Savez-vous ce que disait le maire de Reims quand il accueillait un futur roi de France le jour de son sacre à la porte de la cathédrale ?
“Nous vous offrons ce que nous avons de meilleur : nos vins, nos poires et nos cœurs“.
Et à Reims, depuis que le moine Dom Pérignon avait mis au point la deuxième fermentation en 1668, on présentait au monarque, bien évidemment, une coupe de champagne. Cette tradition a concerné Louis XV, Louis XVI, Marie-Louise d’Autriche, et Charles X. Louis XIV avait été sacré au même endroit en 1654 : le champagne était encore en gestation, il n’avait eu droit qu’à un verre de vin.
Mais en ce qui concerne la poire, le jeune Louis XIV était un connaisseur. Une fois installé à Versailles, il avait demandé à Jean-Baptiste La Quintinie, son jardinier, grand spécialiste de la taille des arbres fruitiers, de créer le célèbre potager royal, en asséchant un marécage et en créant un réseau complet d’irrigation couplé aux jardins du château, eux-mêmes alimentés par la folle machine de Marly, souvent en panne…

On y trouve depuis toutes sortes de légumes autour d’un grand bassin, mais aussi 5000 arbres fruitiers taillés en espaliers le long de murs spécialement bâtis à cette intention. Des poiriers et des pommiers, mais aussi des figuiers, dont on récolte jusqu’à 4000 fruits par jour en pleine saison. La poire préférée de Louis XIV est la poire “bon-chrétien d’hiver” qui rassemble il faut le dire toutes sortes de qualités : elle se conserve longtemps, ses dimensions sont imposantes, sa chair est fondante, sucrée et très juteuse et l’arbre offre une bonne résistance aux maladies.

J’avais précédemment évoqué ce magnifique potager (https://recettesahistoires.com/2022/06/14/des-artichauts-et-une-colere-au-palais/).
Comme la plupart des fruits et légumes que nous consommons, la poire est un fruit d’importation qui a commencé à être cultivé il y a un bon millier d’années, quelque part en Asie centrale. La pêche a voyagé sur la route de la soie jusqu’en Perse, puis la Grèce et Rome.
Déjà Homère disait de la poire que c’était le “fruit des dieux“.
Au hit-parade des variétés disponibles sur les marchés aujourd’hui : Guyot, Wiliams, mais aussi Beurré-Hardy, Louise Bonne, Comice, Doyenné du Comice, Passe-Crassane, et la dernière née : Angélys, issue des amours contrôlés par la science entre une Doyenné et une Passe-Crassane… La France est le troisième producteur européen, derrière l’Italie et l’Espagne.
La Belle Hélène est un opéra-bouffe de Jacques Offenbach, dont la création au théâtre des Variétés en 1864 a défrayé la chronique.

Un décret de Napoléon III de janvier 1864 permet en effet aux directeurs de théâtres de d’élargir leur répertoire, de ne plus se cantonner à un seul genre, va engager une libéralisation et donner aux artistes une source infinie de nouvelles ressources. Le théâtre des Variétés, boulevard du Montparnasse, autrefois cantonné dans le vaudeville, peut à présent s’ouvrir au lyrique, et Jacques Offenbach, en conflit avec la direction du théâtre des Bouffes Parisiens, propose à Ludovic Halévy, célèbre librettiste une idée : “Comme les Anglais qui envoient partout des correspondants en temps de guerre, on pourrait peut-être employer ce moyen pour notre Prise de Troie.”

L’enlèvement d’Hélène par le berger Pâris, origine de la Guerre de Troie, fournit la matière à une parodie des mœurs de la société du Second empire et son goût effréné des plaisirs. La bouffonnerie permet toutes les insolences et le génie mélodique d’Offenbach va faire de ce projet un immense succès, jamais démenti depuis, malgré les renâclements de la censure et les critiques jalouses de certains auteurs, comme Théophile Gauthier.
Très vite, les restaurants des Grands boulevards s’inspirent de ce triomphe pour proposer, qui un tournedos grillé Belle-Hélène, qui des suprêmes de volaille sautés Belle-Hélène, dressés sur des croquettes d’asperges, surmontées d’une lame de truffe.

En 1864, Auguste Escoffier est employé à l’hôtel Bellevue de Nice. Il rencontre le propriétaire du Petit Moulin rouge, rue d’Antin, près de l’Opéra, qui lui propose le poste de “commis rôtisseur”. Le jeune commis monte à Paris, et entame son ascension vers la gloire, les grandes tables européennes, une notoriété d’envergure, et ses méthodes de management toujours en vigueur dans les cuisines contemporaines. (Pour en savoir plus sur Escoffier, c’est ici : https://recettesahistoires.com/2022/06/24/la-crepe-le-roi-et-suzette/)

Le Petit moulin rouge, qui n’a rien à voir avec le plus connu Moulin rouge du boulevard de Clichy, est situé à proximité du théâtre des Variétés où s’enchaînent les représentations de la Belle Hélène (jouée 197 soirs dans ce théâtre jusqu’en janvier 1866) et de son interprète emblématique, Hortense Schneider. Il est vraisemblable qu’un jour ou l’autre la cantatrice ait fréquenté le restaurant, et que le cuisinier qui avait pris du grade et n’avait pas son pareil pour séduire les élégantes, ait baptisé un dessert qu’il n’avait sans doute pas créé. Mais c’est un coutumier du fait.
La poire Belle-Hélène est dans la mode des plats “chaud et froid” de l’époque : une poire, Williams par exemple (héritière de la “bon chrétien d’hiver”) épluchée et épépinée par le dessous, pochée entière dans un sirop tant pour tant de sucre et eau, refroidie, dressée sur de la glace à la vanille, nappée de chocolat chaud. Quel qu’en soit l’inventeur, la poire Belle Hélène a accompagné le succès de l’opéra-bouffe, avant de le supplanter.

Comme la poire, la pêche est originaire d’Asie. Elle était déjà cultivée en Chine 1000 ans avant notre ère. Elle est présente sur les étals de France et de Navarre et aux Amériques depuis le 15e siècle…

La pêche Melba doit son nom à une cantatrice d’origine australienne, Nellie Melba, de son vrai nom Helen Porter Mitchell , venue chanter à Covent Garden en 1894, à l’époque ou l’inévitable Auguste Escoffier était chef de l’hôtel Savoy de Londres. La cantatrice, qui devait résider dans l’hôtel, invite Escoffier à une représentation de Lohengrin, dans laquelle apparaît un cygne. De retour devant ses pianos, le cuisinier crée un dessert pour la remercier : entre les ailes d’un cygne taillé dans un bloc de glace, est enchâssée une timbale d’argent remplie de glace à la vanille, sur laquelle sont posées des pêches pochées à la vanille. Le tout est recouvert d’un coulis de framboises fraîches, et d’un voile de sucre filé. Le dessert fait depuis une très belle carrière, pas seulement dans les palaces, pas toujours très diététique, même si la pêche est réputée soigner les altérations du larynx.

Nellie Melba est l’une des premières cantatrices à avoir fait l’objet d’enregistrements phonographiques. Et dans la série “Downton Abbey”, elle donne un récital privé devant la famille Crawley, ses proches et ses domestiques, sous les traits de la soprano néo-zélandaise Kiri Te Kanawa (l’enregistrement date de 2014, Dame Kiri, âgée en 2022 de 78 ans, a mis fin à sa carrière publique en 2017).
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