Confidences sur l’oreiller de la belle Aurore

Jean-Anthelme Brillat-Savarin

Née en 1725 à Belley en Bugey, Claudine-Aurore Récamier est ce qu’on appelle déjà à l’époque une maîtresse-femme. Son mari, Marc-Anthelme Brillat-Savarin est un notable, procureur du roi et avocat dont elle aura 8 enfants.

Claudine-Aurore déborde de vitalité. Thierry Boissel la décrit ainsi : «Femme au caractère entier, autoritaire, elle se mêle de tout, commande à tous. La cuisine, la resserre ou la crèmerie, nul ne peut y pénétrer sans son assentiment. Elle confectionne seule des plats savoureux, des sauces exquises dont elle ne confie la recette à personne.»

Et dans sa progéniture, l’aîné Jean-Anthelme fait son droit, sa chimie et sa médecine à Dijon avant de revenir s’installer à Belley. Bon fils de magistrat, il exerce le métier d’avocat, jusqu’en 1789, date à laquelle il devient député aux Etats généraux, puis maire de Belley en 1793. Il est aussi renommé pour ses talents de … violoniste !

Il n’échappe cependant pas aux rigueurs des montagnards qui l’obligent à déguerpir vers Dôle, la Suisse, puis la Hollande et l’Amérique dont il revient en 1797.

En 1825, il publie Physiologie du goût ou méditations de gastronomie transcendante, deux mois avant sa mort. Cet ouvrage le fait passer à la postérité, et les “gastrologues” de tout acabit y voient un texte fondateur de la gastronomie moderne.

Extrayons quelques sentences définitives de ce bouquin :

« Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil »

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es »

« Qu’est-ce que la santé ? C’est du chocolat ! »

« La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais pendant la première heure. »

Le fameux coussin a, comme les légendes souvent, au moins trois géniteurs revendiqués. En premier lieu Aurore elle-même. Ensuite Jean-Anthelme à qui l’on devrait aussi le savarin dont on reparlera forcément, et le fromage éponyme, crémeux et coulant à souhait, à base de crème triple, et 75% de matière grasse au minimum… Et enfin, il semblerait que Lucien Tendret, neveu d’Anthelme, secrètement amoureux d’Aurore, ait concocté cette recette qu’il a d’ailleurs codifiée dans son livre La Table au pays de Brillat-Savarin.

L’origine du “pâté” remonte au moins au Moyen Age. Vous hachez du poisson, de la viande, des légumes, vous faites du pâté. Les Champenois et les Lyonnais revendiquent l’invention du pâté en croûte ou pâté-croûte, à la même époque. La croûte est au départ un moyen de conserver la viande plus longtemps.

La chemise de pâte entoure parfois la farce, posée sur une tôle, c’est le pâté pantin, ou corsetée dans un moule à charnière, pour faciliter son démoulage. Mais le coussin, le roi, est au-dessus de ces considérations. A l’origine il doit mesurer 60×60 cm, et pèse une trentaine de kilos ! Il faut le cuire doucement pendant 7 heures, dans un four adéquat, chez le boulanger par exemple. La surface ainsi aménagée permet d’imaginer les décorations les plus variées. Et les viandes, à plumes et à poils, et les différents ingrédients disposés en mosaïque forment une composition géométrique (à discrétion) à la coupe.

La recette de base comporte bien entendu des bestiaux aujourd’hui interdits à la chasse et à la consommation, comme le pic vert ou la bécassine…

Mais je vous propose les ingrédients tels que formulés par la revue Le chasseur français en novembre 2021

2 magrets de canard

700 gr de ris de veau

Les 2  gros lobes de 2 foies gras de canard (800 gr),

2 perdreaux, 2 bécasses, 2 pigeons, 1 râble de lièvre, 1 râble de lapin de garenne, 1 filet de chevreuil, 1 filet de marcassin, cerf, biche, … (suivant le tableau de chasse)

400 gr de noix de veau, 400 gr de filet de porc, 200 gr de lard gras

3 œufs + 2 jaunes

4 os à moelle

30 cl de vin blanc du Jura

80 gr de mie de pain rassis

15 cl de lait

150 gr de truffe

4 échalotes

150 gr de beurre

5 cl de porto,

1 cuillère à soupe d’armagnac

Pour le jus « plumes & poils » : 1 carotte, 1 branche de céleri, 1 oignon, 1 gousse d’ail, queues de persil, 3 branches de thym, 1 feuille de laurier.

Et pour la gelée 1 pied de veau, 1 jarret de veau, 3 oignons, carottes, bouquet garni, échalotes, ail, 1 zeste d’orange, 1 verre de cognac, 3 blancs d’œufs, sel et poivre.

Un tel monument ne peut se concocter, ni se consommer tous les matins. Cependant, de bonnes maisons continuent d’entretenir la tradition avec bonheur, à Lyon et à Paris notamment : Vérot, Reynon, Viola, à la saison de la chasse bien entendu, comme la tarte des demoiselles Tatin !

Mais le pâté-croûte est plus que jamais “tendance”. Les cuistots du monde entier y trouvent un terrain de jeu plus que favorable pour tenter toutes sortes d’acrobaties. Il a bien entendu son “championnat du monde” dont la 13e édition sera organisée, à Lyon, en décembre 2022 avec 14 candidats représentant l’Europe, l’Asie, les Amériques et l’Océanie, sous la présidence de Pierre Hermé.

Aurore et Juliette

Si Aurore aura laissé son prénom à la postérité, sa cousine par alliance Juliette n’est pas en reste. Cette femme, fille de Necker,  à la beauté troublante aura fait défiler sans son boudoir tout ce que l’Europe compte de puissants : Murat, Wellington, Bernadotte, Bonaparte, qui l’enverra en exil pour condamner son amitié avec madame de Staël et son amant Benjamin Constant… Durant les trente dernières année de sa vie, elle sera l’égérie de François-René de Châteaubriand, le plus grand écrivain de son temps, mais certainement aussi un être particulièrement insupportable avec lequel elle entretiendra des relations pour le moins tumultueuses, qui ruinera son mari mais auprès duquel elle veillera notamment pour écrire ses Mémoires d’Outre tombe. Lui s’éteindra en juillet 1848, paralysé. Elle lui survivra jusqu’en mai 1849, aveugle, emportée par le choléra.

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