous avons importée des Etats-Unis, par l’intermédiaire de nos ex-cousins d’Outre-Manche.

C’est un secret de Polichinelle, de la Big Apple à Los Angeles on mange beaucoup et mal, et nous n’avons pas forcément besoin de devenir les émules de l’Oncle Sam, sur ce plan comme sur d’autres…

Mais si un jour vous naviguez dans ces contrées, vous trouverez à toute heure une occasion de vous sustenter, entre le breakfast, le lunch, le dinner, et ce fameux brunch, initialement réservé a priori aux dimanches à lever tardif. Aujourd’hui, dans notre hexagone notamment, le poulet du dimanche tend à céder la place au généreux buffet “all inclusive” du café ou du bistrot plutôt qu’à la table familiale.

 Je m’arrêterai pour la circonstance à quelques emblèmes qui me permettront de baguenauder autour de ce refrain.

Œuf Benedict

Oscar Tschirky, maître d’hôtel du Waldorf Astoria

Il semble qu’on doive l’invention de cet œuf à Lemuel Benedict, client régulier de l’hôtel Waldorf Astoria de New York qui souhaitait qu’on lui serve un petit déjeuner roboratif à base de toast grillé, sur lequel on pose une tranche de lard grillé, un œuf poché, le tout nappé de sauce hollandaise. Le maître d’hôtel Oscar Tschirky perfectionne un tout petit peu cette proposition et la met à la carte d’où elle ne sortira plus.

Le toast est à présent un “muffin anglais“, petit pain blanc levé deux fois : on confectionne la pâte avec la farine, la levure, sel, sucre, eau, on laisse doubler de volume dans un endroit tiède, puis on étale, on découpe à l’emporte-pièce des ronds de 7 cm, et on laisse de nouveau gonfler pendant 45 minutes. On enduit ensuite d’huile d’olive, on parsème de semoule, et on fait dorer à la poêle des deux côtés. Ce muffin coupé dans la largeur est recouvert d’une fine tranche de bacon grillé, d’un œuf poché et de sauce hollandaise.

Le simple œuf poché n’a pas fini d’exciter de nombreuses glandes salivaires !

Des générations de cuistots se sont échinées à dégotter la méthode imparable pour proposer un œuf bien blanc et suffisamment ferme qui, lorsqu’on le perce au couteau laisse échapper un jaune onctueux. Au Japon, les “onsen tamago” sont cuits pendant une quinzaine de minutes dans des sources chaudes. En Grèce et en Turquie certaines communautés cuisent les œufs “hamine” pendant six heures dans la braise.

Dans les années 80, Bruno Goussault, agronome et Hervé This, physico-chimiste (rendez-vous compte, même pas cuisiniers) ont fait comme Louis Pasteur plus tôt (https://recettesahistoires.com/2022/09/21/tout-est-affaire-de-levure/ ; https://recettesahistoires.com/2022/07/20/touche-pas-a-ma-mere/).

Ils ont tenté de fournir des explications scientifiques au savoir pragmatique des cuisiniers. Ils ont ainsi déterminé que le blanc de l’œuf coagule à 62 °C et le jaune à 68 °C. Pour avoir une cuisson parfaite, il faut donc cuire l’œuf à 64 °C ou 65 °C. Là où l’on faisait confiance à son petit doigt pour déterminer le temps de cuisson idéal, les scientifiques démontrent que si on respecte les 64°C, le temps n’est plus aussi contraignant. On peut aller de 35 à 60 minutes suivant la texture qu’on souhaite obtenir pour le jaune.

A leur corps défendant, This et Goussault ont été accusés de toutes les avanies pour avoir été les “inventeurs” de la “cuisine moléculaire” et de ses excès, comme s’il y avait de la cuisine non moléculaire et comme si la cuisine n’était pas avant tout de la chimie et de la physique avec des protides et des lipides, de l’azote et de l’oxygène, du vide et du plein, du liquide et du solide, et tout le tralala…

Les marchands du temple, ou plutôt les fabricants d’ustensiles de cuisine ont vite repéré les débouchés que ces recherches pouvaient offrir.

Il existe aujourd’hui quantité d’appareils pour assurer une cuisson à basse température. Les pros ont des bains-marie équipés de thermostat. Pour les autres, je propose une technique peu onéreuse : une casserole suffisamment grande et un thermomètre plongeant ! Vous portez à 64°C une quantité d’eau assez importante, pour amortir le choc thermique quand vous mettez les œufs, et vous attendez le temps nécessaire, en surveillant la température du coin de l’œil, suivant la confiance que vous accordez à votre cuisinière électrique ou à gaz.

Louis XIV traverse le Rhin, le 12 juin 1672 au gué de Tolhuis, peinture de Adams Frans Van der Meulen (RijksMuseum d’Amsterdam)

Reste la sauce hollandaise qui ne doit rien à un récent président de la République, mais plutôt à Louis XIV qui, de 1672 à 1678 avait entrepris la guerre de Hollande en compagnie de ses alliés contre la Quadruple alliance. Et les troupes du roi soleil l’emportèrent au traité de Nimègue, confirmant la France dans sa prééminence en Europe.

La sauce hollandaise est élaborée à partir d’une émulsion de jaunes d’œufs à laquelle on rajoute du beurre clarifié et du jus de citron. On monte un sabayon au fouet avec 3 jaunes d’œufs et deux cuillères à soupe d’eau, à feu doux. Quand ce mélange commence à épaissir (on dit qu’il est au ruban) on ajoute progressivement 200g de beurre clarifié (on l’a fait fondre et on a retiré à l’étamine la caséine qui surnage) puis le jus d’un demi-citron. Cette sauce est un grand classique de l’accompagnement des poissons.

La sauce ne célèbre pas cette victoire, mais plutôt celle de l’entourage du roi, cherchant au même moment à définir une diététique plus raisonnable au souverain, et notamment des sauces moins grasses. (https://recettesahistoires.com/2022/08/19/la-poire-et-la-peche-hortense-et-nellie/ ; https://recettesahistoires.com/2022/07/11/colbert-eiffel-et-de-gros-poissons/)

Cheesecake

Autre grand classique du brunch, le cheesecake.

Dans un moule à bord haut, chemisé de papier sulfurisé, on tasse des biscuits mixés avec du beurre pommade.

Dans les cantines du Nord ou de Belgique il est de tradition d’utiliser des speculoos réduits en poussière. Les Américains préfèrent les biscuits Graham au goût parfaitement neutre.

Arrêtons nous un instant sur Sylvester Graham, révérend nutritionniste presbytérien. A la fin du XIXe siècle, il recommandait des aliments fades, non épicés et peu gras, comme remède aux « pulsions charnelles » et aux « périls de la débauche », comme la masturbation qui éloignent les hommes du Christ. Ses théories sanitaires influenceront ensuite John Harvey Kellogg, l’inventeur des Corn flakes, ainsi que Henry Parsons Crowell, fondateur de la Quaker Oats company, propriété aujourd’hui de … Pepsi Cola… Et comme chacun sait les quakers désignent des religieux qui avaient (ont ?) l’habitude de se mettre à trembler à l’office pour expier leurs péchés.

Conclusion, si vous ne souhaitez pas que votre pâte de biscuit ait un goût trop prononcé de cannelle, mais que vous répugnez à cautionner le puritanisme anglo-saxon, il vous reste à trouver des biscuits un peu sucrés mais pauvres en goût pour ne pas envahir celui de votre gâteau (galettes bretonnes par exemple), mixés avec du beurre pommade.

Battez 500g de fromage blanc avec 150g de sucre en poudre. Ajoutez 25cl de crème fraîche, 3 œufs, un par un et une gousse de vanille (de la VRAIE vanille, de Madagascar par exemple, ou de la Réunion, des Comores ou de Tahiti…). On la coupe dans le sens de la longueur et on racle l’intérieur au couteau, et on on réutilise les demi-gousses vidées qu’on met dans le bocal de sucre en poudre qui deviendra sucre vanillé.

Versez le tout sur la croûte biscuitée, lissez bien la surface (la croûte ne doit pas déborder), et enfournez à 180°C pour 55 minutes. Laissez au frais pendant 12h au moins avant de servir.

Bloody mary

Et que boit-on à l’heure du brunch ?

Les Européens se contentent du café, du thé ou du chocolat chaud et de jus de fruit. Aux Etats-Unis, on se lève plus tard et on attaque par le sucré, avec des cocktails alcoolisés !

Je vous propose avec toutes les précautions d’usage sur les effets de l’abus de la consommation d’alcool pour votre santé, un bloody mary, qui ferait référence à une légende anglo-saxonne mettant en scène une mère infanticide enterrée vivante, qui se serait arraché les ongles à force de gratter son cercueil. Outre-Manche, c’est le surnom donné à Marie Tudor, reine de la France et de l’Angleterre il y a un certain temps, à cause des persécutions qu’elle mena contre les protestants.

Le Bloody Mary est un cocktail à base de vodka, de jus de tomate, de jus de citron, d’un  soupçon de piment, d’une once de sauce Tabasco, d’un nuage de sauce Worcestershire, et de sel de céleri.

3 réflexions sur « Le “brunch”, une mode ? une solution ? »

  1. […] Le céleri est plein de ressources. Rave ou branche, il peut se décliner de multiples façons. Les branches coupées en fins tronçons donnent de la couleur et du goût à une salade, un morceau de poisson ou de viande. Avec les graines de céleri broyées, on peut faire du sel de céleri indispensable à la préparation du Bloody Mary (https://recettesahistoires.com/2022/10/05/le-brunch-une-mode-une-solution/). […]

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