Les cuisiniers des cinq continents cherchent toujours la bonne méthode pour cuire un poisson, une pièce de viande, un fruit, un légume sans détériorer les “jus”, sources de goût et de douceur ?
La cuisson “à l’étouffée” dans une croûte qu’on va ensuite pouvoir consommer est évidemment très tentante, et on trouve cette recherche un peu partout. J’avais déjà abordé le sujet précédemment : https://recettesahistoires.com/2022/06/27/confidences-sur-loreiller-de-la-belle-aurore/?preview_id=243&preview_nonce=884f484997&preview=true
On peut aussi fabriquer une croûte avec du sel, de l’argile, de la cendre, du goudron… qui va permettre une cuisson douce en préservant les sucs, mais dont on devra ensuite se débarrasser.
Bœuf Wellington

Commençons notre voyage en Angleterre. Arthur Wellesley, duc de Wellington (1769-1852) est un héros définitif dans la mémoire des sujets de Sa Gracieuse Majesté (eh oui Charles, la majesté demeure du sexe féminin, nonobstant l’état civil du souverain). Cet aristocrate qui fut Premier ministre de 1828 à 1830, est surtout … le vainqueur de Napoléon Bonaparte à Waterloo, dans la plaine du Brabant wallon, en juin 1815.

Et ce que les cuisiniers irlandais s’acharnent à baptiser un filet de bœuf en croûte demeure en Angleterre un “bœuf Wellington”. Quant aux Français, même si la statue de Napoléon continue de tourner le dos aux falaises de Douvres à Wimille, près de Boulogne-sur-mer, ils ne rechignent pas à cuisiner et à déguster ce plat typiquement anglais, particulièrement roboratif et dispendieux…
Il faut en premier lieu vous munir d’un magnifique rôti de bœuf dans le filet (1,5 kg), de champignons, sauvages si c’est la saison, de Paris sinon (600 g), de 100 g d’oignons et d’autant d’échalotes.
Vous réalisez une “duxelle” de champignons, hachés, au couteau si possible, au mixer (on n’attend pas que ce soit de la purée…) si vous n’avez pas la patience. Ajoutez le jus d’un demi-citron pour éviter qu’ils s’oxydent, coupez (ou mixez) les oignons et les échalotes et faites-les revenir dans un mélange de beurre et d’huile. Ajoutez les champignons et continuez à cuire jusqu’à ce que la duxelle ait rendu son eau de végétation. Etalez dans un bac que vous recouvrez et mettez au frais après assaisonnement.
Saisissez le rôti sur toutes ses faces. Il s’agit de caraméliser en surface les sucres de la viande brièvement afin d’emprisonner les jus. Laissez refroidir et assaisonnez, en enlevant délicatement la ficelle si c’est le cas.
Sur un papier de cuisson ou un film étalez une dizaine de tranches de jambon de Parme qui doivent très légèrement se chevaucher sans se superposer. Le jambon ne doit pas se substituer au rôti…
Etalez (1 cm) la duxelle bien froide sur ce jambon, à l’aide d’une maryse. Ajoutez sur la duxelle des tranches de truffe noire puis de fines tranches de foie gras. N’oubliez pas d’assaisonner (sel et poivre) et déposez le rôti bien froid. Entourez le rôti avec les tranches de jambon, la duxelle, les truffes et le foie gras. Serrez le tout dans un film plastique (autrefois on aurait utilisé un torchon) et mettez au frais.

Réalisez une pâte feuilletée à cinq tours (ou achetez là chez votre meilleur boulanger). Il en faudra 1kg environ, que vous allez “abaisser” à 5 mm pour obtenir un rectangle de 60×40 cm que vous diviserez en deux rectangles de 30×40 protégés tous deux par du papier sulfurisé et réservés au frais.
A l’aide d’un “rouleau à losange“, vous fabriquez sur l’un des deux morceaux un “tressage” que vous ouvrez délicatement en étirant la pâte. Recouvrez cette tresse de papier sulfurisé et placez-la à nouveau au frais pour raffermissement.
Réalisez 4 ou 5 crêpes de 28 cm de diamètre au beurre (60 g de farine, 3 œufs, 15 cl de lait entier, 1 cuillère à soupe d’eau, 15 g de beurre).

Sortez ensuite le filet que vous badigeonnez de moutarde et que vous enveloppez avec les crêpes bien étalées sur le plan de travail, en évitant les superpositions.
Etalez ensuite le premier feuilletage, doré à l’œuf (1 jaune d’œuf et un peu de crème) sur son contour et enveloppez le rôti dans son appareillage en laissant la soudure des crêpes au-dessus. Collez les deux bords de feuilletage grâce à la dorure, rabattez les bords pour former un paquet soigneusement recouvert de pâte, y compris sur les côtés. Soudez les extrémités à la dorure à l’œuf et éliminez les excédents de pâte feuilletée. Le “paquet” possède son endroit, bien propre et lisse, et son envers, avec les soudures. Retournez le “pain” de feuilletage, dorez-le au pinceau.

Posez-le ensuite sur la pâte feuilletée grillagée, “soudures” au-dessus, de façon à ce que la soudure de la pâte grillagée corresponde à celle de l’envers du rôti. Soudez cette dernière pâte en supprimant les éventuels excès de pâte et les superpositions, retournez enfin le filet sur sa plaque de cuisson recouverte de papier sulfurisé. De nouveau passage au froid.
Précision, cette recette prestigieuse nécessite un peu d’habileté, mais surtout de la patience et du temps, ce qui est souvent le cas de la “bonne” cuisine… Si vous vous mettez en chantier, prévoyez de débuter la veille du service.

Au moment de la cuisson, sortez le filet, passez-le à la dorure, piquez-le avec une sonde de cuisson et enfournez à 210°C. Le filet est cuit quand la sonde indique que la température au cœur atteint 52°C. Le cœur est alors saignant. C’est, je trouve, la cuisson optimale, avec le plaisir d’avoir une viande bien rosée au moment de la découpe. Si vous le préférez très rouge (bleu, dit-on) c’est 48°C. On peut aussi cuire à point (60°C) et même bien cuit (65°C), mais c’est un peu dommage après tout ce cérémonial.
Grand Veneur

Le filet Wellington réclame une sauce à sa mesure. La sauce “Grand veneur” conçue pour accompagner les gros gibiers lors des chasses à courre s’impose !
Taillez deux carottes, deux échalotes et deux oignons en fines lamelles (en paysanne), faites suer l’ensemble au beurre et à l’huile en agitant à la spatule pour éviter qu’ils se colorent, “singez” avec deux cuillères à soupe de farine en continuant à mélanger à la spatule, mouillez avec 50cl de vin rouge et 10 cl de vinaigre de vin rouge et 50 cl de jus de bœuf légèrement caramélisé, confectionné avec des parures de bœuf (des os que vous demanderez à votre boucher).
Portez le tout à ébullition, ajoutez un bouquet garni, assaisonnez et laissez réduire de moitié. Filtrez ensuite ce fumet en pressant à la spatule pour récupérer tout le jus. Ajoutez deux cuillères à soupe de gelée de groseilles, rectifiez l’assaisonnement avec du sel et du piment d’Espelette et au moment de servir faites monter la sauce au beurre, à chaud, avec 100 g d’airelles au naturel.
Pastilla

Au Maghreb, pour les grandes occasions, on sort sa “pastilla“. Comme son nom le laisse entendre, la pastilla est en effet une … importation espagnole.
Il faut pour cela remonter à 711 ap JC et à la conquête de la péninsule ibérique, occupée par les Wisigoths, par l’armée berbère du général Tariq Ibn Ziyad. Cette domination musulmane se poursuivra jusqu’en 1492 (l’année où le Génois Christophe Colomb “découvre” l’Amérique) avec la prise de Grenade par les troupes de Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille. Les réfugiés maures auraient emporté dans leurs bagages cette tarte au pigeon et aux amandes.

Chaque ville du Maghreb prétend détenir la vraie recette de la pastilla sucrée-salée, en fonction des ressources locales.
Pour 6 personnes, il vous faut 3 pigeons de 500 g, que vous allez colorer à la cocotte pendant 10 mn. Vous les retirez et assaisonnez de sel et de poivre.
Désossez les pigeons et émiettez la chair avec les doigts. Dans un bol, mélangez 100 g d’amandes effilées avec 30 g de miel, 5 g de cannelle et 5 cl d’eau de fleur d’oranger.
Dans la cocotte, vous mettez 2 oignons émincés avec un bouquet de coriandre, un bouquet de persil plat, 3 gousses d’ail, le tout haché. Après 5 mn, remettez les pigeons avec un peu de gingembre, de muscade, de safran, de ras el hanout et recouvrez d’eau. Portez à ébullition et laissez cuire à couvert pendant 20 mn à feu doux. Retirez les pigeons, laissez la sauce réduire à feu doux pendant 20 mn puis ajoutez les œufs entiers crus qui vont la faire épaissir.

On peut ensuite faire des portions individuelles ou un seul plat qu’on partagera, comme une tarte. Je préfère la cérémonie du découpage et du partage entre les convives. Dans les deux cas, commencez par disposer dans un cercle de montage de la dimension souhaitée une feuille de brick, fine pâte composée de farine de blé, d’eau et d’huile de tournesol.
Vous pouvez lui préférer la pâte filo, encore plus fine, originaire de Grèce, composée de farine de blé, d’eau et d’amidon de maïs.
Vous beurrez le fond de pâte, vous laissez déborder cette première feuille, puis vous disposez la chair de pigeon. Vous ajoutez un nouveau cercle de brick que vous ajustez à la bonne mesure, recouvrez de la sauce épaissie à l’œuf et remettez à nouveau une feuille de brick. Vous terminez par le mélange d’amandes et de miel et vous repliez la première feuille de brick que vous avez laissé déborder. Vous allez retourner votre gâteau ou vos portions individuelles sur une plaque allant au four, vous cuisez à 200°C pendant 10 minutes.
Au moment de servir, vous saupoudrez très légèrement de sucre glace et vous pouvez décorer à la main ou au pochoir avec de la cannelle en poudre.
Une croûte de sel pour le bar

Les hommes utilisent le sel depuis qu’ils essaient de maîtriser leur alimentation. Les premières mines de sel datent de 800 ans avant notre ère. Auparavant on consommait le sel naturellement contenu dans ce qu’on mangeait : certaines plantes, certains animaux, certaines eaux… Mais depuis longtemps on sait qu’une carence en sel peut créer des désordres dans notre organisme, de même qu’un excès de sel est lui aussi dommageable.
A la préhistoire, on exploitait les croûtes naturelles de sel déposées par les embruns. Et les chasseurs ont compris depuis longtemps que les zones riches en sel sont plus giboyeuses.
L’idée de créer une croûte de sel autour d’un aliment pour le cuire à l’étouffée n’est donc pas récente.
Notre consommation quotidienne de sel doit tourner autour de 4 à 6 g par jour, ni plus, ni moins. Pour que la croûte de sel ne sale pas trop ce qu’on veut cuire, on conseille de réserver cette cuisson à des pièces assez grosses et d’adjoindre au gros sel qui va recouvrir la pièce à cuire un mélange de blanc d’œuf et de farine. Et en ce qui concerne le poisson, il est vivement recommandé de lui laisser la peau avant de le recouvrir de sa gangue.

On peut évidemment parfumer cette enveloppe en lui adjoignant par exemple des salicornes, plantes halophytes qui poussent dans les prés salés (sur les prés salés, https://recettesahistoires.com/2022/06/18/mechoui-pre-sale-et-abraham/), recouverts régulièrement par la mer. Enfournez le poisson et sa croûte à une température de 180°C maximum, faute de quoi la carapace de sel va se fissurer et libérer le jus que vous avez essayé de conserver. Comptez une trentaine de minutes pour un bar, 40 pour un gros saumon et 1h30 pour un poulet.
[…] Je l’ai évoqué dans des chroniques précédentes (https://recettesahistoires.com/2022/10/18/on-casse-la-croute/ […]