Fruit confit, le soleil de l’hiver…

Nous avons voulu danser et chanter tout l’été,

La bise et les frimas sont maint’nant revenus,

De beaux fruits acides, goûteux et chamarrés

à ce triste instant nous voilà bien dépourvus.

Il y a heureusement belle lurette que notre instinct de cigale a réussi à contourner l’hiver. Grâce au savoir-faire et aux ressources des confiseurs qui, depuis le XVe siècle, enrobent savamment les fruits de l’été. Par osmoses successives, ils remplacent l’eau par du sucre pour assurer leur conservation.

Michel de Nostredame, dit Nostradamus,

Saint-Rémy de Provence 1503, Salon de Provence 1566

En 1555, Michel de Nostradamus publie à Salon de Provence le “Traité des fardements et confitures“, quelques années après avoir publié son premier “almanach” et les prédictions qui le rendront célèbres dans le public et auprès des puissants. Nostradamus enseigne comment « confire petits limons et oranges tout entiers, coings en quartiers avec le sucre pour faire du cotignac, du pignolat, du sucre candi, des sirops, des poires confites et de la tarte de massapan ».

Nostradamus n’est pas l’inventeur du fruit confit mais il vit au cœur du triangle Salon de Provence, Saint-Rémy de Provence et Apt. C’est le point névralgique de la production nationale des fruits que nous retrouvons sur nos tables.

Apt est incontestablement la capitale mondiale du fruit confit et c’est dans cette région que sont installés les meilleurs artisans confiseurs.

Il faut au bas mot trois mois pour obtenir de beaux fruits luisants. Ils vont baigner dans huit bains de sirop de sucre de plus en plus concentré et autant de séchages à l’air libre. Les fruits sont ensuite séchés à four très doux (50°C). Puis le confiseur les “oublie” dans un fruitier pendant au moins deux mois. Enfin, il les “glace” au sucre  une dernière fois avant que nous puissions les déguster.

Méfions-nous, il existe sur le marché de prétendus fruits confits fabriqués à base de … navets, artificiellement colorés et parfumés pour ressembler à des écorces confites. Pour l’occasion, ils sont baptisés “raves”. Ce n’est pas nocif, mais c’est pour le moins trompeur !

C’est un peu dommage pour les navets qui méritent un meilleur sort. Il existe d’ailleurs des recettes délicieuses à base de navets confits, pour accompagner par exemple du canard.

Les treize desserts

Puisque nous sommes en Provence, restons-y, avec la tradition des treize desserts de Noël. Ce chiffre fait référence à la Cène, dernier repas des 12 apôtres avec le Christ avant sa crucifixion.

Les treize desserts sont servis à la fin du repas la veille de Noël, puis restent sur la table pendant trois jours. Les invités doivent goûter à tous les desserts par politesse envers leur hôte.

En voici une liste indicative mais non exhaustive :

Quatre fruits secs qui représentent les 4 ordres religieux ; noix ou noisettes (les Augustins) ; figues sèches (les Franciscains) ; raisins secs (les Dominicains) ; amandes (les Carmélites)

La pompe à l’huile d’olive ou fougasse d’Arles,  galette  parfumée à l’eau de fleur d’oranger et au zeste de citron ou d’orange.

Le nougat blanc

Les dattes

Le nougat noir, avec du miel fondu cuit et des amandes

Le nougat rouge, à la rose et aux pistaches

Les calissons d’Aix, en forme de navette, fourrés avec un mélange de melon confit et d’amande nappé de glaçage royal (blanc d’œuf et sucre glace), posé sur un fond de pain azyme.

Des oranges ou des clémentines

De la pastèque

Des fruits confits entiers (cédrat, poire, ananas…) ou des pâtes de fruits….

Le panettone italien

De la Provence, filons vers la “Botte” et la région milanaise.

Ludovico il Moro Sforza dit le More,

1452 à Vigevano (Italie), 1508 à Loches (France)

On raconte que dans les années 1480 le cuisinier de Ludovico il Moro Sforza, duc de Milan, chargé de préparer le dîner de Noël, avait oublié son dessert au four. Stupeur dans la cuisine jusqu’à ce que Toni, jeune commis, propose une solution : «  Avec ce qui restait dans le garde-manger – un peu de farine, du beurre, des œufs, de l’écorce de cédrat et quelques raisins – j’ai cuisiné ce matin ce dessert. Si vous n’avez rien d’autre, vous pouvez le mettre sur la table ». Le cuisinier y consentit et, tremblant, se cacha derrière un rideau pour espionner la réaction des invités. Tous furent enthousiastes et au duc qui voulait savoir le nom de cette délicatesse, le cuisinier révéla le secret : « c’est le pain de Toni (l’è ‘l pan del Toni) ». Depuis, il est appelé « pane di Toni », le « panettone »

Au XXe siècle, la recette évolue avec Angelo Motta qui fait lever la pâte trois fois pendant vingt heures avant de la cuire, ce qui lui donne sa légèreté en même temps qu’il en industrialise la fabrication. Après la deuxième guerre mondiale, le panettone est devenu “le” dessert de Noël italien.

Angelo Motta,

1890, à Gessate, Italie, 1957 à Milan, Italie

Les boulangers italiens partent d’un morceau de pâte de levain naturel prélevé sur une préparation antérieure et qui sert de greffe microbienne, auquel on ajoute de la farine de blé dur et de l’eau. Cette pâte subit un premier pétrissage, ce qui arrête la fermentation. Le pâton est mis à lever à température ambiante, avant deux autres phases de pétrissage et de “levage”. C’est à ce moment qu’on ajoute 20 % en poids de raisins sultanines, d’écorce d’orange ou de cédrat confit  et au moins 10 % en poids de beurre.

Le “pasticcere” (le pâtissier) procède alors au façonnage : la spezzatura, la pâte finale levée est divisée en portions, la pirlatura, les pâtons sont façonnés en boules, la pose des pirottini, la pâte est mise dans des moules de cuisson en papier. Durant la levée, on procède à la scarpatura, la surface supérieure de la pâte est incisée d’une croix.

La cuisson dure environ 40 min à 170 °C pour un gâteau d’un kilogramme. A la sortie du four, le gâteau est renversé, la date est imprimée ou estampillée de manière indélébile sur le pirottino qui reste attaché au produit fini.

Le panettone est servi en tranches verticales, accompagné de vins doux comme l’asti spumante ou le moscato, ou encore de vins corsés du genre Recioto della Valpolicella ou Gattinara, ou encore de boissons chaudes. On peut compléter avec de la crème de mascarpone et de l’Amaretto, une liqueur sucrée.

Les Nevaditos espagnols

Dans un saladier, vous mélangez 100 g de saindoux avec 60 ml de vin blanc, une pincée de sel et une cuillère à soupe de sucre. Vous incorporez progressivement 225 g de farine à la cuillère de bois jusqu’à obtenir une boule de pâte bien lisse. Vous la filmez et vous la laissez reposer au froid pendant 2 heures.

Vous étalez la pâte sur du papier sulfurisé à 1 cm d’épaisseur et vous formez des disques de 6 cm à l’aide d’un emporte-pièce. Vous enfournez pour 30 mn jusqu’à ce que les bords soient légèrement dorés. Vous enrobez les nevaditos de sucre glace et les laissez refroidir complètement.

Les Stollen et Beerawecka alsaciens

En Allemagne et en Alsace où les traditions de Noël demeurent très vivaces, le Stollen (ou Christstollen) est composé de fruits secs macérés dans le rhum, d’écorces d’agrumes confites et de pâte d’amande.

Faites macérer 150 g de raisins secs, 120 g d’écorce d’orange et autant d’écorce de citron confit en cube dans un bol d’eau mélangée à quelques cuillères à soupe de rhum et une gousse de vanille fendue dans la longueur.

Dans un verre, mélangez 150 g de lait tiède avec 10 g de levure.

Dans un saladier, mélangez 250 g de farine, 40 g de sucre, 80 g de beurre, 1 jaune d’œuf, 120 g de noix et autant d’amandes et une pincée de sel.  Ajoutez ensuite le lait et la levure et mélangez jusqu’à obtention d’une pâte lisse. Laissez reposer une nuit.

Mélangez 200 g de poudre d’amandes avec 200 g de sucre glace, 4 cl d’eau et 2 gouttes de liqueur d’amandes amères. Réservez la pâte d’amande obtenue dans une poche à douille.

Le lendemain, étalez la pâte sur un papier sulfurisé pour obtenir un rectangle. Déposez au centre la pâte d’amande et refermez soigneusement le Stollen tout autour de la pâte d’amande.

Enfournez le gâteau pendant 40 minutes à 180°C. Laissez refroidir et saupoudrez abondamment de sucre glace.

Le Beerawecka est le gâteau traditionnel de la pâque juive, que les chrétiens ont emprunté pour les fêtes de Noël. La litanie des ingrédients est un peu longue :

– 400 g de poires séchées

– 100 g de quetsches ou prunes

– 150 g de figues séchées

– 150 g d’abricots secs

– 150 g de pommes séchées

– 150 g de raisins de Corinthe

– 100 g d’amandes

– 100 g de noisettes

– 100 g de noix

– 100 g d’écorces confites de citron, d’orange et de cédrat

– 20 g de cannelle

– 10 g d’anis moulu

– 5 g de clous de girofle moulu

– 500 g de farine

– 1 cuillère à café de bicarbonate

– 50 cl d’eau de vie de quetsche

Coupez tous les fruits en petits morceaux, arrosez-les d’eau de vie, remuez et laissez macérer une nuit.

Concassez les noix, amandes et noisettes. Egouttez les fruits et ajoutez la farine mélangée avec le bicarbonate et les épices, remuez et ajoutez l’alcool de macération jusqu’à ce que l’ensemble soit bien amalgamé.

Façonnez des petits pains allongés sur un papier sulfurisé. Enfournez à 140°C et laissez cuire 45 minutes.

Le Beerawecka peut se conserver au frais une dizaine de jours. Il peut être servi au petit déjeuner mais peut fort bien accompagner le foie gras.

Le pudding du Detroit

Remontons à présent vers le “Channel” et les rivages de l’Angleterre. A Calais et à Boulogne sur Mer, on a vécu très longtemps au rythme des “day tripper” venus pour la journée de Folkestone, Douvres et Ramsgate par ferry, avant de repartir les bras et les épaules chargés de chocolats, de fromages, d’alcools divers et variés, voire de grenouilles…

Le “Brexit” et le “Lien fixe transmanche” ont certes bouleversé ces habitudes, mais à Calais et à Boulogne on continue de préparer Noël avec le “Christmas pudding” tel qu’on la vu faire par les parents et les grands parents, qui eux-mêmes le tenaient d’amis ou de collègues anglais.

Le Christmas pudding est cuit à la vapeur avec énormément de raisins secs épépinés et de fruits confits, des noix, de la graisse de rognon de veau, du sucre brun (de la “cassonade” ou “vergeoise” brune) de la mélasse et un peu de farine. Le mélange est humidifié avec du jus d’agrumes et de la bière brune.

Le gâteau est ensuite enveloppé dans un tissu et suspendu quelques heures dans une cocotte au-dessus de l’eau bouillante.

Au moment de servir, le pudding est réchauffé à la vapeur et flambé au rhum. La tradition voudrait qu’on mange du pudding certes un peu rassis jusqu’à la Trinité.

Le sens pratique des Boulonnais(es) et des Calaisien(ne)s a substantiellement fait “évoluer” la tradition britannique : le graisse de rognon de veau est souvent remplacée par de la margarine, l’enveloppe en tissu par un saladier en pyrex, la cocotte en fonte par une cocotte minute qui permet de réduire le temps de cuisson ou autres cuiseurs-vapeurs à la mode, mais les yeux émerveillés des petits et grands au moment de flamber le gâteau, toutes lumières éteintes, sont toujours là, même si à Calais comme à Boulogne on tient rarement jusqu’à la Trinité …

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