Méchoui, pré salé… et Abraham

Autant vous prévenir tout de suite, cet article n’est pas destiné prioritairement aux vegans, aux végétariens, ni aux électeurs d’Aymeric Caron, ancien étudiant de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, bien connu pour ses combats anti-spécistes, nouveau député de la 18e circonscription de Paris.

Aymeric Caron

Désolé pour eux, mais je trouve que le mouton et l’agneau jouent un rôle prépondérant dans notre vie. On l’honore, mais surtout on le mange, il est très présent dans les traditions religieuses qui, parfois, se croisent et se rejoignent.

Rembrandt : le sacrifice d’Abraham

Pour l’Aïd-el-Kébir, la règle veut qu’on sacrifie un mouton. Le Coran explique que Dieu avait demandé à Abraham de sacrifier son fils et que l’ange Gabriel envoyé par Dieu avait substitué au dernier moment l’enfant par l'”immolation généreuse” d’un mouton, donnant lieu à un repas de partage avec les proches et les personnes dans le besoin. Cette fête marque également la fin du pèlerinage à la Mecque, un des cinq piliers de l’Islam.

La traversée de la Mer rouge, enluminure arménienne

Lors de la Pâque juive qui commémore la sortie d’Egypte du peuple hébreu, un agneau est immolé. La fête de Pessa’h (passage) célèbre durant huit jours la traversée de la mer Rouge. Dieu aurait ordonné aux hébreux d’immoler un agneau par famille. Le sang de l’agneau, répandu sur les portes des maisons avec une branche d’hysope, signalait à l’Ange de la Mort qui devait être épargné de la mort des premiers-nés, qui ne devait frapper que les Égyptiens (une des dix plaies).

Dans tout le Moyen Orient et au Maghreb il est de tradition d’honorer ses hôtes en organisant à leur intention un méchoui. Le mouton, ou l’agneau, est vidé, farci de légumes (oignons, piments, poivrons, céleri, poireaux – certains pieds noirs ajoutent des têtes d’ail), recousu, puis embroché entier et solidement fixé. Il est disposé légèrement décalé au-dessus d’un foyer, creusé dans la terre (150 cm sur 50) dans lequel on a préalablement installé des braises qu’on va alimenter pendant 5 heures. Les techniciens recommandent des pieds réglables pour pouvoir commencer la cuisson basse température à 1,5 m du feu et de descendre la broche progressivement pour amener la viande à 50 cm du feu en fin de cuisson.

La cuisson lente permet d’amener à température toute la carcasse, qu’on va régulièrement hydrater à l’aide d’un bâton équipé d’un chiffon ou mieux de thym et de laurier qu’on trempe au départ dans un mélange d’eau et de sel, avant de continuer à mi-cuisson avec un mélange d’huile d’olive et de harissa. Si vous êtes patient et attentif, au bout de cinq heures, la viande est confite, légèrement craquante sur le dessus, et peut se déguster à la petite cuiller.

Les puristes, souvent les cuisiniers qui ont sué devant le feu et les braises durant 6 ou 8 heures, conservent à leur usage quelques morceaux de choix : la tête qu’il faut soigneusement désosser et qui permet de confectionner une terrine délicieuse, les rognons, un peu forts, et surtout les rognons blancs, pour ne pas nommer les testicules, absolument délicieux, comparables à des ris de veau.

80% de la viande de mouton ou d’agneau consommée chez nous provient de… Nouvelle Zélande. Dans ce pays de 4,5 millions d’âmes on dénombre 30 millions de moutons, soit sept moutons par habitant. Pour arriver chez nous dans un bon état de fraîcheur après un périple de … 20 000 km en bateau, les carcasses  abattues sont conditionnées dans des emballages en plastique étanche et baignent dans un mélange d’azote et de gaz carbonique qui permet de ne pas les congeler et de les maintenir simplement dans des containers à une température comprise entre -1 et 0°C. Beurk !

Au printemps arrive sur les étals de Normandie et de la Côte d’Opale une viande particulièrement recherchée, celle des agneaux de prés salés. En baie du mont-Saint-Michel, et en baie de Somme, les jeunes animaux nés en mars broutent les prairies régulièrement recouvertes par la mer (l’estran) qui produisent un pâturage spécifique, dit “halophyte” comprenant notamment de la salicorne. Elle donne à la chair des animaux une blancheur, une tendreté et un goût de noisette incomparables .

Cette viande très recherchée ne doit évidemment pas être malmenée : un peu de beurre, on ne la pique pas avec de l’ail, un peu de romarin et on met à four chaud  (210°C, puis 200°C) pour une trentaine de minutes, avant de laisser reposer four éteint une dizaine de minutes. Le temps de cuisson est équivalent pour un gigot ou un carré.

La tradition qui voudrait qu’on serve cette viande le jour de Pâques est un peu présomptueuse : les bêtes nées en février ou mars devraient être âgées d’au moins 70 jours pour être matures…

Si l’animal est plus âgé ou ne vient pas de ces terroirs prestigieux, vous pouvez aussi tenter le “gigot de sept heures”. On fait dorer uniformément la pièce de viande (avec l’os, bien sûr, c’est un élément essentiel du goût !) à l’huile d’olive dans une cocotte allant au four avant de la saupoudrer de piment d’Espelette et de poivre. On la réserve ensuite à part. On fait revenir dans la cocotte deux oignons coupés grossièrement, ainsi que deux échalotes, deux gousses d’ail entières, deux clous de girofle. Après une dizaine de minutes on ajoute 4 carottes coupées en gros tronçons qu’on laisse dorer à feu vif. On ajoute ensuite 50 cl de vin blanc, et on baisse le feu. Cinq minutes plus tard on réinstalle le gigot avec une branche de céleri et un bouquet garni, on rajoute 10 cl d’eau, on couvre et remet au four à 120°C pendant 7 heures. Toutes les deux heures, on ouvre la cocotte et on arrose la viande avec du jus de cuisson. Le gigot de sept heures se marie fort bien avec une purée de pommes de terre bien beurrée par exemple.

Pâque, Pâques, Ramadan

Dans de nombreuses cultures antiques, au printemps, on fête la lumière, la renaissance de la nature après les longs mois d’hiver.

Pour les chrétiens, la fête de Pâques est le passage de la mort à la vie par Jésus, victime innocente sacrifiée pour racheter les péchés des hommes. Ainsi, Jésus est identifié à l’agneau sacrificiel de la tradition juive. Jésus est également représenté par un agneau dans l’Apocalypse.

L’agneau symbolise également la soumission du chrétien à la volonté de Dieu, ainsi que les vertus d’innocence, de douceur et de bonté. On sert donc un gigot d’agneau pour le déjeuner du dimanche de Pâques, chez les chrétiens mais pas seulement.

Les pèlerins autour de la Kaaba, la structure cubique noire au centre de la mosquée al-Harâm, la mosquée sacrée de La Mecque

Cette année, les musulmans de France célébreront le 10 juillet la fête de l’Aid-el-Kébir, ou fête du mouton. Ne pas confondre avec l’Aïd-el-Fitr qui a eu lieu le 2 mai et qui marquait la fin du jeûne du Ramadan. On marque la fin du jeûne, avec un repas, copieux, dans lequel le sucré tient une place prépondérante. Le Ramadan, lui aussi aligné sur le calendrier lunaire, est décalé de 12 jours chaque année.

Pour les chrétiens, la date de Pâques est fixée depuis le concile de Nicée au premier dimanche après la première pleine lune qui suit le 21 mars. Les Églises occidentales, qui ont adopté le calendrier grégorien, célèbrent souvent Pâques à une date différente de celle des Églises orthodoxes, qui elles se réfèrent toujours au calendrier julien. Le décalage peut aller jusqu’à cinq semaines selon les années.

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